Tribunal du travail, 16 mai 2019, Madame m-j. P. épouse PE. c/ La SAM A
Abstract🔗
Contrat de travail - Contestation de la décision de rejet de la commission de classement - Forclusion de l'action de la salariée - Recevabilité de son action (non)
Résumé🔗
La salariée, engagée en qualité d'employée de banque, a sollicité son classement afin d'obtenir un reclassement au niveau IV de la Convention Collective applicable. La commission a rejeté sa demande, refus contesté par l'intéressée. L'employeur soulève la forclusion de son action. La requête de l'intéressée a valablement interrompu le cours de la prescription même si elle a été présentée devant la formation de conciliation du Tribunal du travail, alors que seul le bureau de jugement a compétence pour connaître de l'appel des décisions rendues par la Commission de Classement. En application des dispositions de l'article 38 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, la radiation prononcée dans le cadre de la présente instance ne constitue qu'une simple mesure d'administration judiciaire, la salariée pouvant faire réenrôler l'affaire. Il ne se serait alors agi que d'une seule et même instance, le ré-enrôlement entraînant simplement la reprise de l'instance précédemment radiée. Or, la salariée a cru devoir déposer une nouvelle requête reçue au greffe le 26 juillet 2018, saisissant Le Tribunal d'une nouvelle instance. Cette nouvelle instance est forclose en application des dispositions de l'article 11-1 de la loi n° 739 du 16 mars 1963 qui prévoit la saisine du Tribunal du travail dans les quinze jours de la décision de la Commission, rendue le 3 mai 2018.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 16 MAI 2019
En la cause de Madame m-j. P. épouse PE., demeurant X1 à MENTON (06500) ;
Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Lise KLINGUER, avocat au barreau de Nice ;
d'une part ;
Contre :
La société anonyme monégasque dénommée A, dont le siège social se situe X2 à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie MARQUET, avocat près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 26 juillet 2018, reçue le même jour ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 17-2018/2019 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 6 novembre 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur au nom de Madame m-j. P. épouse PE. en date des 6 décembre 2018 et 13 février 2019 ;
Vu les conclusions de Maître Sophie MARQUET, avocat au nom de la SAM A, en date du 8 février 2019 ;
Après avoir entendu Maître Lise KLINGUER, avocat au barreau de Nice pour Madame m-j. P. épouse PE. et Maître Sophie MARQUET, avocat près la Cour d'appel de Monaco pour la SAM A, en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
Madame m-j. P. épouse PE. a été embauchée par la SAM A, le 1er janvier 1998, en qualité d'Employée dans le cadre d'un contrat à durée déterminée d'une durée de deux ans.
À compter du 1er janvier 2000, la relation contractuelle s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.
Au cours de l'année 2009, Madame m-j. P. a bénéficié d'un avancement sur la classe III.2 coefficient 405.
Par courriel en date du 23 novembre 2016, la salariée a sollicité l'inscription de son nom sur la liste d'avancement pour la classe IV.
Au cours du mois de mai 2017, Madame m-j. P. a constaté que son nom ne figurait pas sur la liste des salariés éligibles à un avancement et s'en est alors ouverte par deux courriels en date des 22 mai et 21 juin 2017.
Elle a alors demandé la réunion de la Commission d'avancement prévue par l'article 58c de la Convention Collective Monégasque du Travail du personnel des banques, laquelle s'est tenue le 12 janvier 2018.
Le procès-verbal dressé à la suite de la réunion de la Commission d'avancement a été adressé à Madame m-j. P. par mèl du 15 janvier 2018.
Le 4 avril 2018, la salariée a saisi la Commission de Classement instituée par l'article 11-1 de la loi n° 739 du 16 mai 1963 afin d'obtenir un reclassement au niveau IV de la Convention Collective applicable.
Le 3 mai 2018, la Commission de Classement a rejeté la demande de Madame m-j. P. laquelle formait un appel devant la présente juridiction le même jour.
Les parties ont été convoquées en préliminaire de conciliation par convocation en date du 22 mai 2018.
En l'absence de Madame m-j. P. le Tribunal a dressé un procès-verbal de radiation.
Madame m-j. P. saisissait à nouveau le Tribunal du travail le 26 juillet 2018 et les parties étaient renvoyées en préliminaire de conciliation pour le 5 novembre 2018.
L'affaire a ensuite fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.
À l'audience de conciliation, la SAM A avait soulevé la forclusion de l'action présentée par Madame m-j. P. au motif que cette dernière, tenant la radiation de la première procédure, a saisi le Tribunal du travail postérieurement au délai de quinze jours de la décision de la Commission de Classement.
À l'audience de mise en état en date du 10 janvier 2019, le dossier a fait l'objet d'un renvoi pour plaider le 14 février 2019 sur la forclusion soulevée par la défenderesse.
Madame m-j. P. a déposé des conclusions dans lesquelles elle soutient sur ce point que :
la Commission de Classement s'est réunie le 26 avril 2018 et a rendu sa décision le 3 mai suivant,
elle disposait donc d'un délai expirant au 18 mai 2018 pour saisir le Tribunal du travail,
elle a déposé sa requête le 18 mai 2018, de sorte que son action n'est pas forclose,
le fait que l'affaire ait été reprise après avoir fait l'objet d'une radiation ne saurait conférer à la défenderesse la possibilité de soulever la forclusion de l'action,
la radiation du rôle des affaires en cours est une simple mesure d'administration judiciaire qui laisse persister l'instance qui peut être reprise ultérieurement sauf péremption,
la radiation ne met pas fin au procès. L'affaire est seulement retirée du rôle de l'audience, pour ensuite être replacée au rôle d'une autre audience,
elle a ainsi réintroduit son affaire le 26 juillet 2018, avant l'expiration du délai de péremption.
SUR CE,
Sur la saisine du bureau de conciliation :
L'article 11-1 de la loi n° 739 du 16 mars 1963 prévoit :
« Le classement des salariés dans les diverses catégories professionnelles est déterminé par l'employeur ou son représentant, sous le contrôle de l'inspecteur du travail.
En cas de contestation, le différend est soumis à une commission de classement placée sous la présidence de l'inspecteur du travail et composée paritairement de représentants des employeurs et de représentants des salariés.
La décision de la commission peut, à la requête de l'une des parties intéressées, être déférée au tribunal du travail, siégeant en bureau de jugement ; le tribunal devra être saisi, à peine de déchéance, dans les quinze jours de la décision de la commission par une déclaration au secrétariat.
(...) ».
La Commission de Classement a rendu sa décision le 3 mai 2018, de sorte que Madame m-j. P. disposait d'un délai expirant le 18 mai 2018 pour saisir le bureau de jugement du Tribunal du travail.
Or, il apparaît que la salariée a saisi le bureau de conciliation de la présente juridiction, non compétent pour statuer sur ses demandes.
Les dispositions de l'article 2062 du Code civil stipulent à ce titre :
« La demande en justice interrompt le délai de prescription.
Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de forme. ».
Eu égard à ces dispositions, la requête de Madame m-j. P. même présentée devant la formation de conciliation du Tribunal du travail, alors que seule le bureau de jugement a compétence pour connaître de l'appel des décisions rendues par la Commission de Classement tel que prévu par l'article 11-1 de la loi n° 739 du 16 mars 1963, a valablement interrompu le cours de la prescription.
Sur la radiation prononcée le 25 juin 2018 :
L'article 38 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 dispose :
« Si, au jour fixé par la lettre du secrétaire, le demandeur ne comparaît pas, la cause est rayée du rôle et ne peut être reprise qu'après un délai de huit jours. ».
Il s'évince de ces dispositions qu'une radiation prononcée dans de telles conditions n'entraîne pas extinction de l'instance, le texte prévoyant la possibilité d'une reprise d'instance après un délai de huit jours.
Dans cette hypothèse, la radiation comporte suppression du rang des affaires en cours.
L'instance demeure devant la juridiction saisie mais elle ne figure plus parmi les affaires à juger. Elle pourrait être poursuivie après rétablissement, lequel n'est possible que si une cause d'extinction de l'instance ne s'est pas produite dans l'intervalle, notamment dans le cadre d'une péremption.
Enfin, la radiation de l'affaire du rôle est sans effet sur l'interruption de cette prescription.
En l'espèce, la procédure engagée par Madame m-j. P. par requête reçue au greffe le 18 mai 2018 a fait l'objet d'un procès-verbal de radiation en date du 25 juin 2018.
Par la suite, Madame m-j. P. a déposé une nouvelle requête enregistrée au greffe le 26 juillet 2018.
Dans la mesure où l'instance se poursuit, la partie qui sollicite le rétablissement de l'affaire n'est pas tenue d'assigner à nouveau l'autre partie ; la reprise d'instance s'effectuant par une simple réinscription au rôle.
Le rétablissement de l'affaire par voie d'assignation ou dépôt d'une nouvelle requête peut présenter un inconvénient grave. En effet, dans ce cas, c'est la date de l'assignation ou de réception de la requête par le greffe, délivrée aux fins de rétablissement, qui doit être retenue comme date de saisine du Tribunal. Au contraire, en cas de ré-enrôlement de l'affaire, c'est la date de l'assignation ou de la requête initiale qui est prise en compte.
La radiation étant dans la présente instance une simple mesure d'administration judiciaire, Madame m-j. P. était en droit de faire ré-enrôler l'affaire. Dans cette hypothèse, il se serait agi d'une seule et même instance, le ré-enrôlement entraînant simplement la reprise de l'instance précédemment radiée.
Madame m-j. P. a cru devoir déposer une nouvelle requête reçue au greffe le 26 juillet 2018. Le Tribunal a dès lors été saisi d'une nouvelle instance, laquelle est forclose en application des dispositions de l'article 11-1 visé supra qui prévoit la saisine du Tribunal du travail dans les quinze jours de la décision de la Commission, laquelle a été rendue le 3 mai 2018.
Les dépens seront laissés à la charge de Madame m-j. P.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Déclare l'action engagée par Madame m-j. P. épouse PE. suivant requête reçue au greffe le 26 juillet 2018 irrecevable pour cause de forclusion ;
Laisse les dépens à la charge de Madame m-j. P. épouse PE. ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Didier MARTINI, Émile BOUCICOT, membres employeurs, Madame Agnès ORECCHIA, Monsieur Maximilien AGLIARDI, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le seize mai deux mille dix-neuf, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Didier MARTINI, Émile BOUCICOT, Maximilien AGLIARDI et Madame Agnès ORECCHIA, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef.