Tribunal du travail, 12 octobre 2017, Monsieur w. N c/ La SAM A

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Abstract🔗

Contrat de travail - Discrimination salariale (non) - Situation professionnelle identique - Responsabilités et charge physique ou nerveuse différentes - Raisons objectives pouvant justifier une différence de traitement (oui)

Résumé🔗

Le salarié doit être débouté de sa demande de rappel de salaire au titre de la discrimination salariale dans la mesure où il n'est pas placé dans une situation professionnelle identique avec le salarié de comparaison puisqu'ils accomplissent un travail avec des responsabilités et une charge physique ou nerveuse différentes. Il existait ainsi des raisons objectives pouvant justifier une différence de traitement entre les deux salariés.


Motifs🔗

AUDIENCE DU 12 OCTOBRE 2017

TRIBUNAL DU TRAVAIL

  • En la cause de Monsieur w. N, demeurant X1 à LA TURBIE (06320),

Demandeur, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis en celle de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la même Cour,

d'une part ;

Contre :

  • La société anonyme monégasque dénommée A, dont le siège social se situe X2 à MONACO,

Défenderesse, plaidant par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant élu domicile en son étude,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 3 septembre 2014 reçue le 5 septembre 2014 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 2 décembre 2014 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, les 5 février 2015 et 8 octobre 2015, puis par Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, les 3 mars 2016 et 3 novembre 2016, au nom de Monsieur w. N,

Vu les conclusions déposées par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la S. A. M. A, les 31 juillet 2015, 3 décembre 2015, 2 juin 2016 et 5 janvier 2017 ;

Après avoir entendu Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, pour Monsieur w. N, et Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, pour la S. A. M. A, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

* * * *

Monsieur w. N a été embauché par contrat à durée indéterminée le 12 février 2005 par la société anonyme monégasque dénommée A (A) en tant que Médecin salarié, afin d'effectuer des remplacements en cas d'absence ou de congés des médecins permanents de l'établissement.

Parallèlement, Monsieur w. N exerçait son activité à titre libéral dans son Cabinet sis à Beausoleil.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 25 novembre 2013, Monsieur w. N a démissionné.

Par courrier recommandé du 30 avril 2014, ce dernier a contesté son solde de tout compte et a sollicité le paiement d'une somme de 223.015 euros correspondant à un arriéré de salaire sur une période de cinq ans, demande fondée sur le principe « à travail égal, salaire égal ».

Suite au refus de la SAM A, Monsieur w. N a saisi le Tribunal du travail en conciliation par requête du 3 septembre 2014 reçue le 5 septembre 2014.

Par requête du 1er décembre 2014, Monsieur w. N a modifié ses demandes, lesquelles ont fait l'objet du préliminaire de conciliation.

Il sollicite ainsi :

  • application du principe « à travail égal salaire égal » appliqué en Principauté, en vertu des engagements internationaux de la Principauté sur la non-discrimination, et de la loi sur le salaire, en extension du principe posé entre hommes et femmes, à toutes les situations discriminatoires,

  • réparation subséquente par la condamnation de la SAM A au versement, en salaire brut soumis à cotisations sociales, de la différence entre le salaire correspondant à l'emploi, sans discrimination, et les salaires perçus pendant l'exécution de son contrat de travail, sur la totalité de la période non prescrite :

    • * soit la somme brute de : 103.429,50 euros,

  • l'indemnité de congés payés y afférant :

    • * soit la somme brute de : 10.342,85 euros,

  • remboursement des frais de parking versés à l'autre médecin dans la même position :

    • * soit la somme brute de : 1.836,00 euros,

  • intérêts au taux légal depuis la fin de chaque mois, sur l'insuffisance de salaire, jusqu'à parfait paiement : MEMOIRE,

  • dommages et intérêts pour le préjudice moral causé par l'insuffisance de salaire : 100.000 euros,

  • dommages et intérêts spécifiques réparant le préjudice moral causé par l'utilisation abusive de son identification de médecin lors de la délivrance de prescription sous son code, après qu'il ait quitté l'établissement, ces faits pouvant engager à son insu sa responsabilité médicale : 20.000,00 euros.

Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Monsieur w. N a déposé des conclusions les 5 février et 8 octobre 2015, 3 mars et 3 novembre 2016 dans lesquelles il fait essentiellement valoir que :

  • suite au détachement du Docteur c. DU. sur plusieurs années, il a été amené à prendre en charge la totalité des tâches de son confrère, de manière permanente, alors que son contrat de travail de médecin honoraire prévoyait des remplacements ponctuels,

  • son statut au sein de la SAM A est pourtant resté inchangé,

  • il a demandé à plusieurs reprises l'augmentation de son taux horaire, en vain,

  • le coefficient et le statut appliqués aux deux médecins n'étaient pas les mêmes,

  • ils avaient pourtant la même formation, les mêmes fonctions et assumaient les mêmes responsabilités. Ils ont obtenu le même diplôme la même année,

  • il a été classifié à un coefficient de 231, avec un taux horaire de 29,18 euros brut, sans que l'employeur justifie ce classement,

  • le Docteur c. DU. bénéficiait du statut cadre coefficient 300, avec un taux horaire de 49,48 euros brut,

  • cette différence de traitement découle d'un manque de considération et de respect de l'employeur,

  • la discrimination salariale à son encontre est directement liée à la différence de statut entre les deux médecins, le Docteur c. DU. ayant le statut cadre,

  • il produit des attestations d'anciens salariés démontrant qu'il était le seul référent pour le service des soins,

  • la responsabilité des soins prescrits aux patients et la gestion du service des soins étaient sous sa responsabilité puisque le Docteur c. DU. était absent,

  • il a effectué des tâches supplémentaires qui n'étaient pas comprises dans les fonctions initiales de son contrat de travail : il a remplacé la diététicienne à la fin de l'été 2011 lorsqu'elle est partie à la retraite ; sans versement d'une rémunération supplémentaire malgré les promesses de la direction,

  • contrairement à son confrère, il est spécialisé dans de nombreuses techniques médicales qui correspondent aux prestations proposées à la clientèle de la SAM A (énergétique, acupuncture, homéopathie, phytothérapie, micro nutrition),

  • l'établissement a toujours mis en avant ces qualifications, ce qui lui permettait d'attirer une clientèle plus large,

  • il était également le seul médecin à pouvoir réaliser des examens d'impédancemétrie,

  • il a apporté également une plus-value en recevant des clients d'exception grâce à son savoir-faire dans les médecines douces qu'il était le seul à pratiquer,

  • aucun critère objectif n'est avancé par l'employeur permettant d'individualiser les deux salariés,

  • l'importance des deux salariés dans l'entreprise était identique dans la mesure où il a remplacé le Docteur c. DU. de manière permanente,

  • la défenderesse n'apporte aucun élément prouvant que le Docteur c. DU. était présent au sein de l'établissement même périodiquement et qu'il participait de manière assidue au déroulement de l'organisation de la SAM A afin d'assurer ses tâches d'encadrement,

  • au départ du Docteur c. DU., tous les protocoles de prise en charge des patients ont évolué au regard des nombreuses compétences du Docteur w. N,

  • des nouvelles prestations ont été proposées eu égard à l'expérience du Docteur N dans de nombreux domaines,

  • la différence d'ancienneté entre les deux médecins ne peut dès lors justifier la différence de salaire,

  • sa demande ne concerne que la régularisation des heures qu'il a effectuées,

  • sa rentabilité ne doit pas être prise en compte pour calculer le taux horaire à lui appliquer,

  • l'employeur soutient qu'il recevait des patients à titre privé au sein de l'établissement, ce qui est totalement faux et sans intérêt dans le présent litige,

  • le Docteur c. DU. ne l'a pas formé à l'impédancemétrie mais seulement à l'utilisation de l'appareil qui était différent de celui qu'il utilisait dans son Cabinet,

  • le Docteur c. DU. s'est contenté, avant son départ, de lui faire part des différentes consignes,

  • l'employeur ne démontre pas les relations du Docteur c. DU. avec les fournisseurs ; comment en effet pouvait il connaître, compte tenu de la distance, les besoins en matériel de l'établissement,

  • Madame Christine ZO. lui a demandé, au départ du Docteur c. DU., de s'occuper des fournitures médicales et autres services de soins,

  • la défenderesse n'apporte aucune pièce démontrant que le Docteur c. DU. continuait à entretenir des relations avec les laboratoires pharmaceutiques après son départ,

  • l'ancienneté n'est pas une condition permettant de justifier une différence de salaire,

  • l'expérience n'est pas non plus le seul critère pouvant justifier une telle différence,

  • l'employeur allègue que le Docteur c. DU. payait sa redevance parking d'un montant de 36 euros sans le démontrer,

sur le préjudice moral :

  • il a fait l'objet d'une dépréciation de la direction, autant morale que pécuniaire, qui a rendu son activité inexécutable, le contraignant à démissionner,

  • ses compétences et son savoir-faire n'ont jamais été reconnus à sa juste valeur,

  • il s'est toujours montré volontaire mais ses remarques étaient tournées en dérision.

Dans le dernier état de ses conclusions, Monsieur w. N sollicite du Tribunal de :

  • dire qu'il a subi une discrimination salariale au cours de l'exécution de son contrat de travail à la SAM A,

  • dire que le taux horaire qui lui a été appliqué pendant l'exécution de son contrat de travail ne respecte pas le principe « travail égal, salaire égal »,

  • condamner en conséquence la société de la SAM A à lui payer :

    • * la somme de 103.248,50 euros à titre de rappel de salaire pour la période de septembre 2009 jusqu'au 6 janvier 2014 (date de fin de contrat),

    • * la somme de 10.342,85 euros à titre de rappel de l'indemnité de congé payé pour la période de septembre 2009 jusqu'au 6 janvier 2014,

    • * la somme de 1.836,00 euros à titre de remboursement des frais de parking sur la période de septembre 2009 jusqu'au 6 janvier 2014,

  • soit un total de : 115.607,35 euros,

  • ainsi qu'au versement des intérêts au taux légal sur les salaires dus à compter du 3 septembre 2014, date de la présentation de l'assignation de la société de la SAM A au Tribunal du travail de Monaco : mémoire,

  • condamner la société de la SAM A au paiement de la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice moral subi,

  • condamner la société de la SAM A au paiement de la somme de 20.000 euros en réparation du préjudice subi pour l'utilisation abusive de l'identification de médecin,

  • condamner la défenderesse aux dépens.

L'employeur a déposé des conclusions les 31 juillet et 3 décembre 2015, 2 juin 2016 et 5 janvier 2017 dans lesquelles il s'oppose aux prétentions émises à son encontre et fait valoir essentiellement que :

  • le principe « à travail égal, salaire égal » n'interdit pas à l'employeur d'individualiser les salaires, dès lors qu'il s'appuie sur des critères objectifs, étrangers à tous motifs discriminatoires illicites,

  • le principe suppose une comparaison entre les salariés dans la mesure où une différence de traitement entre plusieurs salariés d'une même entreprise ne constitue pas en elle-même une discrimination illicite,

  • la différence de rémunération entre les deux médecins est justifiée par les éléments suivants :

  • le Docteur c. DU. de par son statut et son rôle pivot depuis la création des Thermes, endosse des responsabilités plus étendues que le Docteur w. N,

  • il a pour mission de recruter et de former le personnel soignant et non soignant,

  • depuis son départ, le Docteur w. N n'a pas pour autant pris cette mission à sa charge,

  • le Docteur c. DU. assure la gestion des relations avec les fournisseurs. Il a continué à assurer cette fonction à distance dans la mesure où celles-ci passent exclusivement par le biais d'outils de télécommunication,

  • les programmes de soin et de prise en charge des curistes ont été élaborés par le Docteur c. DU.,

  • le demandeur ne démontre pas avoir mis en place certains protocoles,

  • la mission de remplacement confiée au Docteur w. N excluait toute mise en place de nouveaux protocoles,

  • les attestations qu'il produit démontrent seulement sa présence à la SAM A,

  • le rôle du demandeur se limitait à accueillir et examiner les curistes en suivant scrupuleusement les programmes et protocoles établis par le Docteur c. DU. en sa qualité de Chef du secteur médical,

  • le Docteur c. DU. était également chargé du développement du réseau relationnel de la SAM A,

  • il contribue à la communication et au marketing au sein des Thermes, en participant notamment à la rédaction des brochures promotionnelles et de présentation de l'établissement,

  • le Docteur w. N focalise le débat sur l'absence du Docteur c. DU. mais n'apporte pas la preuve de ce qu'il aurait repris l'intégralité de ses attributions,

  • plus largement, le Docteur c. DU. a un rôle étendu au sein des Thermes, ne se cantonnant pas au service médical,

  • à l'exception de sa mission de suivi des curistes qu'il était dans l'impossibilité d'effectuer pendant ses périodes d'absence et pour laquelle le Docteur w. N le remplaçait, le Docteur DU. a constamment continué d'exercer ses autres tâches, le cas échéant, à distance,

  • le Docteur c. DU. a communiqué les identifiants de sa boîte mail au Docteur w. N afin de lui permettre de suivre certains dossiers qu'il gérait avant son départ,

  • le Docteur c. DU. travaillait à temps plein à la SAM A, alors que le demandeur n'était présent que 80 à 90 heures par mois, avec un faible taux d'occupation,

  • le Docteur c. DU. a été embauché par la SAM A en 1997 en qualité de Médecin salarié, et de 1995 à 1997 en qualité de médecin libéral collaborant avec l'établissement,

  • le Docteur w. N a été embauché dans le courant de l'année 2005,

  • la SAM A ont été créés en 1995 de sorte que le Docteur DU. a activement participé à la mise en place de tous les protocoles. Il a par la suite continué à collaborer de manière permanente avec la direction,

  • le statut juridique des deux médecins était différent : le Docteur c. DU. bénéficie d'un contrat salarié à temps plein ce qui lui interdit toute activité parallèle, salariée ou libérale. Le Docteur w. N bénéficiait d'un contrat salarié horaire et d'une activité libérale de médecin généraliste depuis 1984,

  • le demandeur était le médecin référent de la société B de Cannes,

  • le Docteur c. DU. a le statut cadre, le taux horaire couvrant forfaitairement les heures de service et tout dépassement d'horaire nécessité par le bon fonctionnement du service médical. Il effectuait bien souvent plus de 169 heures par mois sans qu'il s'agisse d'heures supplémentaires majorées,

  • le Docteur w. N n'a pas sollicité l'attribution du statut de cadre lors du préliminaire de conciliation de sorte que la demande qu'il présente tardivement à ce titre devra être déclarée irrecevable,

  • la qualité du travail du Docteur w. N n'a aucun lien avec le débat et n'a d'ailleurs jamais été mise en cause par l'employeur,

  • les spécialités invoquées par le demandeur n'ont apporté aucune plus-value à la SAM A qui ne pratiquent pas l'acupuncture, l'homéopathie ou la phytothérapie,

  • le faible taux d'occupation du Docteur w. N confirme qu'il n'effectuait pas un travail égal à celui du Docteur c. DU.,

  • le remplacement de la diététicienne par le demandeur a été rémunéré, son rôle consistant à valider des recettes avec le chef de cuisine en pratiquant une évaluation calorique ; ce qui ne prenait pas plus de 15 à 20 mn par semaine,

  • le demandeur a cessé toute activité libérale en 2013, non pour se consacrer pleinement à la SAM A, mais pour s'installer à l'île Maurice où il vit aujourd'hui,

sur le remboursement des frais de parking :

  • les salariés qui sont autorisés à utiliser le parking de l'établissement doivent s'acquitter du coût de ce dernier, soit une redevance d'un montant de 36 euros pour les non cadres, et de 41,16 euros pour les cadres, prélevée directement sur leur salaire,

  • la fiche de paie du Docteur c. DU. ne démontre aucunement qu'il bénéficiait d'une prise en charge des frais de parking,

  • sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral causé par l'insuffisance de salaire :

  • le demandeur a librement accepté sa rémunération. Il est dès lors mal fondé à contester les termes d'un contrat auquel il a librement consenti,

  • il a perçu pour l'année 2013 un salaire moyen de 2.626,89 euros, ce qui lui permettait de faire face aux contraintes de la vie courante,

  • il tirait en outre des revenus complémentaires de son activité libérale,

  • il ne donne aucune explication sur le mauvais traitement moral qu'il aurait subi et n'apporte aucun élément à ce titre,

sur l'utilisation abusive de l'identification de médecin :

  • les documents produits ne démontrent pas que c'est à la demande de la SAM A que les examens ont été pratiqués,

  • le nom de la SAM A n'y est pas mentionné.

SUR CE,

  • Sur la recevabilité des demandes au titre du statut cadre

En application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, le bureau de jugement du Tribunal du Travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum.

Si le demandeur peut, en vertu des dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifier ses demandes devant le bureau de conciliation, la possibilité d'augmenter ses prétentions ou d'en formuler de nouvelles, en l'absence d'une disposition identique contenue dans cette même loi, ne lui est pas ouverte devant le bureau de jugement, lequel ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum, en application de l'article 1er précité.

En l'espèce, Monsieur w. N sollicite dans ses dernières écritures (pages 16 et 40) à bénéficier du statut cadre alors que cette demande n'a pas fait l'objet du préliminaire de conciliation, ce qui rend cette demande irrecevable devant le bureau de jugement.

  • Sur la discrimination salariale

Si le principe d'égalité de traitement en matière de salaires n'est certes pas formellement consacré sur un plan général par le législateur monégasque, l'article 2-1 de la loi n° 739 sur le salaire ne prohibant expressément que les discriminations fondées sur le sexe, il résulte toutefois des dispositions de l'article 7 du Pacte International relatif aux droits civiques et politiques, fait à New York le 16 décembre 1966 et rendu exécutoire en Principauté de Monaco par l'Ordonnance n° 13.330 du 12 février 1998, que tous les salariés doivent recevoir une rémunération égale en contrepartie d'un travail égal ou de valeur égale, la rémunération s'entendant non seulement du salaire proprement dit, mais également des divers avantages et accessoires y afférents.

La généralité du champ d'application du principe de non-discrimination en matière de salaires, en droit social monégasque, se trouve en outre et en tout état de cause illustrée :

  • - tant par les débats qui ont précédé l'adoption par le Conseil National, lors de la séance du 8 avril 1974, de l'article 2-1 de la loi n° 739 sur le salaire, lesquels traduisent très clairement la volonté du législateur monégasque de transposer d'une « manière plus large et plus explicite », dans le domaine du droit social, le principe d'égalité des monégasques devant la loi édicté par l'article 17 de la Constitution du 17 décembre 1962,

  • - que par la formulation employée par la Cour de Révision dans ses arrêts en date du 9 juin 2005 (P et autres demandeurs contre SBM), érigeant le principe « à travail égal salaire égal » au rang de règle.

En application de ce principe, la SAM A ont donc l'obligation d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les employés de son entreprise qui, placés dans des conditions identiques, accomplissent un même travail ou un travail de valeur égale.

Conformément aux dispositions de l'article 1162 du Code Civil, il incombe ainsi au salarié, qui invoque une atteinte à ce principe, de présenter au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, à charge pour l'employeur, si la disparité alléguée apparaît suffisamment caractérisée, d'établir pour sa part que cette différence est justifiée par des éléments objectifs.

S'agissant d'un différend de nature individuelle, le litige opposant Monsieur w. N à son employeur ne peut être appréhendé, sous l'angle de la preuve, sur le terrain purement théorique de la disparité de traitement existant entre telle ou telle catégorie de salariés mais requiert nécessairement un examen individualisé de chaque situation.

Il appartient donc au demandeur de soumettre au Tribunal du travail des éléments précis et concrets, déduits des activités effectivement exercées par les employés concernés, de nature à établir que :

  • - le travail qu'il accomplit est égal ou de valeur égale à celui qu'effectue un collègue de travail clairement désigné, disposant d'un niveau de connaissances professionnelles, de qualification et de responsabilités comparable au sien,

  • - la rémunération qui lui est versée en contrepartie de ce travail par la défenderesse s'avère inférieure à celle dont bénéficie le salarié de référence.

En l'espèce, Monsieur w. N estime qu'il devait recevoir le même traitement que le Docteur c. DU. dans la mesure où il a remplacé ce dernier en son absence et a exercé toutes ses fonctions.

Il soutient avoir remplacé le Docteur c. DU. de manière permanente en 2008 alors que son contrat de travail prévoyait des remplacements ponctuels (vacances, week-end, jours de repos ...).

Il produit pour le démontrer le planning vide du Docteur c. DU..

Ce document démontre seulement que ce médecin ne procédait à aucune consultation mais il ne démontre pas que Monsieur w. N exerçait toutes les fonctions du premier à temps plein.

Bien plus, le demandeur exerçait également à titre libéral à Beausoleil depuis le 1er septembre 2006.

Il soutient à ce titre qu'il a été contraint d'arrêter cette activité libérale en juin 2013 dans la mesure où ses fonctions permanentes à la SAM A l'empêchaient d'organiser correctement ses rendez-vous au sein de son cabinet médical.

