Tribunal du travail, 18 janvier 2018, La société A. c/ Madame n. DU-CR.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Contrat de travail - Commission de classement - Décision - Nullité (oui) - Conséquences

Résumé🔗

Il n'est pas contesté que la décision litigieuse rendue par la Commission de classement comporte une erreur en ce qu'elle mentionne la présence de Monsieur LU, alors qu'il n'était pas présent et omet de mentionner la présence de Monsieur OU.  La société A. soutient que Monsieur OU est intervenu en qualité de « responsable commercial des équipes banque de détail » alors qu'il apparaît dans l'erratum, en tant que sous-directeur. Cet élément a toute son importance à la lecture de l'argumentation de la société A. qui soutient que Monsieur OU., en tant que « responsable commercial des équipes banque de détail » est l'une des personnes les mieux placées pour connaître les tâches effectuées quotidiennement par Madame CR. En effet, cette qualité pouvait lui donner la légitimité pour présenter des observations pertinentes sur le travail de la salariée. L'absence de prise en compte de ces dernières par la Commission pourrait dès lors constituer une atteinte aux droits de la défense. Cependant, la société A. ne démontre aucunement à quel titre Monsieur OU est intervenu, de sorte que l'absence de mention de sa présence ne peut constituer un grief susceptible d'entraîner l'annulation de la décision rendue.

L'article 4 de l'ordonnance n° 3.094 du 3 décembre 1963 prévoit : « Les parties, dûment appelées à comparaître, peuvent se faire assister ou représenter par une personne de leur choix ; sauf s'il s'agit d'un avocat ou d'un avocat-défenseur, le mandataire droit être porteur d'un pouvoir sur papier livre. ». Nonobstant ces dispositions, la société A. considère que Monsieur CR, en assistant son épouse, se place en situation de conflit d'intérêt « patent ». La communauté d'intérêt entre Monsieur CR et la salariée ne fait aucun doute, de sorte que l'objectivité de celui-ci peut être mise en doute par la société A. Néanmoins, l'employeur ne justifie d'aucun grief en lien avec ce conflit d'intérêt et ne justifie pas plus de ce que la décision de la Commission de classement aurait été toute autre si Madame CR avait été assistée par une autre personne que son époux. La nullité de la décision de la Commission ne peut être encourue à ce titre.

La société A. soutient enfin que la Commission de classement a statué ultra petita. L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. Il ne peut substituer à l'objet réclamé un autre objet, pour faire droit à la demande ou la rejeter. Cependant, lorsque les effets d'une règle de droit sont hiérarchisés, « le juge statue ultra petita s'il accorde le plus important alors que seul le moins important a été sollicité alors que dans le cas inverse, il est raisonnable de penser que l'effet le moins important est implicitement sollicité à titre subsidiaire » (J. Héron et T. Le Bars, n° 270. - Adde Rép. proc. civ. Dalloz, V° principes directeurs du procès, par L. Weiller, n° 119). En l'espèce la Commission a décidé d'attribuer à Madame CR une classe et un coefficient qu'elle n'avait pas demandés. Au regard des règles posées supra, il apparaît que la Commission a statué ultra petita, entraînant de ce fait la nullité de la décision rendue.  En effet, l'article 3 de l'ordonnance n° 3094 prévoit qu'à la réception de la requête, l'inspecteur du travail invite l'autre partie à prendre connaissance de cette requête. La société A. a ainsi préparé toute son argumentation et sa défense sur la demande présentée par Madame CR dans sa requête, à savoir un classement au coefficient 562 (classe V) à compter du 5 novembre 2013. La classe IV coefficient 483 attribuée à la salariée par la Commission de classement répond à des critères spécifiques, que l'employeur n'aurait pas manqué de contester par une argumentation idoine, et il ne peut dès lors être retenu qu'il s'agit d'un effet moins important implicitement sollicité à titre subsidiaire. Ce faisant, et tenant la nullité de la décision déférée, le Tribunal doit statuer sur la demande initialement présentée par Madame CR. Il convient en outre de rappeler que la présente juridiction est saisie en sa qualité de juridiction d'appel de la Commission de classement et que l'examen du litige se limite uniquement à la décision rendue sans qu'il soit possible de statuer sur de nouvelles demandes qui doivent être déclarées en tant que de besoin irrecevables.


