Tribunal du travail, 25 février 2021, Monsieur g. A. c/ La SAM C

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Abstract🔗

Contrat de travail - Licenciement pour motif personnel - Insuffisance professionnelle - Validité du motif (non) - Caractère abusif du licenciement (oui) - Dommages et intérêts = 100 000 euros

Résumé🔗

Le salarié, engagé en qualité de spécialiste Back Office Titres, a été licencié pour insuffisance professionnelle matérialisée par le défaut d'atteinte des objectifs fixés. Toutefois, l'employeur n'apporte aucun élément permettant de démontrer la réalité de ce grief. Par ailleurs, il ne fournit pas davantage d'élément sur les objectifs qui auraient été assignés à l'intéressé. Ainsi, l'employeur ne prouve pas en quoi son salarié a concrètement manqué au professionnalisme qu'il attendait de lui, ni que ses carences ont perturbé la bonne marche de l'entreprise ou porté atteinte à ses intérêts. Compte tenu de la carence probatoire de l'employeur, il y a lieu de considérer que le licenciement litigieux ne repose pas sur un motif valable.

Le licenciement en cause se révèle également abusif. Le salarié invoque à cet égard l'absence de perception d'un bonus. S'agissant cependant d'un bonus discrétionnaire, cet argument ne peut être retenu. En outre, une insuffisance professionnelle non démontrée, et en outre inexistante, constituant ainsi un faux motif, ne saurait faire dégénérer la rupture en licenciement pour motif disciplinaire. En revanche, l'employeur ne justifie pas avoir recherché la cause de l'insuffisance reprochée, ni même avoir tenté de trouver des solutions alternatives pour conserver, le cas échéant, un employé disposant d'une ancienneté de plus de six ans. Par ailleurs, le salarié n'a fait l'objet d'aucune sanction antérieure. Les circonstances du licenciement démontrent la volonté délibérée de l'employeur de licencier le salarié quelles qu'en soient les conséquences pour lui, démontrant ainsi une volonté de lui nuire. En outre, la rupture est intervenue de manière brutale. Le salarié n'a pu anticiper la décision de son employeur lorsque le licenciement lui a été notifié au cours d'un entretien uniquement destiné à lui notifier la rupture de son contrat de travail.  Au surplus, la dispense d'exécution du préavis survenue dans un tel contexte est de nature à jeter le discrédit sur le salarié et à lui conférer en définitive un caractère abusif.

L'abus ainsi caractérisé justifie la réparation du préjudice financier et moral subi par le salarié. Ce préjudice est réparé par l'allocation à l'intéressé de dommages et intérêts dont le montant de 100 000 euros tient notamment compte de son âge (56 ans), de son ancienneté (6 ans et 4 mois), de l'absence de toute sanction ou de toute remarque sur la qualité de son travail et de l'absence de pièce sur sa situation financière et professionnelle.


Motifs🔗

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 25 FÉVRIER 2021

  • En la cause de Monsieur g. A., demeurant X1 à SAINTE AGNÈS (06500) ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La société anonyme monégasque dénommée C, dont le siège social se situe X2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie MARQUET, avocat près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 22 mai 2018, reçue le 28 mai 2018 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 2-2018/2019 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 26 juin 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur, au nom de Monsieur g. A. en date des 8 novembre 2018, 17 octobre 2019 et 14 mai 2020 reçues le 15 mai 2020 ;

Vu les conclusions de Maître Sophie MARQUET, avocat, au nom de la S. A. M. C, en date des 13 juin 2019, 13 février 2020 et 9 juillet 2020 ;

Après avoir entendu Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco pour Monsieur g. A. et Maître Sophie MARQUET, avocat près la même Cour, pour la S. A. M. C, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

* * * *

Monsieur g. A. a été embauché par la banque D à compter du 26 avril 2010, en contrat à durée indéterminée, en qualité de Spécialiste Back Office Titres, avec le statut de cadre, coefficient 562. Il percevait pour ce faire une rémunération brute annuelle de 48.000 euros répartie sur 14,5 mois.

À la date de la rupture du contrat de travail, la rémunération brute annuelle de Monsieur g. A. s'élevait à la somme de 55.838 euros répartie sur 14,5 mois.

