Tribunal du travail, 26 septembre 2019, Monsieur m. C. V. c/ Monsieur g. V. B.

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Abstract🔗

Contrat de travail - Contrat d'engagement maritime - Contentieux - Bureau de jugement - Demande nouvelle - Irrecevabilité (oui) -Licenciement - Motif valable (non) - Démission (non) - Rupture abusive (oui) - Brutalité et légèreté blâmable

Résumé🔗

Le bureau de jugement ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum. Les demandes nouvelles sont irrecevables.

Il résulte des témoignages que le salarié a tenté d'obtenir une rupture « amiable » du contrat d'engagement maritime, ce qui ne peut constituer une faute justifiant la rupture litigieuse. Il suffisait pour l'employeur de refuser tous pourparlers sur ce point et d'inviter le demandeur à respecter le contrat signé. Par ailleurs, si le salarié a certes émis le souhait de ne pas reprendre son travail à l'issue de ses congés il n'y a pas eu mise à exécution puisque la lettre de rupture a été adressée avant la date de reprise prévue. Aucune démission ne peut être dès lors retenue de la part du salarié. La rupture litigieuse ne repose donc pas sur des motifs valables. L'employeur sera condamné au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis.

L'employeur a fait preuve de légèreté blâmable et de brutalité en mettant un terme aux relations contractuelles de manière précipitée et sans aucune explication, sur des motifs infondés, sur lesquels le salarié n'a pu apporter le moindre commentaire. Le demandeur s'est trouvé du jour au lendemain sans emploi et sans que le salaire correspondant au délai congé ait été réglé. Une indemnité de 10 000 euros est allouée.


Motifs🔗

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 26 SEPTEMBRE 2019

  • En la cause de Monsieur m. C. V., demeurant via X1 à AREZZO (52100 - Italie) ;

Demandeur, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision n° 434 BAJ 18 du 15 mai 2018, ayant élu domicile en l'étude de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Alice PASTOR, avocat près la même Cour ;

d'une part ;

Contre :

  • Monsieur g. V. B., demeurant X2 à MONACO ;

Défendeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Gaston CARRASCO, avocat au barreau de Nice ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 20 juin 2018, reçue le 21 juin 2018 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 10-2018/2019 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 23 octobre 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat au nom de Monsieur m. C. V. en date des 8 novembre 2018 et 7 février 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur au nom de Monsieur g. V. B. en date des 10 janvier 2019 et 14 mars 2019 ;

Après avoir entendu Maître Alice PASTOR, avocat près la Cour d'appel de Monaco pour MONSIEUR m. C. V. et Maître Gaston CARRASCO, avocat au barreau de Nice pour Monsieur g. V. B. en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

* * * *

Monsieur m. C. V. a été embauché par Monsieur g. V. B. pour exercer la fonction de Chef Cuisinier à bord d'un navire de plaisance dénommé K, suivant contrat d'engagement maritime en date du 5 juillet 2017, à effet du 1er juin 2017, avec un salaire brut mensuel de 5.807,06 euros en contrepartie d'une durée de travail de 169 heures.

À compter du 23 octobre 2017, Monsieur m. C. V. a été en période de congés payés et de récupération.

Par courrier en date du 7 décembre 2017, le salarié a été licencié sans préavis ni indemnité au motif d'un refus de reprendre le travail.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 décembre 2017, Monsieur m. C. V. a contesté le grief reproché et a indiqué qu'il était dans l'attente d'une convocation pour la reprise de son poste.

L'attestation Pôle Emploi mentionnant comme motif de la rupture « rupture unilatérale du contrat par le salarié », ce dernier a adressé deux courriers à l'employeur pour lui indiquer qu'il n'était pas démissionnaire de son poste de travail, sollicitant la modification du document.

L'employeur n'a apporté aucune réponse à ces demandes.

Par requête en date du 20 juin 2018 reçue au greffe le 21 juin 2018, Monsieur m. C. V. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

  • constater que Monsieur g. V. B. a mis fin de manière unilatérale à son contrat d'engagement maritime,

  • constater que la rupture est intervenue sans préavis et est abusive,

  • condamner Monsieur g. V. B. à lui payer :

  • la somme de 5.800,56 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

  • la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts,

  • dire et juger que les condamnations porteront intérêts à compter de la citation devant le bureau de conciliation,

  • condamner Monsieur g. V. B. aux entiers dépens.

Aucune conciliation n'ayant pu aboutir, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Monsieur m. C. V. a déposé des conclusions les 8 novembre 2018 et 7 février 2019 dans lesquelles il maintient ses prétentions, y ajoutant une demande en condamnation de la somme de 580,05 euros au titre des congés payés afférents à la période de préavis et la remise de l'attestation Pôle Emploi rectifiée.

Il fait essentiellement valoir que :

  • il conteste formellement être à l'initiative de la rupture du contrat,

  • c'est bien l'armateur qui a pris l'initiative de mettre un terme au contrat d'engagement maritime en lui faisant parvenir un courrier recommandé avec accusé de réception le lendemain de son appel téléphonique du 6 décembre 2017,

  • dans ses écritures, le défendeur fait état d'un licenciement pour faute grave,

  • l'armateur a invoqué un motif fallacieux tiré d'un prétendu refus de reprendre son poste de travail à l'issue de sa période de congés,

  • il a simplement fait part au cours de son appel téléphonique du 6 décembre 2017 des difficultés qu'il avait rencontrées dans l'accomplissement de sa mission compte- tenu du comportement de l'épouse de Monsieur g. V. B.

  • il a proposé à l'armateur d'envisager une rupture amiable eu égard à ses conditions de travail éprouvantes,

  • l'objet de son appel du 6 décembre 2017 était de connaître sa date exacte de reprise, laquelle n'avait pas été fixée au 12 décembre 2017 mais entre le 10 et 15 décembre 2017,

  • cet appel téléphonique démontre indiscutablement son intention de reprendre son poste de travail à l'issue de sa période de congés,

  • il n'a commis aucune faute justifiant la rupture,

  • le caractère abusif de la rupture découle également de sa mise en œuvre,

  • il a été ébranlé par la soudaineté de la rupture alors qu'il donnait entière satisfaction,

  • les nombreuses erreurs contenues dans les documents de fin de contrat démontrent la légèreté blâmable de l'employeur,

  • il n'a toujours pas retrouvé d'emploi,

  • il a été privé d'indemnisation chômage dans la mesure où l'armateur a de manière fallacieuse indiqué qu'il avait unilatéralement mis fin au contrat.

Monsieur g. V. B. a déposé des conclusions les 10 janvier 2019 et 14 mars 2019 dans lesquelles il demande au Tribunal de :

in limine litis :

  • déclarer irrecevables les deux demandes nouvelles formulées par Monsieur m. C. V. à savoir :

  • condamner Monsieur g. V. B. à payer à Monsieur m. C. V. la somme de 580,05 euros au titre des congés payés afférents à la période de préavis,

  • ordonner à Monsieur g. V. B. la remise d'une attestation Pôle Emploi rectifiée faisant apparaître comme motif de la rupture « licenciement pour faute grave » en lieu et place de la mention « rupture unilatérale de contrat par le salarié »,

au fond :

  • dire et juger que le licenciement de Monsieur m. C. V. repose un motif valable,

  • dire en outre qu'il ne revêt aucun caractère abusif,

  • en conséquence, débouter Monsieur m. C. V. de l'intégralité de ses demandes comme étant non fondées,

  • reconventionnellement, le condamner à payer à Monsieur g. V. B. à titre de dommages et intérêts :

  • la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice subi par Monsieur g. V. B. et sa famille, par suite de la brutale rupture par Monsieur m. C. V. de son contrat d'engagement maritime, les ayant privés de cuisinier durant les fêtes de fin d'année 2017,

  • la somme de 10.000 euros pour procédure abusive et vexatoire,

  • condamner Monsieur m. C. V. aux entiers dépens.

Monsieur g. V. B. soutient essentiellement que :

  • Monsieur m. C. V. a été placé en position de congés annuels du lundi 23 octobre 2017 au vendredi 17 novembre 2017 et en position de récupération du samedi 18 novembre au dimanche 10 décembre 2017, avec obligation de reprendre son service à la fin de ses repos récupérateurs,

  • le 6 décembre 2017, Monsieur m. C. V. a téléphoné à Madame c. L. Assistante de Direction après de la S. A. M. B (dirigée par Monsieur V., et lui a déclaré qu'il ne reprenait pas son service le 10 décembre et qu'il souhaitait être licencié pour pouvoir bénéficier des indemnités de chômage,

  • le même jour, Monsieur m. C. V. a également appelé Madame p. O. Responsable des Opérations au sein de la société C, chargé de la gestion de l'équipage du navire K, en réitérant ses propos,

  • ce faisant, le salarié lui a demandé de constituer et de présenter à Pôle Emploi un faux dossier de licenciement dans le seul but d'obtenir le versement des allocations chômage,

  • en agissant de la sorte, Monsieur m. C. V. a commis deux fautes : il a mis fin brutalement à son contrat de travail ce qui constitue un abandon de poste et il a exigé que son employeur commette une tentative d'escroquerie au préjudice de Pôle Emploi,

  • cette seconde faute particulièrement grave s'opposait à toute mise en demeure du salarié de reprendre son service,

  • il a dès lors considéré qu'en agissant de la sorte, Monsieur m. C. V. a commis une faute particulièrement grave rendant impossible le maintien dudit salarié à son service.

SUR CE,

  • Sur l'irrecevabilité des demandes nouvelles présentées par le demandeur :

En application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, le bureau de jugement du Tribunal du travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum.

Si le demandeur peut, en vertu des dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifier ses demandes devant le bureau de conciliation, la possibilité d'augmenter ses prétentions ou d'en formuler de nouvelles, en l'absence d'une disposition identique contenue dans cette même loi, ne lui est pas ouverte devant le bureau de jugement, lequel ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum, en application de l'article 1er précité.

En l'espèce, Monsieur m. C. V. a présenté des demandes additionnelles dans ses écritures, n'ayant pas fait l'objet du préliminaire de conciliation.

Il n'est pas contestable que Monsieur m. C. V. n'a pas sollicité dans sa requête introductive d'instance les demandes suivantes :

  • condamner Monsieur g. V. B. à lui payer la somme de 580,05 euros au titre des congés payés afférents à la période de préavis,

  • ordonner à Monsieur g. V. B. la remise d'une attestation Pôle Emploi rectifiée faisant apparaître comme motif de la rupture « licenciement pour faute grave » en lieu et place de la mention « rupture unilatérale du contrat par le salarié ».

En l'espèce, Monsieur m. C. V. a sollicité dans ses écritures une somme de 580,05 euros, non réclamée dans sa requête initiale et qui n'a, dès lors, pas fait l'objet du préliminaire de conciliation obligatoire.

Cette demande nouvelle doit être déclarée irrecevable.

La demande concernant l'attestation Pôle Emploi se rattache aux prétentions principales concernant le licenciement et n'est que la conséquence de la décision devant être rendue sur lesdites prétentions ; de sorte qu'elle ne peut être considérée comme nouvelle.

  • Sur le motif de la rupture :

Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée.

La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis.

Cette faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est découlé.

La persistance des manquements déjà sanctionnés autorise l'employeur à retenir lesdites fautes professionnelles antérieures, pour estimer la gravité des faits reprochés au salarié, et à justifier un licenciement reposant sur une appréciation globale de son comportement.

En l'espèce, Monsieur m. C. V. a été licencié par lettre du 7 décembre 2017 ainsi libellée :

« Objet : Rupture anticipée de votre seul chef de votre contrat d'engagement maritime à durée indéterminée

Monsieur,

Alors que par contrat d'engagement maritime en date du 5 juillet 2017, à durée indéterminée, régie par le Code de la mer monégasque, vous vous êtes engagé à servir en qualité de cuisinier, ce qui a été le cas à dater du 27 juin 2017,

Et que vous étiez en position de récupération et de congé annuel depuis le 23 octobre 2017, avec obligation de reprendre le 12 décembre 2017.

Vous avez téléphoné, le mercredi 6 décembre 2017, en précisant :

  • à 9 h 30, au secrétariat de l'armateur à Monaco,

  • et l'après-midi, à la société C, société chargée de la gestion notamment de votre situation,

  • que pour des raisons personnelles, vous ne reviendrez pas travailler,

  • qu'il n'était pas question pour vous de présenter votre démission,

  • qu'afin de bénéficier du chômage, vous demandiez à être licencié « en application de l'article 6 »,

  • que vous aviez pris conseil auprès de votre frère, avocat en France, et de l'inspection du travail.

Prenant acte desdites déclarations,

J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'il ne saurait être question, pour moi, de me rendre complice, comme vous m'y convié, d'une escroquerie aux indemnités de chômage.

Aussi, considérez que vous refus de reprendre votre travail met un terme à votre contrat d'engagement maritime à durée indéterminée conclu en application des dispositions du code de la mer monégasque, à Monaco, le 5 juillet 2017.

Votre ancienneté à mon service étant inférieur à 6 mois, vous ne pouvez prétendre à aucun préavis. Votre contrat d'engagement maritime prend donc fin le lendemain de la présentation de la présente lettre recommandée avec AR.

Le reliquat de vos congés annuels vous sera payé avec le solde de votre compte.

Me conformant aux textes en vigueur, aucune indemnité de « congédiement » ne vous est allouée.

Votre dernier bulletin de salaire, votre attestation Assedic, votre certificat de travail et votre solde de tout compte seront tenus à votre disposition au siège de la S. A. M. B, à dater du 13 décembre 2017, à partir de 9 heures. ».

Il résulte de la lettre de rupture et des conclusions déposées par le défendeur que Monsieur m. C. V. a été licencié pour deux motifs :

  • avoir refusé de reprendre son poste de travail à l'issue de ses congés et récupérations. Monsieur g. V. B. considère dès lors que le demandeur est démissionnaire,

  • avoir tenté d'obtenir, avec la complicité de l'employeur, un licenciement afin de pouvoir percevoir les allocations Pôle Emploi.

Il n'est pas contestable que Monsieur m. C. V. a appelé, le 6 décembre 2017, Mesdames c. L. et p. O. les parties étant en désaccord sur le contenu de cet appel téléphonique.

Le demandeur soutient avoir fait part au cours de son appel téléphonique :

  • - des difficultés qu'il avait rencontrées dans l'accomplissement de sa mission compte- tenu du comportement de l'épouse de Monsieur g. V. B.

  • - d'une proposition à l'armateur pour une rupture amiable eu égard à ses conditions de travail éprouvantes,

  • - de connaître sa date exacte de reprise, laquelle n'avait pas été fixée au 12 décembre 2017 mais entre le 10 et le 15 décembre 2017.

L'employeur produit :

  • l'attestation de Madame c. L. salariée de Monsieur g. V. B. ainsi libellée :

« Le mercredi 6 décembre 2017 à 9 h 30, j'ai reçu un appel téléphonique de Monsieur m. C. Celui-ci m'a déclaré qu'il ne reprenait pas son service le 10 septembre. Il m'a précisé qu'il ne pensait ne pas avoir contenté lors la saison écoulée. Il m'a ajouté qu'il n'était pas question pour lui de démissionner et qu'il demandait à être licencié par Monsieur V. afin de pouvoir bénéficier des indemnités de chômage.

À aucun moment, il n'a invoqué son état de santé. ».

  • l'attestation de Madame p. O. salariée de la société C (mandataire de Monsieur g. V. B., ainsi libellée :

« M. C. m'a appelée le 6 décembre 2017 pour m'informer que pour des raisons personnelles et de santé, il n'allait pas se présenter à son travail et il n'allais pas présenter de lettre de démission car il souhaitait bénéficier des indemnités de chômage. Je lui ai répondu que cette demande ne dépendait pas de moi et que je ne pensais pas qu'elle serait acceptée par le bureau de M. V.

Il m'a demandé de la transmettre et a argumenté que M. V. devait lui concéder du fait de ses bons services. Il a rappelé un peu plus tard en me disant s'être renseigné auprès des services monégasques et auprès de son frère avocat. Il m'a dit savoir qu'il bénéficierait des indemnités chômage même s'il était renvoyé pour ne pas se présenter au travail mais qu'il estimait qu'un article 6 serait préférable et que cela devait lui être concédé du fait des heures extras travaillées pendant la saison d'été et de ses bons services.

Il a ensuite contesté la date d'entrée au service de M. V. apparaissant sur sa fiche de paie et le nombre de jours de congés lui restant.

Je lui ai finalement confirmé que je transmettrais ses demandes au bureau de M. V. tout en lui faisant savoir que celles-ci n'étaient pas légitimes et que je doutais fortement qu'elles soient acceptée. ».

Il résulte de ces témoignages que Monsieur m. C. V. a tenté d'obtenir une rupture « amiable » du contrat d'engagement maritime, ce qui ne peut constituer une faute justifiant la rupture litigieuse.

Il suffisait pour l'employeur de refuser tous pourparlers sur ce point et d'inviter le demandeur à respecter le contrat signé.

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Elle ne se présume pas.

La démission est valable si elle l'expression d'une volonté libre et réfléchie, elle doit être exprimée librement en dehors de toute contrainte ou pression exercée par l'employeur et de façon explicite.

Monsieur m. C. V. a certes émis le souhait de ne pas reprendre son travail à l'issue de ses congés mais sans pour autant une quelconque mise à exécution puisque la lettre de rupture a été adressée le 7 décembre 2017, soit avant la date de reprise prévue (le 10 décembre 2017).

Aucune démission ne peut être dès lors retenue de la part du salarié.

Il résulte des explications développées supra que la rupture litigieuse ne repose pas sur des motifs valables.

En application des dispositions de l'article L624-5 (a) du Code de la mer, Monsieur m. C. V. a droit à un délai congé d'une durée d'un mois dans le cas d'une ancienneté au service d'un même armateur supérieure à six mois ininterrompus.

Monsieur m. C. V. ayant commencé à travailler pour le compte de Monsieur g. V. B. dès le 1er juin 2017, il disposait d'une ancienneté supérieure à six mois le jour de l'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception notifiant la rupture (7 décembre 2017).

Monsieur g. V. B. sera dans ces circonstances condamné à payer à Monsieur m. C. V. la somme brute de 5.800,56 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2018, date de la citation devant le bureau de conciliation.

  • Sur le caractère abusif du licenciement :

Aux termes des dispositions de l'article L. 624-10 du Code de la mer, « toute rupture abusive d'un contrat d'engagement par l'une des parties peut donner lieu au profit de l'autre partie à des dommages et intérêts qui sont fixés par le juge à défaut d'accord des parties. Le jugement doit mentionner expressément le motif allégué par la partie qui a rompu le contrat. ».

Il s'évince des explications développées supra que le défendeur a fait preuve de légèreté blâmable et de brutalité en mettant un terme aux relations contractuelles de manière précipitée et sans aucune explication, sur des motifs infondés, sur lesquels le salarié n'a pu apporter le moindre commentaire.

Le demandeur s'est trouvé du jour au lendemain sans emploi et sans que le salaire correspondant au délai congé ait été réglé.

En outre, le salarié s'est trouvé dans l'obligation de solliciter la rectification des documents de fin de contrat concernant la date d'embauche.

Monsieur m. C. V. a subi un préjudice qui doit être indemnisé par l'allocation de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

  • Sur la demande reconventionnelle du défendeur pour procédure abusive :

Les prétentions de Monsieur m. C. V. ayant été déclarées fondées, Monsieur g. V. B. ne saurait prétendre à une quelconque somme à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

  • Sur la demande reconventionnelle du défendeur à hauteur de 10.000 euros :

Monsieur g. V. B. fonde sa demande sur le préjudice subi par lui-même et sa famille par suite de la brutale rupture par Monsieur m. C. V. du contrat d'engagement maritime, les ayant privés de cuisinier durant les fêtes de fin d'année 2017.

L'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, prévoit que « lors de la comparution devant le bureau de conciliation, le demandeur pourra expliquer, et même modifier ses demandes, et le défendeur former celles qu'il jugera convenables ».

En application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, le bureau de jugement du Tribunal du travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum.

Le Tribunal rappelle que la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive est parfaitement recevable puisqu'elle découle du procès devant le Tribunal du Travail et non du contrat de travail lui-même.

La demande reconventionnelle présentée par le défendeur n'est pas fondée sur un abus commis par le salarié en saisissant la présente juridiction, mais est liée à la relation de travail.

Il convient dans ces circonstances de rouvrir les débats et d'enjoindre aux parties de présenter leurs observations sur le moyen de droit soulevé d'office par le tribunal et tenant à la recevabilité de ladite demande.

  • Sur la rectification de l'attestation Pôle Emploi :

Il convient d'ordonner, en tant que de besoin, la délivrance de l'attestation Pôle Emploi rectifiée portant comme motif de rupture « licenciement pour faute grave » en lieu et place de la mention « rupture unilatérale du contrat par le salarié », dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, la nécessité d'une mesure d'astreinte n'étant par ailleurs nullement établie.

  • Sur les dépens :

Monsieur g. V. B. sera condamné aux dépens du présent jugement, qui seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d'assistance judiciaire.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, par jugement mixte, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit que la demande présentée par Monsieur m. C. V. en paiement de la somme de 580,05 euros au titre des congés payés afférents à la période de préavis est irrecevable ;

Dit que le licenciement de Monsieur m. C. V. par Monsieur g. V. B. n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif ;

Condamne Monsieur g. V. B. à payer à Monsieur m. C. V. les sommes suivantes :

  • 5.800,56 euros en brut (cinq mille huit cents euros et cinquante-six centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2018, date de la citation devant le bureau de conciliation ;

  • 10.000 euros (dix mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Ordonne, en tant que de besoin, la délivrance par Monsieur g. V. B. à Monsieur m. C. V. dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, de l'attestation Pôle emploi rectifiée portant comme motif de rupture « licenciement pour faute grave » en lieu et place de la mention « rupture unilatérale du contrat par le salarié » conforme à la présente décision ;

Déboute Monsieur g. V. B. de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive ;

Avant-dire-droit sur la demande reconventionnelle présentée par Monsieur g. V. B. à hauteur de la somme de 10.000 euros ;

Ordonne la réouverture des débats et enjoint aux parties de présenter leurs observations sur le moyen de droit soulevé d'office par le tribunal et tenant à la recevabilité de ladite demande ;

Et dit que les parties concluront sur ce point selon le calendrier suivant :

  • - le MERCREDI 30 OCTOBRE 2019 pour Monsieur g. V. B.;

  • - le MERCREDI 20 NOVEMBRE 2019 pour Maître Xavier Alexandre BOYER, avocat aux intérêts de Monsieur m. C. V.;

  • - le JEUDI 28 NOVEMBRE 2019 pour plaidoiries ;

Condamne Monsieur g. V. B. aux dépens du présent jugement qui seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d'assistance judiciaire.

Composition🔗

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs René NAVE, Régis MEURILLION, membres employeurs, Madame Agnès ORECCHIA, Monsieur Maximilien AGLIARDI, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt-six septembre deux mille dix-neuf, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Régis MEURILLION et Maximilien AGLIARDI, Madame Agnès ORECCHIA et Monsieur René NAVE étant empêchés, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint.

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