Tribunal du travail, 10 décembre 2020, Madame c. S. c/ La SARL A

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Abstract🔗

Licenciement – Licenciement économique – Motif valable (non) – Caractère abusif (oui)

Résumé🔗

En droit, la rupture du contrat de travail pour un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression d'emploi rendue nécessaire par l'existence effective de la restructuration de l'entreprise constitue un licenciement économique. Si le Juge ne peut apprécier la pertinence de la décision prise par l'employeur, il lui appartient néanmoins de contrôler la réalité du motif économique, c'est-à-dire en l'occurrence de la nécessité économique de la réorganisation (difficultés économique ou sauvegarde de la compétitivité) et de l'effectivité de la suppression du poste, dont la charge de la preuve revient à l'employeur. Constitue un motif économique de licenciement, le motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression effective d'emploi consécutive à des difficultés économiques réelles et non passagères ou aux nécessités de restructuration de l'entreprise. Il incombe ainsi à l'employeur, qui a la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif de la rupture, de démontrer par des éléments objectifs susceptibles de vérification par le Tribunal que le licenciement était fondé sur un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise. À cet égard, il doit matériellement établir la nécessité économique de la restructuration et l'effectivité de la suppression du poste. Par ailleurs, le droit monégasque qualifie de licenciement économique collectif le licenciement d'au moins deux salariés fondé sur une cause économique commune et contraint l'employeur au respect de l'avenant n° 12 du 20 mars 1970 à la Convention Collective Nationale du travail du 5 novembre 1945.

La réorganisation de l'entreprise, bien qu'elle relève du pouvoir de direction de l'employeur, ne peut se faire au détriment de l'emploi dans le cadre de simples choix de gestion discrétionnaires. Par ailleurs, la réorganisation de l'entreprise, bien qu'elle relève du pouvoir de direction de l'employeur, ne peut se faire au détriment de l'emploi dans le cadre de simples choix de gestion qui ne seraient pas rendus nécessaires par des difficultés financières ou la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. En effet, la suppression de poste ne peut constituer un motif valable de rupture que si l'employeur rapporte la preuve aussi bien de son effectivité que de sa nécessité économique. Répond à ce critère la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi. À cet égard, l'employeur, membre d'un groupe de sociétés, doit matériellement établir la concomitance du licenciement avec la restructuration, la nécessité économique de la réorganisation - difficultés économiques ou sauvegarde de la compétitivité en raison d'une menace - dans le secteur d'activité du groupe auquel il appartient et l'effectivité de la suppression du poste. Dès lors que la présente juridiction constate que la réorganisation de l'entreprise entraînant la suppression d'emploi est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, elle n'a pas le pouvoir de contrôler le choix effectué par l'employeur entre les différentes solutions possibles.

La suppression d'emploi suppose d'abord qu'elle affecte un poste identifié et ensuite que le salarié ne soit pas remplacé dans le même emploi ou sur son poste après son congédiement. La réalité de la suppression de poste s'apprécie dans le même espace-temps que celui au cours duquel le licenciement économique est prononcé.

En l'espèce, si la situation économique et financière de la S.A.R.L. A société employeur, était compromise à la date du licenciement, elle ne justifie d'aucune difficulté économique affectant le groupe auquel elle appartient dans le secteur d'activité de gestion de droits média dans le sport. En effet, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, ses difficultés économiques s'apprécient au niveau du groupe, dans la limite du secteur d'activité auquel appartient l'entreprise. Le secteur d'activité du groupe est théoriquement celui qui correspond à la branche d'activité dont relève l'entreprise qui invoque des difficultés économiques pour licencier. Relèvent ainsi du même secteur d'activité les entreprises dont l'activité économique a le même objet quelles que soient les différences tenant aux modes de production des biens ou de fournitures de services.

Il n'est pas contestable que la société mère a fait l'objet d'une liquidation au mois d'octobre 2018, soit 18 mois après le licenciement litigieux. Il appartient ainsi à la société défenderesse de démontrer que ses difficultés financières, certes avérées, touchaient également le Groupe et la société mère londonienne. Il s'ensuit que la société employeur ne démontre pas l'existence de difficultés économiques avérées affectant le groupe auquel elle appartient, à la date de la rupture du contrat de travail. Dans ces circonstances, les difficultés économiques de la société employeur ne suffisent pas à justifier la rupture du contrat de travail de Madame c.S. en l'absence de cause économique justifiée au sein du Groupe et de la société mère ou de démonstration d'une réorganisation nécessitée par la sauvegarde de sa compétitivité. La rupture du contrat de travail alors que le groupe ne connaissait, à la date de la rupture, aucune difficulté économique démontrée ne peut être fondée sur un motif valable de licenciement pour motif économique.

S'agissant d'un motif non valable, il n'est pas, pour autant, automatiquement fallacieux. Pour justifier un licenciement, le motif invoqué doit être valable, c'est-à-dire « présenter les conditions requises pour produire son effet » et par extension être « acceptable, admissible, fondé ». Madame c.S.ne démontre pas avoir été licenciée pour un autre motif que celui contenu dans la lettre de rupture. Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper ». Par ailleurs, le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur ; à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ». En effet, en droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif. Eu égard à ces observations, le Tribunal relève que Madame c.S.ne démontre pas la volonté de nuire ou de tromper de l'employeur. Dès lors, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement.

En l'espèce, la Commission Paritaire de l'Emploi n'a pas été saisie par l'employeur. L'employeur reconnaît qu'aucune solution de reclassement n'a été proposée à la salariée et qu'il n'avait aucune obligation de reclassement dans le groupe. L'argumentation de la société employeur ne saurait être suivie par le Tribunal. En effet, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, le périmètre du reclassement interne est le groupe et non pas seulement l'entreprise. La recherche doit porter sur les emplois de même catégorie que celui occupé par le salarié menacé de licenciement, sur des emplois « équivalents ». La recherche doit être sérieuse et loyale. Elle doit porter sur toutes les sociétés du groupe et non se limiter à certaines d'entre elles ; il faut une recherche effective des postes disponibles. Cette recherche doit être individuelle et l'employeur doit produire les éléments démontrant qu'il a tout essayé pour reclasser le salarié. À cet égard, il est constant que la S.A.R.L. A fait partie d'un groupe et qu'elle n'a pourtant nullement justifié de recherches de possibilités de reclassement au sein de ce groupe. Ainsi, en agissant de la sorte, l'employeur a fait preuve d'une légèreté blâmable dans le cadre de l'exercice de son droit unilatéral de rupture, laquelle confère incontestablement au licenciement intervenu un caractère abusif.


Motifs🔗

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 10 DÉCEMBRE 2020

  • En la cause de Madame c. S., demeurant X1à MONACO ;

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Christine DIOP, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

  • La société à responsabilité limitée dénommée A., dont le siège social se situe X2à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

  • Assistée de Madame b C, agissant ès-qualités de Syndic à la cessation des paiements de la S. A. R. L. A, demeurant X3 à MONACO, désignée par jugement du Tribunal de première instance en date du 4 octobre 2018 ;

Intervenante volontaire, ayant élu domicile en l'étude de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 61-2017/2018 ;

Vu le jugement mixte du Tribunal du Travail en date du 4 juin 2020 ;

Vu les pièces du dossier ;

* * * *

Par jugement mixte en date du 4 juin 2020, auquel il convient de se référer pour un examen plus ample des faits de la cause et de la procédure, le Tribunal a ordonné la réouverture des débats et enjoint à la S. A. R. L. A de produire l'intégralité du bilan au 30 juin 2017, ainsi qu'une attestation de son commissaire aux comptes détaillant et expliquant l'évolution du résultat de la société, ainsi que les dotations visées dans les motifs et qui apparaissent au passif de l'exercice 2016/2017 et non sur le bilan au 30 juin 2018.

Par courrier en date du 14 septembre 2020, la société défenderesse a communiqué au Tribunal certains documents.

Il convient dès lors de statuer sur le fond du litige.

SUR CE,

  • Sur le motif de la rupture

En droit, la rupture du contrat de travail pour un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression d'emploi rendue nécessaire par l'existence effective de la restructuration de l'entreprise constitue un licenciement économique.

Si le Juge ne peut apprécier la pertinence de la décision prise par l'employeur, il lui appartient néanmoins de contrôler la réalité du motif économique, c'est-à-dire en l'occurrence de la nécessité économique de la réorganisation (difficultés économique ou sauvegarde de la compétitivité) et de l'effectivité de la suppression du poste, dont la charge de la preuve revient à l'employeur.

Constitue un motif économique de licenciement, le motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression effective d'emploi consécutive à des difficultés économiques réelles et non passagères ou aux nécessités de restructuration de l'entreprise.

Il incombe ainsi à l'employeur, qui a la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif de la rupture, de démontrer par des éléments objectifs susceptibles de vérification par le Tribunal que le licenciement était fondé sur un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise.

À cet égard, il doit matériellement établir la nécessité économique de la restructuration et l'effectivité de la suppression du poste.

Par ailleurs, le droit monégasque qualifie de licenciement économique collectif le licenciement d'au moins deux salariés fondé sur une cause économique commune et contraint l'employeur au respect de l'avenant n° 12 du 20 mars 1970 à la Convention Collective Nationale du travail du 5 novembre 1945.

La lettre de licenciement en date du 6 avril 2017 est ainsi libellée :

« Objet : licenciement pour motif économique suite à restructuration.

Madame,

Suite à l'entretien préalable qui s'est déroulé le mercredi 21 mars 2017 à 10h30 en présence de Mme l. J. dans les locaux de la SARL A, X2à Monaco nous avons le regret de vous notifier votre licenciement pour motif économique.

(...). ».

La réorganisation de l'entreprise, bien qu'elle relève du pouvoir de direction de l'employeur, ne peut se faire au détriment de l'emploi dans le cadre de simples choix de gestion discrétionnaires.

Par ailleurs, la réorganisation de l'entreprise, bien qu'elle relève du pouvoir de direction de l'employeur, ne peut se faire au détriment de l'emploi dans le cadre de simples choix de gestion qui ne seraient pas rendus nécessaires par des difficultés financières ou la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.

En effet, la suppression de poste ne peut constituer un motif valable de rupture que si l'employeur rapporte la preuve aussi bien de son effectivité que de sa nécessité économique.

Répond à ce critère la réorganisation mise en œuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi.

À cet égard, l'employeur, membre d'un groupe de sociétés, doit matériellement établir la concomitance du licenciement avec la restructuration, la nécessité économique de la réorganisation - difficultés économiques ou sauvegarde de la compétitivité en raison d'une menace - dans le secteur d'activité du groupe auquel il appartient et l'effectivité de la suppression du poste.

Dès lors que la présente juridiction constate que la réorganisation de l'entreprise entraînant la suppression d'emploi est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, elle n'a pas le pouvoir de contrôler le choix effectué par l'employeur entre les différentes solutions possibles.

La S. A. R. L. A doit dès lors matériellement établir la concomitance du licenciement avec la restructuration, la nécessité économique de la réorganisation (difficultés financières ou sauvegarde de la compétitivité en raison d'une menace) et l'effectivité de la suppression du poste.

La demanderesse contestant la suppression de son poste, il convient dans un premier temps de rechercher la réalité de la suppression du poste anciennement occupé par Madame c. S.

La suppression d'emploi suppose d'abord qu'elle affecte un poste identifié et ensuite que le salarié ne soit pas remplacé dans le même emploi ou sur son poste après son congédiement.

La réalité de la suppression de poste s'apprécie dans le même espace-temps que celui au cours duquel le licenciement économique est prononcé.

En l'espèce, Madame c. S. soutient qu'après son licenciement, son travail sur les logiciels a été confié à Monsieur j. C. de la société U.

Ce faisant, la suppression du poste de la demanderesse ne fait pas débat puisqu'elle reconnaît elle-même que ses fonctions ont été externalisées.

Pour justifier les difficultés économiques invoquées, la S. A. R. L. A produit les éléments suivants :

  • * le bilan au 30 juin 2016 duquel il résulte :

    • - un chiffre d'affaires hors taxe de 229.656.512,83 euros,

    • - un résultat net bénéficiaire de 974.876,29 euros,

  • * le bilan au 30 juin 2018 duquel il résulte :

    • - un chiffre d'affaires hors taxe de 155.216.859,32 euros,

    • - une perte de 74.948.738,92 euros,

  • * la déclaration des résultats auprès de la Direction des Services Fiscaux de Monaco de l'année 2016/2017 de laquelle il résulte :

    • - un chiffre d'affaires toute taxe comprise de 217.035.286,90 euros,

    • - un déficit de 3.166.586,92 euros,

    • - un extrait du bilan au 30 juin 2017 sur lequel apparaît une perte de 17.564.519,25 euros.

À la suite du jugement mixte, la S. A. R. L. A a produit les documents suivants :

  • l'intégralité du bilan au 30 juin 2017,

  • le rapport de Monsieur d E, Commissaire aux Comptes, sur l'exercice sociale clos le 30 juin 2017, du 24 mars 2018,

  • le rapport spécial de Monsieur d E, Commissaire aux Comptes, sur l'exercice sociale clos le 30 juin 2017, du 24 mars 2018,

  • la note annexe aux états financiers arrêtés au 30 juin 2017,

  • l'attestation de Monsieur d E du 24 avril 2018.

Il s'évince de ces éléments que :

  • le total du bilan à la clôture de l'exercice s'élève à 203.533.965,56 euros,

  • le compte de pertes et profits fait apparaître une perte de 17.564.519,25 euros,

  • compte-tenu du capital et du résultat de l'exercice, le fonds social totalise un solde débiteur de 15.281.545,65 euros,

  • les contrôles du Commissaire aux Comptes n'ont pas révélé d'infraction aux dispositions légales et statutaires, hormis la tenue hors délai de l'Assemblé Générale d'approbation des comptes annuels,

  • Monsieur d E, Commissaire aux Comptes, écrit notamment dans son rapport :

« (...).

À mon avis, le bilan, le compte de pertes et profits et l'annexe de l'exercice 2016/2017, qui sont soumis à votre approbation, reflètent d'une manière sincère, en conformité avec les prescriptions légales et les usages professionnels, la situation active et passive de votre société au 30 juin 2017, ainsi que les opérations et le résultat de l'exercice de douze mois, clos à cette date. ».

À la demande du Tribunal, et conformément à ce qui était réclamé dans le jugement avant-dire-droit, la défenderesse a complété sa communication de pièces en produisant une attestation de Monsieur d E en date du 16 septembre 2020 et un courriel de la société F en date du 8 octobre 2020.

Monsieur d E indique :

« Je soussigné, d E, Commissaire aux comptes, atteste avoir été missionné par le syndic de la SARL A en cessation de paiement, sise au X2 , 98000 MONACO, inscrite au Répertoire du Commerce et de l'industrie sous le numéro 08S04908, pour effectuer une étude de l'évolution du résultat de la société au titre de l'exercice 2016/2017 et plus particulièrement mener une analyse des dotations exceptionnelles dudit exercice.

Par la présente, je vous prie de trouver ci-dessous la conclusion de mes travaux.

Évolution du résultat de l'exercice 2016/2017.

Au 30 juin 2017, la société A a vu son résultat devenir déficitaire pour un montant de - 17.564.519 euros contre un résultat bénéficiaire de 974.876 euros au 30 juin 2016.

Cette dégradation est liée aux facteurs suivants :

  • a) Chute de la marge brute : Les ventes de Droits TV n'ont pas couvert les achats de Droits TV au 30 juin 2017. En conséquence, la marge brute atteint - 192176 euros contre + 3.480.144 euros au 30 juin 2016. Je tiens à préciser que cette dégradation n'est pas isolée, puisque nous avons identifié une dégradation similaire au niveau du Groupe A.

  • b) Constatation d'une indemnité de rupture du contrat d'un ancien gérant associé pour un montant de - 1.100.000 euros.

  • c) Constatation d'un résultat Exceptionnel déficitaire d'un montant de - 14.690.939 euros correspondant notamment à :

    • a. Une dotation aux provisions pour pertes futures d'un montant de - 12.880.210 euros ;

    • b. Un différentiel de change d'un montant de - 502.022 euros ;

    • c. Une provision pour perte de change de - 762.809 euros ;

    • d. Des créances douteuses et irrécouvrables d'un montant de - 403.060 euros.

2) Détail de la dotation aux provisions pour pertes futures

Conformément à la réglementation comptable sur les contrats à long terme, une provision pour perte future est constatée dès lors qu'il apparait un risque de déficit futur. Le risque lié à la sous-estimation des provisions pour pertes futures a considérablement augmenté au cours de l'exercice comptable 2016/2017. Les principaux facteurs qui ont augmenté ce risque étaient les suivants :

  • 1. Une nouvelle politique de prix de transfert ;

  • 2. La dégradation rapide des performances de la société A. et de ses filiales ;

  • 3. Changements importants et récurrents à tous les postes clés de la direction. La Direction a appliqué une nouvelle politique de prix de transfert à partir de l'exercice comptable 2016/2017 permettant un partage du résultat d'exploitation par Droit TV. Ce partage dépend alors de l`implication de la filiale dans le processus de commercialisation du Droit TV dans le groupe.

En conséquence, sur chaque Droit TV commercialisé, il convenait de définir le rôle de l'entité dans une des fonctions clés suivantes :

  • Acquisition Négociation (AN) - 50% : Il s'agit du rôle du Comité directeur de l'acquisition, qui discute et gère la négociation des modalités de l'acquisition.

  • Acquisition Contracting (AC) - 2,5% : Ce rôle consiste à conclure et à signer des contrats avec des titulaires de droits.

  • Sales Negociation (SN) - 45% : Cela implique le rôle des chefs commerciaux basés à l'échelle régionale qui sont impliqués dans la commercialisation des Droits aux clients.

  • Sales Contracting (SC) - 2,5% : Ce rôle consiste à conclure et à signer des contrats avec des tiers distributeurs de droits.

En fonction du statut que possédait la société A. dans le processus de commercialisation du Droit TV, le pourcentage défini était appliqué sur la marge bénéficiaire ou déficitaire du Droit TV, entrainant des facturations intercompany.

Selon le même principe, la Direction a appliqué la même méthode pour le calcul de la perte à terminaison attendue sur les exercices 2017/2018 et 2018/2019. L'analyse de la provision a été la suivante :

  • Sur 8 contrats déficitaires, la société A était considérée comme « SalesContracting - 2,5 % » engendrant une perte de - 1 .038.883 euros ;

  • Sur 9 contrats déficitaires, la société A était considérée comme« Acquisition Contracting - 2,5% » engendrant une perte de - l .582.677 euros ;

  • Sur 6 contrats déficitaires, la société A était considérée comme« Acquisition Negociation - 50% » engendrant une perte de - 10.258.650 euros.

En conséquence, une provision pour perte future a été constatée pour un montant de 12.880.210 euros. ».

Le Cabinet F écrit quant à lui :

« Bonjour,

Une dotation aux provisions est une écriture comptable qui permet de rattacher à l'exercice une charge future et probable, conformément au principe comptable de Prudence.

Dans le cas présent, plusieurs contrats N+1 étaient déficitaires. Il était donc indispensable de constater une dotation aux provisions pour perte future sur l'exercice N pour prendre en compte ces charges futures.

Lors de l'exercice 2017/2018, ces charges n'ont pas été constatées puisqu'elles n'ont tout simplement pas pu être calculées par le Groupe A. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui nous auraient poussée à ne pas certifier les comptes annuels si ces derniers avaient été arrêtés sur la base des projets audités.

En espérant avoir répondu à vos questions. ».

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que si la situation économique et financière de la S. A. R. L. A. société employeur, était compromise à la date du licenciement, elle ne justifie d'aucune difficulté économique affectant le groupe auquel elle appartient dans le secteur d'activité de gestion de droits média dans le sport.

En effet, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, ses difficultés économiques s'apprécient au niveau du groupe, dans la limite du secteur d'activité auquel appartient l'entreprise.

Le secteur d'activité du groupe est théoriquement celui qui correspond à la branche d'activité dont relève l'entreprise qui invoque des difficultés économiques pour licencier.

Relèvent ainsi du même secteur d'activité les entreprises dont l'activité économique a le même objet quelles que soient les différences tenant aux modes de production des biens ou de fournitures de services.

En l'espèce, la société monégasque avait un objet social relevant du même secteur d'activité que la société mère basée à Londres. L'objet social de la société employeur était le suivant :

« Achat, vente, commission, courtage, distribution de tous types de droits audio visuels, internet et mobile, ainsi que des droits d'image et de propriété intellectuelle liés au sport et au spectacle. ».

La société A basée à Londres, avait pour activité « la fourniture des services de distribution de droits médias, ainsi que des services numériques, technologiques et de partenariat. ».

Il s'ensuit que les difficultés économiques alléguées par la S. A. R. L. A doivent être appréhendées dans le secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.

Il n'est pas contestable que la société mère a fait l'objet d'une liquidation au mois d'octobre 2018, soit 18 mois après le licenciement litigieux.

Il appartient ainsi à la société défenderesse de démontrer que ses difficultés financières, certes avérées, touchaient également le Groupe et la société mère londonienne.

Il s'ensuit que la société employeur ne démontre pas l'existence de difficultés économiques avérées affectant le groupe auquel elle appartient, à la date de la rupture du contrat de travail.

Dans ces circonstances, les difficultés économiques de la société employeur ne suffisent pas à justifier la rupture du contrat de travail de Madame c. S. en l'absence de cause économique justifiée au sein du Groupe et de la société mère ou de démonstration d'une réorganisation nécessitée par la sauvegarde de sa compétitivité.

La rupture du contrat de travail alors que le groupe ne connaissait, à la date de la rupture, aucune difficulté économique démontrée ne peut être fondée sur un motif valable de licenciement pour motif économique ;

Madame c. S. était en droit de prétendre à une indemnité de licenciement dont le mode de calcul tel que figurant dans ses écritures n'est pas contesté par l'employeur et dont le montant s'élève à la somme de 20.527,08 euros de laquelle il y a lieu de déduire l'indemnité de congédiement s'élevant à 6.252,24 euros, soit la somme de 14.274,84 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la demande en justice reçue au greffe, soit le 5 avril 2018.

  • Sur le caractère abusif du licenciement

Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve.

Il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné.

En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.

Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal, ce qui ne s'avère pas être le cas en l'espèce.

L'analyse qui précède a permis de constater que le grief énoncé dans la lettre de licenciement s'est avéré infondé.

Pour autant, le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.

S'agissant d'un motif non valable, il n'est pas, pour autant, automatiquement fallacieux.

Pour justifier un licenciement, le motif invoqué doit être valable, c'est-à-dire « présenter les conditions requises pour produire son effet » et par extension être « acceptable, admissible, fondé ».

Madame c. S. ne démontre pas avoir été licenciée pour un autre motif que celui contenu dans la lettre de rupture.

Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper ».

Par ailleurs, le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur ; à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ».

En effet, en droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif.

Eu égard à ces observations, le Tribunal relève que Madame c. S. ne démontre pas la volonté de nuire ou de tromper de l'employeur.

Dès lors, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement.

Il est constant que la rupture du contrat de travail de la salariée s'inscrit dans le cadre d'un licenciement économique collectif.

La société défenderesse était donc tenue de respecter les dispositions de l'avenant n° 12 du 20 mars 1970 à la Convention Collective Nationale du Travail sur la sécurité de l'emploi, rendu obligatoire par l'Arrêté d'extension du 28 juillet 1970, pour tous les employeurs des entreprises industrielles et commerciales appartenant aux secteurs professionnels compris dans son champ d'application, et en particulier ses articles 11 et suivants, lesquels imposent à l'employeur :

  • Article 11 :

« Lorsqu'une entreprise est amenée à envisager un licenciement Collectif d'ordre économique, elle doit :

  • - s'efforcer de réduire autant qu'il est possible le nombre des licenciements ;

  • - utiliser les possibilités offertes à cet égard par une politique de mutations internes, soit à l'intérieur de l'établissement concerné, soit d'un établissement à un autre établissement de l'entreprise ;

  • - mettre à l'étude les suggestions présentées par les délégués du personnel en vue de réduire le nombre des licenciements.

Dans la mesure où des solutions satisfaisantes ne pourraient intervenir au plan de l'entreprise, ou en l'absence de délégués du personnel, la Commission Paritaire de l'Emploi sera saisie dans le cadre de ses attributions précisées à l'article 3. ».

  • Article 17 :

« Les entreprises doivent rechercher les possibilités de reclassement susceptibles de convenir aux salariés dont le licenciement aura dû être décidé ainsi que les moyens de formation et de reconversion qui pourraient être utilisés par eux. Elles les feront connaître aux délégués du personnel intéressés. ».

La Commission Paritaire de l'Emploi, instituée par les articles 1 à 5 de l'avenant n° 12, a pour tâche notamment, aux termes de l'article 3, d'examiner en cas de licenciements collectifs les conditions de mise en œuvre des moyens de reclassement et de réadaptation.

Il est indiqué notamment au sein de l'article 11 alinéa 3 que la Commission est saisie dans la mesure où des solutions satisfaisantes ne pourraient intervenir au plan de l'entreprise, ou en l'absence de délégués du personnel.

En l'espèce, ladite Commission n'a pas été saisie par l'employeur.

Enfin, l'article 17 de l'avenant n° 12 prévoit que « les entreprises doivent rechercher les possibilités de reclassement susceptibles de convenir aux salariés dont le licenciement aura dû être décidé ainsi que les moyens de formation et de reconversion qui pourraient être utilisés par eux. Elles le feront connaître aux délégués du personnel intéressés .».

L'employeur reconnaît qu'aucune solution de reclassement n'a été proposée à la salariée et qu'il n'avait aucune obligation de reclassement dans le groupe.

L'argumentation de la société employeur ne saurait être suivie par le Tribunal.

En effet, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, le périmètre du reclassement interne est le groupe et non pas seulement l'entreprise.

La recherche doit porter sur les emplois de même catégorie que celui occupé par le salarié menacé de licenciement, sur des emplois « équivalents ».

La recherche doit être sérieuse et loyale. Elle doit porter sur toutes les sociétés du groupe et non se limiter à certaines d'entre elles ; il faut une recherche effective des postes disponibles.

Cette recherche doit être individuelle et l'employeur doit produire les éléments démontrant qu'il a tout essayé pour reclasser le salarié.

À cet égard, il est constant que la S. A. R. L. A fait partie d'un groupe et qu'elle n'a pourtant nullement justifié de recherches de possibilités de reclassement au sein de ce groupe.

Ainsi, en agissant de la sorte, l'employeur a fait preuve d'une légèreté blâmable dans le cadre de l'exercice de son droit unilatéral de rupture, laquelle confère incontestablement au licenciement intervenu un caractère abusif.

Quant au préjudice invoqué, il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.

Ainsi, la salariée, qui était âgé 55 ans au moment de la rupture, bénéficiant d'une ancienneté de près de quatre années a incontestablement subi un préjudice moral dans un contexte où elle avait connu une évolution de carrière très honorable, compte-tenu de son investissement professionnel ainsi que sa disponibilité indéniables, ainsi qu'une perte de chance, à l'exclusion du préjudice financier relatif à la perte de l'emploi qui ne pourrait découler que d'un motif illicite ou fallacieux.

Ces abus dans les conditions de mise en œuvre du licenciement ouvrent droit à la réparation du préjudice moral consécutif subi par cette salariée, qui sera correctement indemnisée par l'allocation d'une somme de 20.000 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

  • Sur le différentiel indemnités Pôle Emploi

Madame c. S. fonde sa demande sur la faute de l'employeur qui aurait omis de déclarer au point 7.2 de l'attestation Pôle Emploi, le bonus de 18.436 euros, lequel n'aurait pas été pris en compte pour le calcul de l'indemnité journalière de l'allocation chômage.

L'employeur ne conteste pas dans un premier temps ne pas avoir porté ladite somme au point 7.2 de l'attestation Pôle Emploi.

Dans un second temps, il soutient avoir régularisé la situation auprès de cette administration dès le mois d'août 2017 et produit pour le justifier une attestation du chef comptable de la société, non datée.

Ce document ne démontre en aucune manière qu'un courrier de régularisation a été adressé à Pôle Emploi en ce sens.

Il appartient cependant de rappeler à Madame c. S. que la charge de la preuve du montant réclamé lui incombe.

Sur ce, le Tribunal relève que la somme sollicitée par la demanderesse n'est justifiée par aucune pièce de sorte que Madame c. S. devra être déboutée de ce chef de prétention.

  • Sur l'exécution provisoire

Les conditions requises par l'article 202 du Code de procédure civile pour que l'exécution provisoire puisse être ordonnée n'étant pas réunies en l'espèce la demande à ce titre ne pourra qu'être rejetée.

  • Sur les dépens

La S. A. R. L. A qui succombe doit supporter les dépens du présent jugement et du jugement mixte rendu le 4 juin 2020.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de Madame c. S. par la S. A. R. L. A n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif ;

Condamne la S. A. R. L. A à verser à Madame c. S. les sommes suivantes :

  • - 14.274,84 euros (quatorze mille deux cent soixante-quatorze euros et quatre-vingt-quatre centimes) à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêt au taux légal à compter de la demande en justice reçue au greffe, soit le 5 avril 2018 ;

  • - 20.000 euros (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Déboute Madame c. S. du surplus de ses demandes ;

Condamne la S. A. R. L. A aux dépens, dont distraction au profit de Maître Richard MULLOT, avocat défenseur, sous sa due affirmation, de la présente décision et du jugement mixte rendu le 4 juin 2020 ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Alain HACHE, Francis GRIFFIN, membres employeurs, Messieurs Bernard ASSO, Marc RENAUD, membres salariés, et lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique, au Palais de Justice, le dix décembre deux mille vingt, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Alain HACHE, Francis GRIFFIN, Bernard ASSO et Marc RENAUD, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais.

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