Tribunal du travail, 21 juin 2018, Madame z. CH. c/ La SAM A
Abstract🔗
Contrat de travail - Licenciement - Inaptitude physique - Obligation de reclassement - Obligation de moyens - Recherche sérieuse et loyale (non) - Rupture abusive - Perte d'une chance - Préjudice moral
Résumé🔗
En s'abstenant d'avoir procédé à une recherche sérieuse et loyale de reclassement du salarié déclaré inapte et faute d'avoir établi que le reclassement s'avérait impossible, l'employeur a notifié le licenciement en méconnaissance des dispositions légales relatives au reclassement et a agi avec légèreté blâmable, ce qui confère à la rupture un caractère abusif. Toutefois, la salariée, à laquelle incombe la charge de cette preuve, n'établit nullement que le comportement de l'employeur serait à l'origine de son inaptitude, quand bien même elle a imputé son état de santé aux mauvaises conditions de travail. En effet, même si la demanderesse souffre d'une maladie professionnelle, il n'est aucunement fait état de recommandations de la Médecine du Travail au titre d'un aménagement du poste de travail, que l'employeur n'aurait pas respectées. La salariée a subi un préjudice résultant de la perte de chance de conserver un emploi dans l'entreprise, ne serait-ce qu'à temps très partiel, ainsi qu'un préjudice moral, qui doivent être indemnisés en fonction de l'ancienneté du salarié, du montant de sa rémunération et de la taille de l'entreprise à hauteur de la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 21 JUIN 2018
En la cause de Madame z. CH., demeurant « X1 », X1 à MENTON (06500) ;
Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice ;
d'une part ;
Contre :
La société anonyme monégasque dénommée A, dont le siège social se situe X2 à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substituée et plaidant par Maître Clyde BILLAUD, avocat-stagiaire ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance reçue le 26 juin 2015 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 12-2015/2016 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 13 octobre 2015 ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Madame z. CH., en date des 7 janvier 2016, 3 novembre 2016, 6 avril 2017 et 2 novembre 2017 ;
Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque A, en date des 3 mars 2016, 5 janvier 2017 et 1er juin 2017 ;
Après avoir entendu Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice, pour Madame z. CH., et Maître Clyde BILLAUD, avocat-stagiaire, pour la société anonyme monégasque A, en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
Madame z. CH. est entrée au service de la société anonyme monégasque A le 24 mai 1988 en qualité de « Conditionneuse machiniste », puis ensuite d'« Opérateur machiniste ».
Madame z. CH. a été placée en arrêt maladie à compter du mois de février 2013, le Médecin du Travail établissant le 6 novembre 2013 un certificat au terme duquel elle présente une pathologie susceptible d'être réparée au titre du tableau n° 57 du régime général des maladies professionnelles.
Elle a été déclarée en maladie professionnelle à compter du 12 décembre 2013.
Sans avoir pu reprendre son poste, le Médecin du Travail, le 1er décembre 2014, constatait son inaptitude définitive à son poste, avec demande de reclassement.
Madame z. CH. était cependant reconnue « Apte à un poste de type accueil, surveillance ou contrôle respectant ces restrictions ».
Sur demande de la SAM A, la Commission instituée par l'article 6 de la Loi n° 1-348 du 25 juin 2008, s'est réunie et s'est opposée au licenciement de Madame z. CH. le 26 janvier 2015.
L'employeur a malgré cela licencié la salariée par courrier en date du 29 janvier 2015.
Par requête reçue au greffe le 26 juin 2015, Madame z. CH. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :
non validité du licenciement,
dommages et intérêts pour licenciement abusif et mauvaises conditions de travail : 130.000 euros,
exécution provisoire,
intérêts au taux légal.
Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Madame z. CH. a déposé des conclusions les 7 janvier et 3 novembre 2016, 6 avril et 2 novembre 2017 dans lesquelles elle fait essentiellement valoir que :
l'employeur n'a fait aucune démarche pour tenter de la reclasser,
sa grande ancienneté et l'expérience qui en découle la plaçaient de manière favorable à un reclassement et démontraient sa capacité à occuper un autre poste sans difficulté,
les reclassements éventuels d'autres salariés ne sauraient permettre à la SAM A de justifier de ce qu'elle aurait effectivement recherché un poste pour la reclasser,
par la Loi n° 1.348, l'employeur a désormais « l'obligation de rechercher de façon active et effective une solution de reclassement dans un emploi aussi proche que possible de celui qu'occupait précédemment le salarié » mais aussi dans tout autre poste de l'entreprise qui pourrait lui convenir compte-tenu de ses compétences avec si besoin est une formation professionnelle interne,
victime d'une maladie professionnelle, et alors qu'elle avait passé la totalité de sa carrière au sein de la SAM A, ce sont nécessairement ses conditions de travail qui l'ont menée à déclarer cet état de santé affaibli,
la SAM A semble se focaliser sur les postes administratifs oubliant que la recommandation de la Médecine du Travail précisait également qu'elle était reconnue « Apte à un poste de type accueil, surveillance ou contrôle respectant ces restrictions »,
les pièces produites ne permettent pas d'affirmer qu'aucun poste n'aurait été disponible, transformable, ou en quoi une formation ne pouvait lui être dispensée pour lui permettre de demeurer au sein de la société,
le « tableau des restrictions médicales » produit par l'employeur et qui serait mis à disposition de l'Office de la Médecine du Travail, fait état de trente-cinq salariés rencontrant des difficultés d'ordre médicales, ce qui est révélateur d'une problématique grave au sein de cette société,
la recherche d'emploi ne doit pas être uniquement cherchée dans les postes disponibles à un moment donné, puisque la loi, autorise en son article 3, notamment « des mutations »,
l'inaptitude au poste occupé est la conséquence des mauvaises conditions de travail imposées par la SAM A en particulier à ses opérateurs machinistes,
elle n'a jamais été mise en garde contre les risques qu'elle encourait et la défenderesse n'a rien fait pour organiser le travail de façon à éviter de telles conséquences,
elle a été licenciée à deux ans de la retraite,
elle est toujours prise en charge par Pôle Emploi depuis le 10 décembre 2015.
La SAM A a déposé des conclusions les 3 mars 2016, 5 janvier et 1er juin 2017 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et soutient essentiellement que :
l'avis défavorable émis par la Commission est critiquable dans la mesure où ses membres se sont exclusivement basés sur l'ancienneté de Madame z. CH. pour fonder leur décision,
le législateur a confié à l'Inspecteur du travail l'obligation de mener une enquête civile, lorsque l'employeur ne peut proposer un autre emploi : la Commission ne peut rendre son avis sans avoir l'assurance que le reclassement n'est pas réellement possible,
elle justifie avoir recherché activement un poste pour le reclassement du salarié : or, l'inaptitude de Madame z. CH. ne permettait pas ce reclassement,
les postes administratifs sont quasi-inexistants et ceux pourvus requièrent du salarié qu'il soit parfaitement bilingue, la langue de travail étant l'anglais,
la majorité des salariés est en production et en fabrication (postes incompatibles avec les restrictions médicales de Madame z. CH.,
les salariés aptes mais avec restrictions médicales font l'objet d'un suivi et un formulaire a été établi à cette fin et le tableau ensuite établi est mis à la disposition de l'Office de la Médecine du Travail,
l'état de santé du salarié déclaré inapte fait l'objet d'un suivi et l'évolution et la dégradation de son état sont transcrites sur ce fichier afin de rechercher les solutions d'aménagement de poste ou de reclassement en interne, lorsque cela est possible,
les missions confiées aux intérimaires sont soit ponctuelles et de courte durée, soit concernent les postes de Production, donc incompatibles avec les restrictions de Madame z. CH.,
prétendre que le motif ne serait pas valable en l'absence de reclassement, va à l'encontre des dispositions d'ordre public de l'article 8 de la Loi n° 1.348. La loi a déjà mis à la charge de l'employeur les sanctions pécuniaires prévues aux articles 5 et 8,
l'obligation de recherche active pesant sur l'employeur doit tenir compte des contraintes inhérentes à la situation de l'entreprise et du salarié.
SUR CE,
Sur le motif de licenciement :
Le licenciement du demandeur fait suite à la déclaration d'inaptitude définitive à son poste : demande de reclassement établie par le Médecin du Travail le 1er décembre 2014.
La rupture du contrat de travail est fondée sur un motif valable dès lors qu'elle est la conséquence de la déclaration définitive d'inaptitude, si bien que la demande en paiement de l'indemnité de licenciement doit être rejetée.
Le salarié déclaré médicalement inapte à son poste de travail bénéficie aux termes de la Loi n° 1.348 du 25 juin 2008 d'un droit à reclassement ; en cas d'impossibilité établie de reclassement ou en cas de refus par le salarié du reclassement, le licenciement est alors possible et le salarié bénéficie du paiement de l'indemnité de congédiement prévue à l'article 1er de la Loi n° 845 du 27 juin 1968.
En application des dispositions de l'article 3 de la Loi n° 1.348 du 25 juin 2008 : « Au vu du rapport établi par le médecin du travail, l'employeur propose au salarié un autre emploi approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé. Pour ce faire, il peut mettre en œuvre des mesures telles que des mutations, des transformations de postes, des formations adaptées à l'emploi proposé et internes à l'entreprise ou des aménagements du temps de travail. (...) ».
L'article 3 de la Loi n° 1.348 du 25 juin 2008 impose à l'employeur de prouver l'impossibilité où il se trouve de reclasser le salarié en établissant avoir recherché les éventuelles mutations, transformations de postes, formations adaptées ou aménagements du temps de travail, en fonction des conclusions et indications figurant dans le rapport que le Médecin dresse indépendamment de sa déclaration d'inaptitude définitive à l'emploi.
Il résulte de l'exposé des motifs de cette loi que « le texte s'attache à faire du reclassement une option concrète et crédible » et que l'article 3 précité impose à l'employeur « au vu des indications du médecin du travail, de rechercher un nouveau poste approprié aux capacités du salarié », le poste proposé après ces recherches devant « correspondre, autant faire se peut, aux compétences de l'intéressé ».
Le rapporteur de ce texte au Conseil National a également été amené à préciser que « quant à l'employeur, si le texte ne l'oblige pas à reclasser les salariés déclarés inaptes, il sera néanmoins tenu de rechercher de façon active toutes les possibilités de reclassement au sein de l'entreprise » et que la liste des mesures susceptibles d'être prises par l'employeur à cet égard n'est pas exhaustive.
Si l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur est une obligation de moyen, il reste que pour pouvoir procéder régulièrement au licenciement, il lui appartient au préalable de rapporter la preuve de l'impossibilité où il se trouve de reclasser le salarié, et ce, nécessairement, après avoir étudié les possibilités existantes ou pouvant exister au sein de l'entreprise en fonction des préconisations de la Médecine du Travail (C. A., 9 octobre 2012, même affaire), « en établissant avoir recherché les éventuelles mutations, transformations de postes, formations adaptées ou aménagements du temps de travail, en fonction des conclusions et indications figurant dans le rapport que le médecin dresse indépendamment de sa déclaration définitive d'inaptitude à l'emploi » (Cour de Révision, 31 octobre 2013, même affaire).
Seul le Médecin du Travail, a le pouvoir de déclarer l'inaptitude du salarié ; à cette fin, la déclaration d'inaptitude définitive comprend ses indications sur les aptitudes du salarié, lesquelles s'analysent comme un conseil avisé destiné à l'employeur. Il y est joint un rapport dans lequel ce médecin, qui dispose d'une parfaite connaissance de l'environnement dans lequel évolue le salarié par les visites de contrôle qu'il est amené à effectuer dans l'année dans l'entreprise, formule ses conclusions et des indications sur l'aptitude éventuelle du salarié à exercer une des tâches existant dans l'entreprise.
La Médecine du Travail a déclaré, le 1er décembre 2014, Madame z. CH. inapte définitivement à son poste de travail avec demande de reclassement, en précisant :
« Inaptitude définitive à son poste de conditionneuse.
Ne peut plus effectuer de gestes répétitifs du bras droit, ni de manutention régulière de poids de plus de 5 kgs ; pas de travail en élévation du bras droit au-dessus de 30°.
Apte à un poste de type accueil, surveillance ou contrôle respectant ces restrictions. ».
Le rapport établi par le Médecin du Travail à la suite de la déclaration d'inaptitude est ainsi libellé :
« Décision d'aptitude :
- inaptitude définitive au poste de conditionneuse,
- aptitude du salarié au sein de l'entreprise :
Mme CH. ne peut plus effectuer de gestes répétitifs du bras droit. L'élévation fréquente (toutes les ½ heures maximum) au-delà de 30° de ce bras est fortement déconseillée. La manutention régulière de poids de plus de 5 kgs est interdite, possible occasionnellement 4 fois par jour environ.
Elle pourrait occuper un poste d'accueil, de surveillance, de contrôle respectant ces contre-indications. ».
La Commission instituée par l'article 6 de la Loi n° 1.348 du 25 juin 2008 relative au reclassement des salariés déclarés inaptes par le Médecin du Travail, a, aux termes de son procès-verbal du 26 janvier 2015, indiqué :
« Après avoir pris connaissance du rapport établi le 1er décembre 2014 par le docteur F. SA. MA., qui précise que madame z. CH. ne peut plus effectuer de gestes répétitifs du bras droit. L'élévation fréquente (toutes les ½ heures maximum) au-delà de 30° de ce bras est fortement déconseillée. La manutention régulière de poids de plus de 5 kgs est interdite, possible occasionnellement 4 fois par jour environ.
Madame z. CH. pourrait occuper un poste d'accueil, de surveillance, de contrôle respectant ces contre-indications.
Après avoir entendu les parties dans leurs explications, la Commission constate qu'un effort, eu égard à l'ancienneté de madame z. CH., aurait pu être fait par la société, notamment par un reclassement sur des postes existants, une mutation, une transformation de poste, une formation adaptée, un aménagement du temps de travail au regard du rapport établi par la Médecine du travail (article 3 de la loi n°1.348 du 25 juin 2008 relative au reclassement des salariés déclarés inaptes par le Médecin du travail).
En conséquence, les membres de la Commission s'opposent au licenciement de madame z. CH.. ».
À la suite de cet avis, l'employeur notifiait à Madame z. CH. son licenciement par courrier en date du 29 janvier 2015, en ces termes :
« Madame,
En date du 2 décembre 2014, nous avons reçu par courrier recommandé émanant du Dr F. s-m., Médecin du Travail, une fiche d'inaptitude définitive à votre poste de Conditionneuse datée du 1er décembre 2014.
Son rapport mentionne « Mme CH. ne peut plus effectuer de gestes répétitifs du bras droit. L'élévation fréquente (toutes les ½ heures maximum) au-delà de 30° de ce bras est fortement déconseillée. La manutention régulière de poids de plus de 5 kg est interdite, possible occasionnellement 4 fois par jour environ.
Elle pourrait occuper un poste d'accueil, de surveillance, de contrôle respectant ces contre-indications.
En dépit des recherches que nous avons menées pour trouver un autre emploi tenant compte de ces aménagements, et dans la mesure où aucun autre reclassement ne peut vous être proposé, nous avons donc été contraints de procéder à la saisine d'une commission apte à statuer sur votre licenciement conformément à la loi n° 1.348 du 25 juin 2008 relative au reclassement des salariés déclarés inaptes par le médecin du travail.
La commission s'est réunie le 26 janvier 2015.
Bien que la commission ait donné un avis défavorable à votre licenciement, nous avons le regret de vous informer que nous sommes dans l'obligation de procéder à votre licenciement pour inaptitude définitive à tout poste dans l'entreprise sans aucune possibilité de reclassement tel que notifié dans le rapport du Docteur F. s-m. médecin du travail.
Conformément à l'article 7 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, votre contrat de travail prendra fin au terme d'un préavis de deux mois, que vous ne pourrez effectuer compte tenu du rapport établi par le Docteur de l'Office de la Médecine du Travail ».
Il résulte des dispositions développées ci-dessus que l'employeur, auquel incombe une obligation de recherche de solutions de reclassement en cas d'inaptitude définitive d'un salarié à son poste de travail, doit justifier des démarches actives et sérieuses qu'il a menées en vue d'effectuer des propositions crédibles et concrètes.
Si l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur est une obligation de moyen, il reste que pour pouvoir procéder régulièrement au licenciement, il lui appartient au préalable de rapporter la preuve de l'impossibilité où il se trouve de reclasser le salarié, et ce, nécessairement, après avoir étudié les possibilités existantes ou pouvant exister au sein de l'entreprise en fonction des préconisations de la Médecine du Travail.
Les possibilités de reclassement doivent s'apprécier au regard de la taille de l'entreprise et de la nature des emplois occupés.
L'employeur doit justifier des démarches actives en établissant avoir recherché les éventuelles mutations, transformations de postes, formations adaptées ou aménagements du temps de travail, en fonction des conclusions et indications figurant dans le rapport que le Médecin dresse indépendamment de sa déclaration d'inaptitude définitive à l'emploi et démontrer les recherches sérieuses qu'il a menées en vue d'effectuer des propositions crédibles et concrètes.
L'employeur conteste les conclusions de la Commission de reclassement, estimant que la Loi n° 1.348 a confié à l'Inspecteur du Travail l'obligation de mener une enquête civile, lorsque l'employeur ne peut proposer un autre emploi ; la Commission ne peut rendre son avis sans avoir l'assurance que le reclassement n'est pas réellement possible.
Il apparaît à la lecture de la décision de la Commission que cette dernière a effectivement tenu compte de l'ancienneté de la salariée pour apprécier l'obligation de moyen de l'employeur ; ce qui n'est pas en concordance avec la loi qui lui impose de vérifier les possibilités réelles de reclassement.
Ce faisant, il convient également de relever que l'employeur a la possibilité de se rapprocher de la Médecine du Travail, à la suite du rapport établi par cette dernière, pour déterminer les éventuelles mutations, transformations de postes, formations adaptées ou aménagements du temps de travail, en fonction des conclusions et indications figurant dans ledit rapport et ce, au titre de son obligation de moyen.
La SAM A se contente de procéder par voie d'affirmations, alors que :
elle n'a donné aucune précision sur la nature des différents postes existants dans l'entreprise et surtout les contraintes qu'ils imposaient afin de permettre une comparaison utile et réelle avec le travail susceptible d'être fourni par Madame z. CH. au regard des restrictions dégagées,
elle n'a ciblé ses recherches que parmi les emplois disponibles dans l'entreprise, sans envisager la mise en œuvre de mesures telles que transformations, mutations de postes ou formations,
enfin, elle a écarté toute possibilité d'aménagement du temps de travail.
Les documents que l'employeur produit ne sont pas suffisamment éclairants en l'absence de précisions comptables sur les salariés occupés dans les différentes chaînes de production.
En s'abstenant d'avoir procédé à une recherche sérieuse et loyale de reclassement et faute d'avoir établi que le reclassement s'avérait impossible, la SAM A a notifié le licenciement en méconnaissance des dispositions légales relatives au reclassement et a agi avec légèreté blâmable, ce qui confère à la rupture un caractère abusif.
Toutefois, Madame z. CH., à laquelle incombe la charge de cette preuve, n'établit nullement que le comportement de l'employeur serait à l'origine de son inaptitude, quand bien même elle a imputé son état de santé aux mauvaises conditions de travail.
En effet, même si la demanderesse souffre d'une tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite, reconnue en tant que maladie professionnelle, il n'est aucunement fait état de recommandations de la Médecine du Travail au titre d'un aménagement du poste de travail, que l'employeur n'aurait pas respectées.
Quant aux conséquences de cette rupture, Madame z. CH. produit un courrier de Pôle Emploi en date du 29 avril 2015, dans lequel elle est informée de l'ouverture de droit à l'allocation d'aide au retour à l'emploi pour une durée de trois années à compter du 10 décembre 2015, avec une allocation journalière de 35,91 euros.
Elle ne produit cependant aucun document sur sa situation postérieure au 1er novembre 2016 (dernier courrier Pôle Emploi).
Elle justifie ainsi d'un préjudice matériel jusqu'à cette date.
Madame z. CH. a subi un préjudice résultant de la perte de chance de conserver un emploi dans l'entreprise, ne serait-ce qu'à temps très partiel, ainsi qu'un préjudice moral, qui doivent être indemnisés en fonction de l'ancienneté du salarié, du montant de sa rémunération et de la taille de l'entreprise à hauteur de la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Il n'est pas justifié pour le surplus des conditions nécessaires au prononcé de l'exécution provisoire.
La SAM A, qui succombe, doit supporter les dépens du présent jugement.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Dit que le licenciement de Madame z. CH. par la société anonyme monégasque A est fondé sur un motif valable mais revêt un caractère abusif ;
Condamne la SAM A à payer à Madame z. CH. la somme de 30.000 euros (trente mille euros) à titre de dommages et intérêts ;
Condamne la SAM A aux dépens du présent jugement ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Monsieur Jean-François RIEHL, Madame Anne-Marie MONACO, membres employeurs, Messieurs Pascal GARRIGUES, Silvano VITTORIOSO, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt et un juin deux mille dix-huit, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Madame Anne-Marie MONACO et Monsieur Silvano VITTORIOSO, Messieurs Jean-François RIEHL et Pascal GARRIGUES étant empêchés, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef.