Tribunal du travail, 5 octobre 2017, Monsieur p. SE. c/ La SAM A
Abstract🔗
Contrat de travail - Sanction disciplinaire - Mise à pied du salarié - Mise à pied justifiée - Propos tenus par le salarié - Expression déplacée
Résumé🔗
La mise à pied infligée au salarié qui a tenu les propos suivants à l'encontre de clients à savoir « cela va leur coûter bonbon » est parfaitement justifiée. S'il est vrai que l'expression employée n'est en rien insultante, elle est particulièrement déplacée. De par sa fonction, le salarié se doit de respecter le client en s'abstenant de tout commentaire excédant la courtoisie la plus élémentaire.
Motifs🔗
AUDIENCE DU 5 OCTOBRE 2017
TRIBUNAL DU TRAVAIL
En la cause de Monsieur p. SE., demeurant X1 à BEAUSOLEIL (06240),
Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice,
d'une part ;
Contre :
La société anonyme monégasque A, dont le siège social se situe X2 à MONACO,
Défenderesse, plaidant par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu la requête introductive d'instance reçue le 9 septembre 2014 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 15 décembre 2014 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur p. SE., les 7 mai 2015 et 14 avril 2016 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de la S. A. M. A, les 9 juillet 2015 et 6 octobre 2016 ;
Après avoir entendu Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice, pour Monsieur p. SE., et Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, pour la S. A. M. A, en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
p. SE. est entré au service de la S. A. M. A en qualité de barman le 19 mars 2001.
Le 30 juillet 2013, Monsieur p. SE. a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, devant se dérouler le 2 août 2013.
Par lettre du 11 septembre 2013, le salarié était à nouveau convoqué à un entretien devant se dérouler le 16 septembre suivant.
Il a fait l'objet d'un licenciement pour faute par lettre du 19 septembre 2013, avec dispense d'exécuter son préavis.
Par requête reçue le 9 septembre 2014, Monsieur p. SE. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :
Annulation mise à pied du 11 décembre 2012,
Annulation avertissement du 1er juillet 2013,
Complément indemnité de préavis : 1.000 euros,
Congés payés sur complément de préavis : 100 euros,
Indemnité de licenciement (avant déduction indemnité de congédiement) : 18.000 euros,
Dommages et intérêts pour sanction et licenciement abusif : 40.000 euros,
Intérêts au taux légal,
Exécution provisoire.
Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Monsieur p. SE. a déposé des conclusions les 7 mai 2015 et 14 avril 2016 dans lesquelles il fait essentiellement valoir que :
sur la mise à pied du 11 décembre 2012 :
l'employeur vise des griefs du 31 octobre et 25 novembre 2012,
il n'est produit aucun élément relatif à la plainte du client pour le grief du 31 octobre 2012, ni sur le prétendu geste commercial de la direction,
les commentaires qu'il aurait tenus ne sont pas rapportés,
pour le 25 novembre 2012, il conteste avoir tenu des propos désobligeants envers les clients,
sur l'avertissement du 1er juillet 2013 :
il lui est reproché de ne pas avoir respecté la procédure bar émise par Monsieur MI. depuis juin 2012,
cette procédure n'a pas été portée à la connaissance des salariés et n'était pas mise en pratique,
il ne travaillait pas le 13 juin et n'a pris son service que le 14 juin 2013 au matin,
sur la rupture :
il a été licencié au prétexte que suite à des contrôles les 1er, 2, 16, 22 et 1er juillet 2013, il aurait été mis en évidence des pertes inexpliquées de produits,
il n'est fourni aucun élément par l'employeur démontrant la faute commise et la perte de chiffre d'affaire de 64,78 % qui en a résulté,
les tableaux produits par l'employeur sont incompréhensibles et ce dernier n'apporte aucune précision,
Monsieur p. SE. n'était pas le seul à travailler pendant les périodes concernées par les contrôles. D'autant que le restaurant vient également s'approvisionner dans les mêmes stocks que ceux du bar,
les contrôles produits comportent des incohérences et des erreurs,
le tableau Excel réalisé par l'employeur sur la base de ces contrôles ne correspond pas à ces derniers ; de plus, une partie ne peut se constituer de preuve à elle-même,
il a été écarté brutalement de la société après 12 années de présence et dispensé d'exécuter son préavis,
il a été convoqué par lettre du 30 juillet 2013, remise en main propre à un entretien en vue de son licenciement, prévu le 2 août suivant,
il était à nouveau convoqué par lettre du 11 septembre 2013 et a été licencié par lettre du 19 septembre 2013,
il a subi un préjudice moral et matériel.
Dans le dernier état de ses conclusions, Monsieur p. SE. sollicite du Tribunal de :
faire droit aux demandes présentées dans sa requête introductive d'instance et explicitées dans les présentes conclusions,
annuler la mise à pied du 11 décembre 2012,
condamner la S. A. M. A au paiement de la somme de 161,31 €, outre les congés payés soit 177,44 €,
annuler l'avertissement du 1er juillet 2013,
condamner la S. A. M. A au paiement de la somme de 91,17 € au titre du complément de l'indemnité de préavis,
condamner la S. A. M. A au paiement de la somme de 16.628,80 € au titre de l'indemnité de licenciement de laquelle il convient de déduire l'indemnité de congédiement réglée, soit la somme de 7.894,37 € et réclamée due de 2.732,77 € et ce avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,
condamner la S. A. M. A au paiement de la somme de 40.000 € au titre des dommages et intérêts pour sanctions et licenciement abusif avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,
ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
condamner la S. A. M. A aux dépens.
À l'audience, sur interrogation du Tribunal, Monsieur SE. a précisé sa demande relative à l'indemnité de licenciement et réclame à ce titre la somme de 7.894,37 euros.
La S. A. M. A a déposé des conclusions les 9 juillet 2015 et 6 octobre 2016 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et soutient essentiellement que :
sur la mise à pied du 11 décembre 2012 :
dans la soirée du 31 octobre au 1er novembre 2012, des clients se sont plaints auprès du night manager de commentaires que Monsieur SE. avait formulés, en leur présence, sur leur tenue outre le fait qu'ils avaient dû attendre pour passer leur commande,
le 25 novembre 2012, Monsieur p. SE. s'est permis, en présence de la responsable du groupe, de commenter la commande comme suit : « cela va leur coûter bonbon »,
ces propos sont inappropriés et contraires à la politique commerciale envers la clientèle,
les clients s'en sont plaints,
Monsieur p. SE. a reconnu avoir tenu lesdits propos,
sur l'avertissement du 1er juillet 2013 :
Monsieur p. SE. n'a pas respecté la procédure bar, qui a été formellement rappelée par le directeur de la restauration en juin 2012 ; les salariés étant tenus d'apporter la plus grande attentions aux feuilles de réquisition qui devaient être datées et signées du demandeur et contrôlées et contresignées par le receveur,
le salarié soutient que les responsables de son service ont très peu suivi ladite procédure, reconnaissant ainsi que cette procédure existait,
sur la rupture :
en raison de coûts boissons particulièrement élevés, des contrôles ont été effectués notamment lors de cinq services où Monsieur p. SE. était seul en fonction, lesquels ont mis en évidence des pertes conséquentes de produits,
les stocks bar et restaurant étaient différents et seules certaines boissons préparées au bar et servies au restaurant faisaient l'objet de l'émission d'un ticket de caisse,
il ne rapporte pas la preuve d'un abus de l'employeur dans l'exercice de son droit de rupture,
il a été reçu préalablement à chaque sanction disciplinaire envisagée,
il ne produit aucun document sur la durée de son affiliation à Pôle Emploi, ni sur sa situation après le mois d'octobre 2015,
il ne fournit aucun élément sur sa situation financière et professionnelle.
SUR CE,
1 - Sur la mise à pied du 11 décembre 2012
Conformément aux dispositions des articles 1er et 54 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, le Tribunal du travail dispose du droit de contrôler les sanctions disciplinaires prononcées par l'employeur à l'encontre d'un salarié ; que la sanction doit être justifiée et proportionnée à la faute commise, sous peine d'être annulée ;
Si l'employeur tient de son pouvoir de direction dans l'entreprise le droit de sanctionner un salarié pour un comportement fautif, il appartient au Tribunal du travail, saisi d'une contestation d'une sanction disciplinaire, d'en contrôler le bien fondé et de l'annuler si elle apparaît irrégulière en la forme, injustifiée, disproportionnée par rapport à la faute commise voire même discriminatoire ;
Il lui incombe, en cas de contestation, d'établir tant la régularité formelle de la mesure prise que son caractère justifié et proportionné au regard du manquement commis ;
Le comportement fautif du salarié doit se manifester par un acte positif ou une abstention de nature volontaire, fait avéré qui lui est imputable et constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail ;
La lettre de notification doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables. Elle doit indiquer la consistance des faits et ne pas se contenter de viser leur qualification ;
En l'absence de motivation suffisante, les sanctions sont injustifiées et annulables de plein droit.
Monsieur p. SE. a fait l'objet d'une mise à pied par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 11 décembre 2012, en ces termes :
« Monsieur,
Nous faisons suite à notre entretien du samedi 8 décembre 2012, en présence de Monsieur Sylvain MI. directeur de la restauration et au cours duquel vous vous êtes fait assister de Mr GO. Christophe, délégué suppléant du collège employé.
Les faits suivants vous ont été reprochés :
Dans la soirée du 31 octobre au 01 novembre, les clients de la chambre 824 Mr DE. & BE. sont venus se plaindre auprès du night manager suite à un commentaire concernant leur tenue.
Certes vous êtes allé vous excuser mais les clients ont demandé de voir la direction à leur départ le lendemain. C'est Mr MI., directeur de la restauration, qui les a entendus. Les clients étaient très mécontents de votre attitude et des commentaires sur leur tenue, ainsi que sur le fait qu'ils aient attendu vers 0h00 plus de 15 minutes avant qu'on vienne prendre leur commande.
Nous avons dû faire un geste commercial.
Le dimanche 25 novembre, le groupe K était au bar. Là encore suite à une demande de la responsable, vous avez commenté de la manière suivante : « cela va leur coûter bonbon ». la cliente comprenant et parlant très bien le français n'a pas apprécié cette remarque de votre part.
Elle s'en est plainte à Mr MI. ainsi qu'à Mr AN., directeur du développement commercial, au moment du départ.
Deux remarques désobligeantes, à l'encontre de clients, en un mois, je trouve cela totalement déplacé et inconcevable de la part d'un de nos employés.
Compte tenu de ce qui précède, nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, une mise à pied disciplinaire de deux jours, effective les lundi 17 et mardi 18/12/2012 inclus.
Ces journées de mise à pied entraîneront une retenue de salaire sur votre bulletin de paie du mois de décembre.
Nous ne saurions tolérer de nouveaux manquements professionnels lesquels ne pourraient que conduire à la rupture de nos relations contractuelles ».
Monsieur p. SE. a contesté cette sanction par courrier du 18 décembre 2012 en niant avoir tenu les propos qui lui sont attribués concernant le premier grief.
Il reconnaît les faits ayant motivé le second grief mais estime que les termes employés n'ont rien d'insultant mais « plutôt de nature compatissante ». Il ajoute :
« Soucieux de faire respecter les accords passés entre la direction commerciale et le client KAWAZAKI, je m'interrogeais sur le surcoût de ces consommations hors budget qui serait occasionné par cette commande. En rien ces mots ne doivent être considérés comme négatifs et m'être reprochés alors que je m'inquiétais pour le client. N'est-ce pas notre rôle de chercher à faire que le client se sente le mieux écouté et pris en charge ? Il est dommageable que votre directeur de la restauration et votre directeur commercial n'aient pas le souci d'être altruiste et plus empathique vis-à-vis des clients, ni à l'égard du personnel. ».
Force est de constater que l'employeur ne produit aucune pièce concernant le premier grief, de sorte qu'il ne sera pas retenu.
Il n'en produit pas plus pour le second.
Cependant, Monsieur p. SE. reconnaît avoir tenu les propos reprochés, à savoir « cela va leur coûter bonbon ».
S'il est vrai que l'expression employée n'est en rien insultante, elle est particulièrement déplacée.
Si Monsieur p. SE. avait réellement pensé au client et à la dépense démesurée qu'il allait engager, ce ne sont pas de tels propos qui auraient été utilisés.
De par sa fonction, Monsieur p. SE. se doit de respecter le client en s'abstenant de tout commentaire excédant la courtoisie la plus élémentaire.
La mise à pied infligée est dès lors parfaitement justifiée et la demande de rappel de salaire à ce titre sera rejetée.
2 - Sur l'avertissement du 1er juillet 2013
Monsieur p. SE. a fait l'objet d'un avertissement par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 1er juillet 2013 ainsi libellé :
« Monsieur,
Suite à un contrôle des feuilles de réquisition des 13 et 14 juin, nous avons pu constater un manquement qui vous est imputable.
En effet, sur ces deux dates, il s'avère que vous n'avez pas daté ni signé les feuilles du demandeur et aucun contrôle n'a été fait, ni signé par le receveur, comme stipulé sur la procédure bar émise par Monsieur MI. depuis juin 2012.
Compte tenu des éléments qui précèdent, nous sommes amenés à vous notifier, par la présente, une sanction d'avertissement, pour non-respect des procédures.
Nous vous demandons d'être plus vigilant à l'avenir et espérons que nous n'aurons plus à nous plaindre de votre comportement. ».
Monsieur p. SE. a contesté cet avertissement par courrier du 9 juillet 2013, conjointement avec Monsieur TO. qui a également fait l'objet de la même sanction pour les mêmes motifs.
Ils écrivent :
« Monsieur,
(...)
Monsieur TO. et moi-même, Mr SE., réfutons cet avertissement pour les raisons que nous évoquons ci-après :
la procédure évoquée n'est pas référencée dans le classeur de suivi (constaté par madame LA. le 1er juillet écoulé),
la procédure invoquée n'est pas référencée au bureau du personnel,
le personnel de l'économat n'a également aucune connaissance de cette procédure,
pour conclure, les responsables de notre service n'ont jamais, ou très peu, suivi cette procédure ni aucun autre employé de notre service « bar ».
L'on peut ajouter que le 6 mars 2013, la réquisition bar n'a jamais été signée par le commanditaire ni par le réceptionniste.
D'autres exemples peuvent d'ailleurs être fournis à foison sur l'inapplication de cette procédure et surtout sur sa méconnaissance par toute la chaîne du personnel en rapport avec cette dernière.
De plus, étant de repos le jeudi où me sont reprochés les faits, je n'étais donc présent sur mon lieu de travail qu'à partir du vendredi 14 juin 2013 au matin !
D'autre part, les faits réprimandés n'ont rien à voir avec la feuille de réquisition ! Si Monsieur MI. fait allusion à la feuille de « gestion de stocks », qui se trouve dans la réserve et mise en place par Monsieur UG., cette dernière n'est jamais datée, signée, ni contresignée journalièrement.
Nous sommes également très étonnés par la façon dont les choses sont faites ! En effet, il aurait été normal de convoquer les personnes concernées afin de leur expliquer le pourquoi du comment par rapport à cet avertissement.
Enfin, Monsieur TO. et moi-même nous interrogeons sur le fait que seuls les délégués syndicaux soient sanctionnés pour non application de cette procédure, qu'aucun membre du personnel ne connaît et donc, n'applique.
Pour ces motifs, nous demandons l'annulation de cette sanction. ».
La direction répondra par courrier du 19 juillet 2013 en ces termes :
« (...) Remettons les choses dans leur contexte. En effet l'un est présent le jeudi soir et l'autre le vendredi matin.
Cette procédure qui vous a été jointe à l'avertissement a bien été établie en date du 06/06/2012 par Monsieur MI., directeur de la restauration et a bien été mise dans le classeur qui est réservé à l'ensemble du personnel du bar. Ce classeur renferme les consignes, procédures et mémos divers.
Le demandeur de la réquisition, dans le cas présent, était la personne en service le jeudi 13 juin à savoir Monsieur TO. qui était de service à 17h00. Le receveur en service le vendredi 14 juin était bien vous, puisque vous étiez de service le vendredi 14/06/2013 à 09h00.
Le contrôle de cette procédure a été vérifié par Monsieur Yves UG., assistant chef barman. Elle n'a pas été respectée, d'où votre avertissement.
Vous terminez votre lettre commune en écrivant : « Enfin, Mr TO. et moi-même nous interrogeons sur le fait que seuls les délégués syndicaux soient sanctionnés pour non application de cette procédure, qu'aucun membre du personnel ne connait et donc n'applique ».
Deux points m'interpellent :
Ni Mr TO., ni vous, êtes délégués syndicaux, l'unique délégué syndical du Colombus étant Monsieur JO. Dominique. Vous avez été désignés, les deux, comme conseiller syndicaux.
La procédure ayant été mise en place depuis le 06/06/2012 est forcément connue des employés. S'ils ne l'appliquent pas c'est une faute qui est donc sanctionnée par un avertissement, dans un premier temps.
Dans tous les cas, aucun lien entre les fonctions électives ou désignées et les sanctions prononcées, ne peut être évoquée.».
Il résulte de ces pièces qu'il existe une procédure bar mise en place à compter du 6 juin 2012, celle-ci ayant été rappelée dans la lettre d'avertissement.
L'employeur soutient que cette procédure était connue de tous et qu'elle était dans le classeur réservé au personnel du bar, ce qui est contesté par le salarié.
La charge de la preuve pesant sur le défendeur, force est de constater qu'il est défaillant à ce titre.
Enfin, si cette procédure « bar » existe, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de l'information des salariés concernés à compter du 6 juin 2012, ce qu'il ne fait pas.
Le doute devant profiter au salarié, il convient d'annuler l'avertissement infligé à Monsieur p. SE. le 1er juillet 2013.
3 - Sur le licenciement
Il appartient à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de licenciement.
Monsieur p. SE. a été licencié par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 19 septembre 2013, ainsi libellé :
« Monsieur,
Suite à notre convocation du 02/08/2013, dans mon bureau, en présence de Monsieur Sylvain MI. directeur de la restauration, à laquelle vous vous êtes présenté assisté de Monsieur Jean Marc BE., nous vous avons exposé les faits suivants :
Suite à des coûts boissons particulièrement élevés depuis janvier 2013, Monsieur MI., directeur de la restauration a demandé aux deux responsables du bar à savoir : Monsieur Olivier DE CH., chef barman, et Monsieur Yves UG., assistant chef barman, d'effectuer différents contrôles.
Il s'est avéré qu'ils ont effectué, vous concernant, 5 contrôles qui ont mis en évidence des pertes inexpliquées de produits. À noter que pendant les périodes contrôlées vous étiez le seul, en service, et que les inventaires ont été effectués et mis en liaison avec les rapports des ventes informatiques.
le 1er juin 2013 : 5 produits ont été contrôlés et un écart équivalent en euros hors taxe a été comptabilisé pour un montant de 122,88 euros hors taxe,
le 2 juin 2013 : 4 produits ont été contrôlés et un écart équivalent en euros hors taxe a été comptabilisé pour un montant de 113,28 euros hors taxe,
le 16 juin 2013 : 1 produit a été contrôlé et un écart équivalent en euros hors taxe a été comptabilisé pour un montant de 100,33 euros hors taxe,
le 22 juin 2013 : 3 produits ont été contrôlés et un écart équivalent en euros hors taxe a été comptabilisé pour un montant de 139,62 euros hors taxe,
le 1er juillet 2013 : 3 produits ont été contrôlés et un écart équivalent en euros hors taxe a été comptabilisé pour un montant de 63,53 euros hors taxe,
Sur la période concernée cela représente un écart de 539,64 euros hors taxe sur un chiffre d'affaire sur la même période de 832,98 euros hors taxe soit 64,78 % d'écart. Ce qui cause un préjudice certain à l'entreprise.
Nous avons souhaité réunir le 16 septembre 2013, Monsieur Olivier DE CH. Chef Barman et son assistant Monsieur Yves UG., en présence de Monsieur MI. directeur de la restauration, et de vous-même.
Lors de cette dernière réunion, à laquelle vous étiez assisté de Monsieur Jean Marc BE., vous vous êtes contenté de contester les inventaires, sans donner le moindre justificatif.
L'ensemble de vos explications ne nous ont pas permis de modifier votre position.
Nous vous rappelons qu'à plusieurs reprises nous avons dû vous sanctionner :
11 décembre 2012 : mise à pied disciplinaire de deux jours,
1er juillet 2013 : un avertissement.
En conséquence de ce qui précède, nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute ».
Contrairement à ce qu'indique l'employeur, Monsieur p. SE. n'a pas été le seul à travailler au bar la journée du 1er juin 2013.
Il résulte ainsi du planning produit en pièce n°10 par l'employeur que :
Monsieur p. SE. a travaillé,
Monsieur DE CH. a travaillé 2,5 heures de nuit,
Monsieur TO. a travaillé 2,5 heures de nuit.
Dans ces circonstances, il appartient à l'employeur de démontrer que les manquements reprochés ont été commis pendant le temps de travail du demandeur, ce qu'il ne fait pas.
Dans ces circonstances, le grief lié à la journée du 1er juin 2013 ne sera pas retenu.
Il en est de même concernant les journées des 2 et 16 juin 2013, les mêmes personnes ayant travaillé selon les mêmes modalités que la veille.
La même argumentation sera reprise concernant la journée du 22 juin 2013 :
Monsieur p. SE. a travaillé,
Monsieur DE CH. a travaillé 2,5 heures de nuit,
Monsieur GI. a travaillé 2,5 heures de nuit.
Il en sera de même concernant la journée du 1er juillet 2013 :
Monsieur SE. a travaillé,
Monsieur DE CH. a travaillé 2,5 heures de nuit,
Monsieur TO. a travaillé,
Madame FO. a travaillé 2,5 heures de nuit.
Il résulte des explications développées supra et des pièces produites aux débats que le licenciement de Monsieur p. SE. ne repose pas sur une cause valable.
La rupture ne reposant pas sur un motif valable, Monsieur SE. peut prétendre à l'indemnité de licenciement prévue à l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.
Monsieur p. SE. était en droit de prétendre à une indemnité de licenciement d'un montant de 16.410,06 euros limitée à six mois dans la mesure où le résultat obtenu en application de l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 est supérieur à cette somme (16.628,80 euros qui se décompose comme suit :
- indemnité : 2.735,01 / 25 x 152 (nombre de mois d'ancienneté) = 16.628,80 euros).
Il convient de déduire l'indemnité de congédiement, soit :
* 16.410,06 - 7.894,37 = 8.515,69 euros.
Cependant, à l'audience de plaidoirie, Monsieur SE. a limité sa demande à la somme de 7.894,37 euros qu'il convient de lui accorder avec intérêt au taux légal à compter de la demande en justice reçue au greffe, soit le 9 septembre 2014.
4 - Sur le caractère abusif du licenciement
Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve ;
Il appartient à celui qui réclame des dommages-intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné ;
En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts ;
Au cas particulier, Monsieur p. SE. sollicite d'être indemnisé à hauteur de la somme de 40.000 euros qui correspondrait à son préjudice moral et matériel.
L'analyse qui précède a permis de constater que le grief énoncé dans la lettre de licenciement s'est avéré infondé.
Pour autant le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.
Le demandeur décrit l'importance des préjudices tant moral qu'économique dont il se prévaut, mais n'invoque pas l'existence d'un abus tiré de l'invocation d'un faux motif de rupture ;
Dès lors, la décision de rupture n'est pas fondée sur un motif fallacieux et ne présente donc pas en elle-même un caractère fautif ; ainsi, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement ;
Monsieur p. SE. invoque la mauvaise foi de l'employeur et son attitude abusive.
Il indique dans ses conclusions qu'il a été dispensé d'exécuter son préavis, « laissant supposer que le maintien de sa présence dans la société aurait été impossible » et fait état de ses fonctions syndicales qui auraient influencé l'employeur dans les sanctions infligées, ce qu'il ne démontre pas.
Le défendeur a agi de façon brusque, précipitée et avec une légèreté blâmable en notifiant à Monsieur p. SE. son licenciement pour faute, alors que la validité du motif n'était pas avérée et que le salarié n'avait pas fait l'objet de la moindre sanction disciplinaire ou remarque sur la qualité de son travail pendant plus de 11 années d'ancienneté avant la mise à pied de décembre 2012.
Dès lors en signifiant à son salarié son licenciement avec effet immédiat, l'employeur a agi avec une légèreté blâmable qui confère au licenciement un caractère abusif.
Monsieur p. SE. peut donc légitimement prétendre à la réparation du préjudice moral qui en est pour lui résulté et qui sera correctement indemnisé par l'allocation d'une somme de 5.800,87 euros avec intérêt au taux légal à compter du jugement.
En effet, Monsieur p. SE. sollicite la somme de 40.000 euros, toute cause de préjudice confondue.
Le dossier du demandeur permettant de calculer le préjudice matériel subi d'un montant de 34.199,13 euros, la somme sollicitée au titre du préjudice moral s'élève à celle de 5.800,87 euros.
5 - Sur le complément d'indemnité de préavis
Monsieur p. SE. sollicite la somme de 91,17 euros au motif que la lettre de licenciement lui est parvenue le 23 septembre 2013, le préavis devant s'achever le 23 novembre 2013 et non le 22 novembre tel que retenu par l'employeur.
La lettre de licenciement datée du 19 septembre 2013 a été reçue par le salarié le 20 septembre 2013 ainsi qu'il résulte de l'accusé de réception produit par l'employeur. Le délai a donc commencé à courir le 20 septembre 2013. La fin légale du contrat de travail est donc le 20 novembre 2013 à minuit.
L'employeur ayant réglé au salarié l'indemnité de préavis pour la période du 23 septembre 2013 au 22 novembre 2013, aucune autre somme n'est due.
Monsieur p. SE. sera déboutée de sa demande.
6 - Sur l'exécution provisoire
Les conditions requises par l'article 202 du Code de procédure civile pour que l'exécution provisoire puisse être ordonnée n'étant pas réunies en l'espèce la demande à ce titre ne pourra qu'être rejetée.
7 - Sur les dépens
Les dépens seront laissés à la charge de la S. A. M. A.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré,
Annule l'avertissement infligé à p. SE. le 1er juillet 2013 ;
Dit que le licenciement de p. SE. par la société anonyme monégasque A n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif ;
Condamne la société anonyme monégasque A à payer à p. SE. les sommes suivantes :
- 7.894,37 euros (sept mille huit cent quatre-vingt-quatorze euros et trente-sept centimes), à titre d'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement, avec intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2014 date de la citation en conciliation,
- 5.800,87 euros (cinq mille huit cents euros et quatre-vingt-sept centimes) à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société anonyme monégasque A aux dépens du présent jugement ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Nicolas MATILE, Didier MARTINI, membres employeurs, Mesdames Anne-Marie PELAZZA, Nathalie VIALE, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le cinq octobre deux mille dix-sept, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Monsieur Nicolas MATILE et Mesdames Anne-Marie PELAZZA et Nathalie VIALE, Monsieur Didier MARTINI étant empêché, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef.