Tribunal du travail, 15 octobre 2020, Madame l. D. c/ La SARL A
Abstract🔗
Contrat de travail – Qualification (oui) – Compétence du Tribunal du Travail (oui)
Résumé🔗
En application des dispositions de l'article 1er de la loi n° 729 du 16 mars 1963 le contrat de travail est la Convention par laquelle une personne s'engage temporairement à exécuter un travail sous l'autorité et au profit d'une autre personne contre paiement d'un salaire déterminé. Par ailleurs l'article 1er de la loi n° 739 du même jour définit le salaire comme la rémunération contractuellement due au travailleur placé sous l'autorité d'un employeur, en contrepartie du travail ou des services qu'il a accomplis au profit de ce dernier. Enfin l'autorité reconnue à l'employeur consiste dans le pouvoir de donner des ordres et des directives à son salarié, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner le cas échéant les manquements de celui-ci, ainsi placé sous sa subordination. Ces règles étant d'ordre public, l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont pu donner à leur convention, mais seulement des conditions de fait dans lesquelles s'exerce l'activité du travailleur, notamment de la réalité ou de l'absence d'un lien de subordination. En l'absence d'écrit ou d'apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d'en rapporter la preuve. Il appartient en conséquence au Tribunal de rechercher si Madame l. D. a effectivement réalisé un travail pour le compte de la SARL A si ce travail a été effectué moyennant le paiement d'un salaire et si Madame l.D. s'est effectivement trouvée en état de subordination à l'égard de la première nommée, la subordination juridique se caractérisant. Il s'évince des éléments produits que Madame l.D. a accompli entre le 26 avril 2017 et le 22 décembre SARL A ayant été retenue, l'exception d'incompétence de la présente juridiction soulevée par la défenderesse sera rejetée. Il convient ainsi de renvoyer le dossier à la mise en état et d'enjoindre à la SARL A de conclure sur le fond.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 15 OCTOBRE 2020
En la cause de Madame l. D., demeurant « X1», X1 à GRASSE (06130) ;
Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Cédric LIGER, avocat au barreau de Paris ;
d'une part ;
Contre :
La société à responsabilité limitée dénommée A, dont le siège social se situe « X2», X2 à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Élie COHEN, avocat au barreau de Nice ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 12 juillet 2019, reçue le 19 juillet 2019 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 12-2019/2020 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 8 octobre 2019 ;
Vu les conclusions de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur au nom de Madame l. D. en date des 16 janvier 2020 et 3 juin 2020 déposées le 4 juin 2020 ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de la SARL A en date des 12 mars 2020 et 26 juin 2020 ;
Après avoir entendu Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco pour Madame l. D. et Maître Élie COHEN, avocat au barreau de Nice pour la SARL A en leurs observations ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
Par requête en date du 12 juillet 2019 reçue au greffe le 19 juillet 2019, Madame l. D. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :
fixer le salaire de référence de Madame l. D. à la somme de 2.800 euros nets,
juger que Madame l. D. a été engagée suivant contrat de travail à durée indéterminée par la SARL A à compter du 26 avril 2017,
condamner la SARL A à la somme de 22.400 euros nets à titre de rappel de salaires pour la période comprise entre le 26 avril et le 26 décembre 2017,
faire produire à la rupture brutale des relations de travail les effets d'un licenciement abusif et condamner la SARL A au versement des sommes suivantes :
11.200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif (somme équivalente à 4 mois de salaire) sur le fondement de l'article 3 de la loi du 27 juin 1968 et de l'article 13 de la loi du 16 mars 1963,
2.800 euros nets à titre d'indemnité compensatrice de préavis (articles 6 et 11 de la loi du 16 mars 1963),
280 euros nets à titre de congés payés afférents,
1.066,66 euros nets à titre d'indemnité de licenciement prévue par les dispositions de l'article 2 de la loi du 27 juin 1968,
rappel d'heures supplémentaires (à parfaire),
8.400 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
8.000 euros à titre de rappel de rémunération variable,
remise du solde de tout compte, du certificat de travail et de l'attestation PE sous astreinte de 50 euros par jour de retard courant huit jours calendaires conformes au jugement à intervenir,
3.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés,
exécution provisoire,
dépens sur le fondement de l'article 143 de l'Ordonnance du 2 juillet 1866 sur les tarifs en matière civile, commerciale, criminelle et correctionnelle.
Aucune conciliation n'ayant pu aboutir, le dossier a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.
Madame l. D. a déposé des conclusions les 16 janvier 2020 et 4 juin 2020 dans lesquelles elle fait essentiellement valoir que :
par courriel du 14 avril 2017, elle a soumis sa candidature à la SARL A pour occuper le poste de Chef de Projet,
par courriel du même jour, la SARL A a sollicité un entretien et elle a effectué un essai le lendemain. Elle a ensuite été engagée par Madame R.
aucun contrat de travail n'a été formalisé,
elle aurait dû percevoir une rémunération de 2.800 euros nets par mois,
la relation de travail s'est poursuivie jusqu'au mois de décembre 2017, sans qu'elle ne perçoive le moindre salaire,
le 22 décembre 2017, la SARL A a mis fin unilatéralement à la relation de travail sans invoquer le moindre motif,
elle a occupé le poste de chef de projet sous la subordination de Madame R. à compter du 26 avril 2017
la SARL A ne conteste pas l'effectivité de son travail,
la défenderesse n'a pas respecté ses obligations lors de l'embauche, ce qui ne remet pas en cause l'existence du contrat de travail.
La SARL A a déposé des conclusions les 12 mars 2020 et 26 juin 2020 dans lesquelles elle soulève l'incompétence du Tribunal du travail aux motifs que :
aucun contrat de travail n'a été conclu entre les parties, faute d'avoir obtenu les autorisations indispensables à l'embauche d'un salarié en Principauté de Monaco,
la relation qui a existé entre les parties ne s'inscrit pas dans l'exécution d'un contrat de travail,
elle a effectué toutes les formalités permettant l'embauche de Madame l. D. mais l'autorisation de l'embaucher lui a été refusée par le Service de l'Emploi,
faute d'autorisation d'embauche, aucun contrat de travail ne peut être valablement consenti en Principauté de Monaco, ni par écrit, ni oralement,
il a tout de même été convenu entre les parties, dès avant qu'elles n'apprennent que l'administration monégasque n'allait pas accorder l'autorisation d'embauche sollicitée, que Madame l. D. fournirait des prestations et serait rémunérée de ses diligences en conformité avec une facturation que celle-ci s'était engagée à émettre,
aucun lien de subordination n'a existé entre les parties,
Madame l. D. n'était soumise à aucun horaire,
cette dernière exerçait ses missions en toute indépendance et elle a été rémunérée à ce titre,
Madame l. D. était rémunérée à la commission et non par le versement d'un salaire,
aucun échange d'écrit n'est intervenu entre les parties pour acter la fin de la collaboration consécutive au refus émanant du Service de l'Emploi.
La défenderesse sollicite encore l'autorisation de conclure sur le fond dans le cas où le Tribunal retiendrait sa compétence.
SUR CE,
Sur l'irrecevabilité des pièces n os 2 et 4 produites par la défenderesse :
La demanderesse a soutenu à l'audience que les attestations ainsi produites n'étaient pas conformes aux dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile.
Il apparaît en effet que les attestations litigieuses sont en partie dactylographiées alors qu'elles doivent être écrites de la main de leur auteur.
Elles devront dans ces circonstances être déclarées nulles.
Sur la compétence du Tribunal du travail :
En application des dispositions de l'article 1er de la loi n° 729 du 16 mars 1963 le contrat de travail est la Convention par laquelle une personne s'engage temporairement à exécuter un travail sous l'autorité et au profit d'une autre personne contre paiement d'un salaire déterminé.
Par ailleurs l'article 1er de la loi n° 739 du même jour définit le salaire comme la rémunération contractuellement due au travailleur placé sous l'autorité d'un employeur, en contrepartie du travail ou des services qu'il a accomplis au profit de ce dernier.
Enfin l'autorité reconnue à l'employeur consiste dans le pouvoir de donner des ordres et des directives à son salarié, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner le cas échéant les manquements de celui-ci, ainsi placé sous sa subordination.
Ces règles étant d'ordre public, l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont pu donner à leur convention, mais seulement des conditions de fait dans lesquelles s'exerce l'activité du travailleur, notamment de la réalité ou de l'absence d'un lien de subordination.
En l'absence d'écrit ou d'apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d'en rapporter la preuve.
Il appartient en conséquence au Tribunal de rechercher si Madame l. D. a effectivement réalisé un travail pour le compte de la SARL A, si ce travail a été effectué moyennant le paiement d'un salaire et si Madame l. D. s'est effectivement trouvée en état de subordination à l'égard de la première nommée, la subordination juridique se caractérisant comme précisé supra .
Madame l. D. soutient ainsi avoir été liée par un contrat de travail avec la défenderesse du 26 avril au 26 décembre 2017.
Il n'est pas contesté par la SARL A que Madame l. D. est intervenue pour le compte de la première, seule la qualification de cette intervention étant discutée.
Pour établir sa qualité de salariée, Madame l. D. produit aux débats :
les échanges de courriels en pièces nos 1 à 10 (en langue anglaise avec leur traduction libre non contestée) démontrent que Madame l. D. a exécuté un travail pour le compte de la SARL A,
les pièces nos 14 et 15 démontrent que des discussions ont eu lieu entre Madame l. D. et Madame R. pour que la première intègre la SARL A.
Madame R. adresse ainsi un mèl à Madame l. D. le 25 avril 2017 (en anglais avec sa traduction libre en français), en ces termes : « Demain formation et journée d'essai et si tout fonctionne tu commences jeudi. C'est bon pour toi ? ».
Le Tribunal relève que la notion d'essai est incompatible avec le statut de travailleur indépendant attribué à la demanderesse par la SARL A.
le 22 juin 2017, Madame l. D. adresse un courriel à d. de la société B, avec copie à Madame h. R. Managing Director, et à la SARL A ( info@ SARL A. com ) en ces termes :
« Bonjour d.
Je me permets de vous contacter car nous aurions besoin de carte de visite supplémentaires pour 3 d'entre nous sur la base que vous avez.
Vous trouverez ci-joint les quantités ainsi que nos informations :
a. V.: 400 cartes de visites
(...).
m. L.: 300 cartes de visites
(...).
l. D.: 300 cartes de visites
l. D. Project Manager
la SARL A
Office : +XXX Mob : +YYY Email : l. SARL A. com
À votre disposition si besoin
(...). ».
L'établissement de cartes de visite au nom de Madame l. D. en faisant apparaître sa fonction au sein de la SARL A, avec une adresse électronique dédiée permet de caractériser la relation salariale entre celle-ci et la défenderesse ; ces cartes de visite ayant été commandées par la demanderesse pour elle-même mais également pour des collègues déjà embauchés et sous le contrôle de Madame h. R.
L'existence d'un lien de subordination, à savoir le pouvoir de donner des ordres et des directives au salarié, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner le cas échéant les manquements de celui-ci est également démontrée par les éléments suivants :
courriel de Madame h. R. à Madame l. D. du 16 mai 2017, en langue anglaise avec sa traduction libre en français :
« Je suis d'accord, c'est mieux d'y aller dans l'après-midi. Mais ils ont tout si ils veulent. Bizarre pour le paiement, Sylvie a dû se tromper. ».
Ce mèl fait suite à un échange entre la demanderesse et Madame K.(cliente), tous les écrits ayant été adressés en copie à Madame h. R. qui a ainsi pu donner des instructions à la demanderesse dans le dossier correspondant.
De plus, Madame h. R. était en copie dans tous les courriels échangés dans ledit dossier.
courriel de Madame C. (Business Development Manager) à Madame L.(Salariée de la SARL) dont copie à Madame l. D. dans lequel elle leur donne pour instruction de ne pas rétrocéder une commission (à l'agence EGENCIA).
Madame C. va en outre adresser ses félicitations à Mesdames L. et l. D. pour la gestion du dossier, en ces termes : « Bravo les poulettes !!!! il fallait de la patience avec elle mais au moins c'est pas pour rien ».
dans le traitement de certains dossiers, Madame h. R. était systématiquement en copie des courriels échangés.
Il s'évince de l'ensemble de ces éléments que Madame l. D. a accompli entre le 26 avril 2017 et le 22 décembre 2017 un travail ou des services au profit de la SARL A sous l'autorité de ses instances dirigeantes. La demanderesse indique ainsi dans ses écritures que la SARL A a mis fin unilatéralement à la relation de travail le 22 décembre 2017 sans invoquer de motifs, de sorte que cette date sera retenue.
L'existence d'un contrat de travail entre Madame l. D. et la SARL A ayant été retenue, l'exception d'incompétence de la présente juridiction soulevée par la défenderesse sera rejetée.
Il convient ainsi de renvoyer le dossier à la mise en état et d'enjoindre à la SARL A de conclure sur le fond.
Les dépens de la présente décision seront mis à la charge de la société défenderesse.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, par jugement avant-dire-droit, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Prononce la nullité des attestations produites en pièces nos 2 et 4 par la SARL A ;
Rejette l'exception d'incompétence soulevée par la SARL A ;
Se déclare compétent pour statuer sur le litige opposant Madame l. D. à la SARL A ;
Renvoie le dossier à l'audience de mise en état du JEUDI 10 DÉCEMBRE 2020 à 14 HEURES, date à laquelle la SARL A devra déposer ses conclusions sur le fond ;
Condamne la SARL A aux dépens du présent jugement ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Mesdames Anne-Marie MONACO, Virginia BUSI, membres employeurs, Messieurs Serge ARCANGIOLINI, Jean-Pierre MESSY, membres salariés, et lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique, au Palais de Justice, le quinze octobre deux mille vingt, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Mesdames Anne-Marie MONACO, Virginia BUSI, Messieurs Serge ARCANGIOLINI et Jean-Pierre MESSY, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais.