Tribunal du travail, 26 septembre 2018, Monsieur l. RA. c/ La société A
Abstract🔗
Contrat de travail - Licenciement - Indemnité - Calcul - Prise en compte des primes - Prime de fin d'année - Article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 – Conditions – Caractère abusif (oui) – Préjudice (oui)
Résumé🔗
Pour calculer l'indemnité de licenciement, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des éléments de rémunération, qu'elle soit fixe ou variable, des primes, avantages en nature et complément de salaire. Doit ainsi être comprise dans la base de calcul une gratification constante, fixe et générale ayant, par conséquent, un caractère obligatoire. Les primes ou gratifications versées par l'employeur constituent un usage d'entreprise lorsqu'elles réunissent les trois critères de généralité, constance et fixité. Le versement d'une prime n'a un caractère obligatoire que si cette pratique constitue un usage dont la constance, la généralité et la fixité permettent d'établir la volonté non équivoque de l'employeur de s'engager envers ses salariés et de leur octroyer ainsi un avantage financier. Ces trois conditions sont cumulatives et si l'une d'entre elles fait défaut, il ne sera pas possible de présumer que l'employeur a souhaité accorder, en pleine connaissance de cause, un droit supplémentaire aux salariés par rapport à la loi, au statut collectif ou au contrat individuel de travail. C'est au salarié qui invoque l'usage d'apporter par tous moyens la preuve tant de son existence que de son étendue. Pour devenir obligatoire pour l'employeur, il est nécessaire que l'avantage soit attribué un certain nombre de fois aux salariés d'une manière continue. Il n'existe pas de durée minimale durant laquelle l'avantage doit être octroyé. En l'espèce, il apparaît que le salarié a perçu une prime de fin d'année - à compter du mois de décembre 2010 jusqu'au mois de décembre 2014, ce qui permet de retenir le critère de la constance. Ensuite, l'avantage doit présenter une certaine fixité tant dans les conditions auxquelles les salariés peuvent y prétendre que dans ses modalités de calcul. S'il n'est apporté aucun élément sur le mode de calcul de la prime, la progression constante durant les années considérées permet de retenir le critère de la fixité. Le caractère de la généralité a été reconnu par l'employeur dans un courrier du 11 décembre 2015. Celui-ci est donc redevable d'un solde de 148,40 euros au titre de l'indemnité de licenciement.
En application de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, et doit supporter les conséquences de sa décision de ne pas énoncer le motif de la rupture, en versant le montant de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968. Il n'existe cependant pas, au profit de l'employeur, un droit discrétionnaire et absolu. Il appartient ainsi au Tribunal du travail de vérifier le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de tout abus. Toutefois, l'exercice par l'employeur de ce droit, sans que le salarié soit rempli de ses droits, est de nature à rendre la rupture fautive et à justifier l'octroi des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729, au même titre qu'une rupture revêtant une forme abusive (CR, 9 mai 2003, P c/ S.A.M. T). Il appartient à Monsieur RA.de rapporter la preuve, au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de l'existence de l'abus commis dans l'exercice du droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est résulté. Alors en effet que la preuve de l'abus dans le droit de licencier incombe au salarié qui s'en prévaut, la détermination de l'excès commis par l'employeur dans l'exercice du droit unilatéral de résiliation que lui reconnaît la loi relève en effet du pouvoir souverain d'appréciation des juridictions saisies et peut induire un contrôle indirect du motif de rupture à l'effet de déterminer si celui-ci est fallacieux, c'est-à-dire s'il procède d'une volonté insidieuse de tromperie ou s'il présente un caractère spécieux lui ôtant sa loyauté.
En l'espèce, le salarié soutient que le véritable motif de licenciement est de nature économique. Le licenciement fondé sur un faux motif ou un motif fallacieux constitue un abus. Le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque. Le salarié étant défaillant dans l'administration de la preuve, le motif fallacieux ne n'est pas retenu. Cependant, il n'est pas contestable que celui-ci n'a pas été rempli de ses droits, ce qui confère à la rupture un caractère abusif. En outre la rupture est intervenue de manière brutale. Le salarié bénéficiant d'une ancienneté de sept ans dans l'entreprise, n'a pas pu anticiper la rupture annoncée le jour même de sa mise en œuvre lors d'un entretien organisé sans délai de prévenance. Bien que la loi du for n'impose pas un tel entretien préalable, les circonstances du licenciement d'un salarié avec une ancienneté importante, apparaît éminemment critiquable et psychologiquement préjudiciable.
Quant au préjudice invoqué, il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe. Les difficultés financières dont il est fait état sont en effet le résultat de la diminution de revenu, provoquée par la perte d'emploi et non la conséquence de la brutalité et de l'abus qui, à les supposer établis, auraient caractérisé le licenciement. De plus, le demandeur n'établit nullement en quoi ces difficultés matérielles auraient été provoquées par les circonstances fautives ayant entouré le licenciement, lesquelles n'ont pas été retenues par le Tribunal. Elles ne peuvent être de nature à établir l'existence d'une faute dans la mise en œuvre de la rupture (Cour de révision, 26 mars 2014, n° 2013-17). Le Tribunal relève que le fait de congédier le salarié sans convocation à un quelconque entretien préalable et, en outre de le dispenser, sans aucune justification particulière, d'exécution de préavis, témoignent d'une soudaineté et d'une précipitation fautives. Au surplus, si la dispense d'exécution du préavis est une manifestation du pouvoir de direction de l'employeur sans caractère vexatoire, le contexte dans laquelle elle est intervenue est de nature à jeter le discrédit sur le salarié et à lui conférer un caractère abusif. Le salarié a nécessairement supporté un préjudice moral du fait de la situation générée par cette rupture exercée avec légèreté qu'il ne pouvait aucunement anticiper. Le préjudice est évalué à la somme de 7 000 euros.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 26 SEPTEMBRE 2018
En la cause de Monsieur l. RA., demeurant X1à NICE (06300) ;
Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
La société anonyme monégasque dénommée A , exerçant sous l'enseigne « B », dont le siège social se situe X2 à MONACO ;
Défenderesse, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis en celle de Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur près la même Cour, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice, substituée par Maître Ludiwine AUBERT-PERIGNON, avocat en ce même barreau ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 24 février 2016, reçue le 25 février 2016 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 69-2015/2016 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 22 mars 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur au nom de Monsieur l. RA. en date des 2 juin 2016, 1er décembre 2016, 5 octobre 2017 et 1er février 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. A, exerçant sous l'enseigne « B », en date des 3 novembre 2016 et 1er juin 2017 ;
Vu les conclusions de Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. A, exerçant sous l'enseigne « B », en date des 7 décembre 2017 et 8 mars 2018 ;
Ouï Maître Ludiwine AUBERT-PERIGNON, avocat au barreau de Nice pour la S. A. M. A exerçant sous l'enseigne « B », en sa plaidoirie ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
Monsieur l. RA. a été embauché par la société anonyme monégasque S. A. M. A, exerçant sous l'enseigne « B » (ci-après S. A. M. A), en qualité de Coordinateur de Direction Générale, le 12 novembre 2008, suivant contrat de travail du 31 octobre 2008.
Le salaire de Monsieur l. RA. s'élevait à la somme de 2.220 euros par mois, puis a fait l'objet de deux augmentations pour aboutir à une rémunération mensuelle de 3.000 euros à compter du mois de janvier 2015.
Monsieur l. RA. a été licencié sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 par courrier du 10 septembre 2015 remis contre décharge.
Il a été dispensé d'exécuter son préavis.
Par requête en date du 24 février 2016 reçue au greffe le 25 février 2016, Monsieur l. RA. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :
prime : 3.000 euros,
solde indemnité de licenciement : 148,40 euros,
dommages et intérêts : 45.000 euros,
exécution provisoire,
intérêts de droit au taux légal à compter de la présentation de la requête.
Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Monsieur l. RA. a déposé des conclusions les 2 juin et 1er décembre 2016, 5 octobre 2017 et 1er février 2018 dans lesquelles il soutient essentiellement que :
sur la prime due :
il a perçu toutes les années, au mois de décembre, une prime annuelle,
à cette prime annuelle, est venue s'ajouter, en fin d'année, une prime exceptionnelle,
l'employeur a réglé la prime exceptionnelle au prorata mais s'est abstenu de faire la même chose pour la prime annuelle,
l'employeur invoque un usage quant à la présence du salarié dans les effectifs de l'entreprise en décembre pour son versement mais n'en rapporte pas la preuve,
sur le solde d'indemnité de licenciement :
l'employeur a procédé à une régularisation à ce titre d'un montant de 1.115,87 euros mais de manière imparfaite dans la mesure où il n'a pas intégré dans l'assiette de calcul les rappels pour ancienneté 2014 et 2015, le jour férié du 15 août 2015, les congés payés afférents et la prime exceptionnelle,
il n'est nullement forclos en sa demande car le reçu pour solde de tout compte de novembre 2015 a été signé, par ses soins, avec des réserves et celui de décembre 2015 n'a jamais été transmis à la S. A. M. A,
sur le licenciement :
la S. A. M. A ne l'a pas rempli intégralement de ses droits et reste à lui devoir la somme de 148,40 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
les circonstances ayant entouré le licenciement mettent en exergue le caractère soudain et brutal de la mesure de licenciement,
la S. A. M. A reconnait, dans ses écritures, qu'aucune information préalable n'a été communiquée sur l'hypothèse d'une rupture de son contrat de travail,
il a été invité à se rendre dans le bureau du Directeur Général, le jeudi 10 septembre 2015 à 12 heures 15, soit un quart d'heure avant la pause déjeuner sans savoir de quoi cet entretien allait traiter,
le licenciement lui a été annoncé sans aucun ménagement,
il a été dispensé d'exécuter son préavis, avant d'être invité immédiatement à récupérer ses affaires dans les dix minutes qui suivaient,
il n'a bénéficié, concernant la rupture de son contrat de travail :
* d'aucune information préalable,
* d'aucune convocation à un entretien préalable,
* d'aucun entretien préalable,
* d'aucune assistance par un délégué du personnel,
son licenciement a été conduit avec une soudaineté et une brutalité fautives ainsi que de façon vexatoire, qui lui confèrent un caractère indéniablement abusif,
son poste, ainsi que celui de Monsieur n. CA. un mois après lui sur le même fondement, ont été supprimés,
Madame a. DI GI. embauchée à durée déterminée le 14 décembre 2015, ne relève pas de la même catégorie professionnelle que la sienne,
son licenciement sur le fondement de l'article 6 a permis à l'employeur d'éluder l'application des dispositions d'ordre public relatives aux priorités de débauchage et de reclassement dans une catégorie professionnelle inférieure stipulées à l'article 6 de la loi n° 629 du 16 mars 1963 ainsi qu'à la priorité de réembauchage édictée à l'article 7 de la même loi,
son licenciement et celui de Monsieur n. CA. en des temps voisins (environ un mois), ont permis à la S. A. M. A d'éluder l'application des dispositions d'ordre public de l'avenant n° 12 du 20 mars 1970 à la convention collective nationale du travail sur la sécurité de l'emploi, rendu obligatoire par arrêté ministériel d'extension du 28 juillet 1970 pour tous les employeurs des entreprises industrielles et commerciales,
la S. A. M. A a détourné les dispositions conventionnelles interprofessionnelles en s'abstenant de fournir aux délégués du personnel le document d'information, de les consulter et de rechercher des possibilités de reclassement dont il aurait pu bénéficier,
il subit un préjudice moral et financier important.
La S. A. M. A a déposé des conclusions les 3 novembre 2016, 1er juin 2017, 7 décembre 2017 et 8 mars 2018 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et soutient essentiellement :
sur la prime :
le versement des primes ne présentait aucun caractère obligatoire. Elles ne sont pas prévues par le contrat de travail,
elles ont été versées à Monsieur l. RA. à la seule discrétion de l'employeur qui est toujours demeuré entièrement libre d'en fixer le montant,
le salarié n'a pas perçu de primes exceptionnelles en 2010, 2011 et 2012 et ne l'a jamais contesté,
la seule condition posée au versement de cette prime se trouvait être la présence du salarié dans les effectifs de l'entreprise au 31 décembre de l'année considérée,
Monsieur l. RA. licencié en septembre 2015, ne pouvait prétendre au versement de ces primes au titre de l'année 2015,
