Tribunal du travail, 4 février 2021, Madame f. B. c/ Madame j. Z.

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Abstract🔗

Contrat de travail – Licenciement – Article 6 de la loi n° 729 – Conditions – Caractère abusif (non)

Résumé🔗

En application de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, et doit supporter les conséquences de sa décision de ne pas énoncer le motif de la rupture, en versant le montant de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968. L'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 n'instaurant pas, au profit de l'employeur, un droit discrétionnaire et absolu, il appartient au Tribunal du travail de vérifier le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié d'une part, et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de tout abus d'autre part (cause illicite ou illégale, détournement des dispositions d'ordre public, intention de nuire, précipitation, brutalité, légèreté blâmable). Toutefois, l'exercice par l'employeur de ce droit, sans que le salarié soit rempli de ses droits, est de nature à rendre la rupture fautive et à justifier l'octroi des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729, au même titre qu'une rupture revêtant une forme abusive (Cour de révision du 9 mai 2003 P. c/ S.A.M. T.). Il appartient à Madame f.B. de rapporter la preuve, au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de l'existence de l'abus commis dans l'exercice du droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est résulté. Alors en effet que la preuve de l'abus dans le droit de licencier incombe au salarié qui s'en prévaut, la détermination de l'excès commis par l'employeur dans l'exercice du droit unilatéral de résiliation que lui reconnaît la loi relève en effet du pouvoir souverain d'appréciation des juridictions saisies et peut induire un contrôle indirect du motif de rupture à l'effet de déterminer si celui-ci est fallacieux, c'est-à-dire s'il procède d'une volonté insidieuse de tromperie ou s'il présente un caractère spécieux lui ôtant sa loyauté. Madame f.B. soutient qu'elle a été licenciée en raison de son état de santé. À ce titre, la jurisprudence monégasque considère que le licenciement fondé sur un faux motif ou un motif fallacieux constitue un abus. Par ailleurs la jurisprudence civile relative à l'abus de droit en caractérise également l'existence en l'absence de motif légitime à exercer le droit. Pour autant le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.

Si la mise en œuvre d'un licenciement sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 conduit le Tribunal du travail à ne pas s'interroger sur la validité de la rupture, en cas de paiement effectif de l'indemnité de licenciement, il n'en demeure pas moins qu'elle ne peut avoir pour objet de contourner les dispositions d'ordre public applicables en droit social et la prohibition d'une rupture liée à l'état de santé du salarié (en dehors du cas prévu par l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963). Aucun élément ne vient dès lors démontrer un état de santé fragile ayant pu être pris en compte par l'employeur dans le cadre de la rupture du contrat de travail. La salariée ne démontre pas que la maladie serait la cause de son licenciement. Elle procède par voie d'allégations mais sans apporter le moindre élément permettant d'accréditer ses dires. En effet, la preuve d'un lien entre le licenciement et l'état de santé de la salariée n'est pas démontrée. Il y a donc lieu de considérer que Madame f.B. est défaillante dans l'administration de la preuve des motifs prétendument illicites pour lesquels elle aurait été licenciée. Elle n'apporte aucun élément quant à un quelconque motif fallacieux ayant présidé le licenciement. Dès lors, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement. Madame f.B. soutient également avoir fait l'objet d'un licenciement brutal et fait état de la légèreté blâmable avec laquelle l'employeur a agi. Il résulte des éléments produits qu'un entretien préalable est intervenu et que la lettre de licenciement a été adressée après un temps de réflexion de l'employeur. Aucune faute ne peut dès lors être reprochée à l'employeur dans les circonstances entourant la rupture.


Motifs🔗

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 4 FÉVRIER 2021

  • En la cause de Madame f. B., demeurant « X1», X2 à AIX-EN-PROVENCE (13290) ;

Demanderesse, comparaissant en personne ;

d'une part ;

Contre :

  • Madame j. Z., avocat-défenseur, demeurant X3 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 5 mars 2019, reçue le même jour ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 73-2018/2019 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 26 mars 2019 ;

Vu les conclusions de Madame f. B. en personne, déposées les 25 avril 2019 et 15 juin 2020 ;

Vu les conclusions de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur au nom de Madame j. Z. en date des 13 juin 2019 et 15 octobre 2020 ;

Ouï Madame f. B. en personne, en ses observations ;

Ouï Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Madame j. Z. en sa plaidoirie ;

Vu les pièces du dossier ;

* * * *

Madame f. B. a été embauchée par Maître j. Z. avocat-défenseur, en qualité de Secrétaire Juridique, à compter du 15 avril 2013, pour une durée indéterminée.