Force est de constater que Monsieur w. N ne produit aucun élément permettant de confirmer son allégation. Il n'est versé aucune pièce comptable depuis le début de son activité libérale justifiant une baisse de chiffre d'affaire depuis le départ du Docteur c. DU..

Monsieur w. N produit les éléments suivants :

  • une commande de matériels en date du 28 décembre 2009 (pièce n°41) : Monsieur w. N indique avoir remplacé le Docteur c. DU. de manière permanente à compter de l'année 2008. Ce faisant, il ne produit qu'une seule commande de matériels en plus de cinq ans de remplacement, ce qui est insuffisant pour démontrer que cette tâche lui incombait à temps plein sur toute la période par lui revendiquée,

  • un échange de mèls des 20 juin et 8 juillet 2008 démontrant que Monsieur w. N a réalisé une interview sur les Thermes de Monte Carlo pour l'émission « Télé Matin ».

Il s'agit là encore d'un remplacement ponctuel sur les six années revendiquées par le demandeur qui ne démontre aucunement ses allégations à ce titre.

Les articles de journaux produits ne sont pas plus probants, le nom du demandeur n'étant pas cité.

Les attestations d'anciens salariés du défendeur en pièces n° 16 à 19 :

  • *Madame d. BO. atteste : « dès mon arrivée à la SAM A, j'ai été informée que le Docteur c. DU. était parti en mission avec un client privé et qu'en son absence, tous les travaux méritant une collaboration médicale (élaboration des menus diététiques du restaurant et gestion des clients) devaient être vu avec le médecin en poste, Dr NG. w.».

  • Elle ajoute qu'elle n'a jamais croisé le Docteur c. DU. en deux années de travail et qu'elle voyait tous les matins le Docteur w. N à la SAM A.

  • *Monsieur LE. indique qu'il n'a jamais vu le Docteur c. DU. au cours des trois années de collaboration avec la SAM A. Il vante également les qualités professionnelles du demandeur.

  • *Madame GU. fait état du manque de disponibilité du Docteur c. DU. lorsqu'il était en poste. Elle ajoute que l'arrivée du Docteur w. N a permis une amélioration des soins. Ce dernier passait systématiquement dans le service et s'entretenait avec l'équipe. Elle atteste qu' « au départ permanent du Docteur DU. à l'étranger, le Dr NG. a occupé entièrement le poste de médecin de la SAM A et la réputation de prise en charge personnalisée s'est répandue sur Monaco ».

  • *Madame c. CA. atteste que « le Docteur DU. a quitté les Thermes pour l'étranger. C'est le Docteur N qui a pris la suite au poste de médecin à la SAM A de Monte Carlo. Avec le Docteur NG., l'orientation des soins s'est orientée vers une médecine complète et énergétique et humaine qui répondait très bien à l'attente de la clientèle. Et une harmonie avec le centre qui se développait et se dirigeait vers des soins énergétiques. ».

Ces attestations démontrent l'absence du Docteur DU., ce qui n'est pas contesté par l'employeur.

Elles justifient également des qualités professionnelles du Docteur w. N.

Cependant, les déclarations de Madame GU. sont générales (« au départ permanent du Docteur DU. à l'étranger, le Dr NG. a occupé entièrement le poste de médecin de la SAM A ») ; elle ne donne aucune précision sur la nature des fonctions exercées par le demandeur à ce titre alors que l'objet du contrat de Monsieur w. N était de remplacer le Docteur c. DU. ponctuellement.

Les déclarations de Madame c. CA. semblent démontrer que le demandeur a orienté les soins « vers une médecine complète et énergétique et humaine ».

La suite de ses propos démontre que les soins énergétiques existaient déjà sans qu'une quelconque intervention de Monsieur w. N à ce titre ne soit évoquée.

En outre, celle-ci ne donne aucune précision sur la nature de son poste au sein de la SAM A. En outre, elle indique qu'elle travaillait à mi-temps puis un jour et demie par semaine à la naissance de son fils (date non précisée).

Ces éléments ne démontrent aucunement l'intervention du demandeur dans la mise en place ou l'évolution de protocoles de soins.

Un courriel adressé par Madame Christine ZO. à Madame GA., dont copie à Messieurs Frédéric DA. et w. N, en date du 6 octobre 2011 dont l'objet est « partage NUTRITION », ainsi libellé :

« Notre diététicienne étant partie à la retraite, nous avons besoin de garder les dossiers élaborés pour nos patients/clients et le service de restauration.

Merci de bien vouloir nous (Dr NG. + CZ) créer une boîte partage NUTRITION pour pouvoir assurer la pérennité du service diététique) nos clients contenant les dossiers mot flouté. ».

Ce document démontre qu'il a été demandé à Monsieur w. N et « CZ » de procéder à la création d'une boîte partage nutrition sans qu'il soit fait référence à un quelconque remplacement de la diététicienne par l'une ou l'autre des personnes visées.

L'employeur reconnaît néanmoins que Monsieur w. N a pu remplacer momentanément celle-ci avec une rémunération à un taux horaire supérieur à celui d'un diététicien.

Le demandeur n'apporte aucun élément ni aucune précision quant aux tâches qu'il aurait réalisées à ce titre.

Monsieur w. N indique encore :

  • qu'il a des qualifications et des spécialités dans de nombreuses techniques médicales qui correspondent parfaitement aux prestations proposées à la clientèle de la SAM A (acupuncture, homéopathie, phytothérapie, micro-nutrition) ; l'employeur ayant toujours mis en avant ces qualifications.

  • Non seulement Monsieur w. N ne rapporte pas la preuve de l'obtention desdites spécialités, mais il ne démontre pas plus la mise en avant par l'employeur des qualifications invoquées.

  • qu'il a apporté une plus-value à l'employeur en recevant des clients d'exceptions grâce à son savoir-faire dans les médecines douces.

Il produit pour en justifier un courrier de la SAM A en date du 1er février 2013 dans lequel l'employeur lui précise qu'il déclare à la Direction des services fiscaux de la Principauté de Monaco les sommes qui lui ont été versées par la société pour l'année 2012, soit 15.050 euros.

Ce document en l'absence de toute précision sur la nature des sommes versées à Monsieur w. N ne permet pas d'accréditer la thèse de ce dernier ; laquelle est par ailleurs contestée par l'employeur qui soutient qu'il s'agit de « sommes déboursées par la SAM A au nom et pour le compte de leur clientèle en paiement des prestations médicales qu'il (le Docteur w. N) jugeait utile de pratiquer ou qu'un client pouvait solliciter et qui n'entraient pas dans le champ d'intervention restreint de la SAM A (prescriptions médicamenteuses, actes d'injections, acupuncture), ce qu'il ne conteste d'ailleurs pas. ».

Un courrier en date du 30 juin 2010 adressé par Cau Docteur N - SAM A, ainsi libellé :

« Cher Docteur NG.,

Suite à notre conversation, veuillez trouver ci-joint les dossiers techniques de Mesopor et Lipotouch, ainsi que le dossier des résultats.

N'hésitez pas à me contacter directement pour toute information complémentaire ».

Le demandeur estime que ce courrier démontre qu'il entretenait des liens avec les partenaires des Thermes.

Il s'agit d'un seul courrier qui ne saurait démontrer l'intervention permanente du demandeur à ce titre sur les six années d'absence du Docteur c. DU..

Il résulte des pièces produites par Monsieur w. N telles que reprises ci-dessus qu'il a exercé des fonctions allant au-delà du simple accueil des curistes, les examiner en suivant scrupuleusement les programmes et protocoles établis par le Docteur c. DU. en sa qualité de Chef du secteur médical.

Cependant, il ne démontre en aucune manière qu'il a exercé toutes les fonctions du Docteur c. DU. de manière permanente et durable, pendant toute la durée de l'absence de ce dernier.

Il convient encore de relever que le demandeur justifie sa demande en insistant sur l'absence du Docteur c. DU. pour tenter de démontrer qu'il a repris l'intégralité des fonctions exercées par ce dernier.

Il n'existe aucune corrélation entre ladite absence et le transfert des tâches de ce médecin à Monsieur w. N.

Ce dernier doit en effet apporter au Tribunal des éléments précis et concrets, déduits des activités effectivement exercées par les employés concernés, ce qu'il ne fait pas.

Les pièces qu'il produit justifient seulement quelques interventions ponctuelles sur des secteurs qui ne ressortent pas de ses fonctions, ce qui ne saurait constituer une discrimination salariale.

La pièce produite par l'employeur en n° 16 confirme l'impossibilité pour le demandeur d'être à temps complet à la SAM A.

Il s'agit d'un communiqué de presse publié le 27 novembre 2012 par la société C (la société B de Cannes) dans lequel le Docteur w. N apparaît en qualité de médecin du centre.

Par ailleurs, la différence de rémunération existante entre les Docteurs w. N et c. DU., qui possèdent un diplôme équivalent, est justifiée par le fait que le salarié de référence est entré au service de l'employeur en 1995, soit 10 ans avant le demandeur, et a de ce fait acquis une formation et une expérience liées à l'entreprise, justifiant sa nomination en qualité de médecin référent de la SAM A.

Celle-ci peut également s'expliquer par la différence de statut juridique entre les deux salariés concernés.

En effet, le Docteur c. DU. était salarié à temps complet au sein de la SAM A, alors que le demandeur exerçait une activité libérale de médecin généraliste.

Enfin, l'égalité de traitement suppose un travail identique ou de valeur égale.

La notion de valeur égale est prévue par la législation française et n'a pas d'équivalent en droit monégasque.

Ainsi, selon le code du travail français (article L3221-4), la notion de travail de valeur égale s'entend des « travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charges physique ou nerveuse ».

Il résulte des explications développées supra que Monsieur w. N et le salarié de comparaison ne sont pas placés dans une situation professionnelle identique puisqu'ils accomplissent un travail avec des responsabilités et une charge physique ou nerveuse différentes.

Il existait ainsi des raisons objectives pouvant justifier une différence de traitement entre les deux salariés visés supra.

Monsieur w. N sera dans ces circonstances débouté de sa demande de rappel de salaire à ce titre.

Il sera également débouté de sa demande subséquente de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice moral.

  • Sur la demande de remboursement des frais de parking

Il a été décidé supra que les Docteurs w. N et c. DU. n'étaient pas placés dans une situation identique, le dernier étant cadre et pouvait bénéficier à ce titre d'avantages liés à son statut.

L'absence de discrimination salariale entre les deux salariés doit entraîner le rejet de la demande présentée par le demandeur au titre des frais de parking.

En effet, la règle d'égalité de rémunération s'applique au salaire de base proprement dit mais aussi à tous ses accessoires.

  • Sur la demande tenant à l'utilisation abusive de l'identification de médecin

Le demandeur indique que son contrat de travail a pris fin le 6 janvier 2014 à l'expiration de son préavis et qu'il a eu connaissance de prescriptions faites en son nom en date des 24 et 27 mars 2014.

Le Tribunal a soulevé d'office, à l'audience, le moyen de droit tenant à sa compétence pour statuer sur cette demande vu la date des actes reprochés par le salarié :

« M. le Président soulève d'office la recevabilité de la demande qui concernerait des actes postérieurs à la rupture du contrat de travail et sur le fait que certaines demandes ont été faites sans être soumises au préliminaire de conciliation. Il demande à ce que les parties s'expliquent sur ce point. ».

Le conseil du demandeur a indiqué qu'il s'en rapportait.

Le conseil du défendeur a indiqué que le Tribunal du Travail était effectivement incompétent sur ce chef de demande.

L'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946 donne compétence exclusive au Tribunal du Travail pour connaître des différends individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail.

En l'espèce, les faits reprochés par le demandeur sont postérieurs à l'expiration du contrat de travail de sorte que le Tribunal du Travail est radicalement incompétent pour statuer sur la demande ainsi présentée.

Succombant dans ses demandes, Monsieur w. N sera condamné aux dépens.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Se déclare incompétent pour connaître de la demande présentée par Monsieur w. N au titre de l'utilisation abusive de l'indentification de médecin ;

Déclare irrecevable la demande additionnelle tendant à obtenir le statut de cadre ;

Déboute Monsieur w. N de toutes ses demandes ;

Le condamne aux dépens ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Guy-Philippe FERREYROLLES, Daniel CAVASSINO, membres employeurs, Madame Fatiha ARROUB, Monsieur Robert TARDITO, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le douze octobre deux mille dix-sept, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Daniel CAVASSINO, Robert TARDITO et Madame Fatiha ARROUB, Monsieur Guy-Philippe FERREYROLLES étant empêché, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef.

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