Tribunal du travail, 20 janvier 2023, Monsieur A. c/ La société anonyme monégasque dénommée B. B. MONACO

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Abstract🔗

Contrat de travail - Sanction disciplinaire - Avertissement - Contrôle du juge - Licenciement - Validité du motif (non) - Caractère abusif (oui)

Tribunal du travail - Demandes reconventionnelles - Recevabilité

Résumé🔗

Si l'employeur tient de son pouvoir de direction dans l'entreprise le droit de sanctionner un salarié pour son comportement fautif, il appartient au Tribunal du travail, saisi de la contestation d'une sanction disciplinaire d'en contrôler le bien-fondé et de l'annuler si elle apparaît irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée. Un avertissement est justifié lorsque le salarié s'est rendu coupable d'un acte positif ou d'une abstention volontaire constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail.

En application du principe non bis in idem, un même fait fautif ne peut faire l'objet de deux sanctions successives. Toutefois, l'existence de nouveaux griefs autorise l'employeur à retenir les fautes antérieures, mêmes déjà sanctionnées, pour apprécier la gravité des faits reprochés au salarié pour justifier d'une sanction disciplinaire.

L'employeur, qui fonde sa décision sur l'irrespect et la violation de l'obligation d'entretien du matériel, doit en rapporter la preuve.

La liberté d'expression reconnue au salarié constitue une liberté fondamentale. Elle trouve cependant sa limite dans la caractérisation d'un abus constitué par des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs. Cet abus doit être apprécié en tenant compte notamment des fonctions du salarié, de la publicité donnée à ses propos et du trouble qui en est résulté dans l'entreprise ainsi que des circonstances dans lesquelles ils ont été tenus.

En fondant le licenciement sur des fautes disciplinaires non caractérisées, l'employeur a causé un préjudice moral à son salarié qu'il convient de réparer en tenant compte de l'ancienneté.

Si la loi n°446 du 16 mai 1946 impose une phase préliminaire de conciliation, aucune disposition ne soumet les demandes reconventionnelles, que le Tribunal connaît par application de l'article 55 de la loi, à un tel préliminaire obligatoire. Toutefois, encore faut-il que les demandes satisfassent aux critères définis par l'article 382 du Code de procédure civile, dont les dispositions sont applicables par renvoi de l'article 49 de la loi n°446 et qu'elles procèdent de la même cause que la demande principale, forment une défense contre cette demande, et tendent à obtenir le bénéfice de la compensation.


TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 20 JANVIER 2023

En la cause de Monsieur A., demeurant « X1 », X1 à LA TRINITÉ (06340) ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée B. B. MONACO), dont le siège social se situe « X2 », X2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 19 novembre 2020, reçue le 9 décembre 2020 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 50-2020/2021 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 5 janvier 2021 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de Monsieur A. en date du 13 octobre 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur au nom de la S.A.M. B. B. MONACO, en date du 10 novembre 2022 ;

Après avoir entendu Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice, pour Monsieur A. et Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour la S.A.M. B. B. MONACO, en leurs plaidoiries à l'audience du 24 novembre 2022 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs🔗

Monsieur A. a été embauché par contrat à durée indéterminée du 11 juin 2012 en qualité de Conducteur de car de tourisme par la société anonyme monégasque B. (ci-après B. MONACO). Il a été licencié pour faute par courrier du 28 octobre 2019.

Par requête reçue le 9 décembre 2020, Monsieur A. saisissait le Tribunal du travail en sollicitant :

  • l'annulation de l'avertissement du 31 mai 2019,

  • 10.000 euros d'indemnité de licenciement (avant déduction de l'indemnité de congédiement),

  • 40.000 euros de dommages et intérêts pour sanction et rupture abusive du contrat de travail,

  • le tout avec intérêts au taux légal et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 13 octobre 2022, Monsieur A. fixe sa demande d'indemnité de licenciement à la somme de 5.293,69 euros. Il fait valoir pour l'essentiel que :

  • il a subi un avertissement injustifié le 31 mai 2019,

  • il l'a formellement contesté dans un long SMS, rien n'imposant qu'il le fasse par courrier recommandé,

  • cet avertissement était en outre accompagné d'une sanction financière, par le non-versement de la prime qualité de 75 euros,

  • or, l'objectif de cette prime contractuelle n'était pas clairement défini, ni les conditions dans lesquelles elle pouvait être diminuée ou supprimée,

  • le retrait non justifié en sus d'un avertissement constitue une double sanction,

  • le courrier d'avertissement ne mentionnait qu'un problème d'hygiène,

  • il est totalement disproportionné, la problématique concernant l'ensemble chauffeurs,

  • il n'est pas démontré que l'autre chauffeur impliqué aurait subi un avertissement,

  • l'employeur est totalement défaillant dans l'administration de la preuve et ne démontre pas le prétendu état dégradé du bus,

  • le motif de licenciement n'est pas valable,

  • sur les dates auxquelles il est prétendu qu'il aurait restitué le bus dans un état inacceptable, aucune preuve n'est rapportée par l'employeur,

  • le message adressé à son employeur concernant le planning n'est que l'expression d'un mécontentement et ne contient ni insultes, ni propos désobligeants, ironiques ou arrogants,

  • le licenciement est intervenu sous un faux motif,

  • l'employeur était particulièrement discourtois avec son salarié,

  • il a voulu se séparer d'un salarié âgé qui commençait à exprimer des observations légitimes sur les horaires et la gestion du planning,

  • Monsieur A. subi un préjudice financier important, n'ayant pu retrouver d'emploi et ayant peu de chance d'y arriver,

  • il a en outre été particulièrement affecté par la manière dont il a été traité et évincé de la société,

  • la demande de la société B. MONACO au titre des frais irrépétibles n'a pas été soumise au préliminaire de conciliation et doit être rejetée.

Par conclusions récapitulatives du 10 novembre 2022, la S.A.M. B. B. MONACO sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Monsieur A. outre sa condamnation à l'euro symbolique à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 1.500 euros au titre des frais irrépétibles et les entiers dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

  • suite à des échanges et insinuations inacceptables de son salarié, la société B. MONACO adressait un avertissement à Monsieur A. en l'état d'écrits mensongers et méprisants, de la saleté des autocars et de leur déplombage,

  • cet avertissement n'a fait l'objet d'aucune réserve de la part du salarié,

  • le 10 octobre 2019, Monsieur A. réitérait des écrits inacceptables,

  • il était alors décidé de le convoquer à un entretien préalable,

  • ce comportement irrespectueux s'était en outre ajouté à plusieurs manquements survenus dans l'intervalle, démontrant que l'avertissement n'avait pas été entendu,

  • le nettoyage des autocars est une obligation découlant du contrat de travail et du règlement intérieur,

  • le défaut de paiement de la prime qualité ne participe pas d'une sanction, mais de la non-réalisation des critères d'attribution de celle-ci,

  • en outre, elle a été décidée au moment de l'établissement de la paie et avant l'avertissement,

  • au demeurant, l'absence de plainte au moment du non-versement de la prime implique que le salarié admettait que son travail laissait à désirer,

  • en effet, l'avertissement ne vise pas le seul défaut d'entretien, mais également les déplombages du bus et le mépris intolérable manifesté envers l'employeur,

  • Monsieur A. n'a pas subi de double sanction, l'avertissement étant la conséquence de la réaction inappropriée du salarié,

  • de nouveaux manquements aux obligations de nettoyage sont intervenus postérieurement,

  • au regard des termes inadmissibles du courrier adressé par le salarié, la question de la poursuite de la collaboration ne pouvait que se poser,

  • cet e-mail n'était pas une réaction épisodique traduisant un mécontentement ponctuel,

  • il était arrogant, insultant et participait d'une remise en cause du pouvoir de direction de l'employeur,

  • la procédure de licenciement a été menée conformément à la loi,

  • Monsieur A. a été convoqué à un entretien, organisé dans un délai lui permettant de préparer sa défense, il a pu s'expliquer sur les faits, puis l'employeur a pris un temps de réflexion avant de prendre sa décision,

  • l'action diligentée à l'encontre de la société B. MONACO est abusive et vexatoire,

  • elle a engendré des frais de défense,

  • la demande d'indemnisation des frais exposés procède de la même cause que la demande principale et est recevable.

SUR CE,

Sur l'avertissement

Si l'employeur tient de son pouvoir de direction dans l'entreprise le droit de sanctionner un salarié pour son comportement fautif, il appartient au Tribunal du travail, saisi de la contestation d'une sanction disciplinaire d'en contrôler le bien-fondé et de l'annuler si elle apparaît irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée. Un avertissement est justifié lorsque le salarié s'est rendu coupable d'un acte positif ou d'une abstention volontaire constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail.

En l'espèce, aux termes d'un courrier du 31 mai 2019, un avertissement a été infligé à Monsieur A. dans les termes suivants :

« Suite à votre appel et à vos messages sms, dont je vous laisse l'entière responsabilité des propos, pour partie mensongers. Je souhaite vous exprimer mon fort mécontentement sur plusieurs points importants, et ce n'est malheureusement par la première fois.

1/ Je vous ai fait constaté personnellement, le mercredi 15 mai, ainsi qu'à votre binôme, l'état de saleté de l'autocar immatriculé 8991 dont vous êtes les conducteurs attitrés. Bien que vous ayez tenté de vous soustraire à vos responsabilités le bilan n'en reste pas moins affligeant :

Toilettes non entretenues, dégradées (sans que j'ai été prévenu des réparations à entreprendre), détritus divers accumulés au sol, sous les sièges et dans les porte bagages. Dois-je vous rappeler qu'une famille de rongeurs avait élu domicile dans ce véhicule cet hiver, y trouvant tout le nécessaire pour ce nourrir. Comment osez-vous affirmer que « vous lavez votre car régulièrement ».

Je vous mets en garde quant au respect des clauses de votre contrat.

2/ À plusieurs reprises les autocars et minibus que vous conduisiez ont été déplombés au niveau de l'EAD. Je vous informe, à nouveau, qu'il s'agit d'une infraction et que j'interdis que cela se reproduise.

Les mépris dont vous faites preuve envers le matériel mis à votre disposition par ma société, ainsi qu'à mon égard ne sont plus tolérables. Ceci est le dernier avertissement que je vous adresse.

Si mon attention, et je serai particulièrement vigilant, était à nouveau attiré par un des points mentionnés plus haut votre maintient au sein de mes effectifs serait des plus compromis. ».

Monsieur A. affirme avoir contesté avec force la matérialité des faits reprochés. Il produit deux sms du 31 mai 2019.

Le premier indiquant « Monsieur suite à notre conversation téléphonique de ce jour je tiens à vous dire que j'ai toujours lavé mon cars régulièrement et vous me faite sauter la prime après avoir trouver des miettes dedans vous avez dit vous-même que vous avez trop de personnel je vois que vous cherchez des problèmes là où il y en a pas j'ai toujours fait mon travail du mieux possible mais sa ne sert à rien et de plus ce jour ce n'est pas moi qui est utilisé le cars je pourrais faire tout bien sa ne changera rien vous évitez la discutions c'est plus facile de me raccrocher au nez et de plus je n'est jamais eu de réflexion par les clients sur sa propreté par contre on m'a souvent demandé c'est quoi ce vieux machin comme vous le savez i à 600.000 km et il est vieillissant mais pas salle sa ne sert à rien que je continue à le laver puisque vous ferez semblent de pas voir la différence comme la dernière fois que l'on c'est vu des efforts pour rien puisque vous voulez vous débarrasser de votre personnel. Suite à ce sms je vous l'envoie par courrier bonne journée ». Puis, le second à 18h58 indiquant « Bonsoir je n'incite et n'entraîne personne dans mes réactions c'est mon caractère et moi seul je pensais faire correctement mon travail ses tout ne je comprends pas. Vous êtes le patron c'est inscrit partout le patron à toujours raison ».

Ces sms n'évoquent que la question de la propreté du bus et nullement celles du déplombage ni du caractère méprisant et mensongers des propos reprochés au salarié.

Contrairement à ce qu'il prétend, Monsieur A. n'a dès lors pas contesté la matérialité de ces événements.

Surtout, leur lecture et les événements passés permettent de comprendre qu'ils sont une réponse au non-versement de la prime qualité, retenue sur la paie du mois de mai 2019 que les salariés venaient de recevoir, et non pas une contestation de l'avertissement.

En réalité, suite à la réception de l'avertissement du 31 mai 2019, Monsieur A. n'a émis aucune contestation.

Monsieur A. déplore en outre avoir été sanctionné deux fois pour un même fait. En effet, il ne fait pas de doute que la retenue de la prime qualité est une sanction infligée au salarié pour le manque de propreté de son autobus, puisque l'analyse de son mode de versement démontre qu'elle est versée systématiquement à condition qu'il n'y ait pas eu d'événement fautif dans le mois (accrochages, retards, absence de nettoyage...). Or, Monsieur A. s'est vu retenir sa prime qualité au motif « 8991 » dont on comprend à la lecture des échanges des parties qu'il s'agissait d'un reproche de qualité de nettoyage le 15 mai 2019.

Le Tribunal n'a pas à apprécier le bien-fondé de cette sanction, Monsieur A. ne le sollicitant pas. En revanche, en application du principe non bis in idem , un même fait fautif ne peut faire l'objet de deux sanctions successives. Toutefois, l'existence de nouveaux griefs autorise l'employeur à retenir les fautes antérieures, mêmes déjà sanctionnées, pour apprécier la gravité des faits reprochés au salarié pour justifier d'une sanction disciplinaire.

En l'espèce, depuis la décision de non-versement de la prime qualité, l'employeur reproche au salarié des propos mensongers et méprisants et le déplombage du système EAD. Aucun de ces faits n'a été contesté par le salarié avant l'introduction de la cause en justice. Surtout, le 27 mai 2019, Monsieur A. a méprisé son employeur en lui demandant s'il faisait les plannings au tirage au sort, puis le 31 mai 2019, il a sous-entendu que son employeur cherchait à inventer des fautes pour le licencier injustement. Le fait que l'employeur lui ait répondu sur un ton tout aussi vif le 27 mai, n'ôte pas le caractère fautif des termes irrespectueux du salarié.

Ces faits nouveaux permettaient à l'employeur d'user de son pouvoir disciplinaire en faisant état d'anciens griefs. Surtout, ils justifiaient un avertissement, le salarié faisant preuve d'insubordination et ayant violé son obligation de sécurité des passagers.

En conséquence, il n'y a pas lieu d'annuler l'avertissement du 31 mai 2019.

Sur le licenciement

Sur la validité du motif

Monsieur A. a été licencié par courrier du 28 octobre 2019 pour les motifs suivants :

  • « Votre attitude irrespectueuse et vos manquements à vos obligations professionnelles ne sont plus tolérables.

  • Votre manque de respect se manifeste tout d'abord envers votre hiérarchie, en l'occurrence moi, par l'envoi de sms et courriel désobligeants, ironiques voire arrogants.

  • Il se manifeste ensuite à l'égard du matériel qui vous est confié par le manque d'entretien des autocars et minibus que vous conduisez et qui ne sont pas dans l'état dans lequel vous êtes censé les laisser après votre service que ce soit à l'extérieur ou à l'intérieur, ce qui est en outre un manquement manifeste à vos obligations professionnelles lesquelles sont pourtant clairement précisées dans votre contrat de travail (article 3.3).

  • Enfin votre comportement traduit également un manque de respect à l'égard de vos collègues qui se retrouvent à devoir faire une partie du travail qui vous incombe pour pallier vos manquements.

  • Votre attention a été attirée à maintes reprises sur la nécessité de corriger vos comportements et notamment le 31 mai dernier date à laquelle nous avons été contraints de vous adresser un avertissement en soulignant qu'à défaut de vous ressaisir, votre maintien dans l'entreprise se trouverait compromis.

  • Vous n'en avez cependant pas tenu compte puisque à nouveau, vous vous êtes adressé à moi de façon irrespectueuse et avez rendu les bus dans un état inacceptable les 20 juin, 3 juillet, 28 août et 9 septembre selon ce que vous avons constaté.

  • Les explications que vous nous avez fournies lors de l'entretien et les regrets que vous avez manifestés n'exonèrent en rien votre responsabilité et nous considérons que ces faits renouvelés à plusieurs reprises après et malgré votre avertissement, sont constitutifs d'une faute, et nous conduisent donc à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute. ».

L'employeur, qui fonde sa décision sur l'irrespect et la violation de l'obligation d'entretien du matériel, doit en rapporter la preuve.

Concernant l'état des véhicules les 20 juin, 3 juillet, 28 août et 9 septembre 2019, l'employeur ne produit aucun constat et n'a émis aucune remarque à l'encontre de son salarié.

Si la prime qualité du salarié a été proratisée au mois d'août 2019, c'était lié à la prise de congés payés. Quant à la prime qualité du mois de septembre 2019, elle n'a été versée qu'à hauteur de 50 % mais pour un « accrochage le 28 août » et nullement un problème de propreté le 28 août ou le 9 septembre.

Les affirmations de l'employeur quant au défaut d'entretien aux quatre dates visées ne reposent sur aucun élément probant et ne sont en conséquence pas démontrées.

En réalité, la convocation à entretien préalable ayant été adressée le 11 octobre 2019, elle fait suite à un mail envoyé le 10 octobre 2019 par Monsieur A. indiquant « je ne fou rien pendant 2 jours et vous me mettez le maximum quant je part à Toulouse plus une soirée à l'arrivée au retour merci de cette organisation pour pourrir la vie de vos chauffeurs bon week-end reposez-vous bien ».

La liberté d'expression reconnue au salarié constitue une liberté fondamentale. Elle trouve cependant sa limite dans la caractérisation d'un abus constitué par des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs. Cet abus doit être apprécié en tenant compte notamment des fonctions du salarié, de la publicité donnée à ses propos et du trouble qui en est résulté dans l'entreprise ainsi que des circonstances dans lesquelles ils ont été tenus.

En l'espèce, Monsieur A. n'a été ni injurieux ni diffamatoire. La question du caractère excessif des propos s'apprécie au regard de la réalité de la relation entre l'employeur et le salarié et du contexte de l'entreprise. Si Monsieur A. n'a pas formulé sa récrimination de manière parfaitement respectueuse, son employeur a pour habitude de s'adresser à lui de la même manière. Il a pu en effet par le passé lui indiquer « vos petites crises ne m'intéressent pas », « si vous n'êtes pas satisfaits allez voir ailleurs » ou « vous feriez mieux de vous faire oublier ».

Les termes irrespectueux utilisés par l'employeur ne lui permettent pas de se plaindre du fait que son salarié lui reproche de lui « pourrir la vie », à tout le moins de considérer qu'il s'agit d'un manque de respect manifeste vis-à-vis de la hiérarchie. Après analyse de l'ensemble des griefs au soutien de la lettre de licenciement il apparaît que, soit ils ne sont pas démontrés, soit ils ne sont pas constitutifs d'une faute disciplinaire. En conséquence, le motif du licenciement n'est pas valable.

En l'absence de motif valable, la S.A.M. B. doit être condamnée à verser à Monsieur A. la somme de 5.293,69 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation.

Sur le caractère abusif du licenciement

Constitue un licenciement abusif, le licenciement prononcé pour un motif fallacieux ou celui mis en œuvre dans des conditions de précipitation, de brutalité ou de légèreté abusives.

Le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué, conjugué à la volonté de tromperie et de nuisance au salarié. Il n'est en revanche pas constitué par le seul fait que le motif soit insuffisant et par tant non valable.

En l'espèce, Monsieur A. ne démontre pas que la S.A.M. B. a dissimulé un autre motif que les reproches formulés ou qu'elle ait voulu lui nuire, l'employeur ayant en réalité mal apprécié le degré de gravité du comportement du salarié.

Le licenciement a par ailleurs été mis en œuvre de manière respectueuse de son salarié, en le convoquant à un entretien préalable, en recueillant ses explications, puis en prenant un délai de réflexion.

Néanmoins, en fondant le licenciement sur des fautes disciplinaires non caractérisées, l'employeur a causé un préjudice moral à son salarié qu'il convient de réparer en tenant compte de l'ancienneté (sept ans) et de l'âge du salarié (59 ans). La S.A.M. B. sera en conséquence condamnée à verser à Monsieur A. une somme qu'il est équitable de fixer à 5.000 euros à titre de dommage et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement.

Sur les autres demandes

Si la loi n°446 du 16 mai 1946 impose une phase préliminaire de conciliation, aucune disposition ne soumet les demandes reconventionnelles, que le Tribunal connaît par application de l'article 55 de la loi, à un tel préliminaire obligatoire.

Toutefois, encore faut-il que les demandes satisfassent aux critères définis par l'article 382 du Code de procédure civile, dont les dispositions sont applicables par renvoi de l'article 49 de la loi n° 446 et qu'elles :

  • procèdent de la même cause que la demande principale,

  • forment une défense contre cette demande,

  • tendent à obtenir le bénéfice de la compensation.

La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et la demande au titre des frais irrépétibles constituent des défenses à la demande principale et sont recevables en tout état de cause.

La procédure de Monsieur A. étant bien fondée, il convient de rejeter la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de la S.A.M. B.

La S.A.M. B. succombant il convient de la condamner aux entiers dépens.

Dans ces conditions, sa demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée. La nécessité à ce que l'exécution provisoire soit ordonnée n'étant pas démontrée, il n'y a pas lieu de la prononcer.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Déclare recevables les demandes de la société anonyme monégasque B. ;

Rejette la demande d'annulation de l'avertissement du 31 mai 2019 ;

Dit que le motif de licenciement n'est pas valable ;

Condamne la S.A.M. B. à verser à Monsieur A. la somme de 5.293,69 euros (cinq mille deux cent quatre-vingt-treize euros et soixante-neuf centimes) au titre de l'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation ;

Dit que le licenciement n'est pas fallacieux ;

Dit que le licenciement a été mis en œuvre de manière abusive ;

Condamne la S.A.M. B. à verser à Monsieur A. la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) à titre de dommage et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Rejette le surplus de la demande ;

Rejette la demande de la S.A.M. B. de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne la S.A.M. B. aux entiers dépens ;

Rejette la demande de la S.A.M. B. au titre des frais irrépétibles ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Diane GROULX et Monsieur Bernard HERNANDEZ, membres employeurs, Messieurs Benjamin NOVARETTI et Silvano VITTORIOSO, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le vingt janvier deux mille vingt-trois.

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