Motifs🔗

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 18 JANVIER 2018

  • En la cause de la société anonyme dénommée A., dont le siège social se situe X2 à PARIS (75009), succursale de Monaco sise X3

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la même Cour ;

d'une part ;

Contre :

  • Madame n. DU-CR., demeurant « X1 », 30 X1 à BEAUSOLEIL (06240) ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 13 août 2015, reçue le 17 août 2015 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 17 août 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme dénommée A., en date des 18 novembre 2015, 6 octobre 2016 et 2 mars 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Madame n. DU-CR., en date des 23 mai 2016 et 1er décembre 2016 ;

Après avoir entendu Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour la société anonyme dénommée A. et Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice, pour Madame n. DU-CR., en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

* * * *

Madame n. DU-CR. a été mise à disposition de la société anonyme dénommée A. par la société B. du 14 décembre 2001 au 15 février 2002 dans le cadre d'une mission d'intérim pour réaliser des tâches administratives occasionnées par le passage du franc français à l'euro.

Par la suite, Madame n. DU-CR. a été embauchée par la société A. à compter du 8 avril 2002 selon contrat à durée déterminée jusqu'au 7 juillet 2002 en tant que «Chargée de fonctions administratives - service étranger» aux conditions suivantes :

  • - coefficient 293,

  • - points garantis : 46,

  • - points personnels : 30,

  • - appointements bruts mensuels : ¿ 1.056,77 + 5% + 1/8ème .

Le contrat à durée déterminée de Madame n. DU-CR. a été renouvelé dans les mêmes conditions pour une nouvelle période du 15 juillet au 15 décembre 2002.

Le 16 décembre 2002, la société A. décide de transformer le contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.

À compter du 1er avril 2006, Madame n. DU-CR. est promue à la Classe II.1 aux conditions suivantes avec l'augmentation correspondante des points :

  • - points de base : 335,

  • - points garantis : 103,

  • - points personnels : 34,

  • - points diplômes : 28.

En août 2006, Madame n. DU-CR. effectue une demande de temps partiel qui lui est accordé, si bien que son temps de travail est réduit à 80 % (journée de mercredi libérée).

En novembre 2006, Madame n. DU-CR. se voit attribuer les points supplémentaires liés à l'obtention d'un diplôme relatif aux fondamentaux de la banque (Brevet Professionnel).

En décembre 2006, suite à l'obtention de son diplôme, elle est affectée au poste de « Chargée de Clientèle sans caisse ».

En avril 2009, Madame n. DU-CR. est promue à la classe II.2 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques et au poste de « Conseiller Clientèle Particuliers».

En octobre 2014, elle est promue à la classe III.1 avec un coefficient de base 381.

Le 1er juillet 2015, Madame n. DU-CR. a saisi la Commission de classement d'une demande de changement de classe, considérant qu'elle devait bénéficier de la classe V avec un coefficient de base 562.

La Commission de classement s'est réunie le 23 juillet 2015 et, dans sa décision en date du 31 juillet 2015, a rejeté la demande de reclassement de Madame n. DU-CR., tout en considérant qu'elle devait être reclassée en classe IV avec un coefficient de base 483 et effet rétroactif au 5 novembre 2013.

Par requête en date du 13 août 2015, reçue au greffe le 14 août 2015, la société A. (la A.) a formé un recours contre la décision rendue par la Commission de classement.

La société A. a déposé des conclusions les 18 novembre 2015, 6 octobre 2016 et 2 mars 2017 dans lesquelles elle demande au Tribunal de :

  • - infirmer la décision de la Commission de classement du 31 juillet 2015,

  • - statuant à nouveau,

  • - à titre principal,

  • - prononcer la nullité de la décision de la Commission de classement du 31 juillet 2015,

  • - à titre subsidiaire,

  • - dire et juger que la décision de classer Madame n. DU-CR. à la classe IV coefficient 483 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques est infondée,

  • - dire et juger que Madame n. DU-CR. doit être classée à la classe III.1 coefficient 381 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques,

  • - débouter Madame n. DU-CR. de sa demande de classification,

  • - en tout état de cause,

  • - débouter Madame n. DU-CR. de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

La société A. fait essentiellement valoir que :

sur la nullité de la décision de la Commission de classement en date du 31 juillet 2015 :

  • la décision de la Commission de classement du 31 juillet 2015 mentionne les noms des personnes qui sont censées y avoir assisté et qui auraient pu participer aux discussions,

  • la décision mentionne la présence de Monsieur e. LU. à cette réunion alors qu'il n'y a pas assisté,

  • Monsieur p. OU., Responsable Commercial des équipes banque de détail de la société A. en Principauté, a participé aux discussions de la Commission, mais ne figure pas dans la décision,

  • l'inspecteur du Travail, qui présidait la Commission, reconnaît d'ailleurs cette erreur.

  • Monsieur p. OU. était non seulement présent à la réunion mais il y a également pris la parole,

  • la décision de la Commission n'a mentionné aucune des interventions de ce dernier,

  • les observations de l'employeur n'ont dès lors pas été prises en compte, ce qui est de nature à faire naître un doute quant à la sincérité de la décision rendue,

  • Monsieur p-f. CR., Délégué du Personnel de la société A., assistait Madame n. DU-CR.,

  • Monsieur p-f. CR. se trouve être le mari de Madame n. DU-CR., de sorte qu'en la représentant auprès de la Commission de classement il se place en situation de conflit d'intérêt patent,

  • la Commission de classement a statué ultra petita,

  • la requête de la salariée portait sur un reclassement en classe V, coefficient 562. Or, la Commission a décidé que Madame n. DU-CR. devait être reclassée en classe IV avec un coefficient de base 483 avec effet rétroactif au 5 novembre 2013, allant au-delà de ce qui lui était demandé et sans recueillir les observations de l'employeur.

sur le reclassement en classe IV avec un coefficient de base 483 :

  • la décision ne fait aucune mention d'une intervention de la société A. sur les appréciations de Madame n. DU-CR. à son poste de « Conseiller de Clientèle Particuliers »,

  • il n'a jamais été question de la qualité de son travail durant la réunion de la Commission,

  • jusqu'en décembre 2006, les rapports d'évaluation professionnelle de la salariée démontrent une exécution satisfaisante des missions qui lui étaient confiées, justifiant une évolution régulière au sein de la Banque,

  • en avril 2009, Madame n. DU-CR. a à nouveau été promue au poste de Conseiller Clientèle Privé, Classe II.2, coefficient de base 357,

  • lors du premier entretien d'évaluation qui a suivi cette promotion, ses performances avaient déjà été pointées du doigt,

  • en octobre 2014, la salariée est de nouveau promue à la classe III.1 avec un coefficient de base 381 et le premier entretien suivant la prise de poste en juin 2015 s'est révélé tout aussi décevant que le précédent,

  • la qualité du travail de Madame n. DU-CR. n'a jamais fait l'objet d'une discussion lors de la réunion de la Commission de Classement,

  • la qualité du travail d'un salarié n'entre pas en compte dans une demande de reclassement. Seule une évolution dans la nature des missions confiées à Madame n. DU-CR. aurait été susceptible de justifier un tel avancement,

  • les services proposés à la clientèle de la banque de détail par un Conseiller Clientèle Particulier ne dépassent pas le cadre des opérations courantes si bien que les demandes de la clientèle de Madame n. DU-CR. ne présentent ni de complexité ni de risques particuliers et ne nécessitent pas de compétence technique ou linguistique spécifique,

  • la carte de démarchage produite aux débats par Madame n. DU-CR. lui a été délivrée compte tenu de son poste de « Conseiller Clientèle Particulière », sans que cela ne démontre qu'elle a des activités effectives de prospection,

  • la clientèle de l'agence Charles III dans laquelle travaille Madame n. DU-CR. n'étant pas plus risquée que celle d'une autre agence de la Banque, la nationalité ou la résidence des clients n'influe en rien sur la nature des tâches ou les responsabilités de la salariée,

  • ses missions consistent en grande partie à effectuer l'accueil des clients dans l'agence selon des procédures internes. Elle n'a aucun pouvoir d'initiative,

  • les tâches de Madame n. DU-CR. se cantonnent à des opérations courantes de banque et de titre, incompatibles avec la classe IV, et elle n'exerce aucun commandement sur aucun employé,

  • sa mission de conseil est extrêmement normée et exclut tout conseil en matière de valeurs mobilières,

  • elle ne procède pas à l'analyse d'un dossier de crédit mais le constitue en y saisissant les informations qui feront ensuite l'objet d'une analyse,

  • ces tâches correspondent à la classe III.1 avec un coefficient de base 381,

  • aucune des formations suivies par la salariée ne permettent d'acquérir une « technicité dans une branche spécialisée permettant de réaliser des études complexes » au sens de la Convention Collective Monégasque des Personnels de Banque,

  • Madame n. DU-CR. ne réalise aucune étude et l'ensemble de ses tâches est encadrée,

  • l'évolution des missions de Madame n. DU-CR. correspond à celle des classes qui lui ont été attribuées.

Madame n. DU-CR. a déposé des conclusions les 23 mai et 1er décembre 2016 dans lesquelles elle sollicite la confirmation de la décision rendue par la Commission de classement le 31 juillet 2015 et la condamnation de la société A. à lui payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Elle expose essentiellement que :

sur les irrégularités soulevées par la société A. :

  • l'erreur portant sur le nom des personnes présentes lors de la Commission de classement est une simple erreur matérielle qui ne peut entacher la validité de la décision de la Commission,

  • l'inspection du travail a rédigé un erratum pour rectifier et régulariser ainsi cette simple erreur matérielle qui ne cause aucun préjudice aux parties,

Monsieur p. OU. était bien présent lors de ladite Commission et assisté de Monsieur Jean BILLON, Conseil de l'employeur, et la mention des arguments de ce dernier démontre que les arguments de Monsieur p. OU. ont bien été pris en considération par la Commission :

  • * la présence de Monsieur CR. en sa qualité de délégué du personnel et d'assistant de la salariée et époux de cette dernière :

    • l'article 4 de l'ordonnance n° 3094 dispose que «les parties, dûment appelées à comparaître peuvent se faire assister ou représenter par une personne de leur choix »,

    • rien n'interdit ainsi à son époux, qui plus est salarié de la société A. et délégué du personnel, de l'assister dans ce type de commission.

  • *sur la décision rendue par la commission proposant un autre classement :

    • - rien n'interdit à la Commission, si elle l'estime justifié et nécessaire, de procéder au classement du salarié dans une autre catégorie que celle initialement sollicitée,

    • - la Commission n'a pas statué ultra petita, puisqu'elle a procédé à l'examen de la situation et a proposé le classement adéquat de la salariée au regard de ses compétences, de ses responsabilités et de ses fonctions,

    • - la décision a été dûment motivée et correspond parfaitement aux discussions qui ont eu lieu lors de la tenue de la Commission.

sur le bon classement en classe IV coefficient 483 :

  • pour pouvoir classer un salarié dans la bonne catégorie professionnelle, il est nécessaire d'appréhender ses qualités professionnelles outre les tâches qu'il effectue à son poste de travail,

  • ses évaluations professionnelles et notamment celle du 5 juin 2015 correspondant à son poste actuel démontrent qu'elle a toujours obtenu de manière générale de bons résultats professionnels soulignant entre autres sa rigueur administrative notamment sur les questions de conformité, son esprit d'équipe, ainsi que son implication,

  • elle a atteint l'ensemble des objectifs commerciaux qui lui avaient été fixés lors de l'évaluation professionnelle du 05 juin 2015,

  • l'évaluation professionnelle du 1er juin 2010 fait très clairement écho à son congé maternité annoncée, expliquant l'absence d'avancement et les commentaires peu enthousiastes mentionnés sur le support d'évaluation,

  • d'avril 2009 à octobre 2014, soit pendant plus de cinq années et demi, elle ne bénéficiera d'aucun avancement ni d'aucune promotion alors qu'elle est reclassée, à compter du mois de novembre 2013 au terme de son congé maternité à un poste qui n'est pas équivalent à celui qu'elle a quitté et qui est techniquement bien plus exigeant,

  • ces clients sont des particuliers grand public, mais essentiellement haut de gamme, à fort potentiel,

  • elle a en charge une clientèle de non-résidents dite « internationale» et principalement des pays d'Afrique,

  • cette particularité impose une connaissance des procédures et de la règlementation très développée.

  • ses fonctions sont loin d'être des tâches « de base » d'un chargé de clientèle dont la clientèle serait simplement résidente ou ressortissante d'un état de l'Union Européenne considérée sans risque,

  • le risque pays est considérablement accru lorsqu'il s'agit des pays du continent africain ou d'Océanie,

  • les exigences en matière de compliance, de déontologie et de règlementation sont considérablement accrues et le chargé de clientèle se trouve particulièrement exposé au risque « blanchiment »,

  • les processus internes à la banque ne sont donc pas identiques pour les clients résidents ou pour les clients non-résidents,

  • la catégorie classe IV coefficient 483 ne mentionne nulle part la nécessité de disposer d'un pouvoir en matière commerciale et encore moins n'exclut les opérations courantes de banque ou de titre,

  • elle a des pouvoirs de remboursement divers dans la rubrique gestion commerciale,

  • cette catégorie professionnelle n'impose pas non plus une fonction d'encadrement d'une équipe,

  • elle a une connaissance professionnelle éprouvée dans le domaine de la banque d'une part, du fait de ses quatorze années d'ancienneté, de ses formations et d'autre part du fait de son diplôme B. P. banque,

  • elle sollicite régulièrement le personnel du guichet de l'agence ainsi que certains collaborateurs administratifs pour effectuer des tâches courantes de banque,

  • elle est donc amenée à superviser du personnel dans le cadre des fonctions courantes qu'elle encadre,

  • elle réalise des études complexes pour la situation de certains de ses clients,

  • la règlementation monégasque impose au conseiller une obligation d'analyse des opérations avec notamment les pays d'Afrique,

  • elle a bien un devoir d'analyse et d'étude complexe des dossiers qu'elle gère au quotidien,

  • elle a le nombre de clients par fonds de commerce le plus important au sein de son agence, avec des avoirs élevés et une bonne rentabilité,

  • elle est en possession de la carte de démarchage en vigueur, tamponnée par la banque,

  • Monsieur p. PA., son binôme puisqu'ils se remplacent mutuellement en cas d'absence, se trouve être « conseiller de clientèle particulier» Classe IV-2 avec un coefficient de base 483.

SUR CE,

La société A. a régulièrement interjeté appel par-devant le Bureau de jugement du Tribunal du travail, le 13 août 2015, reçu le 14 août 2015, de la décision de la Commission de classement, en date du 31 juillet 2015 ;

Cet appel est recevable, conformément à l'article 11-1° de la loi n° 739 du 16 mars 1963 ;

  • Sur la demande de nullité de la décision de la Commission de classement :

L'absence de mention de la présence de Monsieur p. OU..

Il n'est contesté par aucune des parties que la décision litigieuse rendue par la Commission de classement comporte une erreur en ce qu'elle mentionne la présence de Monsieur e. LU., alors qu'il n'était pas présent et qu'elle omet de mentionner la présence de Monsieur p. OU..

Monsieur Bernard BIANCHERI, Inspecteur du travail, a d'ailleurs rédigé un « erratum », non daté, ainsi libellé :

« Dans le deuxième paragraphe à la place de monsieur e. LU. non présent il fallait lire :

« Outre la salariée, participaient également à la réunion monsieur p-f. CR., délégué du personnel de la société A. à Monaco, qui assistait Madame DU CR. et monsieur Michel p. AU, responsable gestion des ressources humaines de la société A. à Monaco, monsieur p. OU., sous-directeur de la société A. à Monaco, monsieur Jean BILLON, conseil juridique et sa collaboratrice Madame Sandrine C. ».

La société A. soutient que Monsieur p. OU. est intervenu en qualité de « responsable commercial des équipes banque de détail » alors qu'il apparaît dans l'erratum, en tant que sous-directeur.

Cet élément a toute son importance à la lecture de l'argumentation de la société A. qui soutient que Monsieur p. OU., tenant ses fonctions de « responsable commercial des équipes banque de détail » est l'une des personnes les mieux placées pour connaître les tâches effectuées quotidiennement par Madame n. DU-CR..

En effet, cette qualité pouvait lui donner la légitimité pour présenter des observations pertinentes sur le travail de la salariée. L'absence de prise en compte de ces dernières par la Commission pourrait dès lors constituer une atteinte aux droits de la défense.

Cependant, la société A. ne démontre aucunement à quel titre Monsieur p. OU. est intervenu, de sorte que l'absence de mention de sa présence ne peut constituer un grief susceptible d'entraîner l'annulation de la décision rendue.

La présence de Monsieur p-f. CR.

L'article 4 dernier alinéa de l'ordonnance n° 3094 du 3 décembre 1963 prévoit :

« Les parties, dûment appelées à comparaître, peuvent se faire assister ou représenter par une personne de leur choix ; sauf s'il s'agit d'un avocat ou d'un avocat-défenseur, le mandataire droit être porteur d'un pouvoir sur papier livre. ».

Nonobstant ces dispositions, la société A. considère que Monsieur p-f. CR., en assistant son épouse, se place en situation de conflit d'intérêt « patent ».

La communauté d'intérêt entre Monsieur p-f. CR. et la salariée ne fait aucun doute, de sorte que l'objectivité de celui-ci peut être mise en doute par la société A.

Néanmoins, l'employeur ne justifie d'aucun grief en lien avec ce conflit d'intérêt ; il ne justifie pas plus de ce que la décision de la Commission de classement aurait été toute autre si Madame n. DU-CR. avait été assistée par une autre personne que son époux.

La nullité de la décision rendue par la Commission de classement ne peut être encourue à ce titre.

La société A. soutient enfin que la Commission de classement a statué ultra petita.

L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.

De manière générale, le juge ne peut substituer à l'objet réclamé un autre objet, que ce soit pour faire droit à la demande ou la rejeter. Dans tous ces cas, il modifie l'objet de la demande. Le juge a accordé quelque chose qui n'était pas demandé.

Cependant, lorsque les effets d'une règle de droit sont hiérarchisés, « le juge statue ultra petita s'il accorde le plus important alors que seul le moins important a été sollicité alors que dans le cas inverse, il est raisonnable de penser que l'effet le moins important est implicitement sollicité à titre subsidiaire » (J. Héron et T. Le Bars, n° 270. - Adde Rép. proc. civ. Dalloz, V° principes directeurs du procès, par L. Weiller, n° 119).

En l'espèce, la Commission de classement a été saisie par Madame n. DU-CR. suivant courrier en date du 1er juillet 2015, en ces termes :

« Madame l'Inspecteur,

Par la présente, je vous demande de bien vouloir réunir la commission de classement prévue à l'article 11.1 de la Loi n°739 sur le salaire et à l'article 58 chapitre XI de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques.

En effet, employée chez la société A. depuis avril 2002, je suis, à ce jour, sous le coefficient 381 (classe III/1) occupant la fonction de Conseiller Clientèle Internationale Secteur Afrique-Océanie. Conformément à ce qui se pratique sur la Place financière de Monaco, dans mon poste actuel, et en cohérence avec le chapitre IV de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques, dans la définition de la nature de mes travaux effectués quotidiennement, je demande à être classée au coefficient 562 (classe V) et ce, à partir de ma prise de fonction en date du 5 novembre 2013.

Dans le but d'étayer ma demande, je joins à ce présent courrier, et à toutes fins utiles, le déroulé de ma carrière bancaire, la copie de ma demande écrite de réévaluation de salaire datant du 18 juillet 2013 qui n'a reçu aucune réponse écrite à ce jour, ainsi que le détail des tâches et responsabilités inhérentes à mon poste actuel. ».

La décision critiquée rendue par la Commission de classement est la suivante :

« Sur le classement sollicité :

  • attendu que la Commission de Classement constate que Madame n. DU-CR. est actuellement classée au coefficient 381, Classe 3/1 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques.

  • attendu qu'à l'examen des critères exposés il apparaît que l'activité habituelle de Madame n. DU-CR., dont la qualité de travail n'a pas été remise en cause par son employeur, ne peut correspondre à la catégorie V coefficient 562 sollicitée,

  • attendu que la Commission constate que Madame n. DU-CR. n'a pas fait l'objet de mauvaises appréciations à son poste de « Conseiller de Clientèle Particuliers » et que ses qualités sont reconnues par la Direction,

  • attendu que Madame n. DU-CR. occupe un poste sensible avec une clientèle dite « à risque» sur le secteur qui lui est dévolu,

  • attendu que 1`intéressée exerce bien une fonction de contrôle, de conseil de par la définition de son poste,

  • attendu que Madame n. DU-CR. exerce une activité nécessitant des connaissances professionnelles éprouvées et qui font preuve de technicité dans un secteur réputé sensible.

En conséquence, la Commission dans sa décision rendue le vendredi 31 juillet 2015 estime que la demande de classement de Madame n. DU-CR. en catégorie Classe V coefficient 562 doit être rejetée.

Elle estime toutefois que Madame n. DU-CR. au vu de ses fonctions exercées, de sa responsabilité, de ses études sur les clients «à risque », doit bénéficier de la classe IV coefficient 483 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques, avec effet rétroactif au 5 novembre 2013, qui est la date de sa prise de fonction après son retour de congé maternité. ».

Il en résulte que la Commission a décidé d'attribuer à Madame DU-CR. une classe et un coefficient qu'elle n'avait pas demandés.

Au regard des règles posées supra, il apparaît que la Commission de classement a statué ultra petita, entraînant de ce fait la nullité de la décision rendue.

En effet, l'article 3 de l'ordonnance n° 3094 prévoit qu'à la réception de la requête, l'inspecteur du travail invite l'autre partie à prendre connaissance de cette requête.

La société A. a ainsi préparé toute son argumentation et sa défense sur la demande présentée par Madame n. DU- CR. dans sa requête, à savoir un classement au coefficient 562 (classe V) à compter du 5 novembre 2013.

La classe IV coefficient 483 attribuée à la salariée par la Commission de classement répond à des critères spécifiques, que l'employeur n'aurait pas manqué de contester par une argumentation idoine, et il ne peut dès lors être retenu qu'il s'agit d'un effet moins important implicitement sollicité à titre subsidiaire.

Ce faisant, et tenant la nullité de la décision déférée, le Tribunal doit statuer sur la demande initialement présentée par Madame n. DU-CR..

Il convient en outre de rappeler que la présente juridiction est saisie en sa qualité de juridiction d'appel de la Commission de classement et que l'examen du litige se limite uniquement à la décision rendue sans qu'il soit possible de statuer sur de nouvelles demandes qui doivent être déclarées en tant que de besoin irrecevables.

  • Sur le coefficient applicable à Madame n. DU-CR.. :

La salariée est actuellement classée en catégorie III.1, coefficient 381, dont les fonctions sont ainsi définies par la convention collective applicable :

« - programmeurs et personnel technique d'exécution :

Programmeurs confirmés capables d'établir intégralement l'ordinogramme d'un programme d'importance moyenne, d'écrire les instructions, de confectionner les jeux d'essais et des cartes de contrôle, de vérifier les résultats des essais et d'apporter aux programmes les corrections que nécessitent ces essais.

Agents confirmés capables de donner à un ensemble électronique complexe des ordres d'exécution simultanée des programmes, d'en interpréter tous les messages et de prendre les décisions nécessaires en cas d'incident.

Manipulateurs et payeurs qui sont chargés dans des services centraux de la tenue d'une caisse donnant lieu à des opérations particulièrement complexes en raison, soit de leur montant, soit de leur nature.

Gradés qui font preuve de connaissances techniques particulières leur permettant notamment de tenir un poste d'étude.

Gradés ayant acquis une qualification professionnelle qui permet, soit d'effectuer les démarches courantes de banque et de titres, soit, s'ils sont spécialisés dans l'une ou l'autre de ces branches, de mettre en œuvre avec sûreté, les techniques correspondantes.».

Par ailleurs, la fiche de poste « conseiller clientèle particuliers » signée par la salariée le 5 juin 2015 définit cette fonction de la manière suivante :

« Missions métier :

  • Être au service des clients et assurer la promesse relationnelle et la satisfaction client au sein de l'agence.

  • Développer et fidéliser un fonds de commerce constitué de clients particuliers.

  • Réaliser son plan d'action individuel.

  • Contribuer à la réalisation des objectifs du plan d'action commercial de son agence.

  • Mettre en pratique les attitudes accompagnant l'ambition de service BDDF.

Activités principales :

  • Applique au quotidien les règles et réflexes de l'accueil de la société A tant en matière d'accueil physique en agence que distant par téléphone et par email.

  • Contacte et rencontre ses clients notamment par la gestion efficace des appels entrants ainsi que le traitement de ses opportunités de contact et de ses revoirs. Il les découvre, les conseille et commercialise les produits et services adaptés à leurs besoins.

  • Enrichit les dossiers clients.

  • Développe son fonds de commerce par l'entrée en relation avec prospects ciblés le cas échéant.

  • Est responsable sur son fonds de commerce de la gestion des risques (gestion des débiteurs, risque de crédit, de conformité, opérationnel, etc), des opérations remarquables et gère les engagements de son ressort.

  • Veille au suivi et au bon traitement des demandes clients et des réclamations.

  • Analyse régulièrement son activité, l'avancement de son plan d'actions et celui de l'agence, entreprend les actions correctives éventuellement nécessaires, en accord avec son responsable. Développe son fonds de commerce par l'entrée en relation avec des prospects ciblés le cas échéant.

  • Promeut tous les canaux d'accès à la banque.

  • S'adapte aux évolutions en termes d'offres, d'outils, de procédures et de process en se formant et s'informant.

Compétences requises :

  • Compétences comportementales :

    • *Avoir le sens commercial.

    • *Capacité à collaborer.

    • *Capacité à communiquer.

    • *Capacité à gérer le risque.

    • *Capacité à négocier.

    • *Capacité d'initiative.

    • *Être orienté client.

    • *Être orienté résultats.

  • Compétences métiers :

    • *Capacité à assurer la gestion des réclamations sur son périmètre.

    • *Connaître l'ensemble des produits et services bancaires disponibles.

    • *Connaître l'offre immobilier et les produits et services bancaires associés.

    • *Connaître les risques de son domaine et les procédures associées.

    • *Maîtriser la politique commerciale du Groupe et les techniques commerciales.».

Madame n. DU-CR. revendique la classe V coefficient 562 ainsi définie par la convention collective applicable :

« 2 - CADRES

Cadres administratifs, commerciaux et techniques assurant à l'intérieur de l'entreprise une fonction d'autorité, d'étude, de conseil ou de contrôle, par délégation directe d'un cadre de classe plus élevée ou assurant la gestion d'un établissement distinct du siège de l'entreprise dans lequel sont employées plusieurs personnes dont au moins un gradé.

Programmeurs et personnel technique d'exécution :

Programmeurs faisant preuve d'une haute technicité en matière de programmation et responsables d'une équipe de programmeurs appartenant aux échelons inférieurs.

Programmeurs « système » ayant une parfaite connaissance des programmes de contrôle ou système d'exploitation appliqués à ces ensembles électroniques importants, capables de les mettre en œuvre et d'assister l'ensemble des programmeurs pour réaliser correctement les liaisons nécessaires entre les programmes utilisateurs et les programmes de contrôle. ».

Par courrier en date du 1er juillet 2015, Madame n. DU- CR. a saisi l'Inspection du travail afin de voir réunir la Commission de classement sur l'argumentation suivante :

« En effet, employée chez la société A. depuis avril 2002, je suis, à ce jour, sous le coefficient 381 (classe III/1) occupant la fonction de Conseiller Clientèle Internationale Secteur Afrique-Océanie. Conformément à ce qui se pratique sur la Place financière de Monaco, dans mon poste actuel, et en cohérence avec le chapitre IV de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques, dans la définition de la nature de mes travaux effectués quotidiennement, je demande à être classée au coefficient 562 (classe V) et ce, à partir de ma prise de fonction en date du 5 novembre 2013.

Dans le but d'étayer ma demande, je joins à ce présent courrier, et à toutes fins utiles, le déroulé de ma carrière bancaire, la copie de ma demande écrite de réévaluation de salaire datant du 18 juillet 2013 qui n'a reçu aucune réponse écrite à ce jour, ainsi que le détail des tâches et responsabilités inhérentes à mon poste actuel. ».

Elle sollicitait ainsi le statut cadre, lequel ne peut lui être attribué au regard des fonctions réellement exercées et qu'elle décrit dans ses écritures.

En effet, elle ne justifie aucunement d'une quelconque fonction d'encadrement d'une équipe, ou « d'autorité, d'étude, de conseil ou de contrôle ».

Son argumentation repose essentiellement sur la technicité de ses tâches, sans aucune responsabilité d'une équipe.

L'évaluation de la salariée en date du 5 juin 2015 confirme cet état de fait.

En effet, ce document (pièce n° 12-3 produit par Madame n. DU-CR.) comporte un paragraphe « Comportements managériaux - à remplir pour toute personne encadrant une équipe » et sur lequel apparaît l'appréciation NC alors que les évaluations sont les suivantes :

« 1 : supérieur aux attentes,

2 : conforme aux attentes,

3 : à améliorer,

4 : insuffisant ».

Ainsi, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la demande nouvelle de classement en catégorie IV coefficient 483, il convient de rejeter la demande de Madame n. DU-CR. de classement en catégorie V coefficient 562.

Succombant en sa demande principale, Madame DU CR. sera également déboutée de sa prétention au titre des dommages et intérêts réclamés à l'encontre de la société A. pour procédure abusive.

Elle sera enfin condamnée aux dépens.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement en appel de la Commission de classement,

Reçoit l'appel de la société anonyme dénommée A. ;

Prononce la nullité de la décision rendue par la Commission de classement le 31 juillet 2015 ;

Statuant à nouveau ;

Déboute Madame n. DU-CR. de sa demande tendant à être classée en catégorie V coefficient 562 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques ;

La déboute de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne Madame n. DU-CR. aux dépens ;

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le dix-huit janvier deux mille dix-huit, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Manolo VELADINI et Emile BOUCICOT, membres employeurs, Madame Mariane FRASCONI et Monsieur Lionel RAUT, membres salariés, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef.

  • Consulter le PDF