Tribunal du travail, 26 mai 2021, Monsieur b. P. c/ la société ANDBANK MONACO

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Abstract🔗

Contrat de travail - Licenciement - Accord collectif (Banque) - Avis préalable du Conseil de discipline - Irrégularité de forme de la rupture

Contrat de travail - Licenciement - Inaptitude professionnelle - Charge de la preuve incombant à l'employeur - Contrôle du juge

Résumé🔗

Lorsque la direction d'un établissement bancaire entend prononcer à l'encontre d'un salarié, auquel elle reproche une insuffisance de travail, un manquement à la discipline ou même simplement des fautes à caractère professionnel, une sanction du deuxième degré, telle que la révocation, celle-ci doit obligatoirement requérir préalablement l'avis d'un conseil de discipline dans les conditions prévues à l'article 27 de l'Accord collectif.

En l'espèce, l'employeur reproche notamment au salarié des fautes professionnelles qu'il qualifie d'insuffisance professionnelle, à savoir : « depuis votre prise de fonction, vous n'avez jamais respecté le délai de réalisation dudit plan annuel. Chaque année, vous concluez la réalisation de ce plan, tout au mieux, vers la fin du mois de mars de l'année suivante, voire dans le courant du mois d'avril (soit avec plus de 3 mois de retard), mettant ainsi notre établissement en délicatesse par rapport à ses obligations réglementaires à l'égard de l'A.C.P.R. ». Dans ces circonstances, la S.A.M. ANDBANK MONACO avait l'obligation, en application des dispositions des articles 25, alinéas 3, 4 et 27 de la Convention Collective Monégasque de Travail des Banques de recueillir l'avis du conseil de discipline avant de notifier au salarié la sanction du deuxième degré que constitue son licenciement. Cet avis n'ayant en l'espèce pas été obtenu, ni au demeurant sollicité par la banque, la rupture du contrat de travail revêt, en la forme, un caractère irrégulier.

Il appartient à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de licenciement. Il n'est pas contesté que l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir patronal et le Juge ne peut prétendre y substituer son appréciation ; néanmoins, il convient pour celui-ci de vérifier que ses exigences étaient justifiées. Pour constituer une cause de licenciement, l'insuffisance professionnelle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables. Il revient au Juge de vérifier l'incompétence alléguée par l'employeur, laquelle ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de celui-ci mais doit reposer sur des éléments concrets pour constituer un motif valable de licenciement. Il incombe en conséquence à l'employeur d'apporter au Juge des éléments objectifs à l'appui des faits qu'il invoque comme propres, selon lui, à caractériser l'insuffisance professionnelle dont il se prévaut. Elle ne résulte pas nécessairement d'un comportement volontaire mais révèle l'inaptitude du salarié à assumer ses fonctions, son incompétence. L'insuffisance professionnelle est caractérisée par l'inaptitude du salarié à exercer sa prestation de travail dans des conditions que l'employeur pouvait légitimement attendre en application du contrat et doit reposer sur des éléments matériels précis et objectifs imputables au salarié ; elle se manifeste dans les répercussions en tant qu'elle perturbe la bonne marche de l'entreprise. L'employeur ne saurait reprocher au salarié des faits qu'il a tolérés de nombreuses années et sur lesquels il s'est bien gardé d'attirer l'attention de celui-ci.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 30 avril 2018, reçue le 3 mai 2018 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 68-2017/2018 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 5 juin 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur au nom de Monsieur b. P. en date des 4 octobre 2018, 9 mai 2019 et 16 janvier 2020 ;

Vu les conclusions de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur au nom de la S.A.M. ANDBANK MONACO, en date des 10 janvier 2019, 17 octobre 2019 et 7 juillet 2020 ;

Ouï Maître Christophe TORA, avocat au Barreau de Nice, pour Monsieur b. P. en sa plaidoirie ;

Ouï Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour la S.A.M. ANDBANK MONACO, en ses observations ;

Vu les pièces du dossier ;

Monsieur b. P. a été embauché par la S.A.M. MONTE PASCHI BANQUE, en contrat à durée indéterminée, le 28 mars 2006 en qualité d'Auditeur Interne avec le statut cadre classe VII.

Au mois de juillet 2011, la société ANDBANK a racheté le capital de la MONTE PASCHI BANQUE. Le contrat de travail de Monsieur b. P. s'est poursuivi avec la société ANDBANK.

Le 5 mai 2014, Monsieur b. P. a été affecté au poste de Responsable du Contrôle périodique. Il percevait un salaire annuel brut, toutes primes confondues, de 82 393 euros sur quatorze mois et demi.

Les 1er et 7 décembre 2017, Monsieur b. P. a été convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement pour insuffisance professionnelle, devant se tenir respectivement les 7 et 11 décembre 2017.

Le 20 décembre 2017, Monsieur b. P. a été licencié pour insuffisance professionnelle. Le 31 janvier 2018, la banque a notifié au salarié sa dispense de préavis.

Par requête en date du 30 avril 2018 reçue au greffe le 3 mai 2018, Monsieur b. P. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

  • une indemnité de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement pour insuffisance professionnelle prononcée le 20 décembre 2017 sur le fondement de l'article 32 de la Convention collective du personnel des banques, et non justifié,

  • une indemnité de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et non-respect des articles 24, 25, 26 et 27 de la Convention collective du personnel des banques,

  • une indemnité de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Aucune conciliation n'ayant pu intervenir, le dossier a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.

Monsieur b. P. a déposé des conclusions les 4 octobre 2018, 9 mai 2019 et 16 janvier 2020 dans lesquelles il modifie ses demandes et sollicite désormais du Tribunal de :

  • dire et juger que la rupture du contrat de travail n'est pas régulière en la forme,

  • dire et juger que le licenciement n'est pas justifié par un motif valable et revêt un caractère abusif,

  • condamner la société ANDBANK MONACO à lui payer la somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts,

  • condamner la société ANDBANK MONACO aux dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, sous sa sur affirmation.

Monsieur b. P. fait essentiellement valoir que :

Sur la violation de l'article 24 de la Convention collective monégasque de travail du personnel des banques :

  • en violation de cet article, il n'a jamais été informé de l'appréciation de ses services retenue par son nouvel employeur depuis l'année 2011. Ce dernier ne lui a jamais communiqué par écrit ses évaluations,

  • il n'y a jamais eu d'entretien individuel d'appréciation et il n'a jamais pu viser ses notes puisqu'il n'en a jamais eu connaissance,

  • les évaluations professionnelles étaient régulièrement réalisées sous la responsabilité de l'ancienne direction,

  • cette démarche lui aurait permis d'aborder avec sa direction ses éventuelles insuffisances et chercher à y remédier,

Sur la nature du licenciement :

  • son licenciement repose en réalité sur un motif disciplinaire,

  • dès lors, l'employeur devait respecter la procédure prévue par l'article 25 de la Convention collective,

  • il lui est reproché d'avoir manqué de rigueur et de méthodologie dans la mise en œuvre et la gestion des contrôles internes des activités de la banque, de clarté dans la structure des rapports d'audit préjudiciable au personnel de la banque et à la banque elle-même, et de ne pas avoir respecté le délai de réalisation du plan annuel de contrôle périodique, ce qui s'apparente à des fautes professionnelles,

  • l'employeur a ainsi cherché à contourner les garanties offertes par la Convention collective au salarié licencié pour un motif disciplinaire,

Sur le motif de la rupture :

  • il n'a jamais eu la moindre observation orale sur son travail et encore moins écrite,

  • l'employeur produit une évaluation professionnelle du 12 décembre 2016 à laquelle il n'a jamais participé,

  • les seules évaluations contradictoires sont celles réalisées avec l'ancienne direction et concernent le poste de responsable de la conformité qu'il a occupé de 2006 jusqu'en 2014,

  • il est donc légitime d'en tenir compte pour juger son comportement professionnel,

  • ces évaluations démontrent son niveau de professionnalisme et contredisent les allégations de la nouvelle direction,

  • contrairement à ce qu'indique la banque, il n'était pas mal à l'aise avec les responsabilités afférentes à ses missions de responsable contrôle permanent et conformité, comme en attestent les évaluations tenues avant l'arrivée de la société ANDBANK,

  • en revanche, il était mal à l'aise avec l'éthique des affaires de la nouvelle Direction dans le domaine de la lutte contre le blanchiment de capitaux,

  • il a ainsi adressé plusieurs courriels à la Direction Générale, en vain,

  • le manque d'éthique de la Direction a même déclenché une procédure pénale personnelle à son encontre,

  • ce contexte l'a poussé à solliciter un changement de poste,

  • la banque ne démontre aucunement les prétendus avertissements oraux qu'elle lui aurait adressés, et pour cause,

  • concernant les délais du plan de contrôle périodique, la seule contrainte calendaire précise existante concerne la transmission du rappel annuel à l'Autorité de contrôle prudentiel et de Résolution (A.C.P.R.), et ce à la fin avril qui suit l'année d'exercice du plan de contrôle périodique,

  • la banque confond les obligations réglementaires portant sur la réalisation d'un plan annuel de contrôle périodique avec le respect d'obligations calendaires. Il n'existe aucun écrit réglementaire sur la finalisation dudit plan annuel avant le 31 décembre de l'année d'exercice,

  • il existe six étapes de validation des rapports d'audit tel que prévu et validé par la Direction générale de Monaco et la Direction de l'audit interne de la maison mère,

  • c'est bien ce process de validation qui allonge sensiblement la durée de publication des rapports d'audit,

  • la sous-traitance de ces missions ne correspondait aucunement à une faveur que lui aurait faite la direction pour alléger son travail, mais elle est une solution obligée pour une petite banque qui doit faire face à des obligations réglementaires lourdes avec des moyens internes limités,

  • toutes les missions du contrôleur périodique reposent sur une seule personne et elles ne se limitent pas à la réalisation de missions d'audit,

  • il n'est pas responsable de la maîtrise des délais, de l'efficacité du dispositif de contrôle et des moyens affectés à la fonction de contrôle périodique,

  • il n'avait aucun pouvoir hiérarchique dans la banque,

  • le nombre de versions des rapports est lié au process même de validation des rapports. Des immixtions de la hiérarchie andorrane dénotent également un manque d'indépendance dans l'exercice de ses fonctions,

Sur le caractère abusif du licenciement :

  • il a fait l'objet d'un licenciement abusif, consistant dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux et qui a été mis en place dans la précipitation,

  • le véritable motif de son licenciement réside dans sa rigueur et son professionnalisme, lesquels gênaient la direction dans son activité,

  • il a été licencié à l'âge de cinquante-cinq ans, après onze ans et neuf mois dans cet établissement,

  • malgré ses recherches actives, il est toujours à la recherche d'un emploi,

  • le montant des allocations chômage auquel se réfère l'employeur va entraîner une perte de 44,4 % de ses revenus annuels bruts,

  • il subit également un préjudice moral très important.

La S.A.M. ANDBANK MONACO a déposé des conclusions les 10 janvier 2019, 17 octobre 2019 et 7 juillet 2020 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et sollicite reconventionnellement une somme de 10.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Elle soutient essentiellement que :

Sur le licenciement :

  • aucun fait fautif n'est reproché au salarié de sorte que seules les dispositions de l'article 32 de la Convention Collective étaient applicables,

  • à aucun moment, il n'a été reproché au salarié une quelconque mauvaise volonté ou faute dans l'exécution de ses obligations professionnelles,

  • Monsieur b. P. le reconnaît d'ailleurs dans ses écritures,

  • si Monsieur b. P. n'a pas pu améliorer la qualité de son travail, c'est bien qu'il en était incapable,

  • l'absence d'évaluation professionnelle ne peut faire obstacle au licenciement d'un salarié pour insuffisance professionnelle,

  • les évaluations professionnelles du demandeur tenues jusqu'en 2011 ne peuvent être prises en considération pour apprécier les capacités de celui-ci à son nouveau poste de responsable du contrôle périodique puisqu'elles concernent une fonction différente,

  • une évaluation professionnelle a bien été réalisée en décembre 2016 par Monsieur g. G. Administrateur délégué, même si elle n'a pas été finalisée officiellement,

  • il en est très clairement ressorti une insatisfaction générale sur la qualité du travail de Monsieur b. P.

  • le demandeur devait réaliser, en conformité avec les plans d'audits définis, les missions de contrôle utiles, puis les rapports y relatifs dans les délais impartis,

  • cependant, Monsieur b. P. n'a jamais été en mesure, depuis sa prise de fonction en qualité de Contrôleur périodique, de mener à bien ses missions d'audit conformément à ce qui était attendu,

  • l'ensemble des projets de rapports de missions d'audit de Monsieur b. P. était affecté d'un manque de clarté rédactionnelle et contenait de nombreuses erreurs, incohérences et approximations,

  • les projets de rapports devaient systématiquement faire l'objet de nombreuses révisions et corrections, tant sur la forme que sur le fond,

  • pourtant, Monsieur b. P. disposait d'une certaine expérience professionnelle,

  • cette situation impactait véritablement le fonctionnement des différents services audités,

  • contrairement à ce qu'indique le demandeur, il existe bien deux délais distincts imposés par la réglementation bancaire, lesquels doivent être impérativement respectés par le contrôle périodique et donc par Monsieur b. P.

  • ce dernier n'a jamais respecté le délai fixé au 31 décembre pour le plan annuel d'audit, ce qui engendrait un retard dans la mise en œuvre du plan annuel d'audit pour l'année nouvelle et un retard dans l'élaboration du rapport sur le contrôle interne à transmettre à l'A.C.P.R. au plus tard le 30 avril,

  • la rédaction de rapports truffés d'erreurs, de non-sens ou d'approximations peut prendre du temps au correcteur et l'on peut donc aisément comprendre et admettre les délais de traitement qui en résultent,

  • il appartenait à Monsieur b. P. de produire un travail de qualité, d'anticiper et de prendre en compte les différents aléas afin de pouvoir finaliser et rendre ces rapports de mission pour diffusion avant le 31 décembre de chaque année,

  • Monsieur b. P. n'a perçu aucun bonus de performance de l'année 2015 jusqu'à son licenciement, alors qu'une majorité de ses collègues en ont bénéficié,

Sur le caractère abusif de la rupture :

  • Monsieur b. P. ne verse aucun élément quant à sa situation professionnelle actuelle,

  • celui-ci ne démontre aucune difficulté financière, morale ou encore professionnelle.

La S.A.M. ANDBANK MONACO sollicite également de voir rejeter des débats les pièces n° 26, 27 et 28 produites par Monsieur b. P. au motif qu'il s'agit d'éléments internes à la banque et par nature confidentiels.

SUR CE,

Sur le rejet des débats des pièces n° 26, 27 et 28 produites par Monsieur b. P.

Le secret bancaire est l'obligation, pour l'ensemble des membres des organes de direction et de surveillance des établissements de crédit, ainsi que leurs employés exerçant une activité bancaire, de taire les informations de nature confidentielle qu'ils possèdent sur leurs clients ou des tiers. Le professionnel ne respectant pas cette obligation encourt des sanctions à caractères civil, pénal et disciplinaire.

Le secret professionnel, auquel est soumis un établissement de crédit et dont la vocation est la protection du client, n'est pas absolu.

Le banquier, en sa qualité d'employeur, ne peut se prévaloir du secret bancaire, lequel ne constitue pas un empêchement légitime opposable au Juge prud'homal tenu au contrôle du motif du licenciement.

La production en justice de documents couverts par le secret professionnel ne peut être justifiée que lorsque cela est strictement nécessaire à l'exercice des droits de la défense du salarié dans le litige l'opposant à son employeur.

Le salarié ne peut communiquer les documents de l'entreprise que dans le but d'assurer sa défense devant le Conseil de prud'hommes.

Les documents produits par le salarié doivent concourir à la résolution du litige prud'homal et être « strictement nécessaires  » à la défense du salarié, « les seuls à justifier  » ses allégations.

En l'espèce, les pièces litigieuses sont constituées de trois emails adressés par Monsieur b. P. à des collègues de travail et la Direction générale, le salarié indiquant que ces documents justifient sa demande de changement de poste.

Les parties sont, à ce titre, en désaccord sur les raisons de la mobilité interne de Monsieur b. P. l'employeur soutenant qu'elle est intervenue dans la mesure où le salarié n'était pas à l'aise dans ses précédentes fonctions, Monsieur b. P. soutenant qu'il a lui-même demandé ce changement de poste dans la mesure où il était mal à l'aise avec l'éthique des affaires de la nouvelle Direction dans le domaine de la lutte contre le blanchiment de capitaux.

Il convient de rappeler que Monsieur b. P. a été licencié pour insuffisance professionnelle, l'employeur invoquant dans la lettre de licenciement le changement de poste du salarié pour justifier la rupture du contrat de travail.

Il résulte de ces éléments la production de tels documents couverts par le secret professionnel est strictement nécessaire aux droits de la défense du salarié, le Tribunal devant déterminer s'ils sont suffisants à démontrer les allégations de Monsieur b. P. sur les raisons de sa mobilité interne.

Un salarié, lorsque cela est nécessaire à l'exercice des droits de sa défense dans le litige l'opposant à son employeur, peut produire en justice des documents dont il a eu connaissance à l'occasion de ses fonctions, et ce même s'il s'agit de documents confidentiels ou couverts par le secret professionnel.

Par ailleurs, il n'est pas démontré que Monsieur b. P. aurait obtenu de manière frauduleuse lesdits documents, s'agissant de courriels qu'il a écrits, lesquels apparaissent nécessaires à l'exercice de ses droits à la défense.

Il existait également un risque de déperdition des preuves postérieurement au licenciement, s'agissant de courriels pouvant être effacés.

Enfin, le contenu de ces mèls est particulièrement sensible et tenant l'absence de réponse de la Direction, il ne peut être reproché au salarié d'en avoir réalisé une copie.

Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de rejet présentée par la S.A.M. ANDBANK MONACO.

Sur la procédure préalable au licenciement

Selon le demandeur, son licenciement serait abusif dès lors que l'employeur n'aurait pas réuni le Conseil de discipline en application de l'article 27 de la Convention collective monégasque du travail du personnel des banques.

Cependant cet article n'exige la délivrance d'un avis préalable par le Conseil de discipline qu'en cas de sanction disciplinaire du second degré, au nombre desquelles ne figure pas le licenciement.

L'article 25 1. évoque, s'agissant de la toute première disposition du Chapitre VI intitulé « Discipline et sanctions - Conseil de discipline Requêtes et Réclamations », l'insuffisance de travail et l' insuffisance professionnelle comme pouvant toutes deux donner lieu à une observation de la Direction, seuls les 3 et 4 de l'article 25 détaillent par la suite l'insuffisance de travail, comme résultant de la mauvaise volonté de l'intéressée et édictent qu'elle est passible, comme tout manquement aux règles de la discipline ou pour toute faute, y compris les fautes professionnelles, d'une sanction disciplinaire.

L'article 32 énonce que l'insuffisance résultant d'une incapacité physique, intellectuelle ou professionnelle est un motif de licenciement, indépendamment de l'application des dispositions relatives aux sanctions disciplinaires, sous réserve qu'il ne soit démontré que cette incapacité n'est due qu'à un mauvais état de santé passager et qu'il doit en être valablement déduit que pour ce motif de rupture de la relation de travail, l'employeur n'est pas tenu de recueillir au préalable l'avis du Conseil de discipline.

Dès lors, lorsque la Direction d'un établissement bancaire entend prononcer à l'encontre d'un salarié, auquel elle reproche une insuffisance de travail, un manquement à la discipline ou même simplement des fautes à caractère professionnel, une sanction du deuxième degré, telle que la révocation, celle-ci doit obligatoirement requérir préalablement l'avis d'un Conseil de Discipline dans les conditions prévues à l'article 27 de l'Accord collectif susvisé.

En l'espèce, l'employeur reproche notamment au salarié des fautes professionnelles qu'il qualifie d'insuffisance professionnelle, à savoir : « depuis votre prise de fonction, vous n'avez jamais respecté le délai de réalisation dudit plan annuel. Chaque année, vous concluez la réalisation de ce plan, tout au mieux, vers la fin du mois de mars de l'année suivante, voire dans le courant du mois d'avril (soit avec plus de 3 mois de retard), mettant ainsi notre établissement en délicatesse par rapport à ses obligations réglementaires à l'égard de l'A.C.P.R. ».

Dans ces circonstances, la S.A.M. ANDBANK MONACO avait l'obligation, en application des dispositions des articles 25 alinéas 3, 4 et 27 de la Convention Collective Monégasque de Travail des Banques de recueillir l'avis du Conseil de Discipline avant de notifier à Monsieur b.P.la sanction du deuxième degré que constitue son licenciement.

Cet avis n'ayant en l'espèce pas été obtenu, ni au demeurant sollicité par la banque, la rupture du contrat de travail de Monsieur b. P. revêt, en la forme, un caractère irrégulier.

Sur la validité du motif

Il appartient à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de licenciement.

En l'espèce, Monsieur b. P. a été licencié par lettre remise en main propre et recommandée avec accusé de réception du 20 décembre 2017 ainsi libellée :

« Monsieur P.

(...).

Compte tenu de votre attitude et en l'absence de vos éléments contradictoires, nous n'avons pas été en mesure de revoir la situation à la lumière de vos réponses et arguments éventuels, et nous vous informons dès lors par la présente notre décision de rompre votre contrat de travail pour les motifs suivants :

Vous avez été embauché en qualité de »Responsable Contrôle permanent et Conformité« au statut cadre de classe VII à compter du 3 avril 2006 et avez rempli ces fonctions pendant près de sept années.

Toutefois, en début d'année 2014, vous nous avez fait part de certaines difficultés, d'une certaine lassitude que vous rencontriez au quotidien dans la gestion courante de vos tâches, ressentie également au regard du caractère ingrat de cette fonction, et du fait que vous étiez mal à l'aise avec certaines responsabilités y afférentes.

Soucieux de votre situation, nous avons alors étudié les opportunités de nouvelles affectations que nous pouvions vous proposer, à un poste moins pesant pour vous, afin de vous permettre de vous épanouir et de vous offrir de nouvelles opportunités professionnelles.

C'est dans ce contexte que nous vous avons proposé une réaffectation, à compter du 5 mai 2014, au poste de »Responsable du Contrôle périodique«, n'emportant aucune modification de votre rémunération et de votre classification, poste pour lequel vous nous aviez fait part de votre enthousiasme et du fait qu'il se trouverait plus adapté à vos capacités, vos compétences et votre expérience passée. Nous vous avons renouvelé notre confiance en souhaitant vivement que cette mobilité interne s'avère satisfaisante pour les deux parties.

Cependant, nous constatons, depuis le début de votre prise de fonctions, que vous manquez considérablement de rigueur et de méthodologie dans la mise en œuvre et la gestion des contrôles internes des activités de la banque que vous devez réaliser annuellement.

Vous manquez de clarté et de structure dans la rédaction de vos rapports d'audit, ce qui a pour conséquence directe de faire perdre du temps, non seulement à l'ensemble des collaborateurs que vous auditez au sein de leurs activités internes, mais aussi aux membres de la Direction de la maison mère et locale, qui doivent relire et valider vos rapports de mission.

En effet, nous avons constaté qu'il n'est pas rare que vos projets de rapports d'audit doivent être repris de nombreuses fois et fassent trop souvent l'objet en moyenne de plus de 8 versions successives en raison notamment d'une grande confusion et d'imprécisions dans leur formulation. La qualité du travail fourni n'est, dès lors, pas celle que l'on peut attendre d'un Contrôleur Périodique avec autant d'expérience que la vôtre. Surtout que ces rapports d'audit doivent être présentés in fine au Comité des Risques et au Conseil d'administration de notre Banque et qu'ils doivent également faire obligatoirement l'objet d'une synthèse à transmettre ay plus tard le 30 avril de l'année suivante à l'ACPR, impliquant notamment qu'ils fassent l'objet d'une grande clarté et d'une grande qualité technique et rédactionnelle sans faille.

Cette importante insuffisance est d'ailleurs traduite par votre évaluation professionnelle réalisée le 12 décembre 2016 par notre Administrateur délégué, Monsieur g. G. laquelle fait ressortir un résultat global de seulement 54,26 % alors que cela faisait déjà près de 3 années que vous vous trouviez à ce poste de travail. Ce résultat, à peine supérieur à la moyenne, ne peut être jugé comme satisfaisant au regard de votre expérience passée, s'agissant de plus d'une fonction que vous aviez déjà exercée pendant plus de 4 années auprès d'un employeur précédent, et tenant compte aussi du caractère clé de la fonction que vous occupez.

En outre, dans le courant du mois de décembre de chaque année, le Comité des Risques et le Conseil d'administration approuvent le » plan d'audit « de l'année suivante, détaillant le programme des inspections et missions à réaliser par vos soins au cours de l'année à venir. Ce plan doit être mené à bien, chaque année, sur l'année civile concernée et doit donc être nécessairement clôturé au 31 décembre. Ledit plan est aussi communiqué à notre autorité de contrôle bancaire, l'ACPR, à l'égard de laquelle il doit naturellement être respecté.

Pourtant, depuis votre prise de fonction, vous n'avez jamais respecté le délai de réalisation dudit plan annuel. Chaque année, vous concluez la réalisation de ce plan, tout au mieux, vers la fin du mois de mars de l'année suivante, voire dans le courant du mois d'avril (soit avec plus de 3 mois de retard), mettant ainsi notre établissement en délicatesse par rapport à ses obligations réglementaires à l'égard de l'ACPR.

Pire, cet important retard se trouve d'autant moins justifié car chaque année, depuis votre prise de poste, nous faisons intervenir des équipes de Contrôle périodique externes (principalement de notre maison mère) pour la réalisation de certaines missions que nous considérons sensibles ou particulières, inclues dans votre Plan d'audit annuel, vous allégeant de ce fait d'une partie non négligeable (en moyenne 20% des missions d'audit prévues au plan annuel) des tâches dévolues à votre fonction.

Enfin, nous relevons que les trois mois de retard que vous enregistrez, depuis près de 3 ans, à chaque début de nouvelle année pour finir votre programme de l'année précédente, ont pour effet de ne pas vous permettre de progresser dans la réalisation du plan de missions de l'année nouvelle, avec pour conséquence directe, l'accumulation d'un retard à répétition.

À diverses reprises nous vous avons informé de votre insatisfaction quant à ces retards, pourtant, cette année encore, vous ne respectez pas les délais fixés et ne réaliserez pas la totalité du plan annuel pourtant défini obligatoirement sur 12 mois.

Nous ne saurions tolérer plus avant cette situation pour laquelle nous avons d'ores et déjà été très patients. En effet, vous avez eu largement le temps d'éprouver ce poste de travail : plus de trois années au sein de notre Banque, poste le plus exercé aussi auparavant auprès d'un autre employeur pendant près de quatre années.

Pourtant, malgré nos différentes observations orales relatives à ces insuffisances cumulées, nous n'avons malheureusement constaté aucun changement dans la qualité de votre travail, bien au contraire, et, une nouvelle fois et pour les mêmes raisons telles qu'exposées ci-avant, vous ne serez pas en mesure de tenir les délais impartis.

Dans ces conditions, nous ne pouvons laisser perdurer une telle situation qui démontre une inadéquation entre les fonctions pour lesquelles vous avez été embauché et vos réelles capacités. Nous nous voyons donc dans l'obligation de vous notifier votre licenciement pour insuffisance professionnelle sur le fondement de l'article 32 de la convention collective du personnel des banques.

(...) ».

Il n'est pas contesté que l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir patronal et le Juge ne peut prétendre y substituer son appréciation ; néanmoins, il convient pour celui-ci de vérifier que ses exigences étaient justifiées.

Pour constituer une cause de licenciement, l'insuffisance professionnelle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables. Il revient au Juge de vérifier l'incompétence alléguée par l'employeur, laquelle ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de celui-ci mais doit reposer sur des éléments concrets pour constituer un motif valable de licenciement.

Il incombe en conséquence à l'employeur d'apporter au Juge des éléments objectifs à l'appui des faits qu'il invoque comme propres, selon lui, à caractériser l'insuffisance professionnelle dont il se prévaut.

Elle ne résulte pas nécessairement d'un comportement volontaire mais révèle l'inaptitude du salarié à assumer ses fonctions, son incompétence.

L'insuffisance professionnelle se trouve caractérisée par l'inaptitude du salarié à exercer sa prestation de travail dans des conditions que l'employeur pouvait légitimement attendre en application du contrat et devait reposer sur des éléments matériels précis et objectifs imputables au salarié ; elle se manifeste dans les répercussions en tant qu'elle perturbe la bonne marche de l'entreprise.

Le Tribunal relève dans un premier temps que l'employeur produit en pièces nos 20 à 22 des courriels non traduits en français, de sorte que ces documents ne seront pas retenus.

Monsieur b. P. a été licencié pour insuffisance professionnelle dans le cadre de ses fonctions de responsable du contrôle périodique, lesquelles ont fait l'objet d'une fiche de poste, ainsi libellée :

« (...).

Plan de contrôle périodique triennal : Fréquence : Annuel :

Proposition du plan triennal auprès de l'Administrateur délégué, du Chief Auditor Officer du Groupe et au Comité des Risques.

Suivi de l'avancement du plan triennal.

Plan de contrôle périodique annuel selon la méthodologie définie par le Groupe Andbank :

Définition des champs d'audit des différentes missions d'audit (fréquence : permanent). Exécution des contrôles relatifs aux missions d'audit (fréquence : permanent).

Rédaction des missions des rapports d'audit (fréquence : permanent).

Réception des réponses des responsables opérationnels et de la Direction Générale (fréquence : permanent). Suivi de l'avancement du plan annuel (fréquence : mensuel).

Reporting à l'Administrateur Délégué (fréquence : mensuel).

Suivi des recommandations avec l'outil SIT du Groupe :

Suivi des recommandations du Contrôle périodique, des Commissaires aux comptes et des Autorités de tutelle, auprès des responsables d'action (fréquence : permanent).

Relations avec les tiers :

Relations avec les lignes de contrôle de 1er niveau (fréquence : permanent).

Relations avec les fonctions de conformité, de Contrôle permanent et de Gestion des risques (fréquence : permanent).

Dans le cadre de leurs missions, relations avec les autorités de tutelle, l'ACPR, la CCAF, et les Commissaires aux comptes (fréquence : ponctuel)

Relations avec le Groupe :

Reporting au Global Audit Committee (fréquence : mensuel).

Suivi budgétaire du Plan de Contrôle périodique (fréquence : mensuel). Demandes et enquêtes spécifiques (fréquence : ponctuel).

Périmètre de responsabilité :

Responsable du Contrôle périodique au sein d'Andbank Monaco, conformément à l'article 17 de l'arrêté du 3 novembre 2014 (fréquence : permanent).

Autorisation d'examiner toutes les activités et fonctions de la banque, y compris celles externalisées à Monaco, à l'étranger, auprès du Groupe (fréquence : permanent).

Comités :

Invité ponctuel au Comité des risques, élaboration du reporting trimestriel à son attention (fréquence : trimestriel).

Destinataire des comptes rendus des différents comités de l'Entreprise (fréquence : permanent).

Autres tâches : (fréquence : ponctuel)

Exécution de missions spécifiques sur instruction de l'administrateur délégué ;

Sécurité des locaux (porteur des clés de la Banque, correspondant en back up de la Sûreté publique)  ».

La lettre de licenciement fait état de deux griefs qu'il convient de reprendre :

Sur le manque de clarté et de structure dans la rédaction des rapports de missions d'audit.

Pour justifier ce grief, l'employeur produit les éléments suivants : un procès-verbal de constat établi le 8 novembre 2018 par Maître ESCAUT-MARQUET, Huissier de justice, duquel il ressort que les rapports d'audit attribués à Monsieur b. P. ont fait l'objet de plusieurs versions entre 2014 et 2017 (confirmé par le procès-verbal de constat établi le 26 août 2019) :

  • 10 versions entre le 28/08 et le 14/11/2014,

  • 16 versions entre le 28/07 et le 14/11/2014,

  • 13 versions entre le 20/06 et le 14/11/2014,

  • 9 versions entre le 02/02 et le 10/11/2015,

  • 12 versions entre le 09/10/2015 et le 22/02/2016,

  • 11 versions entre le 23/12/2015 et le 26/02/2016,

  • 11 versions entre le 15/06 et le 22/09/2016,

  • 13 versions entre le 10/08 et le 06/12/2016,

  • 11 versions entre le 10/11/2016 et le 03/03/2017,

  • 13 versions entre le 07/03 et le 23/05/2017,

  • 13 versions entre le 24/05 et le 21/09/2017.

L'employeur estime qu'il est inadmissible que les rapports litigieux fassent l'objet de projet pouvant atteindre dix, voire douze ou treize versions avant la version définitive, et ce pour un salarié aussi expérimenté que Monsieur b. P.

Monsieur b. P. justifie ces nombreuses versions par le process de validation des rapports d'audit et produit à ce titre en pièce n° 31 un échange de mèls en anglais avec sa traduction libre en français non contestée :

  • courriel du 13 novembre 2015 à 9 h 17 de Monsieur b. P. à Messieurs R. L., g. G. et G R M. dont l'objet est : « process de validation de rapport d'audit.

Dans le prolongement de la nouvelle méthode d'évaluation, je propose le process de validation du rapport d'audit, une fois le rapport rédigé :

  • Les incidents identifiés lors de l'audit doivent être discutés avec l'encadrement opérationnel impliqué directement par sous-processus, afin d'obtenir des plans d'action formels et des dates d'engagement pour leur résolution.

  • Ensuite, le projet de rapport doit être validé par l'Audit Interne d'Andorre en ce qui concerne l'application correcte de la méthode et du découpage utilisé en sous-processus organisationnels.

  • Ensuite, le plan d'action est soumis au Dirigeants Exécutive de la conformité.

(la Direction exécutive est à minima M. G. et M. G R. si ceux-ci ne sont pas déjà impliqués dans le premier cycle de définition du plan d'action).

À la fin, le rapport final est à nouveau envoyé à l'Audit interne d'Andorre pour un contrôle final avant publication.

Merci pour vos commentaires et meilleure salutation ».

  • courriel du même jour à 9h42 de Monsieur G R M. à Messieurs b. P., R.L., g.G.et G R M.:

« b. ça va pour moi. Néanmoins, j'estime que les incidents critiques devraient être communiqués immédiatement à la direction locale, même s'ils n'étaient toujours pas vérifiés par l'Audit du Groupe.

Salutations ».

  • courriel du même jour à 20 h 49 de Monsieur g. G. à Messieurs G R M., b. P. et R. L. :

« OK pour moi merci ».

Monsieur b. P. fait ainsi état de six étapes dans le processus de validation des rapports d'audit, ce qui n'est pas contesté par l'employeur.

Bien plus, ce dernier n'a jamais émis, en son temps, la moindre critique ou réserve sur l'élaboration desdits rapports par le demandeur, conformément à la procédure reprise ci-dessus.

Le salarié produit sur ce point en pièces n° 32 à 35, 43, 44, 88, 89, 90, 92, 93 et 94 des échanges de courriels pendant l'élaboration des rapports d'audit, démontrant ainsi les allégations de Monsieur b. P. quant aux modifications demandées par les différents services concernés.

Enfin, l'employeur ne produit aucune évaluation professionnelle de Monsieur b. P. dans laquelle il aurait pu attirer l'attention de son salarié sur les carences qui lui sont reprochées aujourd'hui ; et ce, en méconnaissance des dispositions de l'article 24 de la Convention collective applicable :

« Les agents sont notés par écrit selon la périodicité en usage dans chaque entreprise et au moins une fois tous les deux ans. À cette occasion, chaque agent doit être informé de l'appréciation de ses services, telle qu'elle est retenue par l'employeur. Les agents auxiliaires doivent être notés avant la fin de la période de stage.

Les notes sont communiquées par écrit aux intéressés et commentées au cours d'un entretien avec ceux qui les ont établies. Les intéressés les visent pour prendre acte de leur communication et ont la faculté d'y inscrire leurs observations. Sur leur demande, lesdites notes pourront leur être remises ».

L'employeur produit en pièce n° 8 un document qu'il intitule « évaluation professionnelle du 12 décembre 2016 », lequel ne saurait être retenu comme tel.

En effet, il s'agit d'un document ne comportant aucune signature (ni de l'évaluateur, ni de l'évalué), aucun cadre n'est prévu pour les commentaires éventuels du salarié et les notes correspondantes n'ont jamais été communiquées à ce dernier.

Ce document est par ailleurs écrit en anglais, en espagnol et catalan.

Ce faisant, l'employeur ne saurait reprocher au salarié des faits qu'il a tolérés de nombreuses années et sur lesquels il s'est bien gardé d'attirer l'attention de celui-ci.

Sur les retards dans la finalisation du plan annuel d'audit pour la fin de chaque année civile

Les parties sont en désaccord sur la date limite à laquelle ce rapport doit être déposé : 31 décembre de l'année en cours pour l'employeur, fin avril de l'année suivante pour Monsieur b. P.

Les parties visent ainsi les dispositions de l'arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque, des services de paiement et des services d'investissement soumises au contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

« Article 25 :

(...).

Un programme des missions de contrôle est établi au moins une fois par an en intégrant les objectifs annuels des dirigeants effectifs et des orientations de l'organe de surveillance en matière de contrôle.

Article 258 :

Au moins une fois par an, les entreprises assujetties élaborent un rapport sur les conditions dans lesquelles le contrôle interne est assuré ».

Force est de constater que ces articles ne contiennent aucune date butoir pour le dépôt du rapport idoine, si ce n'est qu'il doit être établi au moins une fois par an.

Il s'en déduit que ledit rapport peut être déposé après le 31 décembre de l'année concernée, sans que sa validité ne soit remise en cause ou que l'établissement bancaire puisse être sanctionné.

De plus, ces dispositions ne visent pas le rapport de contrôle interne mais les programmes des missions de contrôle et les conditions dans lesquelles le contrôle a été réalisé.

L'établissement du rapport de contrôle interne est visé par l'annexe à la lettre du Secrétaire général de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution à la Directrice générale de l'Association française des établissements de crédit et des entreprises d'investissement de juillet 2018 intitulé « Rapport sur le contrôle interne Etablissements de crédit, sociétés de financement et entreprises d'investissement (Rapport établi en application des articles 258 à 266 de l'arrêté du 3 novembre 2014(...) » :

(...).

Ce rapport a pour objet de rendre compte de l'activité du contrôle interne au cours de l'exercice écoulé et de retracer les dispositifs de mesure, de surveillance, d'encadrement des risques auxquels l'établissement est exposé et de diffusion d'information à leur sujet.

(...).

Le rapport de contrôle interne doit être remis au SGACPR au plus tard :

  • Le 31 mars suivant la fin de chaque exercice pour les groupes et les établissements soumis à la supervision directe de la Banque centrale européenne, à l'exception de la partie relative à la politique et aux pratiques de rémunération qui peut être remise au plus tard le 30 avril suivant la fin de chaque exercice ;

  • Le 30 avril suivant la fin de chaque exercice pour les autres assujettis, y compris la partie relative à la politique et aux pratiques de rémunération pour les établissements qui y sont soumis.

(...) ».

Il résulte ainsi de ces dispositions que le rapport de contrôle interne devait être déposé au plus tard le 30 avril de l'année suivante, de sorte que le grief tenant au retard dans le dépôt de ce rapport, après la fin de chaque année civile, ne sera pas retenu, l'employeur ne démontrant aucunement que Monsieur b. P. déposait les rapports de contrôle interne après le 30 avril suivant la fin de chaque exercice.

Il en résulte que la défenderesse n'établit pas en quoi Monsieur b. P. a concrètement manqué au professionnalisme attendu de lui qui aurait perturbé la bonne marche de l'entreprise ou été préjudiciable aux intérêts de celle-ci.

Cette insuffisance professionnelle ne peut, faute d'éléments concrets, être considérée comme établie. Il résulte que le licenciement de Monsieur b. P. n'apparaît pas fondé sur des motifs valables.

Sur le caractère abusif du licenciement

Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve.

Il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné.

En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.

Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal, ce qui ne s'avère pas être le cas en l'espèce.

L'analyse qui précède a permis de constater que le grief énoncé dans la lettre de licenciement s'est avéré infondé.

Pour autant le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.

Au cas particulier, Monsieur b. P. sollicite d'être indemnisé à hauteur de la somme de 250.000 euros en réparation de ses préjudices.

S'agissant d'un motif non valable, il n'est pas, pour autant, automatiquement fallacieux.

Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper ».

Par ailleurs, le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur ; à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ».

En effet, en droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif.

Monsieur b. P. qui a la charge de la preuve à ce titre, ne démontre pas que le licenciement serait intervenu pour une autre cause que celle visée dans la lettre de licenciement.

Il soutient que le véritable motif inavouable de son licenciement résiderait dans sa rigueur et son professionnalisme, lesquelles gênaient la direction de la banque, mais ne produit aucun élément susceptible d'étayer ses allégations.

Dans ces circonstances, la décision de rupture n'est pas fondée sur un motif fallacieux et ne présente donc pas en elle-même un caractère fautif ; ainsi, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement ;

En ne sollicitant pas l'avis du Conseil de discipline, la S.A.M. ANDBANK MONACO a privé Monsieur b. P. des garanties prévues par l'article 27 de la Convention collective des banques, le non-respect de ces dispositions protectrices se traduisant concrètement pour l'intéressé par la perte de la chance qui lui était ainsi offerte d'obtenir de la part de cette instance un avis défavorable, susceptible de faire obstacle à son licenciement.

Bien plus, le Tribunal relève que la société défenderesse ne justifie pas avoir recherché la cause de l'insuffisance constatée, ni même avoir tenté de trouver des solutions alternatives pour conserver, le cas échéant, un employé disposant d'une ancienneté de onze ans et neuf mois.

De plus, l'employeur n'a aucunement envisagé, avant de prendre des mesures irréversibles, de notifier une sanction du 1er degré afin de marquer une position plus ferme sur les problèmes rencontrés (au demeurant non démontrés) et de permettre à Monsieur b. P. de prendre la réelle mesure de la nécessité de changer d'attitude.

Le demandeur soutient en outre que son licenciement s'est réalisé avec précipitation mais il ne détaille aucunement les circonstances dans lesquelles l'employeur aurait agi de la sorte.

Les pièces du dossier montrent que :

  • l'employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable, auquel celui-ci ne s'est pas rendu.

  • Monsieur b. P. a été licencié par lettre du 30 décembre 2017, l'employeur ayant pris un délai de réflexion avant de prendre la décision.

Dès lors, aucune précipitation ou brutalité ne peut être reprochée à l'employeur dans les circonstances entourant le licenciement.

Quant au préjudice invoqué, il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.

Les difficultés financières dont il est fait état sont en effet le résultat de la diminution de revenu, provoquée par la perte d'emploi et non la conséquence de la brutalité et de l'abus qui, à les supposer établis, auraient caractérisé le licenciement. De plus, le demandeur n'établit nullement en quoi ces difficultés matérielles auraient été provoquées par les circonstances fautives ayant entouré le licenciement, lesquelles n'ont d'ailleurs pas été retenues par le Tribunal. Elles ne peuvent être de nature à établir l'existence d'une faute dans la mise en œuvre de la rupture (Cour de révision, 26 mars 2014, Pourvoi n° 2013-17).

Le demandeur a perdu une chance d'obtenir l'avis de la Commission de discipline et de la Commission paritaire et de conserver un autre emploi au sein de l'entreprise, alors qu'il a incontestablement subi un préjudice moral important lié aux conditions dans lesquelles la rupture est intervenue et aux efforts limités de l'employeur pour comprendre et régler éventuellement les difficultés en cause.

Ainsi compte-tenu des éléments d'appréciation dont dispose le Tribunal et notamment l'âge de Monsieur b. P. lors de la notification de son licenciement (55 ans) et de son ancienneté de service (11 ans et 9 mois), de l'absence de toute sanction ou de toute remarque sur la qualité de son travail, le préjudice moral subi par celui-ci, consécutivement à la rupture de son contrat de travail sera équitablement réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 110 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

Sur la demande reconventionnelle de la défenderesse

Les prétentions de Monsieur b. P. ayant été déclarées fondées, la société ANDBANK sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les dépens

Partie succombante, la S.A.M. ANDBANK MONACO sera condamnée aux dépens.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de Monsieur b. P. par la S.A.M. ANDBANK MONACO ne repose pas sur une cause valable et revêt un caractère abusif ;

Condamne en conséquence la S.A.M. ANDBANK MONACO à payer à Monsieur b. P. la somme de 110 000 euros (cent dix mille euros) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Déboute la S.A.M. ANDBANK MONACO de ses demandes ;

Condamne la S.A.M. ANDBANK MONACO aux dépens du présent jugement.

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