Madame f. B. a posé quatre jours de congés du lundi 27 avril 2015 au 30 avril 2015 et a subi pendant cette période une opération chirurgicale. Elle a repris son poste le 4 mai 2015.

Par lettre en date du 19 mai 2015 remise en main propre, l'employeur a convoqué Madame f. B. à un entretien devant se dérouler le 19 mai 2015.

Par lettre recommandée et remise en main propre en date du 22 mai 2015, Madame f. B. a été licenciée sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963.

Par requête déposée au greffe le 5 mars 2019, Madame f. B. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail : 105.000 euros.

Aucune conciliation n'ayant pu intervenir, le dossier a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.

Madame f. B. a déposé des conclusions les 25 avril 2019 et 15 juin 2020 dans lesquelles elle demande au Tribunal de :

« Vu l'article 13 de la loi n° 729 du 16/03/1963 concernant le contrat de travail,

Vu la loi n° 1.457 du 12/12/2017 sur le harcèlement et la violence au travail,

Vu l'article L.1152-1 du Code du travail,

Vu l'article L.1154-1 du Code du travail,

Vu l'article 1332-1 du Code du travail,

Vu l'article L.4121-1 du Code du travail,

Vu l'article L.4121-2 du Code du travail,

Vu l'article 22 de la loi n° 1.109 du 16 décembre 1987 sur le respect de la vie privée,

- condamner Maître j. Z. au paiement de dommages et intérêts pour la somme de 105.000 euros,

La condamner aux entiers dépens. ».

Madame f. B. fait essentiellement valoir que :

  • elle a démissionné de son précédent emploi le 12 avril 2013 pour rejoindre Maître j. Z.

  • son licenciement est abusif dans la mesure où son état ne lui permettait pas de réagir car elle était en état de faiblesse suite à une intervention chirurgicale le 27 avril 2015,

  • cette opération est consécutive au harcèlement moral qu'elle a subi pendant les deux années de présence chez Maître j. Z.

  • l'anesthésiste présent pendant l'opération est un ami personnel des époux Z,

  • sa demande de dommages et intérêts ne constitue pas une somme exorbitante eu égard aux souffrances morales et physiques qu'elle a endurées au sein de l'étude,

  • si elle a contacté Maître j. Z. en 2018 par courriels et sms, c'est uniquement parce qu'elle était en position de faiblesse,

  • Maître j. Z. l'a licenciée alors qu'elle aurait dû rencontrer la Médecine du Travail et avoir un suivi qui lui aurait permis d'avoir une fiche d'inaptitude et être reclassée,

  • elle n'a pas pris d'arrêt maladie pour se faire opérer car elle ne voulait pas perturber le fonctionnement du Cabinet et par peur de perdre son travail,

  • Maître j. Z. a abusé de son état de faiblesse,

  • elle a été en arrêt maladie du 8 au 18 juin 2015 en raison de problèmes de cicatrisation,

  • dès le 5 juin 2015, Maître j. Z. avait recruté une candidate,

  • à sa demande, son préavis a été écourté,

  • l'achat par l'employeur d'une BMW neuve durant son préavis est la preuve des économies substantielles réalisées par Maître j. Z. en s'abstenant de toute compensation à son égard,

  • elle demande réparation quant au préjudice subi à cause du licenciement abusif et du harcèlement moral dont elle a été victime,

  • elle rencontrait des difficultés notamment dans le management par la peur qu'avait instaurée l'employeur,

  • elle a pourtant été irréprochable dans son travail car très rigoureuse,

  • elle était surchargée de travail et n'arrivait pas à tenir la cadence de l'étude,

  • Maître j. Z. se plaignait régulièrement des courriers qu'elle tapait et ne se gênait pas pour lui faire des réflexions tous les jours,

  • l'employeur faisait tout pour lui rendre la tâche le plus difficile possible et l'humilier quotidiennement,

  • elle a travaillé pendant un an et demi de 8 h 30 à 12 h 30 et de 14 h 00 à 18 h 00 alors que les autres secrétaires terminaient à 17 h 30,

  • elle a terriblement souffert psychiquement de la manière dont elle a été traitée par Maître j. Z.

  • elle travaillait trop sur écran et sa tension dans les yeux était trop élevée. Elle ne pouvait s'accorder des pauses (recommandées par son ophtalmologue) dans la mesure où Maître j. Z. lui faisait des remarques lorsqu'elle ne l'entendait plus taper,

  • elle a aujourd'hui une reconnaissance de travailleur handicapé qui lui interdit d'avoir une position statique prolongée,

  • l'étude aurait eu besoin d'une secrétaire supplémentaire,

  • elle était également harcelée par des salariées de l'étude,

  • elle a en outre subi des nuisances dues aux travaux réalisés par l'employeur dans son Cabinet. Elle a ainsi dû changer de bureau,

  • elle respirait les poussières et les émanations toxiques des peintures, outre le bruit,

  • Maître j. Z. aurait dû prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et mentale,

  • elle a aussi fait l'objet d'une discrimination. Elle n'a jamais été augmentée contrairement à ses collègues de travail,

  • elle était la plus mal payée malgré ses qualifications,

  • ses demandes de congés étaient systématiquement refusées,

  • elle a travaillé dans cette étude au détriment de sa santé sans prendre d'arrêt de travail, de sorte qu'elle a fini par faire un burn-out avec un cancer qui s'est déclaré à cause de l'angoisse permanente qu'elle vivait tous les jours,

  • elle avait informé l'employeur des douleurs occasionnées par la position assise, mais rien n'a été fait,

  • elle a été licenciée du jour au lendemain et n'a eu d'autres ressources que des allocations de retour à l'emploi et des allocations spécifiques de solidarité depuis juillet 2017,

  • elle a perdu des chances de retrouver un emploi en étant licenciée à 45 ans en état de faiblesse,

  • l'employeur a violé son droit à une vie privée,

  • elle subit un double préjudice eu égard à la perte de la pension invalidité à Monaco outre la rente pour maladie professionnelle qu'elle aurait pu faire valoir à Monaco si elle n'avait pas été licenciée brutalement,

  • à l'annonce de son cancer et du licenciement brutal en mai 2015, elle a dû affronter une grave dépression,

  • elle a été licenciée en raison de ses problèmes de santé,

  • l'employeur a délibérément orchestré la dégradation de ses conditions de travail, ce qui a conduit à la dégradation de son état de santé,

  • l'employeur n'avait aucun motif pour la licencier,

  • elle a été licenciée très peu de temps après son intervention chirurgicale, ce qui est démontrée par la proximité chronologique entre les deux évènements,

  • elle n'a jamais été informée des intentions de l'employeur de procéder à son licenciement.

Maître j. Z. a déposé des conclusions les 13 juin 2019 et 15 octobre 2020 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et soutient essentiellement que :

  • à l'appui de sa demande indemnitaire, Madame f. B. invoque dans ses premières écritures divers textes français inapplicables à l'espèce,

  • la loi n° 1.457 sur les faits de harcèlement au travail n'est pas plus applicable puisque n'existant pas au moment des faits,

  • l'employeur a décidé de se séparer de sa salariée sans avoir à indiquer un quelconque motif à l'appui de sa décision,

  • Madame f. B. a été convoquée à un entretien préalable, condition qui n'est pas requise à Monaco, et a été licenciée après un temps de réflexion de l'employeur de trois jours,

  • Madame f. B. ne rapporte pas la preuve d'un comportement fautif de l'employeur et procède par voie d'affirmations fallacieuses,

  • il en est de même concernant l'atteinte à la vie privée de la demanderesse, des mauvaises conditions de travail, d'une discrimination ou d'un prétendu harcèlement,

  • Madame f. B. reconnaît dans ses écritures que son état de santé et son opération ne nécessitaient pas un arrêt maladie,

  • il s'agissait d'une opération bégnine sous anesthésie locale ainsi qu'il résulte du compte-rendu opératoire,

  • Madame f. B. a délibérément fait le choix de la prise de congés plutôt qu'un arrêt maladie car dans cette dernière hypothèse, elle aurait subi l'application de trois jours de carence et donc une perte de salaire,

  • la demanderesse ne démontre aucun lien entre ses déboires de santé et le licenciement,

  • après la rupture, Madame f. B. a continué à entretenir des relations courtoises avec elle, pour la tenir informée de ses recherches dans le monde du travail et lui demander conseil pour solutionner divers problèmes,

  • le ton des échanges produits est particulièrement courtois et en totale contradiction avec les accusations de la salariée,

  • les pièces produites par la demanderesse ne viennent en aucun cas établir l'existence d'un préjudice en lien avec la relation de travail,

  • les difficultés financières alléguées ne sont pas de nature à rendre fautive la rupture du contrat de travail,

  • Madame f. B. ne produit aucune pièce probante quant à un quelconque motif fallacieux ayant présidé la rupture,

  • la salariée n'a jamais alerté les services de l'Inspection du Travail.

À l'audience de plaidoirie, le Tribunal a soulevé le moyen de droit tenant à la recevabilité de la demande de dommages et intérêts présentée par Madame f. B. et fondée notamment sur les mauvaises conditions de travail et un harcèlement moral dans la mesure où elle ne figurait pas dans la requête introductive d'instance et n'a pas fait l'objet du préliminaire de conciliation obligatoire.

Il a ainsi été demandé aux parties de présenter leurs observations sur ce moyen.

Madame f. B. a indiqué qu'elle maintenait ses demandes à ce titre.

Le conseil de la défenderesse considère que ces demandes sont irrecevables.

SUR CE,

  • Sur la recevabilité de la demande liée aux conditions de travail et au harcèlement moral :

En application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, le bureau de jugement du Tribunal du travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum.

Si le demandeur peut, en vertu des dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifier ses demandes devant le bureau de conciliation, la possibilité d'augmenter ses prétentions ou d'en formuler de nouvelles, en l'absence d'une disposition identique contenue dans cette même loi, ne lui est pas ouverte devant le bureau de jugement, lequel ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum, en application de l'article 1er précité.

En l'espèce, dans ses écritures en date du 25 avril 2019, Madame f. B. a conclu en ces termes en page 14, deuxième paragraphe :

« Vous comprendrez donc que compte tenu de ce licenciement abusif et du harcèlement dont j'ai été victime, je suis en droit de réclamer des dommages et intérêts car l'application de la loi n°729 du 16/03/1963 et son article 6 me paraît un peu expéditif et en complète contradiction du code de déontologue des avocats. ».

La demande de dommages et intérêts ainsi présentée par Madame f. B. est fondée non seulement sur le caractère abusif de la rupture mais également sur le harcèlement moral dont elle s'estime avoir été victime.

Bien que cette prétention n'ait pas été reprise dans le dispositif des conclusions sus visées, il appartient au Tribunal de la prendre en compte et de statuer sur sa recevabilité.

Il n'est pas contestable que cette demande en dommages et intérêts pour harcèlement n'a pas fait l'objet du préliminaire de conciliation obligatoire, de sorte que, s'agissant d'une demande nouvelle, elle devra être déclarée irrecevable.

Enfin, les développements de la demanderesse sur les mauvaises conditions de travail, l'atteinte à sa vie privée, la discrimination et le harcèlement moral dont elle aurait été victime ne sont d'aucun intérêt pour la solution du litige, la demande en dommages et intérêts étant uniquement fondée, dans la requête introductive d'instance, sur le caractère abusif du licenciement.

  • Sur le caractère abusif du licenciement :

En application de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, et doit supporter les conséquences de sa décision de ne pas énoncer le motif de la rupture, en versant le montant de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.

L'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 n'instaurant pas, au profit de l'employeur, un droit discrétionnaire et absolu, il appartient au Tribunal du travail de vérifier le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié d'une part, et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de tout abus d'autre part (cause illicite ou illégale, détournement des dispositions d'ordre public, intention de nuire, précipitation, brutalité, légèreté blâmable).

Toutefois, l'exercice par l'employeur de ce droit, sans que le salarié soit rempli de ses droits, est de nature à rendre la rupture fautive et à justifier l'octroi des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729, au même titre qu'une rupture revêtant une forme abusive (Cour de révision du 9 mai 2003 P c/ S. A. M. T).

Il appartient à Madame f. B. de rapporter la preuve, au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de l'existence de l'abus commis dans l'exercice du droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est résulté.

Alors en effet que la preuve de l'abus dans le droit de licencier incombe au salarié qui s'en prévaut, la détermination de l'excès commis par l'employeur dans l'exercice du droit unilatéral de résiliation que lui reconnaît la loi relève en effet du pouvoir souverain d'appréciation des juridictions saisies et peut induire un contrôle indirect du motif de rupture à l'effet de déterminer si celui-ci est fallacieux, c'est-à-dire s'il procède d'une volonté insidieuse de tromperie ou s'il présente un caractère spécieux lui ôtant sa loyauté.

Madame f. B. soutient qu'elle a été licenciée en raison de son état de santé.

À ce titre, la jurisprudence monégasque considère que le licenciement fondé sur un faux motif ou un motif fallacieux constitue un abus. Par ailleurs la jurisprudence civile relative à l'abus de droit en caractérise également l'existence en l'absence de motif légitime à exercer le droit.

Pour autant le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.

Si la mise en œuvre d'un licenciement sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 conduit le Tribunal du travail à ne pas s'interroger sur la validité de la rupture, en cas de paiement effectif de l'indemnité de licenciement, il n'en demeure pas moins qu'elle ne peut avoir pour objet de contourner les dispositions d'ordre public applicables en droit social et la prohibition d'une rupture liée à l'état de santé du salarié (en dehors du cas prévu par l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963).

Madame f. B. soutient que la proximité de son opération chirurgicale avec le licenciement suffit à démontrer le motif fallacieux tenant à son état de santé.

Il n'est pas contesté que Madame f. B. a subi, le 27 avril 2015, une opération chirurgicale du nez, par anesthésie locale, et en ambulatoire.

Madame f. B. produit en outre des pièces médicales démontrant :

  • des discopathies étagées entraînant des lombalgies chroniques, pouvant limiter les trajets en véhicule, limitant le port de charges lourdes et la station statique prolongée : pièces médicales du 22/08/2018 et du 13/09/2018,

  • des dorsalgies : scanner du rachis dorsal du 9/06/2020 et certificat médical du 25/04/2020,

  • des séances de laser depuis le mois d'août 2016 : pièces médicales du 04/10/2016, 21/02/2018, 25/02/2019 et 10/11/2016 (acte à visée esthétique),

  • des lombalgies : IRM du rachis lombaire du 22/08/2020,

  • reconnaissance du statut de travailleur handicapé à compter du 28/08/2018.

Le Tribunal relève à ce titre que les documents médicaux postérieurs à l'opération du 27 avril 2015 interviennent entre 12 mois et 63 mois après le licenciement litigieux.

Ils ne peuvent dès lors être en lien avec un quelconque motif fallacieux ayant présidé la rupture.

D'ailleurs, Madame f. B. invoque la concomitance entre le licenciement et l'opération du nez en date du 27 avril 2015, ce qui ne saurait être suffisant en l'absence d'élément matériel susceptible de contrôle par le Tribunal.

Le Tribunal relève d'ailleurs que la salariée a repris son travail le 4 mai 2015 à l'issue de son congé et qu'aucun arrêt de travail n'a été prescrit à la suite de son intervention chirurgicale.

Bien plus, Madame f. B. n'a fait l'objet que d'un seul arrêt maladie pendant la relation de travail et pendant le préavis.

Aucun élément ne vient dès lors démontrer un état de santé fragile ayant pu être pris en compte par l'employeur dans le cadre de la rupture du contrat de travail.

La salariée ne démontre pas que la maladie serait la cause de son licenciement. Elle procède par voie d'allégations mais sans apporter le moindre élément permettant d'accréditer ses dires.

En effet, la preuve d'un lien entre le licenciement et l'état de santé de la salariée n'est pas démontrée.

Il y a donc lieu de considérer que Madame f. B. est défaillante dans l'administration de la preuve des motifs prétendument illicites pour lesquels elle aurait été licenciée. Elle n'apporte aucun élément quant à un quelconque motif fallacieux ayant présidé le licenciement.

Dès lors, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement.

Madame f. B. soutient également avoir fait l'objet d'un licenciement brutal et fait état de la légèreté blâmable avec laquelle l'employeur a agi.

Les pièces du dossier montrent que :

  • l'employeur a convoqué Madame f. B. à un entretien « afin d'aborder l'avenir de nos relations contractuelles » par lettre remise en main propre le 19 mai 2015, et ce pour le même jour,

  • Madame f. B. a sollicité un congé de deux jours à la suite de cet entretien,

  • l'employeur a licencié Madame f. B. par courrier en date du 22 mai 2015,

  • les parties ont décidé d'un commun accord de mettre fin au préavis à compter du 25 juin 2015.

Il en résulte qu'un entretien préalable est intervenu et que la lettre de licenciement a été adressée après un temps de réflexion de l'employeur.

Aucune faute ne peut dès lors être reprochée à l'employeur dans les circonstances entourant la rupture.

Madame f. B. sera dans ces circonstances déboutée de sa demande indemnitaire.

  • Sur les dépens :

Succombant dans ses prétentions, Madame f. B. sera condamnée aux dépens.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit que la demande additionnelle présentée par Madame f. B. dans ses conclusions du 25 avril 2019, en dommages et intérêts pour harcèlement moral, est irrecevable ;

Dit que le licenciement de Madame f. B. par Maître j. Z. avocat-défenseur, n'est pas abusif ;

Déboute Madame f. B. de toutes ses demandes,

La condamne aux dépens du présent jugement ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Jean-Pierre DESCHAMPS, José GIANNOTTI, membres employeurs, Messieurs Hubert DUPONT-SONNEVILLE, Thomas BONAFEDE, membres salariés, et lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique, au Palais de Justice, le quatre février deux mille vingt et un, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Jean-Pierre DESCHAMPS, José GIANNOTTI, Hubert DUPONT-SONNEVILLE et Thomas BONAFEDE, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais.

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