Tribunal du travail, 21 décembre 2017, Monsieur l. HA. c/ La SAM A
Abstract🔗
Procédure civile - Document - Définition de l'attestation - Nullité (oui) - Non-respect des règles de forme
Tribunal du travail - Bureau de jugement - Demande nouvelle - Recevabilité (non)
Contrat de travail - Rupture du contrat - Demande de mise à la retraite - Vice du consentement (non) - État de santé du salarié - Altération du discernement - Preuve non rapportée - Manquement de l'employeur à son obligation de loyauté (non) - Plan social - Obligation d'information individuelle du salarié (non)
Résumé🔗
Les demandes nouvelles, formulées devant le bureau de jugement, qui n'ont pas fait l'objet du préliminaire de conciliation, doivent être déclarées irrecevables.
Le document émanant du médecin du travail ne se contente pas de décrire l'état de santé du salarié mais apporte des précisions de faits et même d'ordre juridique afin d'éclairer la solution du litige. Il répond à la définition de l'attestation et doit dès lors être annulé pour non-respect de l'article 324 du Code de procédure civile.
Le salarié estime qu'il n'a pas été en capacité de prendre toute la mesure de sa demande de retraite, eu égard à son état de santé fragile et aux manœuvres de l'employeur qui ne l'a pas informé de toutes les conséquences de son choix, tenant notamment le plan social annoncé. Toutefois, il ne démontre pas avoir été temporairement ou durablement dans l'incapacité mentale de mesurer la signification et la portée de son acte. En outre, aucune obligation d'information déterminée, d'origine légale, conventionnelle ou jurisprudentielle, n'est à la charge de l'employeur dans le cadre du plan social. Ni l'obligation de loyauté qui pèse sur l'employeur, ni l'obligation pour ce dernier d'exécuter le contrat de travail de bonne foi, ne lui font obligation d'informer par exemple le salarié sur les conséquences financières de sa décision, même lorsqu'un plan social est en projet. Le salarié est débouté de toutes ses demandes.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
AUDIENCE DU 21 DÉCEMBRE 2017
En la cause de Monsieur l. HA., demeurant X1 à CAGNES-SUR-MER (06800) ;
Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Afissou BAKARY, avocat au barreau de Nice ;
d'une part ;
Contre :
La société anonyme monégasque dénommée A, dont le siège social se situe X2 à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'Etude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Sophie MARQUET, avocat-stagiaire ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu la requête introductive d'instance en date du 14 janvier 2016, reçue le même jour ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 2 février 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de Monsieur l. HA., en date des 14 avril 2016, 6 octobre 2016 et 2 mars 2017 ;
Vu les conclusions de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque dénommée A, en date des 19 juillet 2016, 5 janvier 2017 et 4 mai 2017 ;
Après avoir entendu Maître Afissou BAKARY, avocat au barreau de Nice, pour Monsieur l. HA., et Maître Sophie MARQUET, avocat-stagiaire, pour la société anonyme monégasque dénommée A, en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
Monsieur l. HA. a été embauché en contrat à durée indéterminée à compter du 1er février 2002 par la société anonyme monégasque dénommée A (la A) en qualité de désigner piping, avec un salaire de 6.060,90 euros brut par mois.
Il a été placé en arrêt de travail à compter du 1er décembre 2013, Monsieur l. HA. reprenant son poste le 7 février 2014.
Par courrier en date du 12 janvier 2015, Monsieur l. HA. a soumis à l'employeur une demande de départ à la retraite.
La directrice des ressources humaines, Madame v. L accusait réception de sa demande le 15 janvier 2015 et lui confirmait que son contrat de travail prendrait fin le 31 mars 2015.
Par courrier du 23 février 2015, Monsieur l. HA. avisait l'employeur de son intention de voir « annuler » son départ à la retraite. Il souhaitait bénéficier du plan de départ volontaire à venir, les conditions financières étant plus avantageuses pour lui.
Le terme du contrat de travail demeurait au 31 mars 2015, date à laquelle les relations contractuelles entre les parties ont pris fin.
Par requête reçue au greffe le 14 janvier 2016, Monsieur l. HA. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :
« 1°) Au titre de départ à la retraite entachée d'irrégularité de fond et de forme : 13.650 euros.
Licenciement sans cause réelle et sérieuse : 13.650 euros.
Réparation du préjudice consécutif à un refus motivé d'une demande de rétractation formulée par tous les moyens (mails, échanges verbaux, courrier) dans un délai raisonnable : 6.825 €.
Dommages et intérêts :
* Pour préjudice de santé : 40.000 €.
*Du fait de l'obstacle volontaire à intégrer le plan de départ volontaire à la retraite, du manquement à l'obligation d'information et de non prise en compte de l'avis de l'inspection du travail : 60.000 €.
2°) Régularisation suite à l'intégration judiciaire au plan de départs volontaires à la retraite ou autre : sur la base du salaire brut moyen sur 12 mois et pour une ancienneté de 14 ans.
Indemnité de congédiement (point 2.2.1 du plan de départs volontaires (ci-après plan) : 6.810 € x 1,7 x 14 = 162.078 €.
Complément versé à toute demande acceptée : 6.000 € (point 2.2.2 du plan).
Aide à la formation (Point 2.2.7. du plan) : 10.000 €.
Prime de motivation pour départ retraite 1er/07/15 : 1.710 € (point 2.2.7 du plan).
Indemnités relatives au licenciement économique (point 3 du plan).
* préavis : 13.650 €,
* 13ème mois calculé au prorata environ : 6.300 €,
* indemnité compensatrice de congés payés de mars à juillet 2015 : 3.000 €.
Dommages et intérêts pour non bénéfice de la mise en place d'une commission de reclassement et de suivi (point 2.2.1 du plan) : 20.000 euros,
Dommages et intérêts pour non bénéfice de la mise en place du maintien de la mutuelle (point 2.2.1 du plan) : 2.000 €
Intérêts légaux courants à compter du jour de la saisine du bureau de conciliation du tribunal du travail de Monaco pour toutes les sommes spécifiques au plan de départs volontaires,
Exécution provisoire de la décision à intervenir au-delà de l'exécution provisoire sans garantie ni caution. ».
Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Monsieur l. HA. a déposé des conclusions les 14 avril, 6 octobre 2016 et 2 mars 2017 dans lesquelles il fait essentiellement valoir que :
il a subi de longues années de pression et de harcèlement, qui ont abouti à un arrêt de travail,
le Docteur SA.-MA., de la médecine du travail, a diagnostiqué un burn out,
l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité et de santé au travail de tous ses salariés,
ce burn out est la conséquence des mauvaises conditions de travail,
le Docteur SA.-MA. n'a autorisé la reprise du travail qu'aux conditions cumulatives de la poursuite des soins et de l'allègement de son poste,
des irrégularités ont entaché la procédure de départ à la retraite,
l'employeur a clairement tiré profit de sa vulnérabilité consécutive à son état de santé défectueux,
dès la semaine du 19 au 23 janvier 2015, moins de 8 jours après sa demande de départ à la retraite, il a tenté à de nombreuses reprises d'obtenir un rendez-vous pour exposer les raisons pour lesquelles il voulait interrompre et annuler la procédure de son départ à la retraite,
suite à l'assemblée générale du 29 janvier 2015, il a obtenu toutes les informations liées au plan de restructuration envisagé, lui permettant de prendre une position éclairée quant au choix d'un départ à la retraite ou d'une intégration au plan de départ volontaire,
il a ainsi écrit à son employeur pour lui indiquer qu'il revenait sur sa décision, en vain,
la demande de rétractation ainsi que celle tendant à intégrer le plan ont été formulées en même temps que le plan était mis à exécution,
la S. A. M. A a violé le droit du salarié à la rétractation,
aucun délai de rétractation n'est prévu en la matière, de sorte qu'elle doit être exercée dans un délai raisonnable ; ce qui est le cas en l'espèce, le courrier portant demande officielle d'annulation de son départ à la retraite ayant été remis à l'employeur 14 jours après l'enregistrement de sa demande,
la S. A. M. A fixe elle-même le délai de rétractation dans le cadre du plan à un mois,
Il en découle une rupture abusive du contrat de travail,
les comportements fautifs de l'employeur se sont matérialisés par l'occultation de certaines informations, l'absence de motivation dans une décision très défavorable et le départ à la retraite concomitamment à l'exécution du plan,
l'illégalité du manquement aux effets discriminants est concrétisée par le fait que contrairement à ses collègues de travail, il n'a reçu aucun courriel ou courrier l'informant de la mise en œuvre du plan comme prévu par ce dernier,
le courrier faisant état du refus de sa demande de rétractation ne comporte aucun motif,
la demande d'informations relatives à la retraite et le montant de la pension ne peuvent valablement fonder une présomption d'envie de départ à la retraite,
il a reçu le 5 août 2013 un courrier de la C. N. A. V., l'A. G. I. R. C. et l'A. R. R. C. O. pour l'informer de sa situation dans la mesure où il venait d'avoir 60 ans et ce, dans le cadre de leur devoir d'information,
son état de santé (post burn out) a vicié sa volonté de départ en retraite.
La S. A. M. A a déposé des conclusions les 19 juillet 2016, 5 janvier et 4 mai 2017 dans lesquelles elle soulève in limine litis l'irrecevabilité des demandes additionnelles présentées par le demandeur en paiement des sommes de 50.000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et de 1.500 euros à titre de frais avancés.
Elle soulève également l'irrecevabilité de la demande d'ouverture d'enquête sollicitée par Monsieur l. HA., celle-ci n'étant pas motivée et ne figurant pas dans le dispositif de ses conclusions.
L'employeur demande de voir déclarer nulle l'attestation de Madame SA.-MA. et de débouter le demandeur de toutes ses demandes.
La S. A. M. A fait essentiellement valoir que :
la volonté de Monsieur l. HA. de partir à la retraite est claire et non équivoque ainsi qu'il résulte de son courrier en date du 12 janvier 2015 adressé à l'employeur,
le 13 janvier 2013, il a adressé un mèl à son responsable hiérarchique, Monsieur HA., ainsi qu'à Monsieur RO., responsable retraite et pensions, afin de confirmer sa démarche,
la décision du salarié avait été mûrement réfléchie puisqu'il avait informé sa direction lors de son entretien d'évaluation 2013 que l'année 2014 constituerait sa dernière année d'activité,
le 11 juillet 2014, il a adressé à Monsieur RO. un courriel pour lui faire part de ses démarches en ce sens ; il sollicitait également son aide pour calculer le montant approximatif de sa retraite complémentaire,
dès le 10 juillet 2014, le salarié avait reçu son relevé de carrière, à sa demande,
Monsieur l. HA. n'a jamais fait part d'un quelconque harcèlement ou de pressions lors des entretiens annuels d'évaluation,
l'attestation du Docteur SA.-MA. ne fait état que des allégations de Monsieur l. HA.. Ce médecin ne s'est d'ailleurs pas rapproché de l'employeur pour obtenir sa version des faits,
le salarié ne démontre aucun lien de causalité entre son état de santé et sa décision de départ en retraite,
à la date de notification à l'employeur de sa volonté de départ en retraite, Monsieur l. HA. était informé par voie de presse que le GROUPE A OFFSHORE souhaitait mettre en œuvre un plan social au niveau mondial, et plus particulièrement à Monaco au cours du premier trimestre de l'année 2015,
malgré cette information, il a fait part de sa volonté de prendre sa retraite,
lors de l'assemblée générale du 29 janvier 2015, il n'a jamais été fait état des catégories de salariés visés par le plan social ni des modalités financières de départ,
l'inspection du travail n'a relevé aucune faute de l'employeur,
le droit de rétractation invoqué par Monsieur l. HA. est inconnu du droit monégasque,
il n'a jamais sollicité l'annulation de sa demande par courrier du 29 janvier 2015, lequel aurait été remis à l'employeur en main propre, alors qu'il n'est pas contresigné par le service des ressources humaines,
l'employeur ne pouvait donner aucune information à Monsieur l. HA. en janvier 2015 sur les modalités du plan social à venir dans la mesure où la direction et les délégués du personnel n'ont trouvé un accord sur les conditions définitives du plan que le 8 avril 2015 et que les candidatures n'ont été ouvertes qu'à compter du 9 avril 2015,
la plupart des demandes formulées par Monsieur l. HA. sont inconnues du droit monégasque,
le salarié ne pouvait être éligible au bénéfice du plan de départs volontaires dans la mesure où son départ en retraite avait été notifié à l'employeur trois mois avant la mise en œuvre du plan.
SUR CE,
1 - Sur l'irrecevabilité des demandes nouvelles présentée par le demandeur
En application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, le bureau de jugement du Tribunal du Travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum.
Si le demandeur peut, en vertu des dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifier ses demandes devant le bureau de conciliation, la possibilité d'augmenter ses prétentions ou d'en formuler de nouvelles, en l'absence d'une disposition identique contenue dans cette même loi, ne lui est pas ouverte devant le bureau de jugement, lequel ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum, en application de l'article 1er précité.
En l'espèce, Monsieur l. HA. a présenté des demandes additionnelles dans ses écritures, n'ayant pas fait l'objet du préliminaire de conciliation.
La S. A. M. A a soulevé l'irrecevabilité des prétentions additionnelles présentées par le demandeur en paiement des sommes de 50.000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et de 1.500 euros à titre de frais avancés.
Le Tribunal a soulevé d'office le moyen tenant à la recevabilité de la demande présentée par Monsieur l. HA. au titre de la somme de 12.000 euros pour manquement aux effets discriminants et a invité les parties à présenter leurs observations sur ce point.
Il n'est pas contestable que Monsieur l. HA. n'a pas sollicité dans sa requête introductive d'instance les sommes visées ci-dessus.
Il estime qu'il a la possibilité de présenter ces demandes au visa de l'article 59 alinéa 2 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 dans la mesure où le Tribunal ne s'est pas encore prononcé en premier ou en dernier ressort sur les chefs de la demande primitive.
Monsieur l. HA. omet cependant la dernière partie de cet alinéa à savoir : « il (le Tribunal) ordonnera la jonction des instances et se prononcera sur elles par un seul et même jugement » ; cette disposition étant le prolongement de l'article 42 de la même loi.
Il en résulte que les demandes nouvelles formulées aux termes des écritures judiciaires déposées par Monsieur l. HA. devant le bureau de jugement doivent ainsi être déclarées irrecevables.
2 - Sur la demande d'irrecevabilité de l'enquête sollicitée par Monsieur l. HA.
Même si cette prétention ne figure pas dans le dispositif, le Tribunal doit l'examiner dans la mesure où il est valablement saisi d'une demande d'enquête en application des dispositions de l'article 326 du Code de procédure civile.
Il en est de même concernant celle tendant à voir « ordonner la production par la SBM des pièces lui permettant de prétendre que : donner une suite favorable à la demande de M. HA. d'annuler sa demande de départ à la retraite et d'incorporer le plan le 29 janvier 2015, ou même à titre subsidiaire en février 2015, suite à la réponse de l'inspection du travail, constituerait une rupture d'égalité » (page 15 des conclusions du 2 mars 2017).
3 - Sur la demande de rejet des débats de la pièce n° 7 produite par la S. A. M. A
En vertu de l'article 8 de la Constitution, aux termes duquel la langue française est la langue officielle de l'Etat de Monaco, les débats devant les juridictions monégasques doivent être menés dans cette langue et les pièces produites en langue étrangère dûment traduites.
La Cour de révision dans un arrêt rendu le 14 octobre 2015 (pourvoi n° 2014-52) exige une traduction certifiée.
Ainsi, toute pièce produite rédigée en langue étrangère doit être accompagnée de sa traduction par un traducteur assermenté, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
Il y a donc lieu de faire droit à la demande et d'écarter des débats la pièce n° 7 produite par la S. A. M. A ;
4 - Sur la nullité de l'attestation du Docteur SA.-MA.
Il s'agit de la pièce n° 3 produite par Monsieur l. HA., constituée par un document dactylographié établi par le Docteur SAINTE- MARIE, de la médecine du travail.
Aux termes des dispositions de l'article 323 du Code de procédure civile :
« Lorsque la preuve testimoniale est admissible, le tribunal peut recevoir des tiers les déclarations de nature à l'éclairer sur les faits litigieux auxquels ils ont assisté ou qu'ils ont personnellement constatés.
Les déclarations sont faites par attestation ou recueillies par voie d'enquête.».
Le document émanant du Docteur SA.-MA. ne se contente pas de décrire l'état de santé de Monsieur l. HA. mais apporte des précisions de faits et même d'ordre juridique afin d'éclairer la solution du litige.
Ce faisant, il répond à la définition de l'attestation et doit dès lors respecter l'ensemble des prescriptions de l'article 324 du Code de procédure civile.
La violation de ces dernières dispositions doit entraîner la nullité de l'attestation litigieuse.
5 - Sur la rupture
En application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, chaque partie au contrat de travail à durée indéterminée dispose d'un droit de rupture unilatérale.
Le salarié peut donc librement mettre fin au contrat de travail en démissionnant de son emploi ou en sollicitant une mise à la retraite ;
En l'espèce, Monsieur l. HA. a remis le 14 janvier 2015 à Monsieur HA., son supérieur hiérarchique, à l'attention de Madame t. JA. (G. R. H.) un courrier daté du 12 janvier 2015, dont la teneur est la suivante :
« Mademoiselle,
Je vous adresse ce courrier afin de vous signifier ma volonté de faire valoir mes droits à la retraite « CAR » à compter du 1er avril 2015 après exécution du délai de prévenance.
Pour votre information, je ne prévois pas de prendre d'ici là de congés et vous remercie de les incorporer dans le règlement de mon solde de tout compte.
Je reste à votre disposition pour tout renseignement, et vous remercie de me tenir au courant du suivi de cette demande. ».
L'employeur en accusait réception le lendemain 15 janvier 2015 et confirmait au salarié que le contrat de travail prendrait fin le 31 mars 2015.
Monsieur l. HA. soutient par la suite avoir informé l'employeur de sa volonté de se rétracter, et ce, dès le 20 janvier 2015, puis par courrier du 29 janvier 2015.
L'accord par lequel les parties à un contrat décident d'y mettre fin, est lui-même un contrat.
Il appartient ainsi à la partie qui souhaite le remettre en cause de démontrer que son consentement a été vicié et ce, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une quelconque enquête pour déterminer la date à laquelle Monsieur l. HA. aurait informé l'employeur de sa décision de revenir sur sa décision, la charge de la preuve lui incombant.
Il est possible également de faire application de l'alinéa 2 de l'article 989 du Code civil, aux termes duquel les conventions ne peuvent être révoquées que du consentement mutuel des parties. La S. A. M. A refusant d'accepter la rétractation de Monsieur l. HA., seules les causes prévues par la loi doivent recevoir application pour ce faire tel que décrit ci-dessus.
Le salarié doit avoir pris la décision qu'il souhaite révoquer en toute indépendance d'esprit (autrement dit librement) et donc avoir agi ainsi en dehors de toutes formes de contrainte de la part de son employeur et sans être victime d'une erreur (provoquée ou non par ce dernier) sur le choix de cette décision, voire sur ses conséquences.
En premier lieu, le Tribunal relève que Monsieur l. HA. ne démontre aucunement avoir adressé « plusieurs mails et appels téléphoniques demandant la rétractation et intégration au plan restés sans effet » à son employeur entre le 20 et 28 janvier 2015.
Ensuite, le dossier du demandeur comporte une lettre datée du 29 janvier 2015, adressée à la SAM A Madame v. L - D. R. H., remise directement en mains propres à son assistante Madame t. JA., ayant pour objet « Plan de départs volontaires négociés - article 12 », ainsi libellée :
« Madame,
Je me permets de me référer à l'annonce officielle du plan de départs volontaires faite ce jour.
Une précédente information courant décembre 2014 faisait état d'un plan de licenciement « sec» sur le premier trimestre de l'année 2015.
Vous n'êtes pas sans savoir que j'ai subi un « burn out » il y a tout juste un an lié à mon travail et que ma situation psychologique, à ce jour, est toujours très fragile avec le risque qu'un stress important ne me fasse rechuter. Je ne désire à aucun moment faire partie des risques psycho-sociaux.
Je ne pouvais supporter de faire partie des personnes ciblées par le plan de licenciement et ait préféré prendre les devants en annonçant mon départ en retraite pour le mois d'avril 2015.
Aujourd'hui, quelques jours après seulement, une annonce est faite pour aider au départ volontaire les personnes intéressées. Je suis très étonné et déstabilisé sur le fait que lorsque j'ai remis la lettre information pour mon départ, il ne m'ait pas été parlé de ce plan négocié.
Vous deviez avoir connaissance que l'article 12 primait sur la Principauté et qu'un plan de départ négocié était impératif avant celui de licenciement.
De fait, dans la mesure où mon départ n'est pas encore effectif, qu'aucune information n'ayant été faite ni à mon niveau auprès de la CAR, ni au niveau SAM A (confirmation m'a été donnée par Monsieur Damien RO. à qui j'ai confirmé de ne rien envoyer), je vous demande de bien vouloir considérer comme annulée ma précédente demande de départ afin que je puisse incorporer cette demande dans le plan de départ volontaire à venir.
Je vous remercie de la validation que vous porterez à ma demande, reste à votre disposition pour tout renseignement et vous prie ».
Ce document ne comporte aucun accusé de réception ou récépissé de la personne l'ayant reçu de sorte qu'il ne saurait être retenu.
Tenant l'importance de ce courrier, Monsieur l. HA. se devait de le faire émarger par le destinataire, ce qu'il a très bien su faire pour la lettre du 12 janvier 2015 remise le 15 janvier 2015 à Monsieur HA., contre émargement.
Il produit encore les éléments suivants :
un courriel en date du 2 février 2015 à Monsieur S dont l'objet un « RDV AVEC V. L », ainsi libellé :
« Fred,
Je vais envoyer un mail a Eve BE. pour prendre rdv avec V. L
Je te mets en copie ?
Dis-moi pour que je puisse faire l'envoie.
Merci ».
un courriel en date du 4 février 2015 adressé à Madame v. L et Madame BE., dont copie à Monsieur HA., ainsi libellé :
« Bonjour Madame L,
Je me permets de revenir auprès de vous au sujet de ma demande d'entretien (Réf. Ci-dessous)
Votre emploi du temps étant certainement chargé dans cette période de négociation, je me permets de vous préciser le motif de ma demande d'entretien.
Je souhaiterais en effet que ma demande de départ en retraite soit incorporé dans le plan de départ volontaire qui sera annoncé dans les semaines à venir ».
Il en résulte que Monsieur l. HA., sans renoncer à sa demande de départ à la retraite, a souhaité bénéficier du plan de départ volontaire :
par mèls en date du 26 février et 3 mars 2015, Monsieur l. HA. a réclamé une réponse à l'employeur,
ce dernier répondait par courriel du 6 mars 2015 en ces termes :
« Bonjour l.,
Comme suite à votre demande d'annulation de votre décision de départ en retraite que vous nous avez notifiée en date du 14 janvier 2015, nous sommes au regret de ne pas pouvoir répondre favorablement à votre demande.
Votre contrat de travail prendra donc fin le 31 mars 2015, conformément à notre courrier du 15 janvier 2015. ».
Dès lors, par courrier du 23 février 2015, Monsieur l. HA. argumentait sa demande d'annulation de demande de départ à la retraite de la façon suivante :
« Madame,
Le 14 janvier dernier, je vous ai remis un courrier vous indiquant que je souhaitais faire valoir mes droits à retraite à compter du 1er avril 2015. Comme vous le savez, ma demande est intervenue dans un contexte très particulier. En effet, après de nombreux mois de mise sous pression, durant lesquels aucun des signaux d'alerte que j'ai pu envoyer n'a été suivi d'effet, je me suis retrouvé en état de profonde dépression liée au travail, « burn out », et j'ai dû être complètement arrêté en décembre 2013 et janvier 2014. A mon retour en février 2014, mon activité a été aménagée à la demande de la médecine du travail mais, toujours sous traitement médicamenteux, je me trouvais particulièrement fragile.
C'est dans ce contexte que j'avais indiqué à ma hiérarchie que je ne me sentirais plus très longtemps la force de poursuivre mon travail, d'autant plus que ma hiérarchie m'avait fait comprendre que ma carrière était compromise, mon passage à l'échelon supérieur m'ayant été expressément refusé du fait de mon burn out.
À la fin de l'année 2014, vous avez évoqué un plan de licenciement. Lorsque je me suis renseigné au début du mois de janvier 2015, on m'a indiqué que ce serait un « plan de licenciement sec ». Ayant déjà malheureusement subi une telle mesure il y a une quinzaine d'années, je ne me sentais absolument pas la force de revivre cette épreuve.
C'est pourquoi je me suis rendu auprès de votre service le 14 janvier et vous ai remis une demande de départ à la retraite. Il s'agissait pour moi de mettre fin à une activité devenue douloureuse. A aucun moment toutefois vous ne m'avez indiqué que le plan de départs serait basé sur le volontariat, ni surtout qu'il serait accompagné de mesures sociales qui m'auraient permis de bénéficier d'un soutien et d'œuvrer à ma reconstruction.
Non seulement mon consentement n'était pas libre et éclairé lorsque je vous ai remis ma demande, du fait de ma fragilité psychologique et émotionnelle, mais en outre, vous avez entretenu ma confusion et n'avez à aucun moment cherché à m'éclairer sur les conséquences de mes choix, en dépit de mes interrogations. Je comprends à présent pourquoi vous vous êtes empressée d'accuser bonne réception de mon courrier
Lorsque je suis revenu vers vous quelques jours plus tard, vous n'avez jamais répondu à mes demandes.
Par conséquent, je vous informe officiellement par la présente que je n'entends plus faire valoir mes droits à la retraite.
A défaut, je saisirai le tribunal du travail afin de faire valoir mes droits. Compte tenu de la durée de notre collaboration, je ne souhaite toutefois pas être contraint d'en arriver à cette extrémité et souhaite vivement que nous réglions ce point de manière amiable.
L'inspection du travail est informée de ma démarche et me lit en copie. ».
L'employeur répondait négativement à la demande de Monsieur l. HA. le 9 mars 2015.
Monsieur l. HA. estime qu'il n'a pas été en capacité de prendre toute la mesure de sa demande de retraite, eu égard à son état de santé fragile et aux manœuvres de l'employeur qui ne l'a pas informé de toutes les conséquences de son choix, tenant notamment le plan social annoncé.
Il résulte des pièces produites par les parties que :
Monsieur l. HA. a fait l'objet d'une inaptitude temporaire suivant décision du médecin du travail le 29 novembre 2013,
le 5 février 2014, il a été déclaré « apte avec soins, pas de surmenage pendant trois mois ».
Monsieur l. HA. soutient que la dégradation de son état de santé est la conséquence de conditions de travail difficiles, mais n'en rapporte pas la preuve.
Le médecin du travail a constaté un état médical sans pour autant le lier aux conditions de travail.
En outre et si tel était le cas, il appartiendrait au salarié de démontrer que l'employeur a commis une faute à ce titre.
Monsieur l. HA. fait état de « mise sous pression » et de « signaux d'alerte » à son employeur, sans apporter la moindre justification de ses allégations.
Le Tribunal relève que Monsieur l. HA. a été embauché en qualité d'Ingénieur pour exercer la fonction de concepteur de tuyauterie au sein de la direction des services d'ingénierie.
Le groupe A fournit des solutions de productions flottantes destinées à l'industrie pétrolière et gazière, de sorte que les fonctions de Monsieur l. HA. constituent un maillon important dans le processus de fabrication correspondant ; ce qui a pu conduire à un stress important.
Monsieur l. HA. considère qu'il a subi un burn out lequel est défini par un épuisement professionnel et qui est différent d'une dépression pour laquelle le travail n'est pas la cause première, mais peut être un facteur aggravant.
Le demandeur produit un avis d'arrêt de travail en date du 6 janvier 2014 jusqu'au 6 février 2014 pour cause de dépression.
Le site « passeportsanté. net » estime à ce titre que « le diagnostic est donc difficile à établir, car les médecins ne disposent pas de critères précis. Ainsi, distinguer un épuisement professionnel d'une dépression n'est pas chose simple. Pour le moment, les médecins se basent sur l'entretien qu'ils ont avec le patient et les symptômes que ce dernier éprouve. En cas de doute, la consultation d'un psychiatre est parfois suggérée. ».
En l'espèce, il n'appartient pas au Tribunal de déterminer si l'état de santé de Monsieur l. HA. est lié à un burn out ou à une dépression, ou encore à une combinaison des deux processus.
En outre, la reprise du travail est intervenue le 6 février 2014, soit près d'un an avant l'envoi du courrier par le demandeur, dans lequel il sollicite sa mise à la retraite.
Néanmoins, Monsieur l. HA. démontre qu'il était sous traitement le 9 décembre 2015 (ordonnance du Docteur TE., Médecin généraliste) et qu'il prenait de l'alprazolam 0,25 mg, « médicament préconisé dans le traitement de l'anxiété lorsque celle-ci s'accompagne de troubles gênants, ou en prévention et/ou traitement des manifestations liées à un sevrage alcoolique.».
Ces éléments ne démontrent pas pour autant que le salarié n'était pas temporairement ou durablement dans l'incapacité mentale de mesurer la signification et la portée de son acte.
Un autre élément permet de considérer que le salarié a pris sa décision en toute indépendance d'esprit, de manière éclairée et réfléchie, tiré de la lettre du 12 janvier 2015 dans laquelle il indique à l'employeur qu'il ne prévoit pas de prendre des congés jusqu'au 1er avril 2015, demandant à celui-ci de les incorporer dans le règlement de son solde de tout compte, démontrant par là une lucidité et une pleine conscience de la signification et de la portée de son acte.
L'état de santé du demandeur ne saurait dès lors être retenu pour justifier un vice de son consentement.
Monsieur l. HA. invoque ensuite l'attitude critiquable de l'employeur qui lui aurait sciemment caché des informations sur le plan social.
Il ne peut être contesté que dans le cadre d'un plan social, l'employeur n'a aucune obligation d'informer les salariés individuellement des pourparlers existants ; il s'agit d'un processus relativement long et complexe avec la consultation et l'information des représentants du personnel.
L'obligation d'information de l'employeur à l'égard des salariés intervient lorsque le plan social a été adopté et validé.
En l'espèce, la presse faisait état d'un plan de restructuration du groupe A au niveau mondial dans un article daté du 29 décembre 2014 ; il est question de 200 licenciements à Monaco ; cette information a été reprise le 30 décembre 2014.
Les journalistes indiquaient que les premiers salariés devraient être informés de leur « sort avant la fin du premier trimestre 2015 ».
Or, les pièces relatives au plan social montrent que les modalités applicables au plan de départs volontaires ont été établies le 8 avril 2015, soit près de quatre mois après la décision de Monsieur l. HA. de faire valoir ses droits à la retraite et postérieurement au délai visés dans les articles de presse sus visés.
Bien plus, il résulte d'un autre article en date du 15 janvier 2015 (Monaco Hebdo) que les consultations avec les délégués du personnel « auraient été fixées à la mi-janvier », de sorte qu'aucune communication ne pouvait être faite par l'employeur aux salariés, soit collectivement, soit individuellement.
En outre, cet article précise que l'employeur envisage des indemnités supra légales pour les personnes licenciées, ce qui constitue un élément à la disposition des salariés et notamment de Monsieur l. HA..
Il résulte de ces trois documents que les conditions de rupture des contrats n'étaient pas encore fixées au 15 janvier 2015.
Le 29 janvier 2015, une assemblée générale des salariés a bien eu lieu mais sans évocation des catégories de salariés visées et des modalités de départ.
Ainsi, Monsieur l. HA. ne peut contester sa décision de faire valoir ses droits à la retraite en se contentant de prétendre qu'il a été déterminé à prendre cette décision en raison de la dissimulation d'informations par son employeur, dans la mesure où aucune obligation d'information déterminée, d'origine légale, conventionnelle ou jurisprudentielle, n'est à la charge de l'employeur à ce titre.
Dès lors, ni l'obligation de loyauté qui pèse sur l'employeur, ni l'obligation pour ce dernier d'exécuter le contrat de travail de bonne foi, ne lui font obligation d'informer par exemple le salarié sur les conséquences financières de sa décision, même lorsqu'un plan social est en projet.
Monsieur l. HA. sera dans ces circonstances débouté de toutes ses demandes.
Succombant dans ses prétentions, il sera condamné aux dépens.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, après en avoir délibéré,
Dit que les demandes de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et départ non volontaire à la retraite anticipée, de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement aux effets discriminants et de 1.500 euros au titre des frais exposés sont irrecevables ;
Prononce la nullité de l'attestation produite par Monsieur l. HA. en pièce n° 3 ;
Écarte des débats la pièce n° 7 produite par la société anonyme monégasque dénommée A ;
Déboute Monsieur l. HA. de toutes ses demandes ;
Condamne Monsieur l. HA. aux dépens ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Michel GRAMAGLIA, Jean-François RIEHL, membres employeurs, Messieurs Lucien REBAUDO, Silvano VITTORIOSO, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt et un décembre deux mille dix-sept, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Michel GRAMAGLIA, Lucien REBAUDO et Karim TABCHICHE, Monsieur Jean-François RIEHL, étant empêché, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef.