Tribunal du travail, 8 avril 2021, Madame f. B. c/ la société anonyme monégasque dénommée CENTRE D'HÉMODIALYSE PRIVÉ DE MONACO
Abstract🔗
Licenciement - Validité du motif - Preuve incombant à l'employeur - Licenciement - Faute grave - Notion Procédure - Réaction immédiate de l'employeur nécessaire - Licenciement - Caractère abusif - Motif fallacieux - Dommages-intérêts en cas de faute de l'employeur et de préjudice subi par le salarié
Résumé🔗
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée.
La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis. Cette faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est découlé.
La faute grave implique une réaction immédiate de l'employeur qui doit engager la procédure de licenciement dans un délai restreint, dès lors qu'il a connaissance des fautes. Le licenciement pour faute grave n'implique pas nécessairement la mise en œuvre de la mise à pied conservatoire ; aucun texte n'oblige l'employeur à prendre une mesure conservatoire avant d'ouvrir une procédure de licenciement motivée par une faute grave. En effet, c'est au moment où il prononce le licenciement que l'employeur doit invoquer la gravité de la faute pour justifier un licenciement immédiat. Lorsque l'employeur convoque le salarié à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, la gravité de la faute reprochée au salarié peut ne pas être suffisamment évidente pour justifier une mise à pied conservatoire immédiate, cette dernière étant une mesure facultative. Le seul élément à prendre en considération est l'engagement de la procédure de licenciement dans un délai restreint.
Tout licenciement fondé sur un motif valable peut néanmoins présenter un caractère abusif si le salarié, auquel incombe la charge de cette preuve, démontre que l'employeur a méconnu certaines dispositions légales lors de la mise en œuvre de la rupture ou si les conditions matérielles ou morales de sa notification présentent un caractère fautif ou révèlent une intention de nuire ou la légèreté blâmable de l'employeur. Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper », ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné. En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 8 AVRIL 2021
En la cause de Madame f. B., demeurant X1 à L'ESCARÈNE (06440) ;
Demanderesse, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision n° 500 BAJ 19 du 16 mai 2019, ayant élu domicile en l'étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
La société anonyme monégasque dénommée CENTRE D'HÉMODIALYSE PRIVÉ DE MONACO, dont le siège social se situe 32 et 34 quai Jean-Charles REY à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Thomas BREZZO, avocat près la même Cour ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 24 octobre 2019, reçue le 25 octobre 2019 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 25-2019/2020 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 12 novembre 2019 ;
Vu les conclusions de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur au nom de Madame f. B. déposées les 16 janvier 2020 et 9 juillet 2020 ;
Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. CENTRE D'HÉMODIALYSE PRIVÉ DE MONACO, déposées les 19 juin 2020 et 12 novembre 2020 ;
Après avoir entendu Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Madame f. B. et Maître Thomas BREZZO, avocat près la même Cour, pour la S. A. M. CENTRE D'HÉMODIALYSE PRIVÉ DE MONACO, en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
Madame f. B. a été embauchée par la société anonyme monégasque dénommée CENTRE D'HÉMODIALYSE PRIVÉ DE MONACO (ci-après Centre) par contrat à durée déterminée du 16 février 2015 au 14 mars 2015, puis du 16 mars 2015 au 31 août 2015 et du 1er septembre 2015 au 12 septembre 2015 en qualité d'Infirmière D.E.
Un contrat à durée indéterminée a ensuite été régularisé le 9 septembre 2015 avec effet au 14 septembre 2015, avec une rémunération mensuelle brute de 1.616,57 euros sur la base de 117 heures de travail par mois.
Par courrier remis en main propre le 8 avril 2019, Madame f. B. a été convoquée à un entretien préalable devant se dérouler le 24 avril suivant.
La salariée a été licenciée pour faute grave par courrier remis en main propre le 29 avril 2019.
Par requête en date du 24 octobre 2019, reçue au greffe le 25 octobre 2019, Madame f. B. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :
dire et juger que son licenciement n'est fondé ni sur une faute grave, ni sur un motif valable et qu'il revêt un caractère abusif,
en conséquence,
condamner la S.A.M. CENTRE D'HÉMODIALYSE PRIVÉ DE MONACO à lui payer :
la somme brute de 5.716 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
la somme brute de 571,60 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
la somme de 5.830 euros à titre d'indemnité de licenciement,
le tout avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Tribunal du travail,
la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif toutes causes de préjudices confondus, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement à intervenir,
ordonner la délivrance par la S.A.M. CENTRE D'HÉMODIALYSE PRIVÉ DE MONACO d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle Emploi ainsi qu'un bulletin de salaire mentionnant les indemnités allouées et rectificatifs apportés et ce, dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir,
condamner la S.A.M. CENTRE D'HÉMODIALYSE PRIVÉ DE MONACO aux entiers dépens,
prononcer l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
Aucune conciliation n'ayant pu intervenir, le dossier a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.
Madame f. B. a déposé des conclusions les 16 janvier 2020 et 9 juillet 2020 dans lesquelles elle fait essentiellement valoir que :
il incombe à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de licenciement et notamment de rapporter la preuve que :
son comportement a nui gravement au traitement des patients : quels patients, dans quelle mesure, quelles nuisances, comment l'image du Centre a-t-elle été dégradée ?
quel dysfonctionnement dans la prise en charge des patients,
deux personnes sont toujours présentes pour brancher les patients,
le Centre dispose du nombre suffisant de personnel à cet effet,
elle a manqué de respect envers son supérieur hiérarchique,
elle provoqué l'altercation du 6 avril 2019,
l'employeur n'apporte aucune réponse sur ces différents points,
la lecture des rapports d'entretiens annuels produits par l'employeur démontre sa bonne volonté pour atteindre les objectifs sollicités et pour réaliser un travail de qualité au sein d'une équipe dans laquelle elle souhaiterait une meilleure coordination,
il résulte de l'attestation de Madame l. Q. qu'elle a repris ses fonctions comme à l'accoutumée, les patients ont été installés à l'heure et les branchements de dialyse effectués comme il se doit. Aucun retard n'a été à déplorer, ni aucune difficulté dans le branchement des dialyses des patients,
le premier grief n'est dès lors pas justifié,
concernant le manque de respect envers sa supérieure hiérarchique, elle reconnaît avoir répondu à Madame c. P. avec un ton élevé et peut être inapproprié, mais à l'identique de celui employé initialement par cette dernière,
elle s'est en outre retrouvée dans une situation d'incompréhension manifeste quant aux reproches qui lui étaient faits, étant rappelé qu'elle n'a fait que converser en toute quiétude, pendant son temps de pause, avec Madame e. T. sa collègue de travail, laquelle n'a d'ailleurs fait montre d'aucune réticence à cet effet,
celle-ci relate d'ailleurs les faits de manière tronquée et partiale,
elle n'a proféré ni insulte, ni injure à l'encontre de Madame c. P.
concernant le troisième grief, il résulte du témoignage de Madame l. Q. qu'elle n'est à l'origine d'aucun conflit ni d'aucune dispute. Elle n'a rien provoqué, se retrouvant, bien malgré elle, prise à partie par Madame c. P. dont la réaction et les propos à son encontre sont inappropriés et disproportionnés,
de surcroît, ce bref haussement de ton s'est déroulé dans une salle à couvert sans qu'aucun patient, ni transporteur n'ai pu entendre ni entrevoir quoi que ce soit,
elle n'est pas l'initiatrice ni l'instigatrice de l'altercation alléguée. Elle n'a strictement rien provoqué ayant été prise à partie par Madame c. P. particulièrement vindicative à son encontre sans la moindre raison légitime apparente,
ce troisième grief est totalement infondé,
cet incident isolé, qu'elle n'a pas provoqué, ne saurait légitimement justifier un licenciement en l'absence de toute sanction antérieure,
l'employeur a en outre commis une faute dans sa prise de décision de licenciement que dans la mise en œuvre de la rupture intervenue avec légèreté blâmable et de façon vexatoire,
les griefs reprochés remontent au 6 avril 2019, l'entretien préalable s'est déroulé le 24 avril 2019 et le licenciement pour faute grave est intervenu le 29 avril 2019,
la faute grave implique une réaction immédiate de l'employeur, inexistante en l'espèce,
la limite à ce principe réside dans le temps nécessaire à l'information de l'employeur pour apprécier le degré de gravité des agissements du salarié,
elle n'a fait l'objet d'aucune mise à pied conservatoire,
il s'est écoulé plus de trois semaines entre les faits reprochés et le licenciement, durant lesquelles elle a poursuivi normalement son travail,
la mesure de licenciement repose sur des faux motifs la rendant abusive,
le Centre a également commis une faute dans la mise en œuvre du licenciement en prononçant une sanction totalement disproportionnée aux faits commis et dans des circonstances vexatoires en l'incitant à la démission,
elle a subi un préjudice financier et également moral.
La S.A.M. CENTRE D'HÉMODIALYSE PRIVÉ DE MONACO a déposé des conclusions les 19 juin 2020 et 12 novembre 2020 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et sollicite reconventionnellement la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Le Centre soutient essentiellement que :
le 6 avril 2019, vers 10h30, Mesdames f. B. et l. Q. ont pris à partie Madame e. T. qui a fini en pleurs suite à cette discussion,
vers 12 h 15, Madame f. B. a souhaité une nouvelle fois s'en prendre verbalement à Madame e. T. et elle a exigé de façon peu courtoise que les patients en cours d'installation dans la grande salle de soins soient ramenés en salle d'attente et que ceux qui y étaient attendent,
Madame f. B. s'est alors attaquée verbalement à Madame e. T. de façon virulente et en hurlant,
l'altercation a été entendue par les patients, ce qui a été source de stress chez certains d'entre eux,
au bout de dix minutes, Monsieur a. B. a appelé Madame c P. supérieure hiérarchique de Madame f. B. afin de la calmer. Cette dernière lui a manqué de respect et a remis en cause son autorité,
à cause du retard provoqué par le comportement de Madame f. B. les infirmiers et aides-soignants ont dû installer seuls les patients sans l'aide des ambulanciers qui étaient déjà partis,
cet événement a causé un retard dans les soins de plusieurs patients dont certains ont été branchés jusqu'à trente-sept minutes après l'heure prévue,
de plus certains étant grabataires, il est nécessaire qu'ils soient installés à l'heure prévue par les ambulanciers qui doivent ensuite repartir,
afin d'essayer de rattraper le retard, plusieurs patients ont été branchés sous cathéter de Canaud par une seule infirmière alors que cet acte doit nécessairement être exécuté par deux soignants,
ce n'était pas la première fois que Madame e. T. subissait les agressions verbales de Madame f. B. Le 8 mars 2019, la première avait dénoncé auprès de sa hiérarchie les propos blessants que la seconde tenaient à son encontre ; Madame f. B. avait été convoquée et il lui avait été demandé de surveiller son comportement et ses propos avec ses collègues,
les attestations produites démontrent les griefs ayant fondé le licenciement de Madame f. B.
la salle de soins où a eu lieu la dispute est contigüe à la salle d'attente de sorte que les cris de Madame f. B. ont été nécessairement entendus,
les patients sont pour la plupart âgés et atteints de maladies chroniques et le Centre exige de ses salariés qu'ils respectent le besoin de quiétude de ceux-là,
certains patients ont été stressés, craignant que les infirmières, notamment Madame f. B. très nerveuses, ne soient pas capables de correctement effectuer l'acte médical,
l'image du Centre a donc été dégradée auprès de la totalité de sa patientèle,
au cours de l'entretien d'évaluation du 9 mai 2016, Madame f. B. a reconnu être « une grande gueule » et Madame l. Q. témoigne du fait qu'elle a un fort caractère,
Madame f. B. a fait l'objet de trois entretiens de recadrage en quatre ans,
chaque jour, trois séries de dialyse sont prévues : à 6 h 30, 12 h 30 et 18 h 30. Les ambulanciers qui accompagnent les patients grabataires aident également à leur installation en salle de soins,
or, l'altercation ayant duré plus de dix minutes, les ambulanciers ont dû partir en laissant les patients en salle d'attente,
le comportement de Madame f. B. a eu pour conséquence de mettre en danger les patients du Centre, ce qui ne peut être accepté,
les faits se sont déroulés le 6 avril 2019 et Madame f. B. a été convoquée le 8 avril 2019, soit le premier jour ouvré suivant, à un entretien devant se dérouler le 24 avril 2019,
le délai de deux semaines entre la convocation et l'entretien avait pour but de lui permettre de mener des investigations sur l'ampleur et la nature des faits, ce qui ne peut lui être reproché.
SUR CE,
Sur la validité du motif
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée.
La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis.
Cette faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est découlé.
En l'espèce, Madame f. B. a été licenciée par lettre du 29 avril 2019 ainsi libellée :
« Madame,
Suite à votre entretien préalable qui s'est tenu le 24 avril 2019 en présence des délégués du personnel, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave, compte tenu des éléments suivants :
Le samedi 6 avril 2019 pendant votre service, vous avez commis plusieurs fautes inacceptables et répréhensibles ayant nuit gravement au traitement de nos patients et à l'image de l'entreprise à savoir :
vous avez demandé de ne pas faire entrer les patients à l'heure prévue entraînant un dysfonctionnement de prise en charge (patients grabataires installés sans l'aide des ambulanciers branchement des patients sous cathéters de Canaud, à une personne alors que le protocole de service demande expressément deux soignants),
vous avez fait preuve d'un total manque de respect envers votre supérieur hiérarchique en poste (fait que vous avez reconnu),
vous avez provoqué une dispute en salle de dialyse en haussant la voix dégradant l'image du centre auprès des patients et des transporteurs.
Lors de l'entretien, vous nous avez fait part de vos remarques et observations, mais celles-ci ne nous ont pas permis de comprendre et d'excuser vos différents agissements. En conséquence, nous avons le regret de vous infirmer que nous prenons la décision de vous licencier pour les motifs évoqués ci-dessus pour faute grave.
(...) ».
Madame f. B. considère en tout état de cause que la gravité de la faute ne saurait être retenue dans la mesure où les griefs reprochés remontent au 6 avril 2019, l'entretien préalable s'est déroulé le 24 avril 2019 et le licenciement pour faute grave est intervenu le 29 avril 2019 ; la faute grave impliquant une réaction immédiate de l'employeur, inexistante en l'espèce.
Les dossiers des parties montrent que les faits litigieux ont eu lieu le samedi 6 avril 2019 et l'employeur a remis en main propre à la salariée la lettre de convocation à un entretien dès le lundi suivant, soit le 8 avril 2019.
La faute grave implique une réaction immédiate de l'employeur qui doit engager la procédure de licenciement dans un délai restreint, dès lors qu'il a connaissance des fautes.
Ces prescriptions ont été respectées dans le cas d'espèce par le Centre ainsi qu'il résulte de la chronologie des faits reprise ci-dessus.
Enfin, le court délai (16 jours) entre la lettre de convocation à l'entretien préalable et ledit entretien n'a pas non plus pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité.
Le licenciement pour faute grave n'implique pas nécessairement la mise en œuvre de la mise à pied conservatoire ; aucun texte n'oblige l'employeur à prendre une mesure conservatoire avant d'ouvrir une procédure de licenciement motivée par une faute grave.
En effet, c'est au moment où il prononce le licenciement que l'employeur doit invoquer la gravité de la faute pour justifier un licenciement immédiat.
Lorsque l'employeur convoque le salarié à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, la gravité de la faute reprochée au salarié peut ne pas être suffisamment évidente pour justifier une mise à pied conservatoire immédiate, cette dernière étant une mesure facultative.
Le seul élément à prendre en considération est l'engagement de la procédure de licenciement dans un délai restreint.
Ainsi qu'il a été relevé supra, la réaction de l'employeur a été immédiate, le délai entre la remise de la lettre de convocation à l'entretien préalable et ledit entretien ne pouvant en aucun cas remettre en cause la possibilité pour l'employeur d'invoquer la faute grave, puisque cette qualification est retenue par ce dernier lors de l'entretien préalable ou au plus tard dans la lettre de rupture.
Le délai invoqué par Madame f. B. a permis à la société défenderesse de réunir des éléments et d'apprécier le degré de gravité des griefs qui lui étaient reprochés.
La lettre de licenciement comporte trois griefs qu'il convient d'examiner.
Premier grief : « Vous avez demandé de ne pas faire entrer les patients à l'heure prévue entraînant un dysfonctionnement de prise en charge ».
Pour démontrer ce grief, l'employeur produit les éléments suivants :
Une attestation établie par Madame c. R. Infirmière au Centre, ainsi libellée :
« Madame B.
Je m'adresse à vous pour vous faire part de l'événement qui s'est déroulé le samedi 6 avril au sein de votre établissement. Étant en poste ce jour sur la plage horaire de 6h/15h, j'ai assisté à une scène de querelle entre deux collègues qui a pris une ampleur inappropriée dans le milieu du travail.
Peu de temps avant que nous commencions les débranchements de la 1ère série de patient vers 10h30, Mlle Q. et Mlle B. f. ont eu une explication avec Mlle e. T. sur divers sujets tant personnels que professionnels.
Puis, vers midi, f. non contente des explications données par e. sur leur désaccord revient à la charge en criant de manière hystérique sur e.
Après cela nous nous dirigeons vers les patients de la 2ème série pour commencer le branchement quand f. à donner l'ordre à un aide-soignant de ne plus faire rentrer de patient et de faire ressortir ceux déjà à l'intérieur.
(...) ».
Une attestation établie par Monsieur a. B. Aide-Soignant au Centre, ainsi libellée :
« Madame B f. IDE me demande de sortir de la salle de soins alors que j'avais un patient avec moi pour l'installation de ce dernier sur son poste de soin.
Propos de Madame B. : toi tu sors et tu attends que je finisse. Cela faisait plus de 10 minutes qu'elle criait sur sa collègue, Mademoiselle e. T.
(...) ».
Une attestation établie par Madame e. T. Infirmière au Centre, ainsi libellée :
« Madame, Monsieur,
Suite à l'agression verbale de Mlle B f. envers ses collègues ainsi que de sa hiérarchie, un dysfonctionnement au niveau de la prise en charge des patients a eu lieu. En effet, les patients étant censé démarrer leur traitement à 12h30, ceux-ci n'étaient même pas encore installés à leur poste. Mlle B f. a ordonné aux aides-soignants de les laisser en salle d'attente.
(...)
Les ambulanciers ont également été retardés, ils ont donc dû laisser les patients, souvent lourds, patienter en salle d'attente. Les infirmiers et les aides-soignants ont dû les installer sans l'aide des ambulanciers.
Les infirmiers ont dû brancher les patients ayant un cathéter, seuls, sans l'aide des aides-soignants, ce qui va à l'encontre du protocole du service.
Suite à cette situation, les secteurs du service, les acteurs ayant un rôle dans la prise en charge des patients, ont tous été dysfonctionné dû à un retard important ».
Madame f. B. ne produit aucun élément permettant de douter de la sincérité et de la portée de ces témoignages compte tenu des circonstances et de l'état de subordination de leurs auteurs.
La salariée produit une attestation établie par Madame l. Q. et en tire une conclusion qui ne saurait être retenue par le Tribunal.
En effet, elle estime qu'il résulte de ce témoignage que les patients ont été pris en charge sans aucun retard.
Cependant, les déclarations de Madame l. Q. concernent son secteur et non celui dans lequel l'altercation a eu lieu, de sorte que la prise en charge des patients dont il est fait état ne concerne en aucun cas la grande salle, lieu des faits.
Les attestations ainsi produites démontrent la réalité de ce premier grief, lequel est suffisamment grave pour justifier le licenciement immédiat de la salariée.
Bien plus, l'employeur produit en pièces n° 18 à 32 les comptes rendus de séance de dialyse des patients présents le jour des faits, et desquels il résulte un retard dans leur prise en charge.
Il apparait ainsi que Madame f. B. n'a pas hésité à faire passer ses querelles et rancœurs personnelles à l'encontre d'une de ses collègues avant l'intérêt et la santé des patients attendant leur prise en charge.
Deuxième grief : « Vous avez fait preuve d'un total manque de respect envers votre supérieur hiérarchique en poste (fait que vous avez reconnu) » .
Dans ses écritures, Madame f. B. reconnaît avoir répondu à Madame c. P. avec un ton élevé et peut être inapproprié, « mais à l'identique de celui employé initialement par celle-ci ».
Elle ajoute que Madame c. P. a haussé la voix sans la moindre raison légitime ou apparente.
Les attestations produites par l'employeur démontrent le contraire, corroborées par le témoignage de Madame l. Q.
Attestation établie par Madame c. R. Infirmière au Centre, ainsi libellée :
« (...)
f. continue de demander plus d'explications à e. de manière hystérique quand c. P. (IDEX) arrive et demande à f. de se calmer afin de reprendre le travail.
f. répond alors à c.de manière déplacée, irrespectueuse et injurieuse tout en la priant de retourner à son bureau s'occuper de ses affaires.
c. met alors de l'ordre tout en priant les aides-soignants de faire rentrer les patients de la 2e série.
Je tenais à vous faire part de cette situation et le comportement de f.me semble inapproprié envers ma collègue e. ainsi que c. notre supérieure directe, en l'absence de Mme P P. Je pense que les cris et les injures ne devraient jamais s'entendre dans le milieu professionnel et espère que plus personne ne sera pris à partie de la sorte ».
Attestation établie par Monsieur a. B. Aide-Soignant au Centre, ainsi libellée :
« (...).
En raccompagnant le patient, j'entends Madame B. manquer de respect à notre infirmière IDX, représentant l'autorité de notre cadre.
«tu n'es pas mon chef».
(...)
Je tiens à attirer votre attention que sans la présence de notre IDX, Madame c. P. dont le sang-froid et le fairplay ont réussi à calmer la situation, je n'aurais pas eu d'autres options que d'appeler la Sûreté Publique.
Cela n'a que trop durer, je vous rappelle que Mademoiselle e. T. fait l'objet d'agression verbale depuis plusieurs semaines.
Je vous demande de faire le nécessaire afin que nous puissions retrouver un climat serein le plus rapidement ».
Attestation établie par Madame e. T. Infirmière au Centre, ainsi libellée :
« (...)
c. P. notre hiérarchie ce jour-là, a alors été alerté par Monsieur B a. aide-soignant. À son arrivée, c. P. a tenté d'apaiser les tensions mais f. B. lui a manqué de respect et s'est mise à l'insulter ; je cite : »qui l'a appelé celle-là, retourne te la gratter dans ton bureau« ».
Les salariés sont tenus à une attitude courtoise tant à l'égard de l'employeur que de leurs supérieurs hiérarchiques ou collègues de travail. Un manquement à ce principe peut être légitimement sanctionné par un licenciement, sauf circonstances particulières.
En l'espèce, il résulte incontestablement des témoignages produits par l'employeur que Madame f. B. a eu un comportement inadapté à l'encontre de Madame c. P. qui faisait office de supérieure hiérarchique le jour des faits ; ce qui est confirmé par Madame l. Q. qui a témoigné en faveur de la première :
« (...).
Dès le départ les échanges entre Mme P.et Mlle B.se font sur un ton élevé. Mlle B. n'a pas eu l'air de comprendre pourquoi une discussion avec Mlle T. lui était reprochée ; elle répond à Mlle P. que si Mlle T. n'avait pas envie de discuter, elle pouvait l'exprimer d'elle-même, ce qui n'a pas été le cas.
Mlle B. poursuit en demandant à Mme P. de ne pas s'en mêler, lui demande de partir (en employant un terme familier) et qu'elle aussi pouvait retourner travailler (...) » .
Troisième grief : « Vous avez provoqué une dispute en salle de dialyse en haussant la voix dégradant l'image du centre auprès des patients et des transporteurs » .
Ce grief est démontré par les attestations produites par l'employeur, confirmé par les propos de Madame l. Q. qui écrit :
« (...)
Ce jour-là, il devait être aux alentours de 12 h 10, je me trouve dans mon secteur (le secteur 3, qui se trouve au fond du centre, une pièce éloignée), tous les générateurs étaient montés et je finissais de préparer mes »fers« (...).
J'entends alors la voix qui porte d'une de mes collègues (Mlle f. B., (...) ».
Madame f. B. a ainsi dû crier suffisamment fort pour que Madame l. Q. l'entende dans une pièce au fond du Centre, éloignée du lieu des faits.
Il s'agit là encore d'un comportement inadapté dans un établissement de soins accueillant des patients atteints de pathologies parfois graves et qui doivent pouvoir être pris en charge dans la quiétude qui sied à ce genre d'établissement.
L'ensemble des explications développées supra justifie dans ces circonstances le licenciement pour faute grave de Madame f. B. qui devra être déboutée de ses demandes financières subséquentes.
Sur le caractère abusif du licenciement
Tout licenciement fondé sur un motif valable peut néanmoins présenter un caractère abusif si le salarié, auquel incombe la charge de cette preuve, démontre que l'employeur a méconnu certaines dispositions légales lors de la mise en œuvre de la rupture ou si les conditions matérielles ou morales de sa notification présentent un caractère fautif ou révèlent une intention de nuire ou la légèreté blâmable de l'employeur.
Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper », ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné.
En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.
Au cas particulier, Madame f. B. sollicite d'être indemnisée à hauteur de la somme de 30.000 euros en réparation de son préjudice.
L'analyse qui précède a permis de constater que le grief énoncé dans la lettre de licenciement s'est avéré fondé.
Pour autant, le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.
Force est de constater que Madame f. B. qui a la charge de la preuve à ce titre, ne démontre pas que le licenciement serait intervenu pour une autre cause que celle visée dans la lettre de licenciement.
Dans ces circonstances, la décision de rupture n'est pas fondée sur un motif fallacieux et ne présente donc pas en elle-même un caractère fautif ; ainsi, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement.
Madame f. B. soutient également que l'employeur a commis une faute dans la mise en œuvre du licenciement en prononçant une sanction disproportionnée aux faits commis et dans des circonstances vexatoires en l'incitant à la démission.
Le licenciement a été déclaré valable de sorte que la sanction n'a pas été jugée disproportionnée aux fautes commises par la salariée.
Cette dernière ne démontre pas ses allégations quant à un chantage à la « démission ».
La preuve du caractère abusif de la rupture n'étant pas rapportée par Madame f. B. cette dernière devra être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
L'action en Justice constitue l'exercice d'un droit et l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'un abus, sauf démonstration, non rapportée au cas d'espèce, d'une intention de nuire, d'une malveillance ou d'une erreur équipollente au dol.
En outre, la défenderesse ne rapporte la preuve d'aucun préjudice. Elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les dépens
Succombant dans ses prétentions, Madame f. B. sera condamnée aux dépens du présent jugement.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Dit que le licenciement de Madame f. B. par la S.A.M. CENTRE D'HÉMODIALYSE PRIVÉ DE MONACO repose sur une cause valable et n'est pas abusif ;
Déboute Madame f. B. de toutes ses demandes.
Déboute la S.A.M. CENTRE D'HÉMODIALYSE PRIVÉ DE MONACO de sa demande reconventionnelle ;
Condamne Madame f. B. aux dépens du présent jugement.
Composition🔗
Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Virginia BUSI, Monsieur René NAVE, membres employeurs, Madame Mariane FRASCONI, Monsieur Bruno AUGÉ, membres salariés, et lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique, au Palais de Justice, le huit avril deux mille vingt et un, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Mesdames Virginia BUSI, Mariane FRASCONI, Messieurs René NAVE et Bruno AUGÉ, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais.