Tribunal du travail, 17 décembre 2020, Monsieur n. L. c/ La société A
Abstract🔗
Contrat de travail - Demande - Recevabilité - Groupe de sociétés - Co-emploi - Charge de la preuve
Résumé🔗
Il n'est ni contesté ni contestable que la société A n'est pas l'employeur de la partie demanderesse. Lorsqu'une filiale d'un groupe est en difficulté, la Cour de cassation a ouvert aux salariés à la recherche d'un débiteur solvable, la possibilité de mettre en cause une société appartenant à un même groupe (généralement la société mère du groupe) en cas de co-emploi. Celle-ci suppose que soit caractérisée une confusion des intérêts, des activités et de direction entre les deux personnes morales. Il appartient dans un premier temps au salarié de rapporter la preuve que les sociétés en cause font partie d'un même groupe puis que la société contre laquelle le salarié se retourne s'est immiscée dans la gestion et dans la direction du personnel de celle-ci, étant précisé que la seule appartenance à un groupe ne suffit pas à caractériser une situation de co-emploi. La charge de la preuve pesant exclusivement sur le salarié, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de communication de pièces présentée par la partie demanderesse à l'encontre de la société défenderesse. Pour la doctrine, « le groupe de société est un ensemble de sociétés qui ont chacune leur existence juridique propre, mais qui se trouvent unies entre elles par des liens divers sur la base desquels l'une d'entre elles, habituellement qualifiée de société mère, exerce un contrôle sur l'ensemble, faisant ainsi prévaloir une unité de décision économique » (Extrait du rapport de Sophie Depelley, Conseiller référendaire à la Chambre sociale de la Cour de cassation).
Il apparaît ainsi que des liens capitalistiques et/ou financiers ont existé entre la société A (ou ses sociétés affiliées) et la société C, sans pour autant démontrer un quelconque lien entre la première et la S.A.M. C, employeur de la partie demanderesse. Malgré ce, la situation de co-emploi peut exister entre deux sociétés ne faisant pas partie d'un groupe, à charge pour le salarié de rapporter la preuve d'une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de l'une sur l'autre. Il y a co-emploi et existence d'un contrat de travail entre un salarié et un employeur autre que celui que l'acte désigne comme tel dès lors que celui-ci donne directement ou indirectement, des instructions au salarié ou qu'il existe entre les sociétés une confusion « d'intérêts, d'activité et de direction » qui se manifeste par une immixtion de l'une des sociétés dans la gestion économique et sociale de l'autre. Il appartient au salarié qui invoque une situation de co-emploi d'apporter au juge des éléments démontrant ladite confusion ; la charge de la preuve lui incombant.
Le Juge doit donc :
rechercher les éléments caractérisant l'immixtion d'une société dans une autre,
ne reconnaître le co-emploi que lorsque plusieurs éléments caractérisant cette immixtion sont constatés, à savoir notamment le fait que la gestion administrative, comptable, financière, commerciale, technique et juridique d'une société soit assurée par une autre, la dépendance économique d'une société par rapport à une autre, la gestion du personnel d'une société par l'autre, la perte d'autonomie décisionnelle d'une société en matière de formation, de mobilité et de recrutement au profit d'une autre, le contrôle du service comptabilité clients d'une société par l'autre.
La partie demanderesse se contente de relever l'existence d'un rapport de contrôle et d'une confusion entre les deux sociétés se traduisant par la substitution de l'une à l'autre dans la prise de décision, sans le démontrer ; alors que la confusion d'intérêts, d'activité et de direction doit avoir pour conséquence une perte totale d'autonomie de l'autre société.
Ainsi, la démonstration de la dépendance d'une filiale ou d'une société à l'égard de la société-mère ou d'une société tierce se fait à partir d'un faisceau d'indices tels que :
le contrôle financier,
la présence de dirigeants de la société-mère dans le conseil d'administration de la filiale,
une activité économique exclusivement tournée vers le groupe,
l'absence d'indépendance dans la définition de la stratégie et de la fixation des prix,
la centralisation de la gestion des ressources humaines,
l'accomplissement du travail par les salariés, indistinctement pour plusieurs sociétés du groupe,
l'absence d'autonomie dans la gestion opérationnelle et administrative,
la volonté d'abandonner ses prérogatives en donnant délégation de pouvoir, notamment pour licencier à un cadre de la société-mère.
Il en résulte que la partie demanderesse ne démontre pas l'existence d'une immixtion de la société A dans la gestion économique et sociale de la S.A.M. C et la confusion d'intérêts, d'activités et de direction requises pour établir l'existence d'un co-emploi.
En conséquence, la partie demanderesse doit être déclaré irrecevable en ses demandes, en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société défenderesse.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 17 DÉCEMBRE 2020
En la cause de Monsieur n. L., demeurant X1à MENTON (06500) ;
Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
La société dénommée A, en qualité de société Mère du Groupe B, dont le siège social se situe X2 à BOCA RATON (33486), Floride - U. S. A. ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 9 mai 2018, reçue le 11 mai 2018 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 31-2018/2019 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 16 octobre 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur au nom de Monsieur n. L. en date des 28 juin 2019 déposées le 2 juillet 2019 et 13 février 2020 déposées le 27 février 2020 ;
Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur au nom de la société A, en date des 12 décembre 2019 et 8 juillet 2020 ;
Après avoir entendu Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco pour Monsieur n. L. et Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la même Cour pour la société A, en leurs observations ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
Monsieur n. L. a travaillé en qualité d'Agent de Production pour la S. A. M. C, spécialisée dans la conception, la fabrication et la vente de composants mécaniques, électromécaniques pour appareils électroménagers ou autres applications.
En janvier 2015, la S. A. M. C a annoncé à ses salariés la délocalisation de son site pour la République Tchèque, ce qui a entraîné le licenciement de quatre-vingt-deux salariés du site monégasque, dont Monsieur n. L.
L'entreprise appartenait à un groupe de sociétés, le siège mondial du groupe B étant situé dans l'Illinois aux ÉTATS-UNIS.
Lors de la délocalisation, la société mère de groupe était la société A dont le siège social est en Floride aux ÉTATS-UNIS.
La S. A. M. C a fait l'objet d'une dissolution anticipée par décision prise en Assemblée Générale Extraordinaire en date du 28 avril 2016.
Par requête en date du 9 mai 2018, reçue au greffe le 11 mai 2018, Monsieur n. L. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes, à l'encontre de la société A (la société K) :
dire que son licenciement ne repose pas sur un motif valable et revêt un caractère abusif,
condamner la société A au règlement de la somme de 75.000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
condamner la société requise aux entiers dépens distraits au profit de Maître Franck MICHEL, avocat-défenseur, aux offres de droit.
Aucune conciliation n'ayant pu aboutir, le dossier a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.
Le demandeur a déposé des conclusions les 2 juillet 2019 et 27 février 2020 dans lesquelles il fait essentiellement valoir que :
sur l'irrecevabilité soulevée par la défenderesse :
la société A a racheté en 2014 le groupe pour lequel il travaillait, à savoir le groupe P pour lui donner sous son affiliation le nom de C,
ce rachat est confirmé sur le propre site internet de la société A,
cette acquisition a même été confirmée par Monsieur m. L. Cofondateur et Directeur Adjoint de la société A lors d'une interview sur le site internet « p. com »,
ce rachat est vérifiable sur bon nombre de courriels émis par la Direction du groupe B,
au moment de la revente du groupe B au profit de O, ce ne sera pas la D qui sera présentée comme venderesse de ce groupe mais toujours la société A,
procéder à la vente du groupe B démontre que la société A était nécessairement actionnaire majoritaire de ce groupe, voire détenait la totalité de ses actions, puisqu'elle seule apparaît avoir conclu cette vente,
la S. A. M. C ayant été radiée en Principauté de Monaco, il est bien fondé à attraire aux débats la société A, non seulement parce ce que celle-ci a racheté le groupe B, mais également parce qu'il est en mesure de démontrer que A a pris autoritairement des décisions et a agi en faisant prévaloir ses propres intérêts d'actionnaire, sur l'intérêt social alors que rien ne l'y obligeait,
la société A n'est immiscée dans la gestion de la S. A. M. C : notamment en phase des pourparlers avec les salariés de la S. A. M. C avant leur licenciement et lors des pourparlers préalables à la signature du plan social,
Monsieur m M. Directeur d'Exploitation du Groupe de A est venu visiter le site monégasque et est intervenu directement pour négocier le plan social ayant abouti au licenciement de tous les salariés de la S. A. M. C,
la S. A. M. C n'a jamais été indépendante de la société A à partir du moment où cette dernière a fait naître le groupe B, la défenderesse a clairement donné des instructions de stratégie économique et sociale que devait dorénavant adopter la S. A. M. C,
cette immixtion est revendiquée par la société A ainsi qu'il résulte de l'interview de Monsieur m. J L. sur le site internet « p. com »,
peu importe que la société A ait agi ou non au travers de la société A, puisqu'elle seule a donné les instructions directement liées à la perte de la S. A. M. C et au licenciement des salariés,
sur le licenciement :
il a travaillé durant vingt-et-un ans pour la S. A. M. C ou son groupe,
il a subi un licenciement du fait de la fermeture de la filiale monégasque, dont la décision a été prise autoritairement par le groupe B qui ne souffrait d'aucune difficulté économique et qui a procédé à des licenciements, pour les utiliser comme des outils de gestion économique dans l'unique but d'optimiser la production du groupe mondial et réaliser des économies sur le coût de la main d'œuvre,
le groupe B est né de l'acquisition par E, fonds de pension américain, de la division R, moyennant 150 millions de GBP,
au cours de l'exercice fiscal achevé le 31 mars 2013, cette division a enregistré un résultat d'exploitation avant les éléments exceptionnels de 8 millions de livres sterling pour un chiffre d'affaires de 331 millions de livres sterling, net des opérations interentreprises,
cela démontre déjà que la division en question était des plus prospères,
ce sont les représentants de A et aucunement les représentants légaux de la S. A. M. C, qui ont échangé avec les salariés durant le plan social et pris les décisions significatives pour mettre en œuvre sa délocalisation, ce qui révèle l'immixtion du groupe dans la gestion économique et sociale de l'entité monégasque,
il s'agit dès lors d'un co-emploi,
le groupe B a procédé, au mois de juin 2016, à des acquisitions et à des investissements colossaux, qui font échec à la théorie selon laquelle la fermeture du site de la S. A. M. C aurait été commandée par des difficultés économiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité du groupe,
il résulte du propre aveu de la S. A. M. C que le licenciement litigieux procèderait des difficultés économiques qu'elle aurait rencontrées à l'époque du plan social, sans considération de la prospérité que connaissait le groupe B, puisque celui-ci n'est même pas évoqué,
aucune information relativement au groupe n'est fournie dans le plan social,
le projet du groupe B était de sacrifier la filiale monégasque afin de générer toujours plus d'économies et de profits,
les salariés se sont mobilisés pour tenter de sauver leur emploi et ont bloqué leur entreprise le 10 mars 2015, ce qui a entraîné une mesure de blocage des salariés par la direction, du 11 au 17 mars 2015, en les menaçant de fermer immédiatement ses portes s'ils ne votaient pas la reprise du travail,
certains salariés ont été choisis par la Direction en juillet 2015 pour former les futurs salariés du groupe (en République Tchèque) qui allaient réceptionner les machines de l'usine monégasque,
une fois le plan social clôturé, la Direction a exercé une pression telle sur ses salariés pour achever les commandes avant le transfert des machines, que des accidents se sont produits sur des salariés pourtant expérimentés.
Monsieur n. L. sollicite en outre du Tribunal de :
rejeter l'exception de nullité soulevée par la société A et plus généralement la débouter de toutes ses demandes, fins et prétentions,
ordonner à la société A la communication de documents officiels justifiant que celle-ci n'a eu aucun lien juridique, ni économique avec le groupe B, en dépit des nombreux éléments versés aux débats et qui démontrent tout le contraire.
La société A a déposé des conclusions les 12 décembre 2019 et 8 juillet 2020 dans lesquelles elle demande au Tribunal de :
dire que les demandes du salarié présentées à son encontre sont irrecevables,
condamner Monsieur n. L. au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
condamner le demandeur aux dépens dont distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
La société défenderesse sollicite encore de voir écarter des débats la pièce adverse n° 53.
La société A soutient essentiellement que :
en ne versant aux débats aucun élément relatif aux négociations du plan de licenciement collectif dans le cadre duquel le salarié a été licencié et en saisissant le Tribunal du travail postérieurement à la radiation de la S. A. M. C, le demandeur l'a privée de toute possibilité d'attraire la S. A. M. C dans la cause,
en procédant ainsi, le demandeur tente de faire peser sur elle d'avoir à rapporter la preuve de son absence d'immixtion dans la gestion de la S. A. M. C tout en la sachant privée de tout accès aux éléments relatifs au plan de licenciement économique dans le cadre duquel est intervenu le licenciement,
ce faisant, le demandeur inverse la charge de la preuve, faisant peser sur elle la preuve d'un fait négatif, impossible à rapporter,
Monsieur n. L. était salarié de la S. A. M. C et il n'y a jamais eu de transmission universelle du patrimoine de cette société à son profit,
elle n'a pas repris les droits et obligations de la S. A. M. C en sa qualité d'ancien employeur de Monsieur n. L. qui aurait pu justifier la compétence du Tribunal du travail pour connaître des demandes de celui-ci,
Monsieur n. L. ne justifie pas d'une situation de co-emploi à son endroit,
le demandeur n'est pas fondé à solliciter la production de tous les documents officiels justifiant qu'elle n'a eu aucun lien juridique, ni économique avec le groupe B sur la période litigieuse, demande qui procède d'une inversion de la charge de la preuve,
c'est au demandeur de rapporter la preuve du bien fondé de ses allégations et prétentions,
pour retenir l'existence d'un co-emploi, la jurisprudence française retient, outre l'appartenance au même groupe :
qu'il devait exister entre elles une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière,
que la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination que cette appartenance peut engendrer ne caractérise pas à elle seule une situation de co-emploi,
le demandeur ne produit aucun élément qui réponde aux critères fixés par la jurisprudence pour justifier une situation de co-emploi,
aucune des pièces produites par le salarié ne démontre une quelconque immixtion de sa part dans la S. A. M. C,
au contraire, l'analyse de certaines pièces versées aux débats par Monsieur n. L. permet de démontrer que la S. A. M. C disposait de son autonomie (pièces adverses nos 10, 12, 15, 53 et 54),
le demandeur peine à identifier la nature des liens qui auraient pu exister entre elle et la S. A. M. C,
les affirmations selon lesquelles elle aurait été la société mère du groupe B ou sa représentante légale sont totalement erronées et ne sont d'ailleurs étayées par aucune pièce,
le demandeur fait référence à une société affiliée à D, société de droit anglais ayant son siège à Londres et non à A société de droit américain ayant son siège aux ÉTATS-UNIS,
la pièce n° 6 produite par Monsieur n. L. ne la vise pas puisqu'il est fait mention d'une « affiliate of D », le terme « affiliate » devant être traduit par « société affiliée », la notion d' « affiliate » n'impliquant pas nécessairement un droit de propriété mais à une participation minoritaire,
le demandeur mentionne dans ses conclusions un fonds de pension américain « E », alors que cette entité n'existe pas,
il se déduit des propres indications et des pièces du demandeur que la S. A. M. C est une filiale du groupe B et non de SUN CAPITAL PARTNERS INC et que c'est une société affiliée à E qui a acquis le groupe B,
elle n'est pas le représentant légal de E, cette société n'ayant pas d'existence légale, à moins que le demandeur ne fasse référence à la société D,
elle n'est pas la société mère de E ni de l'une quelconque de ses sociétés affiliées.
SUR CE,
Sur le rejet des débats de la pièce n° 53 produite par Monsieur n. L.
La pièce n° 53 est constituée par une retranscription d'une vidéo, laquelle est contestée par la société défenderesse pour les motifs suivants :
aucune indication n'est donnée par le demandeur sur les conditions dans lesquelles cette vidéo a été enregistrée,
rien ne permet de s'assurer de la réalité de la conversation en cause, ni de l'intégrité de la retranscription,
rien ne permet de s'assurer de l'identité des personnes mentionnées, ni la date à laquelle cette conversation aurait eu lieu, ni les conditions dans lesquelles cette conversation aurait eu lieu.
La société K soutient encore qu'une partie ne peut se prévaloir de moyens de preuve obtenus illégalement ou de manière déloyale, et notamment des enregistrements ou écoutes réalisées à l'insu de l'autre partie.
Cependant, la lecture de cette vidéo fait apparaître qu'elle constitue une vidéo de publicité, les participants n'ayant en aucun cas été filmés à leur insu.
Cependant, l'attention du lecteur est attirée en fin de vidéo sur l'interdiction de toute transmission, reproduction ou mise à disposition de celle-ci, sans le consentement de A ou de ses sociétés affiliées.
Monsieur n. L. ne rapporte pas la preuve de l'obtention d'une telle autorisation, de sorte que la pièce n° 53 contenant cette vidéo sera rejetée des débats.
Sur la recevabilité des demandes de Monsieur n. L. à l'encontre de la société A
Il n'est ni contesté ni contestable que la société A n'est pas l'employeur de Monsieur n. L.
Lorsqu'une filiale d'un groupe est en difficulté, la Cour de cassation a ouvert aux salariés à la recherche d'un débiteur solvable, la possibilité de mettre en cause une société appartenant à un même groupe (généralement la société mère du groupe) en cas de co-emploi. Celle-ci suppose que soit caractérisée une confusion des intérêts, des activités et de direction entre les deux personnes morales.
Il appartient dans un premier temps au salarié de rapporter la preuve que les sociétés en cause font partie d'un même groupe puis que la société contre laquelle le salarié se retourne s'est immiscée dans la gestion et dans la direction du personnel de celle-ci, étant précisé que la seule appartenance à un groupe ne suffit pas à caractériser une situation de co-emploi.
La charge de la preuve pesant exclusivement sur le salarié, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de communication de pièces présentée par Monsieur n. L. à l'encontre de la société défenderesse.
Pour la doctrine, « le groupe de société est un ensemble de sociétés qui ont chacune leur existence juridique propre, mais qui se trouvent unies entre elles par des liens divers sur la base desquels l'une d'entre elles, habituellement qualifiée de société mère, exerce un contrôle sur l'ensemble, faisant ainsi prévaloir une unité de décision économique » (Extrait du rapport de Sophie Depelley, Conseiller référendaire à la Chambre sociale de la Cour de cassation).
Pour démontrer ses allégations, Monsieur n. L. produit les éléments suivants :
la pièce n° 4 : plaquette de présentation de A, sur laquelle apparaît la société ROBERTSHAW.
Ce document montre que la première a investi une somme de 244.500.000 $.
Cependant, le fait que la première ait apporté à la seconde un important soutien financier ne peut suffire à caractériser une situation de co-emploi, pas plus que l'appartenance à un même groupe de sociétés.
la pièce n° 5 concerne la société D et non la société défenderesse.
les pièces nos 6 et 7 concernent l'acquisition par une filiale de la société D de la division électroménager de P, C.
La défenderesse conteste la traduction assermentée de ce document en soutenant que le mot « affiliate » ne se traduit pas par filiale mais par société affiliée.
Toutefois, quelle que soit la définition retenue, il apparaît que l'une et l'autre sont détenues, minoritairement ou majoritairement, par une autre société.
À ce titre, et même dans l'hypothèse où une société est actionnaire minoritaire d'une autre, le co-emploi entre les deux est possible si la première s'est immiscée dans la gestion de l'autre dans les conditions prévues supra .
Cependant, il n'est donné aucune précision sur la société ayant acquis P.
la pièce n° 18 consistant en un article aux termes desquels « des sociétés de capital-investissement cèdent le contrôle de ROBERTSHAW pour 900 millions de dollars », en cela confirmé par les pièces nos 19 et 20.
Les documents produits par Monsieur n. L. en pièces nos 31 et 32 font état d'une filiale de la société A comme venderesse de la société C, alors que les pièces nos 33, 34, 36 et 37 mentionnent la société A à ce titre.
La défenderesse produit en pièce n° 2 une page du site internet de A, sur lequel apparaît la mention suivante (en anglais avec sa traduction libre en français, non contestée) :
« Merci de noter que les références à A ou K, sur ce site peuvent effectivement se référer à des sociétés affiliées de A et/ou les sociétés de leur portefeuille une performance précédente n'est pas nécessairement indicative des résultats futurs. Toutes les sociétés de portefeuille affiliées ne sont pas présentées sur le site. ».
Il apparaît ainsi que des liens capitalistiques et/ou financiers ont existé entre la société A (ou ses sociétés affiliées) et la société C, sans pour autant démontrer un quelconque lien entre la première et la S. A. M. C, employeur de Monsieur n. L.
Malgré ce, la situation de co-emploi peut exister entre deux sociétés ne faisant pas partie d'un groupe, à charge pour le salarié de rapporter la preuve d'une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de l'une sur l'autre.
Il y a co-emploi et existence d'un contrat de travail entre un salarié et un employeur autre que celui que l'acte désigne comme tel dès lors que celui-ci donne directement ou indirectement, des instructions au salarié ou qu'il existe entre les sociétés une confusion « d'intérêts, d'activité et de direction » qui se manifeste par une immixtion de l'une des sociétés dans la gestion économique et sociale de l'autre.
Il appartient au salarié qui invoque une situation de co-emploi d'apporter au Juge des éléments démontrant ladite confusion ; la charge de la preuve lui incombant.
Le Juge doit donc :
- rechercher les éléments caractérisant l'immixtion d'une société dans une autre,
- ne reconnaître le co-emploi que lorsque plusieurs éléments caractérisant cette immixtion sont constatés, à savoir notamment le fait que la gestion administrative, comptable, financière, commerciale, technique et juridique d'une société soit assurée par une autre, la dépendance économique d'une société par rapport à une autre, la gestion du personnel d'une société par l'autre, la perte d'autonomie décisionnelle d'une société en matière de formation, de mobilité et de recrutement au profit d'une autre, le contrôle du service comptabilité clients d'une société par l'autre.
En l'espèce, Monsieur n. L. soutient que les sociétés S. A. M. C et A sont ses co-employeurs pour le motif suivant :
l'intervention de la société défenderesse en phase des pourparlers avec les salariés de la S. A. M. C avant leur licenciement
Pour démontrer cette allégation, Monsieur n. L. produit les éléments suivants :
un courriel en date du 31 mars 2014 adressé par Monsieur e. L. à certains salariés, ayant pour objet « Bilan L. e. visite K / Pavel Do », ainsi libellé :
« La visite s'est globalement bien passée. m M. consultant pour K, a trouvé que notre usine possédait des lignes bien automatisées, une stratégie de rentabilité intelligente, et une bonne gestion de l'espace disponible même si des progrès en terme de 5S, de niveau d'inventaire et de flux de pièces se devaient d'être réalisés.
Pavel a aussi noté une amélioration, notamment en terme de 5S, qui se devait d'être poursuivie. ».
Or, il apparaît en pièce n° 5 produite par Monsieur n. L. que Monsieur m M. est mentionné sur le site de D, ce qui est confirmé par la pièce n° 56 du demandeur (profil LinkedIn de Monsieur m M..
De plus, ce mèl intervient plus de deux ans avant les licenciements économiques litigieux, à l'époque de la cession de Q, Monsieur m M. étant intervenu pour faire un état des lieux dans le cadre de la transaction.
Force est de constater que Monsieur n. L. ne produit aucun autre document à l'appui de ses allégations, lesquelles sont, dès lors, dénuées de tout fondement.
En effet, le demandeur se contente de relever l'existence d'un rapport de contrôle et d'une confusion entre les deux sociétés se traduisant par la substitution de l'une à l'autre dans la prise de décision, sans le démontrer ; alors que la confusion d'intérêts, d'activité et de direction doit avoir pour conséquence une perte totale d'autonomie de l'autre société.
Ainsi, la démonstration de la dépendance d'une filiale ou d'une société à l'égard de la société-mère ou d'une société tierce se fait à partir d'un faisceau d'indices tels que :
- le contrôle financier,
- la présence de dirigeants de la société-mère dans le conseil d'administration de la filiale,
- une activité économique exclusivement tournée vers le groupe,
- l'absence d'indépendance dans la définition de la stratégie et de la fixation des prix,
- la centralisation de la gestion des ressources humaines,
- l'accomplissement du travail par les salariés, indistinctement pour plusieurs sociétés du groupe,
- l'absence d'autonomie dans la gestion opérationnelle et administrative,
- la volonté d'abandonner ses prérogatives en donnant délégation de pouvoir, notamment pour licencier un cadre de la société-mère.
Il en résulte que Monsieur n. L. ne démontre pas l'existence d'une immixtion de la société A dans la gestion économique et sociale de la S. A. M. C et la confusion d'intérêts, d'activités et de direction requises pour établir l'existence d'un co-emploi.
En conséquence, Monsieur n. L. doit être déclaré irrecevable en ses demandes, en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société défenderesse.
Ce faisant, le Tribunal devra se déclarer incompétent pour connaître des demandes présentées par Monsieur n. L.
Sur la demande reconventionnelle de la société A
L'action en justice constitue l'exercice d'un droit et que l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'un abus, sauf démonstration, non rapportée au cas d'espèce, d'une intention de nuire, d'une malveillance ou d'une erreur équipollente au dol .
Monsieur n. L. n'apparaît pas avoir commis d'abus en saisissant le Tribunal du travail, n'ayant commis aucune faute dans l'exercice de ce recours ni d'erreur équipollente au dol, ni fait preuve d'une quelconque intention de nuire envers la défenderesse, compte tenu notamment de la complexité de la matière et de la diversité des sociétés en cause ; il a donc pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, l'appréciation erronée du bien-fondé de ses demandes ne suffisant pas à caractériser un abus à l'encontre de la société défenderesse.
La demande de dommages-intérêts formulée par la société A sera purement et simplement rejetée.
Sur les dépens
Succombant dans ses prétentions, Monsieur n. L. sera condamné aux dépens.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Rejette des débats la pièce n° 53 produite par Monsieur n. L. ;
Déclare Monsieur n. L. irrecevable en ses demandes ;
Se déclare incompétent pour connaître des demandes présentées par Monsieur n. L.;
Déboute la société A de sa demande de dommages et intérêts ;
Condamne Monsieur n. L. aux dépens du présent jugement ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Jean-François MUFRAGGI, Cédric CAVASSINO, membres employeurs, Messieurs Michel ALAUX, Karim TABCHICHE, membres salariés, et lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique, au Palais de Justice, le dix-sept décembre deux mille vingt, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Jean-François MUFRAGGI, Cédric CAVASSINO, Michel ALAUX et Karim TABCHICHE, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire-adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais.