Tribunal du travail, 9 février 2017, Monsieur d. MA. c/ La SARL A
Abstract🔗
Contrat de travail - Jour férié - Salarié rémunéré à la journée - Droit au paiement d'une l'indemnité en plus du salaire - Faute de l'employeur - Non-respect de la loi - Réparation du préjudice moral du salarié
Résumé🔗
Le salarié, guide interprète conférencier travaillant à la journée pour le compte d'une société assurant notamment des services touristiques d'escale, a droit au paiement des jours fériés travaillés, en application de l'article 6 alinéa 1 de la loi n° 800 du 18 février 1966 qui prévoit le cas des salariés rémunérés à la journée et fixe les modalités de calcul de l'indemnité. Le paiement s'effectue dans les conditions prévues par l'article 7 de la même loi, s'agissant bien d'une société qui, en raison de la nature de ses activités, ne peut interrompre le travail, soit en l'espèce le versement, en plus du salaire correspondant au travail, d'une indemnité égale au montant dudit salaire, le statut du salarié ne lui permettant pas de pouvoir bénéficier, en contrepartie, d'un repos compensateur.
De plus, la carence et la réticence abusive de l'employeur à respecter les dispositions légales ont incontestablement entrainé un préjudice. A défaut de justification par le salarié de sa situation matérielle, le préjudice moral est réparé par l'octroi de la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
AUDIENCE DU 9 FÉVRIER 2017
En la cause de Monsieur d. MA., demeurant : X1 à LE CANNET (06110),
demandeur, comparaissant en personne,
d'une part ;
Contre :
La SARL A, dont le siège social se situe : X2 - « X2 » à MONACO (98000),
défenderesse, plaidant par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu la requête introductive d'instance en date du 4 septembre 2015 reçue le 7 septembre 2015 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 10 novembre 2015 ;
Vu les conclusions déposées par Monsieur d. MA., en personne, en date du 3 décembre 2015 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SARL A, en date du 3 mars 2016 ;
Ouï Monsieur d. MA., en personne, en ses observations et explications ;
Ouï Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour la SARL A, en sa plaidoirie ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
d. MA. est guide interprète conférencier, titulaire d'une carte professionnelle et exerce sa profession auprès de plusieurs employeurs qui font appel à ses services pour des prestations liées à des événements à la journée.
Il est ainsi intervenu pour le compte de la SARL A.
Estimant que des salaires lui étaient dus au titre des jours fériés légaux à Monaco sur les années 2010 à 2012, Monsieur MA. a adressé un courrier à la société A le 18 août 2014 lui réclamant le paiement de la somme de 697,23 euros brut.
Par une lettre adressée à l'employeur le 14 octobre 2014, il réclamait la somme de 447 euros brut pour le paiement des jours fériés légaux à Monaco pour les années 2008 et 2009.
Ce dernier courrier recommandé n'ayant pas été retiré par la SARL A, Monsieur MA. l'a renvoyé en lettre simple le 12 novembre 2014.
Monsieur MA. a saisi de la difficulté la Direction du Travail par lettre du 18 août 2014.
Celle-ci s'est mise en contact avec la SARL A afin d'obtenir la régularisation de la situation.
L'employeur refusant de procéder à la régularisation demandée, la Direction du Travail a informé Monsieur RI. par courrier du 12 janvier 2015 qu'un procès-verbal d'infraction était en cours de finalisation à l'inspection du travail.
Monsieur MA. a ensuite saisi le Tribunal du Travail par requête reçue le 7 septembre 2015 afin d'obtenir la condamnation de la SARL A à lui payer la somme de 3.519 euros de dommages et intérêts pour paiement tardif des jours fériés monégasques.
L'employeur a formé une demande reconventionnelle à hauteur de 957,49 euros outre les charges sociales et de 3.519 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Aucune conciliation n'ayant pu aboutir, l'affaire a été renvoyée devant le Bureau de Jugement.
Monsieur MA. a déposé des conclusions dans lesquelles il soutient que :
- Il a travaillé pour la SARL A de 2000 à fin 2012 (sauf en 2005),
- Il a été licencié en 2012 et une procédure devant le Conseil de Prud'hommes de Nice est en cours,
- Pendant sa relation de travail avec la SARL A, les jours fériés légaux monégasques n'ont jamais été majorés par l'employeur,
- Le paiement double des jours fériés travaillés (ou l'octroi d'une journée chômée et payée) a été confirmée à plusieurs reprises par l'inspection du travail au titre de la loi n° 800 du 18 janvier 1966 sur les jours fériés,
- Début février 2015, la SARL A a régularisé la situation,
- La règle commune générale du 1/25è invoquée par l'employeur ne s'applique pas en l'espèce car elle ne concerne que les salariés mensualisés alors qu'il est salarié à la journée,
- Lors de l'audience de conciliation, l'employeur n'a jamais formulé la moindre proposition, l'obligeant à poursuivre la procédure pour obtenir son dû,
- Après s'être exécutée, la SARL A tente de remettre en cause le bien-fondé du paiement et d'obtenir son remboursement,
- Il a subi un préjudice moral et financier.
La SARL A a déposé des conclusions dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et sollicite reconventionnellement la condamnation de Monsieur MA. à lui verser au titre de la restitution des sommes versées indûment pour majoration des jours fériés, les salaires d'un montant de 957,49 euros, les charges patronales d'un montant de 375,51 euros et les charges sociales d'un montant de 141,18 euros, soit un total de 1.474,18 euros.
Elle réclame également une somme de 3.519 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Elle expose à l'appui de ses prétentions que :
- Monsieur MA. était titulaire d'un permis de travail pour une durée de validité d'un an et une durée de travail « variable »,
- Elle établit à la fin de chaque mois un rapport du nombre d'interventions et de la durée de celles-ci sous la forme d'une attestation Assedic spécifique,
- Chaque rapport pour le mois écoulé est considéré comme résultant d'une fin de contrat au terme de chaque mois. Ainsi, le nombre d'heures déclarées chaque mois, couplé au salaire brut correspondant, reflète l'activité pendant ledit mois,
- Monsieur MA. est un intervenant intermittent qui ne travaille pas tous les mois et quand il travaille, c'est pour une séquence d'une journée dont la durée est parfaitement aléatoire,
- Après de nombreuses discussions avec l'inspection du travail, et malgré le fondement contestable de ces demandes, en janvier 2015, elle procédait à une régularisation correspondant à un bulletin de salaire émis le 31 janvier 2015,
- La loi n° 800 ne s'applique pas aux salariés intermittents,
- Le législateur ne s'est pas prononcé sur la situation de ces salariés,
- Il serait inéquitable de traiter sans distinction les salariés qui travaillent à longueur d'année (et qui bénéficient logiquement de 12 jours chômés par an) et ceux qui ne travaillent qu'irrégulièrement soit quelques jours par mois,
- L'absence de dispositions législatives relatives au cas particulier des travailleurs intermittents ne saurait signifier qu'il faut leur accorder un avantage exorbitant, en comparaison avec les travailleurs réguliers,
- Le fait que la loi ne traite que des salariés régulièrement employés tous les jours ouvrables et ouvrés se déduit incontestablement des dispositions de l'article 5 de la loi n° 800 qui exclut du bénéfice des jours fériés ceux qui n'auraient pas travaillé la veille et le lendemain du jour férié,
- L'article 6 de la même loi qui propose un mode de calcul en fonction d'une fixation du salaire à la semaine, par quinzaine ou au mois suffit à justifier que soient exclus de toute forme de calcul ceux dont le salaire n'est fixé qu'au jour,
- Le repos compensateur rémunéré de la personne qui ne peut demander rémunération que les rares jours où il travaille est inenvisageable ; cela équivaudrait à rémunérer un jour qui n'existe pas,
- Aucune des compensations prévues par le législateur n'est applicable au travail intermittent, sauf à accorder, en violation flagrante du principe «travail égal, salaire égal », un avantage exorbitant à ces derniers.
SUR CE :
Il convient de distinguer la notion de durée d'engagement des parties (contrat à durée déterminée ou indéterminée), de durée du temps de travail (temps complet, partiel, nombre d'heures variable) ou encore d'organisation du temps de travail (horaire fixe ou variable).
Si le contrat de travail à durée indéterminée implique dans l'esprit général une « stabilité », il n'est absolument pas incompatible légalement avec un nombre d'heures de travail (hebdomadaire, inférieur à 39 heures) et un horaire variable (sans garantie minimale d'heures de travail), moyennant une rémunération proportionnelle à la durée effective de travail, et ce, pour faire face à des besoins de l'entreprise liés à la fluctuation de ses activités, ce que recouvre la notion d'intermittence contractuellement convenue en l'espèce (absence de définition en droit monégasque).
En l'espèce, il est produit l'autorisation d'embauchage en date du 6 février 2012 pour une période du 1er mars 2006 au 31 décembre 2014 pour une durée de travail « variable ».
Le litige est régi par la loi n° 800 du 18 février 1966 régissant la rémunération et les conditions de travail relatives aux jours fériés légaux.
L'employeur vise les dispositions de l'article 5 de cette loi pour en conclure que cette dernière ne s'applique pas aux salariés intermittents, et aux termes desquels en son alinéa premier :
« Le paiement du jour férié légal ne sera dû que si le travailleur a accompli normalement, sauf absence exceptionnelle, la journée précédant et celle suivant le jour férié, habituellement consacrées au travail dans l'entreprise. »
Il soutient que dans la mesure où Monsieur MA. ne travaillait qu'à la journée, il ne pouvait être en service la journée précédant et celle suivant le jour férié.
Cependant, la SARL A omet de prendre en considération les dispositions de l'article 6 alinéa 1 de la loi n° 800 qui prévoit justement le cas des salariés rémunérés notamment à la journée :
« Pour les salariés rémunérés à l'heure, à la journée ou au rendement, l'indemnité afférente aux journées chômées et payées visées aux articles 2 et 4 doit correspondre au montant du salaire qu'ils ont perdu du fait de ce chômage ; toutefois dans les cas visés au dernier alinéa de l'article 2 cette indemnité est calculée sur la base du salaire horaire en vigueur dans l'entreprise à la date considérée et de la durée moyenne journalière du travail pendant les quatre semaines ayant précédé la semaine comprenant le jour chômé.».
L'article 7 alinéa 1 ajoute :
« Dans les établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail, les salariés occupés les jours chômés et payés visés aux 2 et 4 ont droit, en plus du salaire correspondant au travail, soit à une indemnité égale au montant dudit salaire, soit à un repos compensateur rémunéré. »
L'activité de la SARL A (services touristiques d'escale notamment) et celle de Monsieur MA. dans le cadre du contrat de travail les liant entrent dans le domaine d'application de ces dispositions.
Il résulte ainsi des dispositions visées supra, d'ordre public, que les salariés rémunérés à la journée bénéficient des règles édictées par la loi n° 800 du 18 février 1966.
La SARL A doit dans ces circonstances payer à ses salariés, quels qu'ils soient, les jours fériés travaillés dans les conditions prévues par l'article 7 susvisés.
Il n'y a pas lieu de prévoir une distinction entre les salariés devant être concernés par le paiement des jours fériés travaillés alors que la loi n'en prévoit pas et alors, surtout, que la même loi a prévu le cas des salariés pour lesquels la SARL A souhaite un statut particulier et la non application des dispositions légales.
Enfin, le montant dû par l'employeur à ce titre ne fait pas plus difficulté eu égard aux dispositions de l'article 7 de la loi n° 800, Monsieur MA. ayant droit, en plus du salaire, à une indemnité égale au montant dudit salaire ; et ce, dans la mesure où le statut de ce salarié ne lui permet pas de pouvoir bénéficier, en contrepartie, d'un repos compensateur rémunéré.
Ce faisant, la réclamation de Monsieur MA. était parfaitement légitime, l'employeur ayant d'ailleurs réglé les sommes réclamées après intervention de l'inspection du travail.
La carence et la réticence abusive de l'employeur à respecter les dispositions légales ont incontestablement entraîné un préjudice.
Bien qu'ayant payé la somme réclamée par le salarié, la SARL A en a sollicité le remboursement.
Le Tribunal relève à ce titre que Monsieur MA. ne produit aucun élément sur sa situation matérielle depuis 2012.
Ce faisant, le préjudice moral subi par celui-ci sera correctement indemnisé par l'allocation d'une somme de 1.000 euros de dommages et intérêts.
Succombant dans ses prétentions, la SARL A sera condamnée aux dépens.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré,
Condamne la SARL A à payer à d. MA. la somme de 1.000 euros (mille euros) de dommages et intérêts,
Condamne la SARL A aux dépens,
Composition🔗
Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Francis GRIFFIN et Daniel CAVASSINO, membres employeurs, Messieurs Jean-Marc JOURDIN et Fabrizio RIDOLFI, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le neuf février deux mille dix-sept, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Francis GRIFFIN, Daniel CAVASSINO et Fabrizio RIDOLFI, Monsieur Marc JOURDIN étant empêché, assistés de Madame Catherine CATANESE, Secrétaire en Chef.