Tribunal du travail, 7 avril 2023, Monsieur a. A. c/ La société à responsabilité limitée B.

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Abstract🔗

Contrat de travail - Mise à pied - Nullité (non) - Licenciement - Motif valable (oui) - Faute grave (oui) - Responsabilité civile du salarié - Compétence du Tribunal du travail (oui) - Préjudice (non)

Résumé🔗

La mise à pied, qui ne fait l'objet d'aucune réglementation générale, peut être soit une sanction disciplinaire, soit une mesure conservatoire dans l'attente d'une décision définitive. La mise à pied conservatoire n'est pas une sanction mais une mesure provisoire à effet immédiat que l'employeur adopte en général en présence d'une faute grave du salarié. La retenue sur salaire n'est légitime que si le licenciement se révèle être fondé de manière valable sur une faute grave. À défaut, il conviendrait de restituer les salaires. Néanmoins, cela n'affecte nullement la régularité de la mise à pied, dont le bien-fondé s'apprécie au moment où elle a été prononcée. L'employeur l'a d'ailleurs rappelé aux termes de la lettre de licenciement en indiquant que le licenciement pour faute grave est privatif de rémunération pendant la période de mise à pied conservatoire. En l'espèce, la mise à pied conservatoire, limitée dans un délai parfaitement raisonnable et utilisée à bon escient afin de faire cesser de prétendus actes de harcèlement et de diligenter une enquête sereine, était justifiée.

Constitue une faute grave tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise. L'employeur, sur lequel la charge de la preuve incombe, doit démontrer que les griefs formulés sont constitués. En l'espèce, comme l'a justement relevé l'Inspection du Travail, la faute grave est caractérisée. En détournant un véhicule de son usage en parfaite connaissance de cause, étant à l'origine de la conclusion du contrat de sponsoring, M. A. a eu un comportement répréhensible dont la découverte rendait impossible le maintien de la relation du travail, tant au regard du préjudice d'image causé à l'employeur vis-à-vis de son sponsor que compte tenu de la rupture du lien de confiance. En outre, ce comportement s'inscrivait dans une accumulation de manquements professionnels de M. A. : désorganisation, manque de professionnalisme, non-respect de la législation sur l'interdiction de fumer. Le motif de licenciement est en conséquence valable.

À titre reconventionnel, la S.A.R.L. B. sollicite la condamnation de M. A. au dédommagement des préjudices subis du fait de l'utilisation abusive du véhicule mis à disposition par le sponsor. Cette demande ne constitue ni une amende ni une sanction pécuniaire mais la réparation du préjudice causé par une faute du salarié, relevant de la compétence du Tribunal du travail en application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946. En effet, le salarié peut voir sa responsabilité civile contractuelle engagée à l'égard de son employeur en cas de faute grave dans l'exécution de son contrat de travail. Si la faute est constituée, il appartient à l'employeur, de rapporter la preuve de son préjudice. Il fournit une note explicative dans laquelle il a recopié le prétendu échange de mails avec la société E, qui, constitué par ses soins, n'a pas de valeur probante. Si M.A. a admis un préjudice représentant la diffusion de 80 spots publicitaires, la S.A.R.L. B. ne démontre pas avoir réellement réalisé ces diffusions. Dans ces conditions, la demande de dommages et intérêts pour utilisation abusive du véhicule sera rejetée.


TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 7 AVRIL 2023

En la cause de Monsieur a. A. , demeurant X1 à NICE (06300) ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Éric VEZZANI, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

La société à responsabilité limitée dénommée B. , dont le siège social se situe « X2 », X3 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Pierre-Anne NOGHÈS-du MONCEAU, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 22 juin 2021, reçue le 23 juin 2021 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 5-2021/2022 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 13 juillet 2021 ;

Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur au nom de Monsieur a. A. en date du 14 octobre 2022, reçues le 18 octobre 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Pierre-Anne NOGHÈS-du MONCEAU, avocat-défenseur au nom de la S.A.R.L. B. en date du 15 novembre 2022, reçues le 16 novembre 2022 ;

Après avoir entendu Maître Éric VEZZANI, avocat barreau de Nice, pour Monsieur a. A. et Maître Pierre-Anne NOGHÈS-du MONCEAU, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour la S.A.R.L. B. en leurs plaidoiries à l'audience du 19 janvier 2023 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs🔗

Monsieur a. A. a été embauché en qualité de Rédacteur en chef par la société à responsabilité limitée B. à compter du 1er mars 2018, puis promu Directeur d'antenne au début de l'année 2019.

Il était mis à pied à titre conservatoire sans solde à compter du 20 mai 2020. Il était licencié pour faute grave par lettre du 15 juillet 2020.

Par requête reçue le 23 juin 2021, Monsieur a. A. saisissait le Tribunal du travail en sollicitant :

  • la nullité de la sanction disciplinaire de mise à pied conservatoire du 20 mai 2020,

  • 11.845,28 euros de rappel de salaire sur période de mise à pied,

  • 6.041,09 euros à titre d'indemnité de licenciement,

  • 1.767,92 euros brut au titre du préavis,

  • 1.776,79 euros à titre de congés payés sur préavis,

  • 160.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement doublement abusif,

  • 10.000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires au titre des frais non compris dans les dépens,

avec intérêts au taux légal et le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire,

  • la rectification de la documentation sociale,

  • les dépens.

À l'audience de conciliation, Monsieur a. A. maintenait ses demandes et la S.A.R.L. B. formait les demandes reconventionnelles suivantes :

  • 6.147,28 euros au titre de l'utilisation abusive du véhicule laissé à disposition de la société par le sponsor,

  • 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions considérées comme récapitulatives du 14 octobre 2022 et à l'audience de plaidoirie, Monsieur a. A. sans modifier ses demandes financières, sollicite qu'il soit dit que le licenciement a été prononcé le 20 mai 2020. Il conclut à l'irrecevabilité des demandes reconventionnelles adverses.

Il fait valoir pour l'essentiel que :

  • la mise à pied est intervenue sans aucune explication ni le moindre débat,

  • il a fini par comprendre qu'il lui était reproché des faits de harcèlement à l'encontre d'une salariée,

  • l'enquête a fait ressortir que cette accusation était dénuée de tout fondement,

  • seules les allégations de harcèlement pouvaient justifier une mise à pied disciplinaire à titre conservatoire aussi brutale,

  • les autres faits allégués au soutien du licenciement ne revêtent aucun caractère de gravité suffisante pour justifier d'une mise à pied immédiate avec privation de salaire,

  • elle doit en conséquence être annulée et les salaires doivent lui être restitués,

  • l'employeur a feint de respecter la procédure de licenciement alors que la rupture du contrat a été consommée dès la notification de la mise à pied,

  • l'information de ce qu'il ne faisait plus partie des effectifs a été immédiatement diffusée,

  • l'employeur ne démontre pas que cette information aurait été diffusée à son insu,

  • il y a eu rupture brutale, abusive et sans forme du contrat de travail à la date du 20 mai 2020 ouvrant droit à dédommagement,

  • à aucun moment la S.A.R.L. B. n'a eu l'intention de poursuivre la relation de travail,

  • le licenciement n'est pas fondé sur un motif valable,

  • de nombreux griefs énoncés dans la lettre de licenciement ont été jugés non fondés par l'Inspection du Travail,

  • concernant l'utilisation du véhicule mis à disposition de la S.A.R.L. B. par le sponsor, l'employeur n'apporte pas la preuve que le salarié n'a pas respecté les conditions de mise à disposition,

  • il n'y avait aucun cahier des charges,

  • aucun avertissement ne lui a été adressé,

  • le licenciement brutal n'a pas permis de gérer le nombre de kilomètres parcourus pour le mettre en conformité avec la convention et avec le sponsor,

  • en aucun cas ce reproche ne peut constituer une faute grave,

  • il n'a jamais reçu d'avertissement non plus pour avoir fumé dans les locaux,

  • il n'a jamais mis en danger la santé des salariés,

  • ce grief ne constitue pas une faute grave, ni même de faute susceptible d'entraîner un licenciement en l'absence d'avertissement préalable,

  • l'accusation de soustraction de matériel est diffamatoire,

  • Monsieur a. A. étant amené à se déplacer régulièrement il était en possession d'objets techniques, ce d'autant plus suite à la crise sanitaire et à l'encouragement du télétravail,

  • la prise de congés faisait l'objet d'une transmission d'une feuille au service administratif et ne pouvait être contrôlée par ses collègues,

  • les absences relatées par certains salariés correspondaient la plupart du temps à des rendez-vous professionnels et non des congés,

  • les qualités professionnelles de Monsieur a. A. sont unanimement reconnues,

  • il a fait augmenter le taux d'écoute,

  • aucun des griefs n'est étayé ou démontré,

  • l'enquête menée par la S.A.R.L. B. a été à charge et la crédibilité des témoignages est sujette à caution,

  • aucun des témoins à décharge n'ont été entendus,

  • en réalité, lorsque les rumeurs de harcèlement se sont révélées infondées, pour ne pas perdre la face et justifier rétroactivement une rupture déjà acquise, la S.A.R.L. B. a exhumé des faits véniels n'ayant jamais fait l'objet d'avertissements préalables,

  • l'employeur cherchait d'ailleurs à le remplacer avant même que le licenciement ne soit prononcé,

  • il a définitivement ruiné la réputation de Monsieur a. A. dans le milieu des masses médias à Monaco,

  • il a été au chômage jusqu'au 1er juillet 2022 puis a retrouvé un emploi avec un salaire inférieur de moitié,

  • il connaît de sérieuses difficultés financières,

  • la demande de condamnation de Monsieur a. A. à payer une somme en raison d'une faute commise dans l'exécution du contrat de travail est irrecevable compte tenu du fait que les amendes et sanctions pécuniaires sont interdites,

  • elle est malvenue puisque c'est le licenciement brutal qui a été à l'origine du problème de kilométrage,

  • en outre le préjudice est factice puisque la S.A.R.L. B. ne débourse pas d'argent pour diffuser un spot publicitaire,

  • il ne l'a pas non plus fait au détriment d'autres annonceurs,

  • la procédure de Monsieur a. A. n'est pas abusive, l'employeur reconnaissant lui-même qu'il avait fait l'objet d'allégations mensongères,

  • la demande adverse au titre des frais irrépétibles est exorbitante, alors que celle de Monsieur a. A. est beaucoup plus adaptée à la réalité de ce procès.

Par conclusions récapitulatives du 15 novembre 2022, la S.A.R.L. B. sollicite que les pièces adverses nos 18 à 21 soient écartées, le débouté de l'intégralité des demandes de Monsieur a. A. et sa condamnation à :

  • 6.147,28 euros au titre de l'utilisation abusive du véhicule,

  • 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

  • les dépens,

  • 29.599,30 euros au titre des frais irrépétibles.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

  • les attestations produites par Monsieur a. A. ne respectent pas le formalisme de l'article 324 du Code de procédure civile,

  • à la mi-mai 2020 une chroniqueuse de la radio, Madame a. C. a signalé à la co-gérante le comportement inapproprié de Monsieur a. A. depuis plusieurs mois,

  • entendue par le co-gérant le 18 mai 2020, elle confirmait ses propos,

  • afin de pouvoir mettre un terme aux agissements et ouvrir une enquête interne, Monsieur a. A. était immédiatement mis à pied à titre conservatoire,

  • il n'était pas immédiatement informé des faits reprochés afin de protéger la salariée dénonciatrice,

  • cette mesure découle de l'obligation légale de protection des salariés qui repose sur l'employeur,

  • la mise à pied, qui n'est pas une sanction, est légitime à condition que sa durée ne soit pas exagérée et qu'elle permette de vérifier les circonstances des faits reprochés, lorsque des faits graves sont révélés,

  • tous les salariés confirmaient que les rapports entre Monsieur a. A. et Madame a. C. étaient difficiles et que le comportement de celui-ci était inadapté,

  • les prétendus salariés non entendus sont des prestataires externes,

  • l'enquête a permis de faire remonter des alertes relatives à diverses autres fautes professionnelles et un comportement inapproprié,

  • il était convoqué dès le 28 mai 2020 pour s'expliquer sur les fautes reprochées, l'employeur ayant fait preuve de diligence dans la conduite de l'enquête,

  • au cours de l'entretien il était mis à même de se défendre pendant trois heures et reconnaissait certaines fautes,

  • il se défendait de tout harcèlement sur Madame a. C. mais ne produisait aucun élément permettant de contester les propos de la jeune femme,

  • les doutes sur le harcèlement n'étant pas levés, le retour de Monsieur a. A. ne pouvait être envisagé,

  • il ne pouvait pas non plus l'être au regard des multiples fautes apparues au cours de l'enquête,

  • le 8 juin 2020 il était informé que la société envisageait son licenciement pour faute grave et transmettait le projet à l'Inspection du Travail en application de la loi encadrant les licenciements pendant la pandémie,

  • après nouvelle enquête contradictoire de l'Inspection du Travail, elle autorisait le licenciement pour fautes dont certaines constituaient une faute grave,

  • la validité du motif de licenciement n'est pas contestée par Monsieur a. A. celui-ci reconnaissant avoir fumé dans les locaux et avoir utilisé à des fins personnelles le véhicule de la société,

  • contrairement à ce qu'il affirme, il fumait dans les locaux en présence des autres salariés,

  • il s'est réservé l'usage exclusif d'un véhicule mis à disposition par un sponsor,

  • il l'utilisait à des fins purement personnelles, en parcourant des milliers de kilomètres sans autorisation, ayant dépassé le kilométrage maximum en à peine six mois,

  • il n'a ainsi pas respecté les termes du partenariat qu'il avait lui-même conclu avec le sponsor,

  • il avait en outre soustrait un certain nombre du matériel,

  • Monsieur a. A. n'a jamais fait l'objet d'avertissement puisque l'employeur n'avait pas connaissance des fautes commises,

  • en outre, l'avertissement n'est pas un préalable nécessaire à un licenciement,

  • l'ensemble des fautes reprochées justifiait pleinement la procédure de licenciement,

  • en outre, l'enquête a démontré que Monsieur a. A. prenait des congés sans avertir le service comptabilité, était souvent en retard, ne préparait pas ses émissions, désorganisait l'entreprise et avait une attitude inadaptée,

  • la S.A.R.L. B. a parfaitement respecté la procédure de licenciement, alors qu'elle était à l'époque significativement plus stricte qu'habituellement,

  • Madame a. C. a agi de son propre chef en informant les partenaires du départ de Monsieur a. A. sans en informer sa direction,

  • elle a été licenciée pour son comportement,

  • les demandes financières de Monsieur a. A. ne sont pas justifiées,

  • il ne conteste pas le motif du licenciement et ne peut en conséquence prétendre aux indemnités de rupture,

  • le motif du licenciement n'est pas fallacieux,

  • la rupture n'a pas été brutale,

  • les conditions pour que l'exécution provisoire soit ordonnée ne sont pas réunies,

  • l'utilisation du véhicule à des fins personnelles et en violation de la Convention par lui souscrite a causé un préjudice à l'employeur, qui a dû dédommager le sponsor,

  • la demande d'indemnisation de ce préjudice ne constitue ni une amende ni une participation proportionnelle du salarié prévue par le contrat de travail,

  • le préjudice est constitué par le fait que les spots publicitaires alloués au sponsor par sa faute auraient pu être alloués à un autre sponsor qui aurait payé,

  • la procédure de Monsieur a. A. est abusive, celui-ci intentant une action sans contester la validité du motif et alors qu'il reconnaît plusieurs fautes.

SUR CE,

Sur la nullité des attestations

La pièce n° 18 produite par Monsieur a. A. est une attestation ne répondant à aucune des conditions de l'article 324 du Code de procédure civile. Elle est en conséquence nulle.

Les pièces nos 19 et 20 sont des mails adressés par de proches de Monsieur a. A. qui lui témoignent son soutien. Ne s'agissant pas d'attestations elles ne sont soumises à aucun formalisme et ne sont en conséquence pas nulles.

La pièce n° 21 est un e-mail adressé par une ancienne collaboratrice à l'Inspecteur du Travail en charge de l'enquête. Elle n'est soumise à aucun formalisme et n'est en conséquence pas nulle.

Sur la mise à pied conservatoire

La mise à pied, qui ne fait l'objet d'aucune réglementation générale, peut être soit une sanction disciplinaire, soit une mesure conservatoire dans l'attente d'une décision définitive.

La mise à pied conservatoire n'est pas une sanction mais une mesure provisoire à effet immédiat que l'employeur adopte en général en présence d'une faute grave du salarié.

La retenue sur salaire n'est légitime que si le licenciement se révèle être fondé de manière valable sur une faute grave. À défaut, il conviendrait de restituer les salaires. Néanmoins, cela n'affecte nullement la régularité de la mise à pied, dont le bien-fondé s'apprécie au moment où elle a été prononcée. L'employeur l'a d'ailleurs rappelé aux termes de la lettre de licenciement en indiquant que le licenciement pour faute grave est privatif de rémunération pendant la période de mise à pied conservatoire.

En l'espèce, il est établi que Madame a. C. a dénoncé au mois de mai 2020 les agissements de Monsieur a. A. qu'elle qualifiait de « propos déplacés, attitudes discriminatoires, attaques verbales et tentatives de manipulation », et qui auraient eu des répercussions importantes sur sa santé psychique. Ils répondent à la définition du harcèlement au travail, à savoir, aux termes de l'article 2 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017 relative au harcèlement et à la violence au travail « le fait de soumettre, sciemment et par quelque moyen que ce soit, dans le cadre d'une relation de travail, une personne à des actions ou omissions répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail portant atteinte à sa dignité ou se traduisant par une altération de sa santé psychique ou mentale ».

En application de l'article 5 de ladite loi « l'employeur prend toutes mesures nécessaires propres à faire cesser les faits mentionnés à l'article 2 dont il a connaissance ».

En l'espèce, Monsieur a. A. Directeur d'antenne, travaillait quotidiennement au contact de Madame a. C. La décision de mise à pied conservatoire était dès lors justifiée en son principe, l'employeur répondant à ses obligations légales.

Le fait de ne pas avoir immédiatement informé Monsieur a. A. des faits dénoncés n'est pas fautif compte tenu de la nécessité de procéder à une enquête sereine. Par ailleurs, il ne peut être fait le reproche à l'employeur d'avoir attendu de se trouver face à son salarié pour lui notifier sa mise à pied et de ne pas lui avoir annoncé cela par message la veille.

En à peine huit jours, l'employeur procédait à une enquête détaillée sur les faits reprochés à Monsieur a. A. Il était alors convoqué à un entretien préalable pour pouvoir s'expliquer contradictoirement sur les éléments dénoncés, avec un délai lui permettant de préparer sa défense.

Quatre jours après la tenue de l'entretien, l'employeur informait Monsieur a. A. de sa décision de le licencier pour faute grave.

La mise à pied conservatoire, limitée dans un délai parfaitement raisonnable et utilisée à bon escient afin de faire cesser de prétendus actes de harcèlement et de diligenter une enquête sereine, était ainsi justifiée.

La mise à pied a ensuite perduré, au regard des spécificités légales de l'époque. En effet, en application de l'article 8 de la loi n° 1.488 du 11 mai 2020, les projets de licenciement pour faute grave devaient alors être soumis pour approbation à l'Inspection du Travail. Saisie dès le 12 juin, l'Inspection du Travail a décidé de diligenter une enquête contradictoire, puis a informé l'employeur de sa décision par courrier du 10 juillet 2020. L'employeur a alors immédiatement réagi en adressant la notification de licenciement à Monsieur a. A. par courrier du 15 juillet.

Le maintien de la mise à pied conservatoire, contrainte par des circonstances particulières indépendantes de la volonté de l'employeur, n'était dès lors pas abusif.

Dans ces conditions, il n'y pas lieu d'annuler la mise à pied conservatoire, dont la mise en oeuvre était justifiée.

La justification de la retenue sur salaire sera analysée ci-après, en fonction de la validité du motif invoqué par l'employeur.

Sur le licenciement

Constitue une faute grave tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise.

Aux termes de la lettre de licenciement, Monsieur a. A. a été licencié pour un certain nombre de fautes professionnelles dont certaines peuvent être qualifiées de graves, listées de la manière suivante :

  • « Vous avez fumé dans les locaux de la société à plusieurs reprises, violant ainsi les dispositions de la loi n° 1.346 du 9 mai 2008 ;

  • Vous avez emprunté sans autorisation du matériel appartenant à la société dont des téléphones portables, des micros, des câbles, un fauteuil de bureau et vous vous êtes réservé l'usage unique d'un véhicule de marque JEEP qui été mis à la disposition de l'ensemble du personnel par un sponsor pour un kilométrage limité ; vous avez dépassé ce kilométrage créant ainsi un préjudice pour la société ;

  • Vous êtes arrivé en retard de manière répétée et notamment lors de la diffusion d'émissions en direct ;

  • Des absences répétées et injustifiées ont été constatées ;

  • Vous vous êtes octroyé des jours de congé sans avertir ni demander l'autorisation préalable de votre employeur ;

  • Plusieurs insuffisances professionnelles ont été constatées et vos relations de travail avec les autres salariés se sont détériorées notamment en raison de votre manque d'organisation. ».

L'employeur, sur lequel la charge de la preuve incombe, doit démontrer que les griefs formulés sont constitués.

Il produit les attestations de six salariés dénonçant le manque de professionnalisme (retards, impréparation, manque d'organisation...) de Monsieur a. A. Aux termes de l'enquête contradictoire menée par l'Inspection du Travail, il apparaît que Monsieur a. A. a reconnu des « petits retards » et un manque d'organisation « parfois ».

Concernant l'octroi indu de jours de congé, le grief n'est étayé par aucun élément matériel et les témoignages des salariés sont insuffisants pour caractériser que les absences de Monsieur a. A. correspondaient à des congés, qui plus est indus.

Selon les termes de la décision de l'Inspection du Travail Monsieur a. A. a reconnu qu'il fumait le soir lorsqu'il était seul dans les locaux. Il est néanmoins impossible que cela soit exact puisque ce comportement a été dénoncé par des salariés, ce qui démontre que Monsieur a. A. n'était pas seul.

Il est par ailleurs reproché à Monsieur a. A. l'emprunt sans autorisation de matériel. S'il n'est pas contesté que ce matériel se soit trouvé au domicile de Monsieur a. A. aucun élément ne permet de démentir sa version selon laquelle il en aurait eu besoin dans le cadre de l'organisation du télétravail. Quant à l'attestation de Monsieur j. D. si elle témoigne d'une négligence à restituer le matériel à demande, elle ne démontre pas que l'emprunt n'était pas justifié et autorisé.

En revanche, il est établi que Monsieur a. A. a utilisé en violation des conditions contractuelles un véhicule mis à disposition dans le cadre d'un contrat de sponsoring signé par lui-même. Il a ainsi reconnu, à la fois s'être réservé l'usage personnel du véhicule entre le 17 décembre 2019 et le 3 juin 2020, mais également avoir réalisé 12.000 kilomètres, alors qu'il n'aurait pas dû dépasser 1.000 kilomètres par mois, soit moins de 6.000 kilomètres sur une période d'un an. Plus encore, Monsieur a. A. qui le conteste dorénavant, a clairement reconnu que cette utilisation abusive avait causé un préjudice à son employeur (le chiffrant à la somme de 3.642,83 euros auprès de l'Inspection du Travail).

Concernant la détérioration des relations professionnelles, le Tribunal ne dispose pas des éléments nécessaires pour affiner son appréciation. En effet, il apparaît que l'Inspection du Travail a eu accès à des échanges de messages avec Madame a. C. qui ne sont pas produits au débat. Dans ces conditions et face au doute qui subsiste entre la teneur des attestations et l'analyse de l'Inspection du Travail, le grief ne sera pas retenu.

À l'issue de l'analyse de l'ensemble des griefs, il apparaît que, comme l'a justement relevé l'Inspection du Travail, la faute grave était caractérisée. En effet, en détournant un véhicule de son usage en parfaite connaissance de cause, étant à l'origine de la conclusion du contrat de sponsoring, Monsieur a. A. a commis un comportement répréhensible dont la découverte rendait impossible le maintien de la relation du travail, tant au regard du préjudice d'image causé à l'employeur vis-à-vis de son sponsor que compte tenu de la rupture du lien de confiance vis-à-vis de son salarié.

En outre, ce comportement s'inscrivait dans une accumulation de manquements professionnels de Monsieur a. A. ; sa désorganisation, son manque de professionnalisme, le non-respect de la législation sur l'interdiction de fumer.

Le motif de licenciement est en conséquence valable.

Monsieur a. A. soutient que le motif de licenciement serait fallacieux, l'employeur ayant construit des fautes pour justifier d'un licenciement déjà acquis dont la cause d'origine se serait effondrée. Or, les fautes sont bien réelles, ont été dénoncées spontanément par les salariés à l'occasion de l'enquête et ont d'ailleurs été reconnues en leur principe par le salarié.

Si d'autres personnes du monde des médias, dont aucun n'est salarié de B. au moment des faits, peuvent témoigner d'un grand professionnalisme de Monsieur a. A. cela ne peut démentir la réalité des fautes et du réel comportement de ce dernier au sein de son entreprise. Il en est de même de la qualité des audiences ou de la satisfaction que le co-gérant pouvait avoir à son égard.

Concernant l'annonce par Madame a. C.du licenciement de Monsieur a. A. aux partenaires de la Radio, aucun élément du dossier ne confirme qu'elle ait agi sur instruction de son employeur. Au contraire l'horaire d'envoi des messages (19 h 20 et 22 h 26) laisse supposer qu'elle a agi en dehors de son travail et de sa propre initiative.

Enfin, concernant l'annonce de recrutement, qui n'est pas datée mais est antérieure au 7 juillet 2020, elle concerne un salarié de sexe féminin pour un poste d'animateur, ce qui ne correspond aucunement au profil de Directeur d'antenne de Monsieur a. A. En revanche, cela est concomitant au licenciement non contesté par les parties de Madame a. C.

Le licenciement de Monsieur a. A. étant fondé sur un motif valable, n'étant pas abusif et n'ayant pas été mis en œuvre de manière abusive, l'intégralité des droits du salarié ayant été respectés comme développé ci-dessus, il sera débouté de l'intégralité de ses demandes.

Sur les demandes reconventionnelles

À titre reconventionnel, la S.A.R.L. B. sollicite la condamnation de Monsieur a. A. au dédommagement des préjudices subis du fait de l'utilisation abusive du véhicule mis à disposition par le sponsor et pour procédure abusive.

La demande au titre de l'utilisation abusive du véhicule ne constitue ni une amende ni une sanction pécuniaire.

Il s'agit de la réparation du préjudice causé par une faute du salarié, relevant de la compétence du Tribunal du travail en application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946. En effet, le salarié peut voir sa responsabilité civile contractuelle engagée à l'égard de son employeur en cas de faute grave dans l'exécution de son contrat de travail.

Si la faute est constituée, il appartient à l'employeur, demandeur en réparation, de rapporter la preuve de son préjudice.

Il fournit une note explicative dans laquelle il a recopié le prétendu échange de mails avec la société E. Ce document, constitué par ses soins, n'a pas de valeur probante.

Si Monsieur a. A. a admis un préjudice représentant la diffusion de 80 spots publicitaires, la S.A.R.L. B. ne démontre pas avoir réellement réalisé ces diffusions.

Dans ces conditions, la demande de dommages et intérêts pour utilisation abusive du véhicule sera rejetée.

Si les demandes de Monsieur a. A. sont mal fondées, aucun élément ne démontre qu'il ait fait un usage abusif de son droit d'ester en justice ni qu'il ait eu manifestement l'intention de nuire à son ancien employeur. La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera en conséquence rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Monsieur a. A. succombant dans l'intégralité de ses demandes il sera condamné aux entiers dépens.

Aux termes de l'article 238-1 du Code de procédure civile, la partie tenue aux dépens est condamnée à payer une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens. Néanmoins, en raison de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée, il pourra ne pas être ordonné de condamnation. En l'espèce, pour ces deux motifs, la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Prononce la nullité de la pièce n° 18 produite par Monsieur a. A. ;

Rejette la demande de nullité des pièces nos 19, 20 et 21 produites par Monsieur a. A. ;

Rejette la demande de nullité de la mise à pied conservatoire ;

Dit que le motif de licenciement est valable ;

Dit que le licenciement n'est pas abusif et n'a pas été mis en oeuvre de manière abusive ;

Rejette l'intégralité des demandes de Monsieur a. A. ;

Rejette la demande de dédommagement de la société à responsabilité limitée B. pour utilisation abusive du véhicule ;

Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de la S.A.R.L. B. ;

Condamne Monsieur a. A. aux entiers dépens ;

Rejette la demande de la S.A.R.L. B. au titre des frais irrépétibles ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Virginia BUSI et Monsieur Francis GRIFFIN, membres employeurs, Messieurs Fabrizio RIDOLFI et Jean-Pierre MESSY, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le sept avril deux mille vingt-trois.

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