Tribunal du travail, 14 juillet 2023, Monsieur t. A c/ La société anonyme monégasque B.

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Abstract🔗

Contrat de travail – Rappel de salaire (oui) – Exécution loyale (oui) – Indemnité compensatrice de congés payés (oui) – Licenciement – Motif valable (non) – Licenciement abusif (oui)

Résumé🔗

Monsieur t. A sollicite le versement de son salaire pour la journée du 2 juin 2018, correspondant au jour de son accident du travail. Il est exact que le jour où survient un accident du travail doit être intégralement réglé par l'employeur. En l'espèce, Monsieur t. A qui travaillait 169 heures par mois pour un salaire horaire brut de 9,88 euros, a été déclaré en absence pour accident du travail du 3 au 30 juin 2018. Il a été retenu sur son bulletin de salaire la somme de 1.592,66 euros correspondant à 161,20 heures de travail. Il n'a dès lors été réglé que pour 7,80 heures de travail, soit 77,06 euros brut (1.669,72 – 1.592,66). Il apparaît dès lors que seule une journée de travail a bien été réglée et pas celle du 2 juin. Il convient en conséquence de condamner la société B. à verser à Monsieur t. A la somme de 79,37 euros brut, en paiement du salaire du 2 juin 2018 dont le montant n'est pas contesté, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Monsieur t. A déplore une violation des obligations de l'employeur par la non-remise des bulletins de salaire. Il ressort des échanges des parties que, le 30 novembre 2020, Monsieur t. A a sollicité la délivrance de ses bulletins de salaire des mois de juin 2017 à mai 2018 et que, dès le lendemain, la société B. lui a adressé les douze bulletins réclamés, la pièce n° 28 consistant en une capture d'écran de la pièce jointe à la réponse étant lisible et probante. Or, il n'apparaît nullement que les bulletins réclamés plus de trois ans après n'aient pas été communiqués en temps et en heure au salarié, présent dans l'entreprise à la période concernée et n'ayant jamais formé alors la moindre réclamation. Monsieur t. A déplore également la non-communication de ses bulletins de salaire pendant sa période d'arrêt de travail et la violation des dispositions légales relatives à la dématérialisation. C'est à juste titre que l'employeur indique que les dispositions revendiquées par le salarié sont postérieures à la mise en œuvre par la société B. de la dématérialisation et n'avaient en conséquence pas à être appliquées. La société B. devait uniquement respecter l'obligation de remise aux salariés d'un bulletin de paye « à l'occasion du paiement du salaire » conformément à l'article 2 de la loi n° 638 du 11 janvier 1958. Or, à compter du mois d'août 2018, Monsieur t. A n'a plus reçu de salaire. Dès lors, l'employeur n'avait pas à lui remettre de bulletin de salaire puisqu'il ne lui versait pas de salaire. Surabondamment, il peut être noté que le préjudice de Monsieur t. A est injustifié, celui-ci ayant bien eu communication des bulletins sollicités par Pôle Emploi et qu'il n'avait jamais formulé la moindre demande, alors que les bulletins de salaire sont quérables. La demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail sera en conséquence rejetée.

En application de l'article 1er de la loi n° 619 du 26 juillet 1956, les salariés ont droit à un congé de 2,5 jours par mois de travail effectif. Au sens de l'article 3 « sont assimilées à un mois de travail effectif (…) les périodes limitées à une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail. ». En l'espèce, Monsieur t. A a été placé en arrêt de travail pour une durée ininterrompue à compter du 3 juin 2018. Jusqu'au 3 juin 2019, la suspension de son contrat de travail devait être assimilée à du temps de travail effectif pour le calcul du droit à congé. En revanche, la période postérieure, ainsi que celle de préavis, n'ouvrait pas droit à congé payé, étant toujours concernée par une suspension pour cause d'accident du travail et dépassant le délai d'un an. Le calcul du salaire de référence et de la méthode la plus favorable effectué par Monsieur t. A n'étant pas contesté, il devait percevoir la somme totale de 5.707,31 euros. Il lui reste dès lors à percevoir la somme de 240,77 euros brut à titre de reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés (déduction faite des 5.466,54 euros déjà versée), que la société B. est condamnée à lui verser, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire. Le surplus de la demande, relatif à la période de préavis, pendant laquelle il était toujours en arrêt de travail au-delà d'un an, sera rejeté.

Aux termes de l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, l'absence prolongée d'un salarié est un motif valable de licenciement à l'issue de la période légale de suspension à condition que cette mesure soit justifiée non par l'état de santé du salarié mais par la perturbation apportée au fonctionnement de l'entreprise rendant nécessaire son remplacement définitif. En l'espèce, l'employeur, sur lequel la charge de la preuve repose, prétend que l'absence de Monsieur t. A a perturbé l'entreprise, nécessitant le remplacement par l'embauche de plusieurs salariés. Or, d'une part, la simple embauche de salariés ne justifie nullement de la perturbation du fonctionnement de la société, celle-ci pouvant embaucher pour d'autres motifs (remplacement de licenciements ou démissions, accroissement des besoins…). La perturbation doit en effet s'apprécier au regard d'éléments matériels concrets (difficultés de gestion de la clientèle, retard, surcharge des autres collègues, désorganisation des services…). Surtout, d'autre part, la validité du motif s'apprécie au moment du licenciement. En ne produisant aucune preuve d'un remplacement de Monsieur t. A au moment de son licenciement (en août 2020), la société B. ne caractérise pas avoir procédé à son remplacement comme la loi le lui impose. S'il est exact que des salariés occupant le même poste ont été embauchés entre septembre et décembre 2018, il n'est pas contestable que Monsieur t. A n'a pourtant pas été licencié alors, preuve que son remplacement n'était pas nécessaire. Le motif du licenciement de Monsieur t. A n'étant pas valable, il doit percevoir une indemnité de licenciement, dont le montant sera limité à la demande soumise au préliminaire de conciliation. La société B. sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 3.528,70 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

Constitue un licenciement abusif celui fondé sur un faux motif ou celui exercé avec brutalité, précipitation ou légèreté blâmable. Monsieur t. A prétend que son licenciement dissimulerait un licenciement pour motif économique. Or, les pièces qu'il produit ne sont pas probantes. En effet, le fait d'avoir mis en œuvre une procédure de licenciement collectif à la fin du mois d'octobre 2020, soit après l'annonce d'un deuxième confinement que rien ne pouvait prédire pendant l'été précédent, ne démontre pas que l'employeur avait l'intention de le faire précédemment. L'employeur démontre en revanche qu'il bénéficiait des aides étatiques permettant la mise en place d'activité partielle en 2020, ce qui ne justifiait pas qu'il procède à une baisse de sa masse salariale. Le motif de licenciement n'étant pas fallacieux, Monsieur t. A sera débouté de sa demande au titre du préjudice financier, dont il convient de relever qu'il n'est en tout état de cause aucunement étayé. Concernant les circonstances de mise en œuvre du licenciement, il convient en premier lieu de relever que Monsieur t. A n'a pas été intégralement réglé de ses indemnités (licenciement et congés payés) et a initialement reçu une attestation Pôle Emploi erronée. Par ailleurs, il a été licencié sans que l'employeur ne s'assure de la prévisibilité de son absence, ni en le contactant, ni en prenant attache avec la Médecine du Travail, ce qui constitue une légèreté blâmable. Il a reçu une notification sèche de licenciement par courrier, sans aucun contact. L'ensemble de ces agissements de l'employeur sont fautifs. En réparation du préjudice moral de Monsieur t. A il convient de tenir compte de son âge au moment du licenciement (39 ans) et de son ancienneté de 5 ans et de condamner la société B. à lui verser la somme de 1.500 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.


TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 14 JUILLET 2023

  • En la cause de Monsieur t. A, demeurant x1 à NICE (06200) ;

Demandeur, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision n° 252 BAJ 21 du 12 janvier 2021, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud CHEYNUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La société anonyme monégasque dénommée B., dont le siège social se situe x2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substituée et plaidant par Maître Grégoire GAMERDINGER, avocat-stagiaire ;

d'autre part ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 26 mai 2021, reçue le même jour ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 99-2020/2021 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 22 juin 2021 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Arnaud CHEYNUT, avocat-défenseur au nom de Monsieur t. A, en date du 13 avril 2023 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. B., en date 11 mai 2023 ;

Après avoir entendu Maître Arnaud CHEYNUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Monsieur t. A, et Maître Grégoire GAMERDINGER, avocat-stagiaire près la Cour d'appel de Monaco, substituant Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la même Cour, pour la S. A. M. B., en leurs plaidoiries à l'audience du 1er juin 2023 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs🔗

Monsieur t. A a été embauché par la société anonyme monégasque B. par contrat à durée indéterminée à compter du 13 avril 2015 en qualité d'Agent de vente.

Il a été victime d'un accident du travail le 2 juin 2018 et a bénéficié d'arrêts de travail prolongés jusqu'au 28 octobre 2020.

Il a été licencié pour absence prolongée par courrier du 21 août 2020.

Monsieur t. A a saisi le Tribunal du travail par requête reçue le 26 mai 2021 afin d'obtenir :

  • • 159,02 euros de rappel de salaire des 1er et 2 juin 2018,

  • • 991,91 euros de rappel de salaire du 3 juin au 2 juillet 2018,

  • • 115,09 euros de congés payés sur rappel de salaire,

  • • 5.000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

  • • 649,50 euros d'indemnité compensatrice de congés payés,

  • • 3.528,70 euros d'indemnité de licenciement,

  • • 50.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

  • • la rectification de la documentation sociale sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 13 avril 2023, Monsieur t. A abandonne sa demande de paiement de salaire du 1er juin 2018 et sollicite 5.032,03 euros d'indemnité de licenciement, ou subsidiairement 3.528,70 euros.

Il fait valoir pour l'essentiel que :

  • • la demande relative à l'indemnité de licenciement est recevable, la modification résultant simplement de la correction d'une erreur matérielle,

  • • le solde de tout compte ne présente pas de caractère libératoire pour ne pas mentionner la sanction de la forclusion,

  • • en outre, la dénonciation est bien intervenue dans le délai de deux mois,

  • • il n'a pas été payé pour la journée du 2 juin 2018 en lien avec son accident du travail, alors que la journée au cours de laquelle l'accident s'est produit est intégralement à la charge de l'employeur,

  • • l'employeur n'a pas assuré le maintien de salaire à hauteur de 90 % brut sur les trente premiers jours puis les deux tiers sur les trente jours suivants,

  • • l'employeur n'a plus délivré les bulletins de paie à compter de l'absence maladie de Monsieur t. A,

  • • il ne démontre pas l'avoir informé de la procédure de dématérialisation,

  • • la dématérialisation lui a été imposée en violation des règles légales,

  • • l'employeur a résisté à lui communiquer les bulletins de salaire et ne démontre toujours pas avoir répondu à l'intégralité de sa demande pour l'ensemble de la période réclamée,

  • • sur la période d'incapacité temporaire l'employeur a violé ses obligations en payant de manière incomplète le salaire et les indemnités journalières, en n'informant pas son salarié de la dématérialisation et en ne lui transmettant pas les bulletins de salaire, lui occasionnant un préjudice moral,

  • • le motif de licenciement n'est pas valable,

  • • l'employeur ne démontre pas que le fonctionnement de l'entreprise était perturbé,

  • • l'embauche simultanée de trois salariés ne caractérise pas qu'ils aient été recrutés pour occuper le même poste que Monsieur t. A,

  • • il n'est par ailleurs pas caractérisé la nécessité de remplacement définitif,

  • • le poste ne revêtait aucune complexité ou singularité,

  • • les difficultés pour pérenniser le personnel n'étaient pas liées à l'absence de Monsieur t. A mais à la flexibilité du secteur d'activité,

  • • il n'est pas démontré que Monsieur t. A ait fait l'objet d'une convocation à entretien préalable le 1er juin 2018,

  • • le licenciement est intervenu alors que la société était confrontée à des difficultés économiques et dans un contexte concomitant à un licenciement économique collectif,

  • • le motif invoqué est un faux motif, celui-ci reposant en réalité sur une suppression de poste,

  • • le licenciement a été brutal, sans entretien préalable, sans signe annonciateur, par simple lettre recommandée,

  • • aucun élément ne démontre que Monsieur t. A ait été interrogé sur son état de santé ou son intention de reprendre ses fonctions,

  • • en violant les dispositions en matière de licenciement collectif, l'employeur a privé Monsieur t. A d'une priorité de réembauchage et d'un soutien pour un retour à l'emploi,

  • • l'attestation Pôle Emploi initialement remise était totalement erronée,

  • • Monsieur t. A n'a perçu des indemnités chômage qu'à compter du 10 mai 2021,

  • • le démarrage d'une activité commerciale ne démontre pas la perception de revenus,

  • • l'indemnité compensatrice de congés payés aurait dû inclure les droits à congés payés sur la première année de suspension du contrat pour cause d'accident du travail, ainsi que sur la période de préavis,

  • • l'assiette de calcul des congés payés devait tenir compte d'un salaire reconstitué sur la période d'arrêt de travail,

Par conclusions récapitulatives du 11 mai 2023, la S. A. M. B. sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Monsieur t. A, outre 2.500 euros pour procédure abusive et les dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

  • • la demande réévaluée d'indemnité de licenciement est irrecevable pour ne pas avoir été soumise au préliminaire de conciliation,

  • • Monsieur t. A a bien été intégralement rempli de ses droits pendant les trente premiers jours de son accident du travail,

  • • tous les bulletins de salaire ont été tenus à la disposition de Monsieur t. A, qui, en ayant perdu certains, a demandé leur réédition, ce que l'employeur a réalisé à première demande,

  • • la dématérialisation des bulletins de salaire a été annoncée au salarié qui ne s'y est jamais opposé,

  • • le prestataire de service a adressé des courriels sur l'adresse personnelle de Monsieur t. A, à laquelle il ne peut prétendre qu'il n'avait pas accès,

  • • les règles invoquées par Monsieur t. A n'étaient pas en vigueur au moment des faits,

  • • l'employeur n'avait pas à lui communiquer ses codes d'accès, qui sont personnels et dépendent d'une société tierce,

  • • les bulletins de salaire sont portables et le salarié ne s'en est jamais enquis avant le mois de novembre 2020,

  • • Monsieur t. A a toujours accès à son coffre-fort numérique et peut toujours télécharger ses bulletins de salaire,

  • • la demande au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés est forclose, le reçu pour solde de tout compte n'ayant pas été dénoncé dans le délai de manière motivée et étayée,

  • • surabondamment, il a bénéficié d'un trop-perçu au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

  • • le motif du licenciement est valable,

  • • l'absence du salarié a désorganisé l'entreprise,

  • • ce d'autant qu'elle faisait face au mutisme du salarié et à un surcroît d'activité,

  • • la société a pallié à cette situation en procédant à plusieurs embauches,

  • • les salariés ont été recrutés pour occuper exactement le même poste que Monsieur t. A qui ne revêt aucune complexité ou singularité,

  • • subsidiairement, le calcul de l'indemnité de licenciement est erroné, devant se fonder sur une base de vingt-cinq jours de travail mensuel,

  • • aucun motif fallacieux n'a été dissimulé,

  • • la procédure de licenciement collectif a été initiée plusieurs mois après la notification du licenciement de Monsieur t. A, au moment de l'annonce d'un second confinement,

  • • au moment du licenciement de Monsieur t. A l'activité avait au contraire repris,

  • • Monsieur t. A ne pouvait aucunement être surpris de l'annonce du licenciement,

  • • il avait connaissance de la volonté de licenciement suspendue lors de son accident du travail,

  • • il ne s'est à aucun moment rapproché de son employeur pendant ses deux ans d'absence,

  • • l'employeur n'a pas prononcé le licenciement dès la levée des interdictions au mois de juin 2020,

  • • Monsieur t. A a pu reprendre un autre travail dès après la fin de son préavis et avant même sa date de consolidation,

  • • aucune erreur n'a été commise dans l'attestation Pôle Emploi,

  • • en outre la rectification matérielle a été corrigée sans aucun préjudice,

  • • Monsieur t. A est seul responsable de sa légèreté à ne pas pouvoir produire ses bulletins de salaire,

  • • Monsieur t. A ne justifie d'aucun préjudice alors qu'il présente une demande totalement disproportionnée.

SUR CE,

  • Sur la recevabilité de la demande d'indemnité de licenciement

Par requête reçue le 26 avril 2021, Monsieur t. A a sollicité la somme de 3.528,70 euros d'indemnité de licenciement. Après plusieurs modifications, il réclame en dernier lieu la somme de 5.032,03 euros.

Soutenant qu'il ne s'agirait que d'une erreur matérielle, Monsieur t. A n'en justifie nullement. En réalité, il a au fil de ses écritures augmenté sa demande. La demande nouvelle n'ayant pas été soumise au préliminaire de conciliation elle est irrecevable, seule sa demande subsidiaire se limitant au montant soumis à la conciliation pouvant être prise en compte.

  • Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion

Le solde de tout compte remis à Monsieur t. A ne fait pas référence à la notion de forclusion, en sorte que le salarié n'a pas été véritablement informé de ses droits procéduraux. En conséquence, l'action ne peut être forclose et le reçu ne vaut que comme simple moyen de preuve de la remise matérielle des sommes qui y figurent. En outre, le solde de tout compte a bien été dénoncé dans les deux mois de sa signature.

  • Sur le rappel de salaire

Monsieur t. A sollicite le versement de son salaire pour la journée du 2 juin 2018, correspondant au jour de son accident du travail. Il est exact que le jour où survient un accident du travail doit être intégralement réglé par l'employeur.

En l'espèce, Monsieur t. A qui travaillait 169 heures par mois pour un salaire horaire brut de 9,88 euros, a été déclaré en absence pour accident du travail du 3 au 30 juin 2018. Il a été retenu sur son bulletin de salaire la somme de 1.592,66 euros correspondant à 161,20 heures de travail. Il n'a dès lors été réglé que pour 7,80 heures de travail, soit 77,06 euros brut (1.669,72 – 1.592,66). Il apparaît dès lors que seule une journée de travail a bien été réglée et pas celle du 2 juin.

Il convient en conséquence de condamner la société B. à verser à Monsieur t. A la somme de 79,37 euros brut, en paiement du salaire du 2 juin 2018 dont le montant n'est pas contesté, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Les congés payés y afférents ne sont pas dus, Monsieur t. A ayant bien cumulé 2,5 jours de congés payés sur le mois de juin 2018.

Monsieur t. A déplore ne pas avoir perçu l'intégralité de la somme à laquelle il avait droit au titre de son maintien de salaire. S'il doit effectivement percevoir 90 % de sa rémunération brute pendant les trente premiers jours d'absence, puis les 2/3 pendant les trente jours suivants, l'article 8 de l'avenant n° 18 étendu de la Convention collective nationale du travail énonce que « les garanties ainsi accordées s'entendent déduction faite des allocations que l'intéressé perçoit, pendant les périodes d'indemnisation ci-dessus précisées, de la Caisse de compensation des services sociaux, de la Compagnie d'assurances et des régimes complémentaires de prévoyance ».

En l'espèce, Monsieur t. A a perçu 50 % de son salaire de la part de l'Assureur-loi du 3 juin 2018 au 30 juin 2018, puis 66,66 % de son salaire du 1er juillet au 31 juillet 2021. Il a perçu 40 % de maintien de salaire de son employeur du 3 juin 2018 au 30 juin 2018, puis 23,24 % du 1er au 2 juillet 2018. Il a dès lors bien perçu au total 90 % de sa rémunération brute du 3 juin 2018 au 2 juillet 2018, soit pendant les trente premiers jours. Concernant la période d'indemnisation suivante, elle ne relevait plus de la prise en charge de l'employeur.

Monsieur t. A sera en conséquence débouté de sa demande de rappel de salaire sur maintien de salaire et de congés payés y afférents.

  • Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Monsieur t. A déplore une violation des obligations de l'employeur par la non-remise des bulletins de salaire.

Il ressort des échanges des parties que, le 30 novembre 2020, Monsieur t. A a sollicité la délivrance de ses bulletins de salaire des mois de juin 2017 à mai 2018 et que, dès le lendemain, la société B. lui a adressé les douze bulletins réclamés, la pièce n° 28 consistant en une capture d'écran de la pièce jointe à la réponse étant lisible et probante.

Or, il n'apparaît nullement que les bulletins réclamés plus de trois ans après n'aient pas été communiqués en temps et en heure au salarié, présent dans l'entreprise à la période concernée et n'ayant jamais formé alors la moindre réclamation.

Monsieur t. A déplore également la non-communication de ses bulletins de salaire pendant sa période d'arrêt de travail et la violation des dispositions légales relatives à la dématérialisation.

C'est à juste titre que l'employeur indique que les dispositions revendiquées par le salarié sont postérieures à la mise en œuvre par la société B. de la dématérialisation et n'avaient en conséquence pas à être appliquées. La société B. devait uniquement respecter l'obligation de remise aux salariés d'un bulletin de paye « à l'occasion du paiement du salaire » conformément à l'article 2 de la loi n° 638 du 11 janvier 1958.

Or, à compter du mois d'août 2018, Monsieur t. A n'a plus reçu de salaire. Dès lors, l'employeur n'avait pas à lui remettre de bulletin de salaire puisqu'il ne lui versait pas de salaire.

Surabondamment, il peut être noté que le préjudice de Monsieur t. A est injustifié, celui-ci ayant bien eu communication des bulletins sollicités par Pôle Emploi et qu'il n'avait jamais formulé la moindre demande, alors que les bulletins de salaire sont quérables.

La demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail sera en conséquence rejetée.

  • Sur l'indemnité compensatrice de congés payés

En application de l'article 1er de la loi n° 619 du 26 juillet 1956, les salariés ont droit à un congé de 2,5 jours par mois de travail effectif. Au sens de l'article 3 « sont assimilées à un mois de travail effectif (…) les périodes limitées à une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail. ».

En l'espèce, Monsieur t. A a été placé en arrêt de travail pour une durée ininterrompue à compter du 3 juin 2018. Jusqu'au 3 juin 2019, la suspension de son contrat de travail devait être assimilée à du temps de travail effectif pour le calcul du droit à congé. En revanche, la période postérieure, ainsi que celle de préavis, n'ouvrait pas droit à congé payé, étant toujours concernée par une suspension pour cause d'accident du travail et dépassant le délai d'un an.

Le décompte des congés payés de Monsieur t. A devait s'arrêter comme suit :

  • • solde de 29 jours du 1er mai 2017 au 30 avril 2018 (confer bulletins de salaire),

  • • 10 jours acquis du 1er mai 2018 au 31 août 2018 (confer bulletin de salaire du mois d'août 2018),

  • • 20 jours du 1er septembre 2018 au 30 avril 2019,

  • • 2,5 jours du 1er mai 2019 au 3 juin 2019, porté à 3.

Le calcul du salaire de référence et de la méthode la plus favorable effectué par Monsieur t. A n'étant pas contesté, il devait percevoir la somme totale de 5.707,31 euros. Il lui reste dès lors à percevoir la somme de 240,77 euros brut à titre de reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés (déduction faite des 5.466,54 euros déjà versée), que la société B. est condamnée à lui verser, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Le surplus de la demande, relatif à la période de préavis, pendant laquelle il était toujours en arrêt de travail au-delà d'un an, sera rejeté.

  • Sur le licenciement

Sur le motif de licenciement

Aux termes de l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, l'absence prolongée d'un salarié est un motif valable de licenciement à l'issue de la période légale de suspension à condition que cette mesure soit justifiée non par l'état de santé du salarié mais par la perturbation apportée au fonctionnement de l'entreprise rendant nécessaire son remplacement définitif.

En l'espèce, l'employeur, sur lequel la charge de la preuve repose, prétend que l'absence de Monsieur t. A a perturbé l'entreprise, nécessitant le remplacement par l'embauche de plusieurs salariés.

Or, d'une part, la simple embauche de salariés ne justifie nullement de la perturbation du fonctionnement de la société, celle-ci pouvant embaucher pour d'autres motifs (remplacement de licenciements ou démissions, accroissement des besoins…). La perturbation doit en effet s'apprécier au regard d'éléments matériels concrets (difficultés de gestion de la clientèle, retard, surcharge des autres collègues, désorganisation des services…).

Surtout, d'autre part, la validité du motif s'apprécie au moment du licenciement. En ne produisant aucune preuve d'un remplacement de Monsieur t. A au moment de son licenciement (en août 2020), la société B. ne caractérise pas avoir procédé à son remplacement comme la loi le lui impose. S'il est exact que des salariés occupant le même poste ont été embauchés entre septembre et décembre 2018, il n'est pas contestable que Monsieur t. A n'a pourtant pas été licencié alors, preuve que son remplacement n'était pas nécessaire.

Le motif du licenciement de Monsieur t. A n'étant pas valable, il doit percevoir une indemnité de licenciement, dont le montant sera limité à la demande soumise au préliminaire de conciliation. La société B. sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 3.528,70 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

Sur le caractère abusif du licenciement

Constitue un licenciement abusif celui fondé sur un faux motif ou celui exercé avec brutalité, précipitation ou légèreté blâmable.

Monsieur t. A prétend que son licenciement dissimulerait un licenciement pour motif économique. Or, les pièces qu'il produit ne sont pas probantes. En effet, le fait d'avoir mis en œuvre une procédure de licenciement collectif à la fin du mois d'octobre 2020, soit après l'annonce d'un deuxième confinement que rien ne pouvait prédire pendant l'été précédent, ne démontre pas que l'employeur avait l'intention de le faire précédemment.

L'employeur démontre en revanche qu'il bénéficiait des aides étatiques permettant la mise en place d'activité partielle en 2020, ce qui ne justifiait pas qu'il procède à une baisse de sa masse salariale.

Le motif de licenciement n'étant pas fallacieux, Monsieur t. A sera débouté de sa demande au titre du préjudice financier, dont il convient de relever qu'il n'est en tout état de cause aucunement étayé.

Concernant les circonstances de mise en œuvre du licenciement, il convient en premier lieu de relever que Monsieur t. A n'a pas été intégralement réglé de ses indemnités (licenciement et congés payés) et a initialement reçu une attestation Pôle Emploi erronée.

Par ailleurs, il a été licencié sans que l'employeur ne s'assure de la prévisibilité de son absence, ni en le contactant, ni en prenant attache avec la Médecine du Travail, ce qui constitue une légèreté blâmable.

Il a reçu une notification sèche de licenciement par courrier, sans aucun contact.

L'ensemble de ces agissements de l'employeur sont fautifs. En réparation du préjudice moral de Monsieur t. A il convient de tenir compte de son âge au moment du licenciement (39 ans) et de son ancienneté de 5 ans et de condamner la société B. à lui verser la somme de 1.500 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

  • Sur les autres demandes

La documentation sociale de Monsieur t. A devra être rectifiée dans le sens du présent jugement, sans qu'il ne soit besoin de prononcer d'astreinte.

La procédure de Monsieur t. A étant justifiée la demande de la société B. au titre de la procédure abusive sera rejetée.

La société B. succombant elle sera condamnée aux entiers dépens.

La nécessité que l'exécution provisoire soit ordonnée n'étant pas caractérisée, il n'y a pas lieu de la prononcer.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Déclare irrecevable la demande principale de 5.032,03 euros d'indemnité de licenciement de Monsieur t. A ;

Rejette l'exception de fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action de Monsieur t. A ;

Condamne la société anonyme monégasque B. à verser à Monsieur t. A la somme de 79,37 euros brut (soixante-dix-neuf euros et trente-sept centimes) en paiement du salaire du 2 juin 2018, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Rejette le surplus de la demande ;

Rejette la demande au titre de rappel de salaire sur maintien de salaire et de congés payés y afférents ;

Rejette la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Condamne la S. A. M. B. à verser à Monsieur t. A la somme de 240,77 euros brut (deux cent quarante euros et soixante-dix-sept centimes) à titre de reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Rejette le surplus de la demande ;

Dit que le motif de licenciement n'est pas valable ;

Condamne la S. A. M. B. à verser à Monsieur t. A la somme de 3.528,70 euros (trois mille cinq cent vingt-huit euros et soixante-dix centimes) à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Dit que le licenciement n'est pas fallacieux ;

Dit que le licenciement a été mis en œuvre avec légèreté blâmable ;

Condamne la S. A. M. B. à verser à Monsieur t. A la somme de 1.500 euros (mille cinq cents euros) de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Rejette le surplus de la demande ;

Ordonne la rectification de la documentation sociale ;

Rejette la demande d'astreinte ;

Rejette la demande de la S. A. M. B. pour procédure abusive ;

Condamne la S. A. M. B. aux entiers dépens ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Nicolas MATILE-NARMINO et Daniel CAVASSINO, membres employeurs, Messieurs Cédrick LANARI et Philippe LEMONNIER, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le quatorze juillet deux mille vingt-trois.

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