il a été réglé à Monsieur l. RA. après réception d'un courrier de son avocat en date du 22 décembre 2015 sollicitant le paiement d'une prime de fin d'année, la somme de 875 euros, le bulletin de salaire correspondant mentionnant « prime exceptionnelle » alors que la somme correspondait à la prime de fin d'année. Monsieur l. RA. ne présentant d'ailleurs aucune réclamation au titre de la prime exceptionnelle dans le courrier du 22 décembre 2015,
sur le solde d'indemnité de licenciement :
à la suite d'un courrier de son conseil dénonçant le reçu pour solde de tout compte, en date du 11 décembre 2015, elle a accepté de retenir la méthode de calcul de Monsieur l. RA. et lui a versé la somme de 11.712,13 euros,
Monsieur l. RA. est forclos pour dénoncer son solde de tout compte, ayant été rempli du solde d'indemnité de licenciement sollicité dans la dénonciation du 11 décembre 2015,
les sommes visées par le demandeur n'entrent pas dans l'assiette de calcul de l'indemnité de licenciement,
sur le licenciement :
contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, Monsieur l. RA. a fait l'objet de nombreux recadrages,
par conséquent, lorsque Monsieur l. RA. a été informé le 10 septembre 2015 que la relation de travail n'allait plus pouvoir se poursuivre, ce n'était absolument pas une surprise, d'autant plus que cette annonce succédait à de nouveaux incidents survenus avec des clients dans les jours qui précédaient,
Monsieur l. RA. a souhaité récupérer immédiatement ses effets personnels et quitter les lieux,
la dispense de préavis correspond à une mesure légitime dont peut user l'entreprise pour protéger ses intérêts, a fortiori lorsqu'elle se sépare d'un commercial ou d'un salarié en contact avec ses clients,
Monsieur l. RA. ne rapporte pas le moindre début de preuve de ce que le véritable motif de licenciement serait de nature économique,
ce n'est pas parce que deux salariés, dans des services distincts, sont licenciés durant la même année qu'il s'agit d'un motif économique,
Monsieur l. RA. ne démontre ni réorganisation, ni difficultés économiques,
contrainte de prononcer le licenciement de Monsieur l. RA. elle a ensuite cherché dans l'urgence un salarié pour le remplacer. Elle a tout d'abord eu recours à l'intérim, avant d'embaucher un salarié en contrat à durée indéterminée,
Monsieur l. RA. fausse la comparaison avec Madame a. DI GI. en comparant son dernier salaire primes inclus avec le salaire de la nouvelle salariée hors bonus. Le salaire d'embauche de Madame a. DI GI. est équivalent au salaire que Monsieur l. RA. percevait lors de son embauche,
la fiche de poste démontre que les fonctions étaient identiques,
Monsieur l. RA. ne démontre pas son préjudice,
iI ne démontre nullement rechercher activement un poste correspondant effectivement à ses compétences,
Monsieur l. RA. a totalement passé sous silence son activité au sein de « The Wine Association », entreprise immédiatement après le terme de son contrat de travail à Monaco,
il a été obligé de reconnaître avoir retrouvé un emploi auprès de la société C à SAINT-ETIENNE, lorsqu'elle en a fait part au Tribunal dans ses écritures.
SUR CE,
Sur la prime annuelle :
Monsieur l. RA. sollicite le versement de la somme de 2.625 euros au prorata pour l'année 2015.
L'employeur soutient avoir réglé la somme de 875 euros à ce titre, de manière tout à fait exceptionnelle dans la mesure où la condition de ce versement était la présence du salarié dans l'entreprise au 31 décembre.
Par courrier en date du 11 décembre 2015, le conseil de Monsieur l. RA. sollicitait, notamment, le versement au prorata de la prime annuelle pour l'année 2015 d'un montant de 3.000 euros « conformément aux usages pratiqués » au sein de l'entreprise.
La S. A. M. A répondait par courrier en date du 22 décembre 2015, en ces termes :
« Prime de fin d'année :
En effet, les salariés de notre entreprise peuvent percevoir en fin d'année une prime de fin d'année. Cette prime, variable d'une année sur l'autre, n'a aucun caractère obligatoire et est subordonnée à la présence du salarié au mois de décembre au sein des effectifs. Aucun salarié définitivement sorti des effectifs en décembre n'a reçu cette prime.
Aussi, si l'usage du versement d'une prime pourrait être établi au sein de notre entreprise, les principes restent :
caractère facultatif,
montant individuel variable d'une année sur l'autre,
présence dans les effectifs en décembre.
Pour éviter toute discussion, nous acceptons, à titre tout à fait exceptionnel, de verser une prime de fin d'année, contrairement aux principes en vigueur au sein de notre entreprise, à Monsieur RA.
Si Monsieur RA. avait été présent toute l'année 2015, il aurait reçu, compte tenu de son travail, une prime de 1.000,00 euros. Cette prime proratisée s'élèvera donc à 875 euros. Prime que vous trouverez sur le bulletin rectificatif joint ».
Il n'est pas contestable que ladite somme été réglée en décembre 2015, le bulletin de salaire correspondant mentionnant : « prime exceptionnelle : 875,00 ».
La mention « prime exceptionnelle » ne peut constituer qu'une erreur de plume eu égard aux courriers susvisés dans lesquels, tant le salarié que l'employeur parlent de prime de fin d'année et non de prime exceptionnelle.
Par ailleurs, Monsieur l. RA. considère que le calcul de ladite prime doit se faire sur la base de 3.000 euros de prime.
Il ressort des pièces versées aux débats que :
- le contrat de travail en date du 31 octobre 2008 ne prévoit le versement d'aucune prime annuelle,
- Monsieur l. RA. produit ses bulletins de salaire à compter des mois de décembre 2010 à 2014 sur lesquelles figure le versement d'une prime annuelle, respectivement d'un montant de :
* 1.000 euros en décembre 2010,
* 1.250 euros en décembre 2011,
* 1.500 euros en décembre 2012,
* 2.000 euros en décembre 2013,
* 3.000 euros en décembre 2014.
Il en résulte que la prime correspondante était en constante progression.
De plus, l'employeur, bien que soutenant que Monsieur l. RA. aurait eu droit à une prime de fin d'année de 1.000 euros pour 2015, ne donne aucune précision sur le mode de calcul de celle-ci.
Ce faisant, et tenant la progression constante de la prime litigieuse durant les années considérées, il convient de retenir le montant avancé par le salarié, soit 3.000 euros.
Monsieur l. RA. ayant perçu la somme de 875 euros, il lui reste dû un solde de 1.750 euros, qui se décompose comme suit :
* 3.000 euros / 12 x 10,50 = 2.625 euros - 875 euros = 1.750 euros,
et ce, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.
Sur le solde d'indemnité de licenciement :
Monsieur l. RA. sollicite à ce titre la somme de 148,40 euros.
Pour calculer l'indemnité de licenciement, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des éléments de rémunération, qu'elle soit fixe ou variable, l'ensemble des primes, avantages en nature et complément de salaire.
Il convient toutefois de déduire les gratifications bénévoles attribuées à l'occasion d'un événement particulier, dont le montant et les bénéficiaires sont déterminés de manière discrétionnaire par l'employeur.
Doit ainsi être comprise dans la base de calcul une gratification constante, fixe et générale ayant, par conséquent, un caractère obligatoire.
Monsieur l. RA. estime que l'employeur a omis d'intégrer dans l'assiette de calcul les éléments suivants :
les rappels pour ancienneté 2014 et 2015,
le jour férié du 15 août 2015 et les congés payés afférents,
la prime exceptionnelle.
Eu égard aux principes applicables rappelés ci-dessus, les rappels pour ancienneté, le jour férié et les congés afférents entrent dans les éléments de rémunération devant être pris en compte pour le calcul de l'indemnité de licenciement.
Il a été par ailleurs statué sur la nature de la prime qualifiée d'exceptionnelle dans le bulletin de salaire du mois de décembre 2015, en réalité prime de fin d'année.
Les pièces des dossiers respectifs des parties montrent que la prime de fin d'année n'était pas l'expression d'une gratification spontanée et discrétionnaire de la part de l'employeur.
En effet, les primes ou gratifications versées par l'employeur constituent un usage d'entreprise lorsqu'elles réunissent les trois critères de généralité, constance et fixité.
Le versement d'une prime n'a un caractère obligatoire que si cette pratique constitue un usage dont la constance, la généralité et la fixité permettent d'établir la volonté non équivoque de l'employeur de s'engager envers ses salariés et de leur octroyer ainsi un avantage financier.
Ces trois conditions sont cumulatives et si l'une d'entre elles fait défaut, il ne sera pas possible de présumer que l'employeur a souhaité accorder, en pleine connaissance de cause, un droit supplémentaire aux salariés par rapport à la loi, au statut collectif ou au contrat individuel de travail.
C'est au salarié qui invoque l'usage d'apporter par tous moyens la preuve tant de son existence que de son étendue.
Ainsi qu'il a été relevé, le contrat de travail de Monsieur l. RA. ne comporte aucune clause sur le versement d'une quelconque prime.
Pour devenir obligatoire pour l'employeur, il est nécessaire que l'avantage soit attribué un certain nombre de fois aux salariés d'une manière continue.
Il n'existe pas de durée minimale durant laquelle l'avantage doit être octroyé.
Il apparaît que le salarié a perçu une prime de fin d'année à compter du mois de décembre 2010 jusqu'au mois de décembre 2014, ce qui permet de retenir le critère de la constance.
Ensuite, l'avantage doit présenter une certaine fixité tant dans les conditions auxquelles les salariés peuvent y prétendre que dans ses modalités de calcul.
Il n'est apporté aucun élément sur le mode de calcul de la prime.
Pour autant, la progression constante durant les années considérées permet de retenir le critère de la fixité.
Enfin, le caractère de la généralité a été reconnu par l'employeur dans son courrier en date du 11 décembre 2015 repris supra .
Il en résulte que la S. A. M. A reste redevable d'un solde de 148,40 euros au titre de l'indemnité de licenciement, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.
Sur la rupture :
En application de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, et doit supporter les conséquences de sa décision de ne pas énoncer le motif de la rupture, en versant le montant de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.
L'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 n'instaurant pas, au profit de l'employeur, un droit discrétionnaire et absolu, il appartient au Tribunal du travail de vérifier le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié d'une part, et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de tout abus d'autre part (cause illicite ou illégale, détournement des dispositions d'ordre public, intention de nuire, précipitation, brutalité, légèreté blâmable).
Toutefois, l'exercice par l'employeur de ce droit, sans que le salarié soit rempli de ses droits, est de nature à rendre la rupture fautive et à justifier l'octroi des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729, au même titre qu'une rupture revêtant une forme abusive (Cour de révision du 9 mai 2003 P c/ S. A. M. T).
Il appartient à Monsieur l. RA. de rapporter la preuve, au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de l'existence de l'abus commis dans l'exercice du droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est résulté.
Alors en effet que la preuve de l'abus dans le droit de licencier incombe au salarié qui s'en prévaut, la détermination de l'excès commis par l'employeur dans l'exercice du droit unilatéral de résiliation que lui reconnaît la loi relève en effet du pouvoir souverain d'appréciation des juridictions saisies et peut induire un contrôle indirect du motif de rupture à l'effet de déterminer si celui-ci est fallacieux, c'est-à-dire s'il procède d'une volonté insidieuse de tromperie ou s'il présente un caractère spécieux lui ôtant sa loyauté.
En l'espèce, Monsieur l. RA. soutient que le véritable motif de licenciement est de nature économique, Monsieur n. CA. ayant également été licencié sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 un mois après et aucun des deux n'ayant été remplacé.
À ce titre, la jurisprudence monégasque considère que le licenciement fondé sur un faux motif ou un motif fallacieux constitue un abus. Par ailleurs la jurisprudence civile relative à l'abus de droit en caractérise également l'existence en l'absence de motif légitime à exercer le droit.
Pour autant le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.
Il n'est pas contestable que Monsieur n. CA. Chef de Secteur Grand Compte pour toute la région nord, a fait l'objet d'une mesure de licenciement sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 par lettre remise en main propre le 27 octobre 2015, soit dix-sept jours après le licenciement de Monsieur l. RA.
Le Tribunal relève à ce titre que Monsieur l. RA. qui a la charge de la preuve du motif fallacieux, se contente de procéder par voie d'affirmation sans apporter le moindre élément démontrant la réalité de ses allégations quant à une/des suppression(s) d'emploi rendue(s) nécessaire(s) par l'existence effective de la restructuration de l'entreprise ou de difficultés économiques.
Il se fonde uniquement sur les pièces produites par l'employeur pour en conclure à l'existence d'un motif illicite.
Cependant, dans le cadre de son pouvoir de direction, l'employeur assure la gestion du personnel et il n'appartient pas au juge d'apprécier la pertinence de la décision prise par l'employeur. Il lui appartient néanmoins de contrôler la réalité du motif économique dans l'hypothèse d'un licenciement prononcé sur ce fondement, qui serait contesté par le salarié ; la charge de la preuve reposant dans cette hypothèse sur l'employeur.
En l'espèce, il n'en est rien puisque la charge de la preuve repose exclusivement sur le salarié.
Ce dernier étant défaillant dans l'administration de la preuve, le motif fallacieux de la rupture ne sera pas retenu.
Monsieur l. RA. soutient également :
qu'il n'a pas été rempli de l'intégralité de ses droits,
que les circonstances ayant entouré le licenciement mettent en exergue le caractère soudain et brutal de la rupture.
Il n'est pas contestable que Monsieur l. RA. n'a pas été rempli de ses droits, ce qui confère à la rupture un caractère abusif.
Par ailleurs, la rupture est intervenue de manière brutale, dans la mesure où Monsieur l. RA. qui bénéficiait d'une ancienneté de sept ans dans l'entreprise, n'a pas pu anticiper la rupture qui lui a seulement été annoncée le jour même de sa mise en œuvre dans le cadre d'un entretien organisé sans délai de prévenance.
Bien que la loi du for n'impose pas un tel entretien préalable, les circonstances du licenciement d'un salarié avec une ancienneté importante, apparaît éminemment critiquable et psychologiquement préjudiciable.
L'employeur estime que la rupture ne pouvait être une surprise pour Monsieur l. RA. dans la mesure où son comportement était parfois inapproprié.
La pièce n° 6 produite par la S. A. M. A à ce titre ne vise pas Monsieur l. RA.
La pièce n° 7 vise « L. R. » qui peut correspondre à Monsieur l. RA. Pour autant, l'employeur ne démontre aucunement avoir averti ce dernier de quelque manière que ce soit.
Quant au préjudice invoqué, il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.
Les difficultés financières dont il est fait état sont en effet le résultat de la diminution de revenu, provoquée par la perte d'emploi et non la conséquence de la brutalité et de l'abus qui, à les supposer établis, auraient caractérisé le licenciement. De plus, le demandeur n'établit nullement en quoi ces difficultés matérielles auraient été provoquées par les circonstances fautives ayant entouré le licenciement, lesquelles n'ont d'ailleurs pas été retenues par le Tribunal. Elles ne peuvent être de nature à établir l'existence d'une faute dans la mise en œuvre de la rupture (Cour de révision, 26 mars 2014, Pourvoi n° 2013-17).
Le Tribunal relève que le fait de congédier le salarié sans convocation à un quelconque entretien préalable et, en outre de le dispenser, sans aucune justification particulière, d'exécution de préavis, témoignent d'une soudaineté et d'une précipitation fautives.
Au surplus, si la dispense d'exécution du préavis est une manifestation du pouvoir de direction de l'employeur et n'est pas en soi une mesure vexatoire, le contexte précité dans laquelle elle est intervenue est de nature en l'espèce à jeter le discrédit sur le salarié et à lui conférer en définitive un caractère abusif.
L'octroi de dommages et intérêts s'avère dès lors justifié.
Monsieur l. RA. a nécessairement supporté un préjudice moral du fait de la situation générée par cette rupture exercée avec légèreté et qu'il ne pouvait aucunement anticiper.
En l'état de l'analyse qui précède et des éléments d'appréciation produits, le préjudice apparaît devoir être justement évalué à la somme de 7.000 euros.
Il n'est pas justifié des conditions nécessaires au prononcé de l'exécution provisoire.
Partie succombante, la S. A. M. A sera condamnée aux dépens.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Condamne la société anonyme monégasque dénommée A , exerçant sous l'enseigne « B », à payer à Monsieur l. RA. les sommes suivantes :
1.750 euros bruts (mille sept cent cinquante euros) à titre de solde de prime de fin d'année 2015,
148,40 euros (cent quarante-huit euros et quarante centimes ) à titre de solde d'indemnité de licenciement,
le tout avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision ;
Dit que le licenciement de Monsieur l. RA. par la S. A. M. A , exerçant sous l'enseigne « B », est abusif ;
Condamne la S. A. M. A , exerçant sous l'enseigne « B », à payer à Monsieur l. RA. la somme de 7.000 euros (sept mille euros) de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
Déboute Monsieur l. RA. du surplus de ses demandes ;
Condamne la S. A. M. A , exerçant sous l'enseigne « B », aux dépens ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Paul-Marie JACQUES, Michel GRAMAGLIA, membres employeurs, Messieurs Fabrizio RIDOLFI, Gilles UGOLINI, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt-six septembre deux mille dix-huit, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Michel GRAMAGLIA, Gilles UGOLINI et Messieurs Paul-Marie JACQUES, Fabrizio RIDOLFI étant empêchés, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint.