Tribunal du travail, 14 avril 2023, Monsieur r. A. c/ Madame e. B.
Abstract🔗
Contrat de travail - Exécution - Bulletins de salaire - Licenciement - Motif valable (non) - Caractère abusif (oui)
Résumé🔗
Le contrat de travail implique des obligations réciproques qui doivent être exécutées de bonne foi par les parties. Au titre de ses obligations substantielles, l'employeur doit verser régulièrement la rémunération du salarié et lui communiquer ses bulletins de salaire. En l'espèce, M. A. n'a plus perçu ses bulletins de salaire à compter du mois d'avril 2020. La situation n'a été régularisée que le 20 février 2021. L'employeur, qui ne conteste pas le retard, en impute la responsabilité à son comptable. Pour autant, d'une part, l'employeur, tenu de la délivrance des bulletins de salaire, est l'unique responsable vis-à-vis de son salarié. Mme. B. se devait de s'assurer que le cabinet comptable, auquel elle avait décidé de confier les démarches administratives, les accomplisse dans le respect des droits du salarié. D'autre part, il ressort des échanges entre M. A. et le comptable que la cessation d'envoi des bulletins directement au salarié résultait d'instructions express de l'employeur. La situation s'est ensuite réitérée, M. A. n'ayant reçu ses bulletins de salaire pour les mois de février à mai 2021 que le 17 juin 2021, après multiples démarches. En agissant ainsi, l'employeur a commis un manquement à ses obligations engageant sa responsabilité. De même, le retard de règlement du salaire est constitutif d'un manquement de l'employeur.
Le licenciement pour suppression de poste, lorsque l'emploi a perdu tout intérêt et effectivité, est valable. Il appartient toutefois à l'employeur, qui a la charge de la preuve, de justifier de la nécessité d'ordre personnelle et de la réalité de la suppression de poste. Totalement défaillante dans l'administration de la preuve, Mme B. ne justifie pas de la réalité de la réorganisation de sa vie à Monaco et ainsi de la validité du motif de licenciement qu'elle invoque. Le motif du licenciement n'étant pas valable, M. A. a droit à l'indemnité de licenciement.
Le licenciement mis en œuvre de manière brutale, vexatoire ou avec une légèreté blâmable est constitutif d'un abus du droit de licenciement. L'employeur doit, d'une part, s'assurer de remplir le salarié de l'intégralité de ses droits. En l'espèce, en ne remplissant pas son salarié de l'intégralité de ses droits, l'employeur a commis une faute dans la mise en œuvre du licenciement. L'employeur doit, d'autre part, traiter son salarié avec respect. En l'espèce, l'annonce du licenciement n'a pas été brutale. En revanche, la proposition d'indemnisation bien en-deçà des montants légaux, sans préavis, est constitutive d'une légèreté blâmable. Le fait d'être d'origine étrangère n'est nullement un exonératoire de responsabilité pour Mme B qui, en employant un salarié sur le territoire monégasque doit s'assurer d'en respecter strictement la législation.
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 14 AVRIL 2023
En la cause de Monsieur r. A. , demeurant X1 à LA TURBIE (06320) ;
Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
Madame e. B., demeurant « X2 », X3 à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Grégoire GAMERDINGER, avocat-stagiaire ;
d'autre part ;
Visa🔗
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 10 novembre 2021, reçue le 12 novembre 2021 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 30-2021/2022 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 7 décembre 2021 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur au nom de Monsieur r. A. en date du 10 novembre 2022 ;
Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur au nom de Madame e. B. en date du 9 juin 2022 ;
Après avoir entendu Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Monsieur r. A. et Maître Grégoire GAMERDINGER, avocat-stagiaire, substituant Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Madame e. B. en leurs plaidoiries à l'audience du 2 février 2023 ;
Vu les pièces du dossier ;
Motifs🔗
Monsieur r. A. a été embauché par contrat à durée indéterminée par Madame e. B.le 18 octobre 2012.
Il a été licencié par courrier du 31 mars 2021.
Monsieur r. A. a saisi le Tribunal du travail par requête reçue le 12 novembre 2021 afin d'obtenir :
29.514,375 euros bruts d'indemnité compensatrice de congés payés,
199,58 euros de reliquat d'indemnité compensatrice de préavis,
965,30 euros bruts d'indemnité de congés payés sur préavis,
12.032,08 euros de reliquat d'indemnité de licenciement,
3.000 euros de dommages et intérêts pour mauvaise exécution du contrat de travail (défaut de paiement des éléments de rémunération à temps),
120.000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail au titre du préjudice financier,
50.000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail au titre du préjudice moral,
le tout avec intérêts au taux légal et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.
Par conclusions récapitulatives du 10 novembre 2022, Monsieur r. A. sollicite 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Il fait valoir pour l'essentiel que :
outre sa fonction de Chauffeur, Monsieur r. A. était chargé de nombreuses missions s'apparentant pour bon nombre d'entre elles à celles d'Assistant personnel,
lors du confinement, au lieu de placer Monsieur r. A. en C.T.T.R., son employeur lui a imposé de prendre des congés jusqu'au 1er juin 2020,
en le contraignant à purger ses congés elle l'a appauvri, ne lui permettant pas de bénéficier du C.T.T.R. et de conserver ses droits à congés, et ce alors qu'elle avait l'intention de le licencier,
parallèlement, à compter du mois d'avril 2020 il n'a plus reçu ses bulletins de salaire, et ce sur instructions de son employeur,
les explications de Madame e. B.à ce sujet sont grotesques,
en tout état de cause elles ne dédouanent pas l'employeur de ses obligations,
la situation n'a été que partiellement régularisée en février 2021 suite à l'intervention de l'Inspection du Travail,
Madame e. B.a tardé à lui verser son salaire du mois de juillet 2020, ce qui a contraint Monsieur r. A. à multiplier les démarches alors qu'il était en convalescence,
un tel comportement est inacceptable et a causé un préjudice évident au salarié,
le licenciement est dépourvu de motif valable,
Madame e. B.ne justifie aucunement des prétendues difficultés financières,
en outre, la situation alléguée, liée à la crise Covid-19, n'a impacté son quotidien que sur une courte durée,
elle dispose d'un train de vie dispendieux,
les documents le démontrant ont été obtenus par Monsieur r. A. à l'occasion de ses fonctions d'Assistant personnel et sont nécessaires à la défense de ses intérêts,
la preuve de la fausseté du motif économique réside dans le fait que Madame e. B.n'a ni demandé des aides gouvernementales ni fait appel au régime de C.T.T.R.,
par ailleurs, le poste n'a pas été supprimé, un nouvel Assistant personnel ayant été embauché pendant sa maladie,
les pièces produites justifiant de la situation de cet employé ne sont pas probantes en l'absence de l'autorisation d'embauchage,
le licenciement procède d'un motif fallacieux,
les circonstances entourant la rupture sont tout aussi abusives,
elle lui a adressé un laconique courrier lui proposant en contrepartie deux mois de salaire net, soit bien moins que ce à quoi il avait droit,
malgré son refus, Madame e. B.a persisté dans sa décision sans même prendre la peine de rencontrer Monsieur r. A. et alors qu'il se trouvait en arrêt de travail,
ces circonstances ont été traumatisantes pour le salarié, dont l'employeur n'ignorait pas l'état de santé,
la brutalité a été accentuée par le fait que deux jours avant le licenciement il se soit vu refuser l'accès à son lieu de travail,
il ne peut lui être fait reproche de se présenter sur son lieu de travail le jour de sa reprise officielle,
Madame e. B.va lui payer son préavis avec retard,
il va se trouver privé de ressources,
il ne va obtenir son solde de tout compte qu'après intervention de son Conseil,
Monsieur r. A. subi un lourd préjudice, âgé de 49 ans il n'a pas retrouvé d'emploi et vit d'allocations,
le caractère anxiogène de la situation n'a pas favorisé son rétablissement alors qu'il était déjà affecté par une lourde opération chirurgicale,
il n'a pas été rempli intégralement de ses droits, l'employeur refusant de lui verser son indemnité compensatrice de congés payés alors qu'il lui était interdit de partir en congés nonobstant ses demandes,
les congés payés cumulés étaient mentionnés sur les bulletins de salaire, ce qui vaut acceptation de leur report,
elle ne pouvait l'ignorer puisque c'est en raison de leur nombre qu'elle lui a imposé d'en prendre au lieu de le placer en C.T.T.R.,
Madame e. B.n'a jamais régularisé le paiement du reliquat d'indemnité de préavis, pourtant annoncé.
Par conclusions du 9 juin 2022, Madame e. B.sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Monsieur r. A.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
Monsieur r. A. ne démontre pas le stress auquel il prétend avoir été soumis,
il ne s'est jamais plaint au cours de la relation de travail,
Madame e. B.avait délégué les formalités administratives à un Cabinet comptable,
la cessation d'envoi des bulletins de salaire à Monsieur r. A. résulte d'une incompréhension,
Madame e. B.n'a pas eu recours au C.T.T.R. afin d'éviter d'amputer le salaire de Monsieur r. A.
elle ne savait néanmoins pas qu'il en disposait d'un si grand nombre,
le retard de paiement du salaire au mois de juillet 2020 est dû à un contrôle poussé de l'établissement bancaire,
aucune faute dans l'exécution du contrat de travail ne peut lui être reprochée,
Monsieur r. A. n'a jamais eu la fonction d'Assistant personnel,
la validité de la suppression de poste en tant que motif de licenciement est subordonnée à la démonstration d'un changement de situation,
en l'espèce, Madame e. B.s'est aperçue après plus d'un an sans avoir recours aux services de Monsieur r. A. qu'elle n'avait en réalité pas besoin d'employer un chauffeur à temps plein à Monaco,
son prétendu train de vie ne préjuge pas de la validité du motif du licenciement,
les pièces produites par Monsieur r. A. pour en justifier n'ont pas été obtenues à l'occasion de sa fonction de Chauffeur,
Monsieur r. A. n'a pas été remplacé dans ses fonctions, la personne à laquelle il fait référence n'étant pas salariée de Madame e. B.
Madame e. B.n'ayant pas de notion de droit social n'avait pas conscience que la proposition de paiement de deux mois de salaire n'était pas régulière,
elle a néanmoins ensuite procédé à un licenciement dans les règles,
le licenciement n'a pas été brutal, Monsieur r. A. ne pouvant ignorer que son employeur n'avait plus besoin de ses services alors qu'il était absent depuis plus d'un an et qu'elle ne lui avait jamais demandé de date de retour,
le refus d'accès au lieu de travail ne peut être reproché,
Monsieur r. A. savait que Madame e. B.souhaitait rompre le contrat, il ne l'avait jamais informée de son intention de reprendre ses fonctions et s'est présenté alors qu'elle n'était pas présente,
la remise tardive de la documentation sociale ne peut être reprochée à Madame e. B. le Cabinet comptable en étant en charge,
les préjudices invoqués par Monsieur r. A. ne sont nullement justifiés et les sommes réclamées sont exorbitantes,
Monsieur r. A. n'a pas droit au report de ses congés payés, l'employeur n'ayant jamais donné son accord,
Madame e. B. ne conteste pas le bien-fondé de la demande relative au paiement de l'indemnité de congés payés sur préavis mais invite Monsieur r. A. à détailler son calcul,
un chèque lui sera adressé dans les meilleurs délais.
À l'audience de plaidoirie Monsieur r. A. renonce à ses demandes au titre du reliquat d'indemnité de préavis et de congés payés sur préavis, indiquant que la situation a été régularisée par chèque du 22 janvier 2023.
SUR CE,
Sur la mauvaise exécution du contrat de travail
Le contrat de travail implique des obligations réciproques qui doivent être exécutées de bonne foi par les parties. Au titre de ses obligations substantielles, l'employeur doit verser régulièrement la rémunération du salarié et lui communiquer ses bulletins de salaire.
En l'espèce, Monsieur r. A. n'a plus perçu ses bulletins de salaire à compter du mois d'avril 2020. La situation n'a été régularisée que le 20 février 2021. L'employeur, qui ne conteste pas le retard, en impute la responsabilité à son Cabinet comptable.
Pour autant, d'une part, l'employeur, tenu de la délivrance des bulletins de salaire, est l'unique responsable vis-à-vis de son salarié. Madame e. B. se devait de s'assurer que le Cabinet, auquel elle avait décidé de confier les démarches administratives, les accomplisse dans le respect des droits du salarié. D'autre part, il ressort des échanges entre Monsieur r. A. et le comptable que la cessation d'envoi des bulletins directement au salarié résultait d'instructions express de l'employeur.
La situation s'est ensuite réitérée, Monsieur r. A. n'ayant reçu ses bulletins de salaire pour les mois de février à mai 2021 que le 17 juin 2021, après multiples démarches.
En agissant ainsi, l'employeur a commis un manquement à ses obligations engageant sa responsabilité.
Monsieur r. A. déplore que son salaire du mois de juillet 2020 ait été payé avec retard. Aucun élément n'est produit au soutien de sa prétention. En revanche, il est établi que, le 15 août 2020, il n'avait pas perçu la moitié de son complément de salaire, qui était payable depuis le 4.
De plus, il ressort de la lecture du message de Madame e. B.du 28 avril 2020 que le versement des salaires des mois de mars et avril 2020 n'était pas finalisé. Elle le justifie par une difficulté de contrôle bancaire, ce qui ne la dédouane pas de sa responsabilité.
Le retard de règlement est constitutif d'un manquement de l'employeur.
Monsieur r. A. considère également que la décision de son employeur de lui imposer la prise de congés payés au moment du confinement de mars 2020 serait abusive et l'aurait privé de la possibilité d'être placé en C.T.T.R.. Or, en application de l'article 8 de la loi n° 619 du 26 juillet 1956, l'employeur fixe l'ordre des départs. Par ailleurs, le système de chômage temporaire total renforcé élargi lors de la crise sanitaire par le Gouvernement monégasque, n'a jamais eu aucun caractère contraignant. Il permettait aux employeurs de maintenir l'emploi et le salaire de leurs employé grâce à une prise en charge financière par l'État. Il n'avait pas vocation à leur être imposé lorsque des solutions de maintien de l'emploi sans diminution de rémunération étaient envisageables (télétravail, congés payés...). Enfin, Monsieur r. A. n'a pas contesté cette décision au moment où elle a été prise et ne s'en est plaint que lorsque les relations se sont dégradées.
Il est exact que Monsieur r. A. ne démontre pas par des pièces médicales avoir subi un état d'anxiété ou de stress particulier. Il est néanmoins établi qu'il a dû multiplier les démarches (auprès du comptable, de son employeur et même de l'Inspection du Travail) et ce alors qu'il était en arrêt de travail. Son préjudice moral est ainsi constitué et doit être réparé par l'allocation d'une somme de 500 euros, que Madame e. B.sera condamnée à lui verser avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Sur le licenciement
Sur le motif du licenciement
Monsieur r. A. a été licencié par courrier du 31 mars 2021 pour suppression de poste, l'employeur précisant « compte tenu de la situation sanitaire actuelle et des conséquences qu'elle entraîne tant dans l'organisation de mon activité que dans mes déplacements et ma situation personnelle, je suis au regret de vous indiquer que j'ai décidé de supprimer le poste que vous occupez. En effet, la situation actuelle ne me permet plus de conserver votre poste et me contraint à le supprimer ».
Le licenciement pour suppression de poste, lorsque l'emploi a perdu tout intérêt et effectivité, est valable.
Il appartient toutefois à l'employeur, qui a la charge de la preuve, de justifier de la nécessité d'ordre personnelle et de la réalité de la suppression de poste.
Madame e. B.soutient que, suite à la conjoncture l'ayant conduite à se passer des services de Monsieur r. A. pendant plus d'un an, elle s'est trouvée à ne plus avoir l'utilité de son emploi et à réorganiser sa vie personnelle.
Elle explique avoir limité ses déplacements depuis la crise sanitaire et faire appel aux services de tiers. Elle ne produit toutefois aucun élément justificatif de ses allégations.
Totalement défaillante dans l'administration de la preuve, Madame e. B. ne justifie pas de la réalité de la réorganisation de sa vie à Monaco et ainsi de la validité du motif de licenciement qu'elle invoque.
Le motif du licenciement n'étant pas valable, Monsieur r. A. a droit à l'indemnité de licenciement. Elle s'élevait à la somme de 19.095,75 euros (4.726,67/25*101). Ne se cumulant pas avec l'indemnité de congédiement de 9.679,23 euros versée (improprement intitulée indemnité de licenciement), Madame e. B.sera condamnée à verser à Monsieur r. A. la somme de 9.416,52 euros, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Sur le licenciement fallacieux
Monsieur r. A. soutient que le motif de licenciement serait fallacieux, Madame e. B.ayant usé d'un faux motif pour le remplacer par un autre salarié. Il avance, sans aucun élément matériel, le nom d'un individu, Monsieur C. Or, il est démontré que cette personne est employée par le restaurant Le D. et non par Madame e. B. En tout état de cause, Monsieur r. A. sur lequel la charge de la preuve repose, ne démontre pas la réalité de ce qu'il avance.
En conséquence, sa demande au titre du licenciement fallacieux et en réparation de son préjudice matériel sera rejetée.
Sur la mise en oeuvre du licenciement
Le licenciement mis en oeuvre de manière brutale, vexatoire ou avec une légèreté blâmable est constitutif d'un abus du droit de licenciement.
L'employeur doit, d'une part, s'assurer de remplir le salarié de l'intégralité de ses droits.
En l'espèce, Monsieur r. A. s'est vu verser le salaire correspondant à son premier mois de préavis avec retard. Il n'a été indemnisé du reliquat de son préavis et de ses congés payés y afférents que par chèque du 22 janvier 2023, remis à son Conseil le 2 février 2023.
Monsieur r. A. déplore ne pas avoir été réglé de l'intégralité de ses congés payés. Il disposait, au 31 mars 2021 de 170 jours de congés payés acquis en N-1, outre dix jours acquis l'année 2020/2021 et n'en avait pris que quarante-cinq, soit un solde à prendre de 135. Madame e. B. prétend que les jours non pris les années précédentes ne pouvaient être cumulés en l'absence d'accord de sa part pour un report. Monsieur r. A. soutient quant à lui qu'il lui était interdit de les prendre. Si cette affirmation n'est pas démontrée (Monsieur r. A. produisant une preuve d'annulation de vacances en juillet 2021, soit postérieurement au licenciement), il n'en demeure pas moins que la seule mention sur les bulletins de salaire d'un solde antérieur vaut accord de leur report. En outre, l'employeur ne peut refuser un tel report s'il n'a pas mis en mesure son salarié de prendre l'intégralité de ses jours de congés sur chaque période de calcul.
Dès lors, Monsieur r. A. a droit au versement d'une indemnité compensatrice de congés payés pour l'intégralité du solde restant. Il limite sa demande à 132,5 jours (alors que 135 apparaissaient sur le bulletin de salaire de mars 2021) et son salaire journalier était de 189,07 euros (4.726,67 euros brut) en sorte qu'il convient de condamner Madame e. B. à lui verser la somme de 25.051,35 euros brut, avec intérêts au taux légal à compter de la citation devant le Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire s'agissant d'un élément de rémunération.
En ne remplissant pas son salarié de l'intégralité de ses droits, l'employeur a commis une faute dans la mise en œuvre du licenciement.
L'employeur doit, d'autre part, traiter son salarié avec respect.
Monsieur r. A. soutient avoir été brutalement évincé, interdit d'accéder à son lieu de travail sur ordres de son employeur.
Il n'est pas contesté que, le 29 mars 2021, le concierge de l'immeuble lui a interdit l'accès, sur instruction de Madame e. B. Néanmoins, le 13 mars 2021, Monsieur r. A. avait annoncé une reprise le 1er avril suite à son congé maladie. Dès lors, sa venue non annoncée le 29 mars n'était pas justifiée et la réaction de son employeur n'est pas fautive.
Monsieur r. A. déplore également la brutalité du licenciement, notifié par un simple courrier alors qu'il venait de lui être refusé de travailler. Or, Madame e. B. lui avait clairement expliqué la situation par mail du 13 mars 2021. Surtout, ce mail faisait référence à une conversation du début du mois de janvier, ce que Monsieur r. A. n'a pas contesté.
Dès lors, l'annonce du licenciement n'a pas été brutale.
En revanche, la proposition d'indemnisation bien en-deçà des montants légaux, sans préavis est constitutif d'une légèreté blâmable. Le fait d'être d'origine étrangère n'est nullement un exonératoire de responsabilité pour Madame e. B.qui, en employant un salarié sur le territoire monégasque doit s'assurer d'en respecter strictement la législation.
Les circonstances de mise en oeuvre du licenciement ayant été abusives, Monsieur r. A. doit être indemnisé du préjudice moral qu'il a subi. L'indemnisation doit tenir compte de l'ancienneté de plus de dix ans du salarié et des désagréments qu'il a subis, privé de sommes importantes pendant de nombreux mois, contraint de multiplier les démarches. Madame e. B.sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Sur les autres demandes
Madame e. B.succombant, elle sera condamnée aux entiers dépens.
Il convient de la condamner en outre à verser à Monsieur r. A. la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
La nécessité que l'exécution provisoire soit ordonnée n'étant pas démontrée il n'y a pas lieu de la prononcer.
Dispositif🔗
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Dit que le contrat de travail a été exécuté de mauvaise foi par Madame e. B. ;
Condamne Madame e. B. à verser à Monsieur r. A. la somme de 500 euros (cinq cents euros) de dommages et intérêts pour mauvaise exécution du contrat de travail, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Dit que le motif du licenciement n'est pas valable ;
Condamne Madame e. B. à verser à Monsieur r. A. la somme de 9.416,52 euros (neuf mille quatre cent seize euros et cinquante-deux centimes) à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Dit que le motif du licenciement n'est pas fallacieux ;
Rejette la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel ;
Dit que licenciement a été mis en oeuvre de manière abusive ;
Condamne Madame e. B. à verser à Monsieur r. A. la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Rejette le surplus de la demande ;
Condamne Madame e. B. à verser à Monsieur r. A. la somme de 25.051,35 euros brut (vingt-cinq mille cinquante et un euros et trente-cinq centimes) de reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter de la citation en conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;
Rejette le surplus de la demande ;
Condamne Madame e. B. aux entiers dépens ;
Condamne Madame e. B. à verser à Monsieur r. A. la somme de 3.000 euros (trois mille euros) au titre des frais irrépétibles ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Michel GRAMAGLIA et Jean-Sébastien FIORUCCI, membres employeurs, Messieurs Pierre-Franck CRESPI et Hubert DUPONT-SONNEVILLE, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le quatorze avril deux mille vingt-trois.