Le 13 juin 2016, un avenant au contrat de travail a été signé entre les parties afin d'aborder la période transitoire qui s'ouvrirait à l'issue des opérations d'acquisition du contrôle de la banque D par la S. A. M. C.

Cette dernière procédait avant le terme fixé au 31 décembre 2016, à l'acquisition de la totalité des actions de la banque D.

Le contrat de travail de Monsieur g. A. s'est alors poursuivi avec la S. A. M. C, avec la conservation de son ancienneté au sein de la banque D.

Monsieur g. A. a été licencié pour insuffisance professionnelle par lettre en date du 17 novembre 2017 remise en main propre, avec dispense d'exécuter son préavis.

Par requête en date du 22 mai 2018 reçue au greffe le 28 mai 2018, Monsieur g. A. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

  • dire et juger que son licenciement ne repose pas sur un motif valable et est abusif,

  • condamner en conséquence l'employeur au paiement de la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif en réparation des préjudices de toute nature que son licenciement lui a occasionnés,

  • intérêts au taux légal à compter de la date de la citation à comparaître devant le bureau de conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire,

  • condamner l'employeur aux entiers dépens distraits au profit de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Aucune conciliation n'ayant pu intervenir, le dossier a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.

Monsieur g. A. a déposé des conclusions les 8 novembre 2018, 17 octobre 2019 et le 15 mai 2020 dans lesquelles il fait essentiellement valoir que :

  • sur la validité du licenciement :

  • la lettre de licenciement est dénuée de tout fait précis et matériellement vérifiable quant à la cause du licenciement,

  • le 22 novembre 2017, jour de la réception de la lettre de licenciement, il a adressé une correspondance à l'employeur dans laquelle il contestait la cause de la rupture. Aucune réponse n'a été apportée par l'employeur,

  • l'entretien du 17 novembre 2017 était destiné à lui remettre la lettre de licenciement,

  • il s'est toujours pleinement investi et impliqué dans l'exécution de ses tâches professionnelles et notamment dans la migration de l'ensemble des moyens et systèmes de traitement informatiques de la banque D vers son nouvel employeur, en effectuant des heures supplémentaires en juin et septembre 2017,

  • aucune remarque négative, grief ou critique ne lui a été adressée à ce titre,

  • il a même annulé la majeure partie de ses congés estivaux du mois d'août 2017 afin de permettre à la banque C de passer avec succès le week-end de migration informatique du 6 août 2017, week-end auquel il a participé,

  • la banque C lui a d'ailleurs remboursé les frais relatifs à cette annulation,

  • il a toujours donné entière satisfaction ainsi qu'il ressort de ses fiches d'évaluation très positives,

  • dans toute sa carrière professionnelle, il n'a fait l'objet d'aucune remarque ou sanction disciplinaire,

  • l'employeur ne lui a jamais exposé les raisons de son licenciement et les faits caractérisant son insuffisance professionnelle,

  • il incombe à l'employeur de démontrer que le licenciement est justifié et repose sur des faits objectifs et matériellement vérifiables,

  • les conclusions de l'employeur ne donnent aucune explication sur l'insuffisance professionnelle qui lui est reprochée,

  • sur le caractère abusif du licenciement :

  • son licenciement ne repose sur aucun fait objectif et matériellement vérifiable,

  • l'employeur n'a pas sollicité l'avis du conseil de discipline en application de l'article 27 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques préalablement à son licenciement,

  • à défaut pour l'employeur d'avoir explicité dans la lettre de licenciement les insuffisances professionnelles reprochées, il s'agit d'un licenciement pour faute, nécessitant l'avis préalable du conseil de discipline,

  • en agissant de la sorte, la banque C a clairement agi avec une volonté de tromper et de nuire,

  • l'intention de tromper de l'employeur est également caractérisée par la volonté de ce dernier de masquer la réalité de la cause du licenciement,

  • suite aux opérations de migration du système informatique, il avait été prévu le versement d'une prime qu'il a osé réclamer par mail à trois reprises, le dernier courriel étant en date du 15 novembre 2017, soit deux jours avant le licenciement,

  • le licenciement a en outre été mis en œuvre avec brutalité, précipitation, légèreté blâmable et de manière vexatoire,

  • il a été convoqué par téléphone le 17 novembre 2017 vers 10 h 30 par Monsieur a. L. Directeur des Ressources Humaines de la banque C, lequel il lui a demandé de venir le retrouver dans le bureau n° 35 de l'immeuble « S »,

  • il a été reçu par Monsieur a. L. mais également par Monsieur o. C. Directeur Juridique de la banque,

  • il était convaincu que la discussion allait porter sur le versement de la prime IT migration et ce, dans le prolongement de ses derniers courriels qui étaient demeurés sans réponse,

  • contre toute attente, Monsieur a. L. lui a annoncé qu'il était licencié pour insuffisance professionnelle,

  • il a sollicité des explications qui ne lui ont jamais été données,

  • ce rendez-vous n'était qu'une notification pure et simple d'un licenciement immédiat, l'employeur lui remettant en main propre la lettre de licenciement datée du 17 décembre 2017,

  • il n'avait aucun moyen d'anticiper la rupture,

  • la teneur de la réunion ne lui a aucunement été précisée,

  • il a été dispensé d'exécuter son préavis,

  • cette mesure de dispense d'exécution du préavis et son éviction du jour au lendemain a eu pour effet de jeter le discrédit sur sa personne à l'égard de ses collègues de travail,

  • âgé de 55 ans lors de la rupture, sa carrière professionnelle de 32 années passées dans le milieu bancaire a été anéantie,

  • il a incontestablement subi un préjudice financier,

  • il a en outre été profondément choqué, meurtri et humilié par le licenciement fallacieux et abusif dont il a été victime.

La S. A. M. C a déposé des conclusions les 13 juin 2019, 13 février 2020 et 9 juillet 2020 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et sollicite de voir déclarer nulles les pièces nos 20, 21 et 22 produites par Monsieur g. A.

Elle soutient essentiellement que :

  • l'employeur n'est pas tenu de détailler les faits ayant conduit au licenciement dans le courrier de notification,

  • elle a échangé à plusieurs reprises avec Monsieur g. A. sur les raisons du licenciement et sur les faits caractérisant l'insuffisance professionnelle de celui-ci,

  • elle s'est ainsi montrée à l'écoute de Monsieur g. A.

  • Monsieur g. A. ne produit aucune pièce démontrant qu'il aurait renoncé à ses congés sur son ordre,

  • les bulletins de salaire démontrent que le salarié a pris douze jours de congés payés entre le mois de juin et de septembre 2017,

  • l'insuffisance professionnelle est indépendante de la volonté du salarié,

  • les évaluations produites par le demandeur ne sont guère probantes,

  • Monsieur g. A. n'excédait pas les attentes, ni même les atteignait,

  • le salarié n'a reçu que la prime IT migration prévue contractuellement d'un montant de 2.250 euros. Le bonus discrétionnaire complémentaire prévu en cas d'accomplissement des objectifs de performances raisonnables ne lui pas été octroyé compte-tenu de son insuffisance professionnelle,

  • Monsieur g. A. ne saurait pas plus se prévaloir de son ancienneté pour contester le motif de licenciement,

  • la simple invocation de la prétendue absence de motif valable du licenciement ne permet aucunement de caractériser l'existence d'un faux motif ou d'un motif fallacieux,

  • l'absence de tenue d'un conseil de discipline n'est nullement de nature à caractériser un motif fallacieux ou une intention de nuire,

  • aucune faute volontaire n'est reprochée à Monsieur g. A. de sorte que le licenciement n'a aucun caractère disciplinaire et elle n'a aucune obligation de convoquer le conseil de discipline,

  • le prétendu véritable motif de licenciement ne saurait être le versement de la prime de migration qui a effectivement été réglée au salarié,

  • elle était en droit de refuser de régler une somme complémentaire s'agissant d'un bonus discrétionnaire,

  • d'autres salariés ont sollicité des explications et ont contesté l'absence de versement du bonus discrétionnaire IT migration sans que cela n'ait donné lieu à sanction,

  • plusieurs signes annonçaient le licenciement, tels que les mises en garde et l'absence de versement de la prime discrétionnaire récompensant l'absence d'accomplissement des objectifs de performances raisonnables,

  • Monsieur g. A. a été reçu en entretien préalable à son licenciement le 17 novembre 2017 à 10 h 45 et a été licencié ensuite pour insuffisance professionnelle,

  • le salarié a bénéficié d'une dispense de préavis et a été intégralement rémunéré de son préavis de trois mois. Elle lui a en outre précisé qu'il conserverait le bénéfice intégral de ladite indemnité même s'il venait, de son initiative, à raccourcir son préavis pour débuter un nouvel emploi,

  • elle s'est entretenue au téléphone avec le salarié pour répondre à ses réclamations,

  • Monsieur g. A. ne démontre aucun préjudice, ni moral, ni financier, les seuls éléments apportés aux débats étant constitués par les attestations de son épouse et de ses enfants, dont la nullité et la partialité sont invoquées,

  • Monsieur g. A. ne produit aucun justificatif de recherche d'emploi ou de versement d'allocation chômage,

  • Madame A. indique que le demandeur a retrouvé un emploi suivant contrat à durée déterminée sans apporter la moindre précision au sujet de cet emploi.

SUR CE,

  • Sur la nullité des attestations produites en pièces n os 20 à 22 par Monsieur g. A.

La banque C en sollicite la nullité au motif qu'elles ne précisent pas si leur auteur a quelque intérêt au procès.

Aux termes de l'article 324 du Code de procédure civile, « l'attestation doit, à peine de nullité :

  • 1° être établie par une personne remplissant les conditions requises pour être entendue comme témoin ;

  • 2° être écrite, datée et signée de la main de son auteur ;

  • 3° mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties ;

  • 4° préciser si son auteur a quelque intérêt au procès ;

  • 5° indiquer qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait aux sanctions prévues par l'article 103 du Code pénal ;

  • 6° être accompagnée de tout document officiel, en original ou en photocopie, justifiant de l'identité de son auteur et comportant sa signature. ».

Les attestations litigieuses ont été établies par l'épouse et les enfants de Monsieur g. A. et elles respectent l'ensemble des dispositions visées supra .

En effet, il est admis que les mentions exigées par l'article 324 du Code de procédure civile ne doivent pas nécessairement être reproduites à l'identique de la rédaction dudit article et que certaines informations telles notamment que l'intérêt au litige et l'existence d'un lien de subordination peuvent s'apprécier par le contenu même de l'attestation.

De plus, l'alinéa 4 invoqué invite les auteurs d'une attestation à préciser s'ils ont « quelque intérêt au procès » ; il s'agit donc d'une précision à apporter lorsque cet intérêt existe, de sorte que l'absence d'une telle mention doit être entendue comme un défaut d'intérêt - ce d'autant qu'il n'est pas soutenu qu'un tel intérêt existerait en l'espèce - et ne peut être sanctionnée dès lors par la nullité de la pièce qui comporte les mentions légales imposées.

Dès lors, la régularité des attestations ne saurait être discutée, aucune mention d'un intérêt quelconque aux procès n'étant précisé, de sorte que le Tribunal doit considérer qu'il n'existe aucun intérêt, la société défenderesse ne rapportant pas la preuve contraire.

  • Sur la validité du motif

Il appartient à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de licenciement.

En l'espèce, Monsieur g. A. a été licencié par lettre remise en main propre et en recommandé avec accusé de réception du 17 novembre 2017 ainsi libellée :

« Monsieur,

Faisant suite à notre entretien, nous avons le regret de vous notifier, par la présente, la rupture de votre contrat de travail pour insuffisance professionnelle, qui prendre effet au terme d'un préavis de trois mois qui débutera dès première présentation du présent courrier recommandé à votre domicile.

Pendant le préavis, vous serez intégralement dispensé de présence et d'exécution, mais continuerez à percevoir votre rémunération ainsi qu'à bénéficier de la couverture sociale fournie par la Banque.

Nous vous rappelons que vous vous êtes engagé, lors de votre embauche, à respecter le secret professionnel bancaire et que cette obligation perdure même après la rupture de votre contrat de travail, sous peine des poursuites prévues à l'article 308 du Code Pénal de la Principauté.

(...). ».

Le Tribunal relève à ce titre que les écritures de l'employeur font état non seulement d'une insuffisance professionnelle, mais également d'une insuffisance de résultat (page 5 des conclusions déposées le 09/07/2020 : « En revanche, le bonus discrétionnaire complémentaire prévus en cas « d'accomplissements des objectifs de performances raisonnables » ne lui a pas été octroyé compte tenu de son insuffisance professionnelle », ce qui revient à reprocher au salarié de ne pas avoir atteint les objectifs qui lui ont été confiés).

Il n'est pas contesté que l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir patronal et le Juge ne peut prétendre y substituer son appréciation ; néanmoins, il convient pour celui-ci de vérifier que ses exigences étaient justifiées.

Pour constituer une cause de licenciement, l'insuffisance professionnelle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables. Il revient au Juge de vérifier l'incompétence alléguée par l'employeur, laquelle ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de celui-ci mais doit reposer sur des éléments concrets pour constituer un motif valable de licenciement

Il incombe en conséquence à l'employeur d'apporter au Juge des éléments objectifs à l'appui des faits qu'il invoque comme propres, selon lui, à caractériser l'insuffisance professionnelle dont il se prévaut.

Elle ne résulte pas nécessairement d'un comportement volontaire mais révèle l'inaptitude du salarié à assumer ses fonctions, son incompétence.

L'insuffisance professionnelle se trouve caractérisée par l'inaptitude du salarié à exercer sa prestation de travail dans des conditions que l'employeur pouvait légitimement attendre en application du contrat et devait reposer sur des éléments matériels précis et objectifs imputables au salarié ; elle se manifeste dans les répercussions en tant qu'elle perturbe la bonne marche de l'entreprise.

Par ailleurs, l'insuffisance de résultats ne constitue pas en soi une cause de licenciement, le Juge doit vérifier que les objectifs étaient fixés et réalistes, et que les mauvais résultats procèdent d'une faute ou d'une insuffisance professionnelle imputable au salarié.

En outre, l'insuffisance de résultats doit être constatée sur une certaine durée.

Il appartient à l'employeur d'apporter des éléments objectifs à l'appui des faits reprochés, lesquels doivent être matériellement vérifiables.

Force est de constater que l'employeur n'apporte aucun élément permettant d'en démontrer la réalité.

Le Tribunal relève encore que l'employeur ne fournit pas plus d'élément sur les objectifs qui auraient été assignés à Monsieur g. A.

La défenderesse n'établit pas en quoi Monsieur g. A. a concrètement manqué au professionnalisme attendu de lui qui aurait perturbé la bonne marche de l'entreprise ou été préjudiciable aux intérêts de celle-ci.

En effet, la banque C ne produit aucunes pièces démontrant les répercussions sur les résultats commerciaux et financiers de l'entreprise dont elle fait état dans la lettre de licenciement.

Le Tribunal relève enfin que la banque défenderesse ne développe aucune argumentation sur les prétendues insuffisances professionnelles reprochées au salarié, se contentant de contester la position de ce dernier quant à la validité du licenciement ; et ce, alors que la charge de la preuve du motif de rupture lui incombe.

Cette insuffisance professionnelle ne peut, faute d'éléments concrets, être considérée comme établie.

Il résulte que le licenciement de Monsieur g. A. n'apparaît pas fondé sur des motifs valables.

  • Sur le caractère abusif du licenciement

Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve.

Il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné.

En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.

Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal, ce qui ne s'avère pas être le cas en l'espèce.

L'analyse qui précède a permis de constater que le grief énoncé dans la lettre de licenciement s'est avéré infondé.

Pour autant le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.

Au cas particulier, Monsieur g. A. sollicite d'être indemnisé à hauteur de la somme de 150.000 euros en réparation de ses préjudices.

Un faux motif n'est pas en soi considéré comme fallacieux s'il n'est pas démontré l'intention de tromper ou de nuire de l'employeur.

S'agissant d'un motif non valable, il n'est pas, pour autant, automatiquement fallacieux.

Pour justifier un licenciement, le motif invoqué doit être valable, c'est-à-dire « présenter les conditions requises pour produire son effet » et par extension être « acceptable, admissible, fondé ».

Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper ».

Par ailleurs, le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur ; à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ».

En effet, en droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif.

Monsieur g. A. considère qu'il a été licencié pour avoir manifesté par écrit à son employeur sa déception et son incompréhension quant à la perception de la prime IT migration, eu égard au travail accompli et d'avoir sollicité des explications à ce sujet.

Le bulletin de salaire du mois d'octobre comporte le versement au salarié d'une somme de 2.250 euros au titre du bonus (prime IT migration), s'agissant du minimum garanti par l'avenant signé par les parties le 13 juin 2016.

La clause est ainsi libellée :

« 2. RÉMUNÉRATION - BONUS GARANTI

Étant convenu que les parties définissent par « IT Migration » la migration de l'ensemble des moyens et systèmes de traitement informatiques de la Banque vers la plateforme informatique de la banque C ; à première date de règlement du salaire mensuel consécutif aux soixante jours suivants la date de réalisation de l'IT Migration, la Banque s'engage à vous verser un bonus minimal de 2.250 EUR (deux mille deux cent cinquante euros) bruts à la condition que vous soyez toujours employé de notre Banque à la date de paiement et hors période de préavis quel que soit le motif de ce dernier.

Toutefois pour le cas où le Banque serait à l'origine de la rupture du présent contrat, et sauf licenciement pour faute, cette gratification vous sera versée au prorata de votre temps de présence pendant la période de référence.

En cas d'accomplissement des objectifs de performances raisonnables, à ce bonus garanti pourra s'ajouter un bonus discrétionnaire complémentaire s'élevant à trois fois le montant ci-dessus. ».

Force est de constater que le bonus garanti a été réglé par l'employeur ; Monsieur g. A. ayant sollicité des explications sur le bonus discrétionnaire complémentaire.

S'agissant d'un bonus discrétionnaire, Monsieur g. A. n'avait aucun droit acquis à ce titre, de sorte que l'argumentation par lui développée sur ce point ne saurait être retenue.

Monsieur g. A. considère également que l'absence d'explication sur les insuffisances professionnelles reprochées entraîne un licenciement pour faute justifiant la convocation du conseil de discipline prévue par l'article 27 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques.

Cette interprétation ne saurait être suivie par le Tribunal.

En effet, une insuffisance professionnelle non démontrée et en outre inexistante, constituant ainsi un faux motif, ne saurait faire dégénérer la rupture en licenciement pour motif disciplinaire.

L'article 25 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques prévoit en ses paragraphes 1 et 2 alinéa 1 :

« 1. Toute insuffisance de travail ou insuffisance professionnelle constatée chez un agent, donne lieu à une observation de la Direction.

2. Si l'insuffisance persiste, la Direction en recherche la cause. Si cette insuffisance résulte d'une mauvaise adaptation de l'intéressé à ses fonctions, la Direction recherche le moyen de lui confier un travail qui réponde mieux à ses capacités.

(...). ».

Le Tribunal relève à ce titre que la société défenderesse ne justifie pas avoir recherché la cause de l'insuffisance reprochée, ni même avoir tenté de trouver des solutions alternatives pour conserver, le cas échéant, un employé disposant d'une ancienneté de près de six ans et quatre mois.

De plus, l'employeur n'a aucunement envisagé, avant de prendre des mesures irréversibles, de notifier une sanction du 1er degré afin de marquer une position plus ferme sur les problèmes rencontrés (au demeurant non démontrés) et de permettre à Monsieur g. A. de prendre la réelle mesure de la nécessité de changer d'attitude.

Il résulte des explications développées supra que la banque C a avancé un faux motif et s'est affranchie du respect de la Convention Collective telle que relevé ci-dessus, démontrant ainsi une volonté délibérée de licencier Monsieur g. A. quelles qu'en soient les conséquences pour le salarié, démontrant ainsi une volonté de nuire aux intérêts de ce dernier.

Le demandeur soutient en outre que son licenciement s'est réalisé dans des conditions brutales, vexatoires et avec légèreté blâmable.

Les pièces du dossier et les déclarations des parties montrent que :

  • - Monsieur a. L. Directeur des Ressources Humaines, a convoqué dans son bureau Monsieur g. A. par téléphone le 17 novembre 2017 vers 10 h 30,

  • - le salarié a été reçu par Monsieur a. L. et Monsieur o. C. Directeur Juridique de la banque,

  • - dans le même temps, Monsieur g. A. s'est vu remettre la lettre de licenciement et dispensé d'activité et de présence dans l'entreprise,

  • - la lettre de licenciement est datée du 17 novembre 2017, démontrant que la décision de licencier était déjà actée.

Il en résulte que l'employeur a licencié Monsieur g. A. le 17 novembre 2017, à savoir le même jour que l'entretien « préalable ».

La rupture est intervenue de manière brutale, dans la mesure où Monsieur g. A. n'avait aucun moyen d'anticiper la décision de la défenderesse lorsque le licenciement lui a été notifié au cours d'un entretien qui était uniquement destiné à notifier au salarié la rupture du contrat de travail ; ce qui confère au licenciement un caractère abusif.

Au surplus, si la dispense d'exécution du préavis est une manifestation du pouvoir de direction de l'employeur et n'est pas en soi une mesure vexatoire, le contexte précité dans laquelle elle est intervenue est de nature en l'espèce à jeter le discrédit sur le salarié et à lui conférer en définitive un caractère abusif.

L'employeur a abusé de son droit unilatéral de rupture en invoquant un faux motif de licenciement, l'intention de nuire aux intérêts du salarié ayant par ailleurs été retenue.

Le salarié doit dès lors être indemnisé du préjudice moral subi du fait de la perte de son emploi sous un prétexte fallacieux et du manque de considération en dépit d'une ancienneté de près de sept années sans aucune observation.

L'abus apparaît dès lors d'autant plus caractérisé et justifie la réparation de l'ensemble des préjudices subis par Monsieur g. A. d'ordre tant financier que moral.

Le Tribunal relève que Monsieur g. A. ne produit aucune pièce sur sa situation financière et professionnelle.

Cependant, le préjudice moral subi est incontestable eu égard aux conditions et circonstances de la rupture relatées supra .

Monsieur g. A. a nécessairement supporté un préjudice moral du fait de la situation générée par cette rupture exercée avec brutalité, de manière vexatoire, qu'il ne pouvait aucunement anticiper et sous un faux motif doublé d'une intention de nuire.

Ainsi compte-tenu des éléments d'appréciation dont dispose le Tribunal et notamment l'âge de Monsieur g. A. lors de la notification de son licenciement (56 ans) et de son ancienneté de service (6 ans 4 mois), de l'absence de toute sanction ou de toute remarque sur la qualité de son travail, le préjudice subi par celui-ci, consécutivement à la rupture de son contrat de travail sera équitablement réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

  • Sur l'exécution provisoire

Il n'est pas justifié pour le surplus des conditions nécessaires au prononcé de l'exécution provisoire autre que l'exécution provisoire de droit prévue par les dispositions de l'article 60 de la loi n° 446 du 16 mai 1946.

  • Sur les dépens

Partie succombante, la S. A. M. C sera condamnée aux dépens.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de Monsieur g. A. ne repose pas sur une cause valable et revêt un caractère abusif ;

Condamne en conséquence la S. A. M. C à payer à Monsieur g. A. la somme de 100.000 euros (cent mille euros) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Déboute la S. A. M. C de ses demandes ;

Condamne la S. A. M. C aux dépens, dont distraction au profit de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur sous sa due affirmation ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Guy-Philippe FERREYROLLES, Jean-François MUFRAGGI, membres employeurs, Monsieur Jean-Pierre MESSY, Madame Alexandra OUKDIM, membres salariés, et lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique, au Palais de Justice, le vingt-cinq février deux mille vingt et un, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Guy-Philippe FERREYROLLES, Jean-François MUFRAGGI, Jean-Pierre MESSY et Madame Alexandra OUKDIM, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais.

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