Tribunal du travail, 12 juin 2023, Madame A. c/ Monsieur B.

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Abstract🔗

Heures supplémentaires – Paiement – Conditions

Contrat de travail – Exécution – Bonne foi – Harcèlement moral (non) – Conditions – Mauvaises conditions de travail (oui)

Licenciement – Motif valable (non) – Caractère abusif (oui)

Résumé🔗

Il appartient au salarié qui revendique avoir effectué des heures supplémentaires qui ne lui auraient pas été rémunérées d'en rapporter la preuve. Pour ce faire, il doit présenter un décompte permettant de calculer les majorations dues par semaines civiles. En l'espèce, Madame A. produit un tableau de décompte de minutes accompagné de la liste des appels et messages détaillés qu'elle a adressés. Ils sont censés démontrer qu'elle travaillait en dehors de ses heures hebdomadaires. Or, les heures supplémentaires ne doivent être rémunérées que si elles ont été accomplies à la demande de l'employeur. En l'espèce, aucun élément ne le démontre, Madame A. était défaillante à caractériser que les contacts avec son employeur ou son entourage personnel et professionnel relevaient d'une quelconque demande de sa part. En conséquence, la demande de paiement d'heures supplémentaires sera rejetée.

Aux termes de l'article 2 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017 « Le harcèlement moral au travail est le fait de soumettre, sciemment et par quelque moyen que ce soit, dans le cadre d'une relation de travail, une personne à des actions ou omissions répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail portant atteinte à sa dignité ou se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. ». Aux termes de l'article 6 de ladite loi « Il incombe à la personne qui allègue être victime d'un fait mentionné à l'article 2 d'établir, par tous moyens conformes à la loi, les faits qui permettent d'en présumer l'existence ». Par ailleurs, l'employeur est tenu d'une manière générale à une obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail. Madame A. produit à l'appui de ses prétentions un certain nombre de pièces médicales attestant d'un état dépressif majeur à compter du mois de janvier 2019. Aux termes de certificats des mois d'août 2019 et janvier 2020, elle alléguait des difficultés relationnelles au travail. Ces allégations ne sont pas suffisantes pour caractériser les faits qu'elle dénonce, ceux-ci devant être circonstanciés par des éléments matériels. Madame A. produit un certain nombre d'attestations. Elles émanent de son entourage qui relate un mal-être et un changement de comportement qu'elle imputait aux situations auxquelles elle était soumise dans le cadre de son travail. Ils ne témoignent néanmoins d'aucun fait précis. Elle déplore également une surcharge de travail. Or, c'est à juste titre que l'employeur souligne une contradiction entre ses doléances actuelles et ses revendications passées, Madame A. ayant sollicité en novembre 2018 une flexibilité horaire et un aménagement du temps de travail sur 4 jours. Par ailleurs, elle conteste ses fonctions en notant la distinction entre la qualification sur son permis de travail « Secrétaire comptable » et la liste de ses tâches effectives. Or, elle ne développe aucun préjudice qui en aurait résulté. Surtout, il est clairement établi par sa fiche de poste qu'elle était bien Assistante personnelle, ce qu'elle n'a jamais contesté et revendique d'ailleurs dans ses expériences professionnelles. Madame A. produit un certain nombre d'échanges de messages entre elle et le couple B.. Un certain nombre d'entre eux sont particulièrement secs ou énervés et critiquent son travail dans des termes brutaux. Si des recadrages pouvaient être justifiés sur le fond, ils ne peuvent être formalisés sans aucun respect ou avec des termes injurieux. Or, en l'espèce, les écrits manquaient des règles de courtoisie élémentaires, ce qui laisse présager des termes employés à l'oral. Si de tels comportements sont sanctionnables lorsqu'ils causent un préjudice, ils ne peuvent s'analyser en du harcèlement. Ils ne constituent, en effet, pas des actions ou omissions commises sciemment de manière répétée. De même, l'ampleur de la dégradation de l'état de santé de la salariée n'est pas liée à la manière avec laquelle ses employeurs se sont épisodiquement adressés à elle. Dans ces conditions, la demande au titre du harcèlement sera rejetée. En revanche, il convient de réparer le préjudice moral lié aux mauvaises conditions de travail en condamnant Monsieur B. à lui verser la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

Madame A. a été licenciée par courrier du 16 juillet 2019 en application de l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, soit pour absence prolongée désorganisant l'entreprise et nécessitant un remplacement définitif. Elle était en effet arrivée à l'expiration de la période légale de suspension du contrat pour maladie. L'employeur qui entend, à l'expiration de la période légale de suspension, procéder au licenciement d'un salarié, doit démontrer que cette mesure est justifiée, non pas par son état de santé, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée de l'intéressé entraînant la nécessité de pourvoir définitivement à son remplacement. En l'espèce, Monsieur B., sur lequel la charge de la preuve de la validité du motif repose, n'apporte aucun élément permettant de démontrer qu'il aurait eu la nécessité de remplacer définitivement sa salariée, ni qu'il l'aurait d'ailleurs fait. En effet, il ne justifie d'aucune embauche en remplacement de Madame A. Dans ces conditions, le motif de licenciement allégué n'est pas valable.

Le licenciement ne reposant pas sur un motif valable n'est pas en soi abusif. Est en effet constitutif d'un licenciement abusif celui reposant sur un faux motif, recelant une intention de nuire ou mis en oeuvre de manière abusive. Pour caractériser que son licenciement serait fallacieux, Madame A. argue du manque d'humanité de son employeur et de son absence de vérification quant au renouvellement de la suspension du contrat. Or, ces arguments sont à prendre en compte au titre de la mise en oeuvre et non du caractère fallacieux qui est constitué par la dissimulation d'un motif illégal ou la volonté de nuire. En l'espèce, aucun faux motif n'est démontré. Dans ces conditions, le préjudice financier lié à la perte de l'emploi ne sera pas réparé. Par ailleurs, le licenciement ne doit pas être mis en oeuvre avec brutalité, légèreté blâmable ou de manière vexatoire. En l'espèce, l'employeur a fait preuve d'une légèreté blâmable en s'abstenant, avant de procéder au licenciement, d'interroger la Médecine du Travail ou de recueillir auprès de la salariée des éléments prévisibles sur la durée de la maladie. Cette absence de vérification, couplée à l'absence totale de contact avec la salariée avant l'envoi à son domicile, alors qu'elle se trouvait en arrêt maladie, deux jours après l'expiration de la période légale de suspension, d'une lettre de licenciement, est un procédé particulièrement brutal. Il convient en conséquence de réparer le préjudice moral de la salariée, âgée de 50 ans au moment du licenciement et qui disposait de moins de deux ans d'ancienneté. Madame A. démontre que l'état dépressif préexistant a perduré de nombreux mois et que cela l'a affectée dans sa vie familiale et amicale, ses proches attestant d'une importante fragilité. Il convient ainsi de condamner Monsieur B. à lui verser la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.


TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 12 JUIN 2023

En la cause de Madame A., demeurant x1 à BEAUSOLEIL (06240) ;

Demanderesse, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision n° 325 BAJ 20 du 14 juin 2022, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis ayant élu domicile en l'étude de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur près la même Cour, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

Monsieur B., demeurant x2 à MONACO ;

Défendeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 18 décembre 2020, reçue le 22 décembre 2020 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 53-2020/2021 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 12 janvier 2021 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur au nom de Madame A., en date du 16 mars 2023 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Sophie MARQUET, avocat-défenseur au nom de Monsieur B., en date du 30 mars 2023 ;

Après avoir entendu Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Madame A., et Maître Sophie MARQUET, avocat-défenseur près la même Cour, pour Monsieur B., en leurs plaidoiries à l'audience du 6 avril 2023 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs🔗

Madame A. a été embauchée par Monsieur B. en intérim d'avril 2017 à juin 2017, puis selon contrat à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2017.

Elle était licenciée en application des dispositions de l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, par courrier du 16 juillet 2019.

Madame A. a saisi le Tribunal du travail par requête reçue le 22 décembre 2020 afin d'obtenir :

  • 2.432,72 euros de rappel de salaires (heures supplémentaires),

  • 45.000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail dans son principe et dans ses conditions de mise en oeuvre, non-respect de la procédure de licenciement et mauvaises conditions de travail,

  • 15.000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement,

  • la régularisation des bulletins de salaire et de la documentation sociale sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

  • dire et juger que le licenciement de Madame A. est intervenu de manière brutale et soudaine, sans motif valable et présente un caractère abusif,

  • dire et juger que Madame A. a fait l'objet d'un harcèlement au travail de la part de son employeur, le tout avec intérêts au taux légal et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 16 mars 2023, Madame A. sollicite en outre 8.500 euros au titre des frais irrépétibles. Elle fait valoir pour l'essentiel que :

  • alors qu'elle était censée n'être que l'Assistante personnelle de Monsieur B., progressivement son activité professionnelle a basculé dans la fonction de « femme à tout faire » de la famille,

  • elle était constamment dérangée dans sa vie professionnelle, pendant sa pause déjeuner ou le soir,

  • elle a accompli de nombreuses heures supplémentaires à la demande de son employeur jamais rémunérées,

  • les appels de son employeur en dehors des horaires de travail démontrent qu'elle était sollicitée par lui pour des missions dans le cadre de la relation de travail,

  • elle était traitée de manière violente et irrespectueuse,

  • elle était dénigrée et dévalorisée, subissant un véritable harcèlement de la part de son employeur, mais aussi et surtout de sa femme,

  • son état de santé s'est gravement aggravé, la plongeant dans une dépression,

  • elle a dû être arrêtée à compter du 14 janvier 2019, jusqu'au 31 décembre 2019,

  • elle a été licenciée dès l'expiration du délai d'absence légale sans que l'employeur ne s'inquiète au préalable de savoir si la suspension du contrat serait renouvelée au non,

  • il a ainsi dissimulé le véritable motif du licenciement et commis un abus dans sa prise de décision,

  • elle a été licenciée de manière brutale et soudaine sans entretien préalable,

  • le licenciement a été mis en oeuvre avec légèreté blâmable, en étant prononcé trois jours seulement après l'expiration de la période légale de suspension du contrat,

  • l'employeur n'a manifesté aucun égard à sa salariée alors qu'elle travaillait comme Assistante personnelle et donnait entière satisfaction,

  • le licenciement lui a causé un lourd préjudice,

  • âgée de 51 ans et mère de deux enfants elle éprouve de grandes difficultés à trouver un emploi aux mêmes conditions,

  • elle subit toujours un syndrome dépressif réactionnel,

  • elle a dû subir de nombreux examens médicaux, engendrant de nombreux frais à sa charge,

  • elle n'est manifestement pas en état de rechercher un emploi,

  • si Madame A. n'avait pas bénéficié de l'assistance judiciaire elle aurait eu à exposer d'importants frais pour assurer la défense de ses droits et la sauvegarde de ses intérêts,

  • l'urgence et la gravité de la situation commande qu'elle puisse percevoir sans délai les indemnités et dommages qui lui sont dus,

  • cela ne porterait aucune atteinte irréversible à l'employeur.

Par conclusions récapitulatives du 30 mars 2023, Monsieur B. sollicite que les pièces n°s 4, 26, 26-1 et 29 soient déclarées irrecevables, le débouté de l'intégralité des demandes de Madame A., outre sa condamnation à 5.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et 15.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Il fait valoir pour l'essentiel que :

  • Madame A. ne s'est jamais vue confier de tâches ne relevant pas de sa fonction d'Assistante personnelle,

  • elle n'a subi aucun harcèlement,

  • elle ne caractérise aucun des éléments constitutifs de faits de harcèlement,

  • les attestations qu'elle produit sont partiales, non datées et ne relèvent aucun événement précis,

  • les messages ne sont pas vérifiables,

  • l'e-mail ne lui était pas destiné et elle n'était pas autorisée à le consulter ni à le produire en justice,

  • les événements qu'elle relate correspondent à des rappels à l'ordre reçus consécutivement à des fautes professionnelles avérées et reconnues,

  • elle est défaillante à démontrer avoir accompli des heures supplémentaires à la demande de son employeur,

  • elle n'a jamais réclamé le paiement de ces prétendues heures, alors qu'elle avait bien formulé d'autres réclamations, acceptées par l'employeur sans difficulté,

  • Madame A. ne démontre pas la réalité d'une dégradation de son état de santé,

  • les pièces médicales sont postérieures aux faits allégués et ne font aucun lien de causalité entre ses problèmes de santé et sa situation d'emploi passé,

  • la salariée manquait de rigueur et de concentration et a commis de nombreuses erreurs,

  • après avoir fait preuve de patience, Monsieur B. a dû la rappeler à l'ordre,

  • elle a alors formulé des réclamations inédites et en contradiction avec ses affirmations actuelles, estimant alors pouvoir accomplir ses tâches sur une semaine de quatre jours au lieu de cinq,

  • malgré la reconnaissance de ses erreurs, Madame A. réitérait,

  • l'employeur envisageait alors un licenciement disciplinaire et recevait la salariée le 14 janvier 2019 pour lui faire part de son intention de mettre un terme à la relation de travail,

  • une rupture amiable était alors envisagée,

  • contre toute attente, Madame A. se plaçait en arrêt maladie à l'issue de cet entretien,

  • en raison d'une mauvaise lecture de l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, l'employeur a suspendu sa décision pendant six mois, permettant à la salariée de bénéficier d'indemnités journalières,

  • cette absence a profondément perturbé la vie quotidienne de Monsieur B. qui a dû pourvoir à son remplacement définitif,

  • une nouvelle Secrétaire professionnelle était en conséquence recrutée et Madame A. était licenciée dans le respect des dispositions légales à l'issue de la période de suspension,

  • Monsieur B. a versé indûment une indemnité de congédiement, ce que la demanderesse se garde d'indiquer, et n'en réclame pas la restitution,

  • la salariée ne pouvait ignorer la volonté de rupture du contrat compte tenu de la teneur de l'entretien du 14 janvier 2019,

  • elle en avait d'ailleurs déjà informé un tiers dès le 25 janvier 2019,

  • lors de sa première saisine du Tribunal, elle ne contestait nullement le motif ou les conditions de son licenciement,

  • la dispense d'exécution du préavis a permis à la salariée de percevoir l'intégralité de sa rémunération, ce qui n'aurait pas été le cas compte tenu de son arrêt maladie,

  • les préjudices allégués par la salariée ne sont pas imputables à l'employeur,

  • elle n'a pas recherché d'emploi,

  • l'employeur n'a aucune obligation de prise en charge des frais médicaux non couverts par la C. C. S. S.,

  • l'exécution provisoire est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives au regard des difficultés dont fait état Madame A., voire de l'impossibilité, de recouvrement ultérieur des sommes,

  • subsidiairement, elle doit être conditionnée à la constitution d'une garantie,

  • Madame A. a manifestement diligenté une procédure abusive et porté atteinte à l'image de son employeur,

  • elle l'a contraint à engager des frais de défense importants.

SUR CE,

Sur les pièces

La pièce n° 4 produite par Madame A. est un e-mail en anglais non traduit. Dans ces conditions, elle sera écartée des débats. Les pièces n° (os) 26, 26-1 et 29 produites par Madame A. sont des captures d'écran de SMS. Elles ne recèlent aucun élément d'irrecevabilité, seule leur force probante devant être appréciée au fond.

Sur les heures supplémentaires

Il appartient au salarié qui revendique avoir effectué des heures supplémentaires qui ne lui auraient pas été rémunérées d'en rapporter la preuve. Pour ce faire, il doit présenter un décompte permettant de calculer les majorations dues par semaines civiles. En l'espèce, Madame A. produit un tableau de décompte de minutes accompagné de la liste des appels et messages détaillés qu'elle a adressés. Ils sont censés démontrer qu'elle travaillait en dehors de ses heures hebdomadaires.

Or, les heures supplémentaires ne doivent être rémunérées que si elles ont été accomplies à la demande de l'employeur. En l'espèce, aucun élément ne le démontre, Madame A. était défaillante à caractériser que les contacts avec son employeur ou son entourage personnel et professionnel relevaient d'une quelconque demande de sa part.

En conséquence, la demande de paiement d'heures supplémentaires sera rejetée.

Sur le harcèlement et les mauvaises conditions de travail

Aux termes de l'article 2 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017 « Le harcèlement moral au travail est le fait de soumettre, sciemment et par quelque moyen que ce soit, dans le cadre d'une relation de travail, une personne à des actions ou omissions répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail portant atteinte à sa dignité ou se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. ».

Aux termes de l'article 6 de ladite loi « Il incombe à la personne qui allègue être victime d'un fait mentionné à l'article 2 d'établir, par tous moyens conformes à la loi, les faits qui permettent d'en présumer l'existence ».

Par ailleurs, l'employeur est tenu d'une manière générale à une obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail.

Madame A. produit à l'appui de ses prétentions un certain nombre de pièces médicales attestant d'un état dépressif majeur à compter du mois de janvier 2019. Aux termes de certificats des mois d'août 2019 et janvier 2020, elle alléguait des difficultés relationnelles au travail.

Ces allégations ne sont pas suffisantes pour caractériser les faits qu'elle dénonce, ceux-ci devant être circonstanciés par des éléments matériels.

Madame A. produit un certain nombre d'attestations. Elles émanent de son entourage qui relate un mal-être et un changement de comportement qu'elle imputait aux situations auxquelles elle était soumise dans le cadre de son travail. Ils ne témoignent néanmoins d'aucun fait précis.

Elle déplore également une surcharge de travail. Or, c'est à juste titre que l'employeur souligne une contradiction entre ses doléances actuelles et ses revendications passées, Madame A. ayant sollicité en novembre 2018 une flexibilité horaire et un aménagement du temps de travail sur 4 jours.

Par ailleurs, elle conteste ses fonctions en notant la distinction entre la qualification sur son permis de travail « Secrétaire comptable » et la liste de ses tâches effectives. Or, elle ne développe aucun préjudice qui en aurait résulté. Surtout, il est clairement établi par sa fiche de poste qu'elle était bien Assistante personnelle, ce qu'elle n'a jamais contesté et revendique d'ailleurs dans ses expériences professionnelles.

Madame A. produit un certain nombre d'échanges de messages entre elle et le couple B.. Un certain nombre d'entre eux sont particulièrement secs ou énervés et critiquent son travail dans des termes brutaux.

Si des recadrages pouvaient être justifiés sur le fond, ils ne peuvent être formalisés sans aucun respect ou avec des termes injurieux. Or, en l'espèce, les écrits manquaient des règles de courtoisie élémentaires, ce qui laisse présager des termes employés à l'oral.

Si de tels comportements sont sanctionnables lorsqu'ils causent un préjudice, ils ne peuvent s'analyser en du harcèlement. Ils ne constituent, en effet, pas des actions ou omissions commises sciemment de manière répétée. De même, l'ampleur de la dégradation de l'état de santé de la salariée n'est pas liée à la manière avec laquelle ses employeurs se sont épisodiquement adressés à elle. Dans ces conditions, la demande au titre du harcèlement sera rejetée.

En revanche, il convient de réparer le préjudice moral lié aux mauvaises conditions de travail en condamnant Monsieur B. à lui verser la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

Sur le licenciement

Madame A. a été licenciée par courrier du 16 juillet 2019 en application de l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, soit pour absence prolongée désorganisant l'entreprise et nécessitant un remplacement définitif. Elle était en effet arrivée à l'expiration de la période légale de suspension du contrat pour maladie.

L'employeur qui entend, à l'expiration de la période légale de suspension, procéder au licenciement d'un salarié, doit démontrer que cette mesure est justifiée, non pas par son état de santé, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée de l'intéressé entraînant la nécessité de pourvoir définitivement à son remplacement.

En l'espèce, Monsieur B., sur lequel la charge de la preuve de la validité du motif repose, n'apporte aucun élément permettant de démontrer qu'il aurait eu la nécessité de remplacer définitivement sa salariée, ni qu'il l'aurait d'ailleurs fait. En effet, il ne justifie d'aucune embauche en remplacement de Madame A.,

Dans ces conditions, le motif de licenciement allégué n'est pas valable.

Le licenciement ne reposant pas sur un motif valable n'est pas en soi abusif. Est en effet constitutif d'un licenciement abusif celui reposant sur un faux motif, recelant une intention de nuire ou mis en oeuvre de manière abusive.

Pour caractériser que son licenciement serait fallacieux, Madame A. argue du manque d'humanité de son employeur et de son absence de vérification quant au renouvellement de la suspension du contrat.

Or, ces arguments sont à prendre en compte au titre de la mise en oeuvre et non du caractère fallacieux qui est constitué par la dissimulation d'un motif illégal ou la volonté de nuire. En l'espèce, aucun faux motif n'est démontré. Dans ces conditions, le préjudice financier lié à la perte de l'emploi ne sera pas réparé.

Par ailleurs, le licenciement ne doit pas être mis en oeuvre avec brutalité, légèreté blâmable ou de manière vexatoire.

En l'espèce, l'employeur a fait preuve d'une légèreté blâmable en s'abstenant, avant de procéder au licenciement, d'interroger la Médecine du Travail ou de recueillir auprès de la salariée des éléments prévisibles sur la durée de la maladie.

Cette absence de vérification, couplée à l'absence totale de contact avec la salariée avant l'envoi à son domicile, alors qu'elle se trouvait en arrêt maladie, deux jours après l'expiration de la période légale de suspension, d'une lettre de licenciement, est un procédé particulièrement brutal.

Il convient en conséquence de réparer le préjudice moral de la salariée, âgée de 50 ans au moment du licenciement et qui disposait de moins de deux ans d'ancienneté. Madame A. démontre que l'état dépressif préexistant a perduré de nombreux mois et que cela l'a affectée dans sa vie familiale et amicale, ses proches attestant d'une importante fragilité. Il convient ainsi de condamner Monsieur B. à lui verser la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

Sur les autres demandes

La documentation sociale devra être rectifiée dans le sens du présent jugement, sans qu'il ne soit besoin de prononcer d'astreinte, aucune résistance de l'employeur ne pouvant être présupposée.

La procédure de Madame A. étant fondée la demande de dommages et intérêts de Monsieur B. pour procédure abusive sera rejetée.

Monsieur B. succombant, il sera condamné aux dépens.

Il sera en outre condamné à verser la somme de 1.500 euros à Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur, au titre des frais irrépétibles que Madame A. aurait exposés si elle n'avait bénéficié de l'assistance judiciaire et sa demande à ce titre sera rejetée.

Madame A. sollicite que l'exécution provisoire soit ordonnée au regard de l'urgence caractérisée par sa situation. Elle ne communique néanmoins aucune pièce justificative. En conséquence, il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Écarte des débats la pièce n° 4 produite par Madame A. ;

Rejette la demande aux fins d'écarter des débats les pièces n° (os) 26,26-1 et 29 produites par Madame A. ;

Rejette la demande de paiement au titre des heures supplémentaires ;

Rejette la demande de dommages et intérêts pour harcèlement ;

Dit que le contrat de travail a été exécuté dans de mauvaises conditions ;

Condamne Monsieur B. à verser à Madame A. la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) de dommages et intérêts au titre du préjudice moral lié aux mauvaises conditions de travail, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Dit que le motif de licenciement n'est pas valable ;

Dit que le licenciement n'est pas fallacieux ;

Dit que le licenciement a été mis en oeuvre de manière abusive, brutale et avec légèreté blâmable ;

Condamne Monsieur B. à verser à Madame A. la somme de 15.000 euros (quinze mille euros) de dommages et intérêts au titre de du préjudice moral pour mise en oeuvre abusive du licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Rejette le surplus de la demande ;

Ordonne la rectification de la documentation sociale ;

Rejette la demande d'astreinte de Madame A. ;

Rejette la demande de Monsieur B. de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne Monsieur B. aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d'assistance judiciaire ;

Condamne Monsieur B. à verser à Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur, la somme de 1.500 euros (mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles ;

Rejette la demande de Monsieur B. au titre des frais irrépétibles ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Bernard HERNANDEZ et Jean-Sébastien FIORUCCI, membres employeurs, Messieurs Hubert

DUPONT-SONNEVILLE et Benjamin NOVARETTI, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le douze juin deux mille vingt-trois.

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