Tribunal du travail, 26 janvier 2017, La SAM A c/ Monsieur d. j. L
Abstract🔗
Contrat de travail - Tribunal du travail - Compétence - Incompétence d'attribution - Litige relatif à une cession de créance
Résumé🔗
Le tribunal du travail n'est pas compétent pour statuer sur un litige concernant une cession de créance, contestée par le salarié, entre l'employeur cessionnaire et une autre entreprise cédante, le salarié ayant travaillé pour les deux entreprises, portant sur des salaires qui auraient été payés indûment par la société cédante au salarié. Les liens de proximité existants entre les deux sociétés ne sauraient remettre en cause les dispositions d'ordre public en matière de compétence rationae materiae de la juridiction du travail.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
AUDIENCE DU 26 JANVIER 2017
En la cause de
La Société Anonyme Monégasque dénommée A, dont le siège social se situe : X2 à MONACO (98000),
demanderesse, ayant élu domicile en l'Etude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Philippe FLAMANT, avocat au barreau de Nice,
d'une part ;
Contre :
Monsieur d. j. L, demeurant : « X1 » X1 à MONACO (98000),
défendeur, ayant élu domicile en l'Etude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Fabrice GARCIN, avocat au barreau de Nice,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu l'Ordonnance de référé en date du 29 octobre 2015 ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 21 décembre 2015, reçue le 23 décembre 2015 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 19 janvier 2016 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de la Société Anonyme Monégasque dénommée A, en date des 14 juillet 2016 et 19 octobre 2016 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur d. j. L, en date des 8 septembre 2016 et 6 octobre 2016 ;
Après avoir entendu Maître Philippe FLAMANT, avocat au barreau de Nice, pour la Société Anonyme Monégasque dénommée A, et Maître Fabrice GARCIN, avocat au barreau de Nice, pour Monsieur d. j. L, en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
d. L a été embauché par la société de droit suisse B SA le 21 mai 2012 en qualité de responsable des ventes pour un salaire brut de 10.000 francs suisses.
Il était également engagé par la SAM A avec un salaire de 5.000 euros en 2013.
Les deux sociétés possèdent une proximité opérationnelle, de dirigeants et un actionnariat majoritaire commun en la personne de n. GR.
Un litige intervenait entre Monsieur L et la SAM A en mars 2015, le salarié estimant qu'il avait été licencié sans courrier et sans motif et l'employeur estimant qu'il était en absence injustifiée depuis le 17 mars 2015, ce qui avait motivé la rupture du contrat de travail.
Le 23 juin 2015, Monsieur L récupérait les documents de fin de contrat :
- Un certificat de travail mentionnant une période d'emploi du 1er octobre 2013 au 11 mai 2015,
- Une attestation Pôle emploi,
- Un bulletin de salaire correspondant à la période du 1er au 11 mai 2015.
Par ordonnance en date du 29 octobre 2015, le Tribunal du travail en sa formation de référé a condamné la SAM A à payer à Monsieur L à titre provisionnel les sommes suivantes :
- 34.081,51 euros à titre des salaires impayés échus sur la période du 1er octobre 2013 au 30 avril 2015,
- 2.889,27 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférentes.
Il était également enjoint à l'employeur de délivrer au salarié, dans le mois de la présente ordonnance, un reçu pour solde de tout compte conforme.
La SAM A relevait appel de ladite décision.
Par arrêt en date du 17 mai 2016, la Cour d'appel confirmait en tous points l'ordonnance de référé.
Par acte d'huissier du 18 novembre 2015, Monsieur L a fait procéder à une saisie-arrêt sur les comptes bancaires détenus par la SAM A auprès du CIC à hauteur des condamnations prononcées.
Sur contestation de l'employeur, le Tribunal de première instance, par jugement en date du 24 mars 2016, rejetait les exceptions de nullité soulevées par celui-là.
Le 5 octobre 2015, Monsieur L a saisi la présente juridiction afin de :
- Voir constater le caractère manifestement abusif de son licenciement,
- Voir condamner la SAM A au paiement des sommes suivantes :
* 5.731,35 euros net au titre de son indemnité de licenciement,
* 2.889,27 euros net au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,
* 10.011,86 euros brut au titre du préavis de licenciement,
* 49.351,88 euros brut au titre des salaires jamais versés par l'employeur (pour la période comprise entre le 1er janvier 2013 et le 30 septembre 2013, ainsi que pour le mois d'avril 2015),
* 34.081,51 euros net au titre des salaires jamais versés par l'employeur (pour la période comprise entre le 1er octobre 2013 et le 30 mars 2015),
* 150.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du caractère manifestement brutal et vexatoire du licenciement intervenu et des préjudices subis.
Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Le 23 décembre 2015, la SAM A a saisi le Tribunal du travail afin de voir condamner Monsieur L au remboursement d'un trop perçu de salaires sur la base d'une cession de créance, puis d'une rétrocession de créance intervenue avec la SA B.
Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.
La SAM A a déposé des conclusions le 14 juillet 2016 dans lesquelles elle demande au Tribunal de :
- Ordonner la jonction de la procédure initiée par Monsieur L à son encontre et sa demande en remboursement d'un trop perçu de salaire par Monsieur L,
- Condamner Monsieur L en l'état de :
* L'acte de cession de créance entre la SA B et la SAM A des 6 et 13 juillet (pièce n°10),
* Et de l'acte de rétrocession de créance du 18 et 19 novembre 2015 (pièce n° 11),
- À lui payer la somme de 78.720,60 CHF soit 73.049,04 euros,
- Le condamner aux dépens.
Elle soutient que :
- Monsieur L a perçu de la SA B d'octobre 2013 à février 2015 la totalité du salaire qui était dû par les deux sociétés (B et A),
- Indépendamment des sommes versées par la SA B, Monsieur L reconnaît avoir reçu de sa part une somme à titre de salaire d'un montant de 46.181,84 euros,
- Par courriel du 10 mars 2015, il s'est engagé à rembourser cette somme à la SA B,
- Il a ensuite reçu la somme de 34.081 euros suite à l'ordonnance de référé rendue le 29 octobre 2015 par le juge des référés du Tribunal du travail,
- La régularité de la cession de créance intervenue entre la SA B et la SAM A ne peut être mise en cause,
- La signification de la cession de créance par voie de conclusions est valable dès lors que les juges du fond relèvent souverainement que ces conclusions contenaient les éléments nécessaires à une exacte information quant au transfert de la créance,
- La rédaction des cessions de créance fait clairement apparaître l'origine de la créance cédée,
- Par contrat de rétrocession de créance des 18 et 19 novembre 2015, la cession initiale a été modifiée,
- En l'état du lien de connexité existant entre les demandes de Monsieur L et la présente procédure, il convient d'ordonner la jonction des deux procédures pour une bonne administration de la justice.
La SAM A a déposé de nouvelles écritures additionnelles le 26 octobre 2016 dans lesquelles figurent les mêmes demandes que celles présentes dans ses conclusions en date du 14 juillet 2016 visées supra.
Elle ajoute que :
- Aucun lien ne peut exister entre la délivrance de la carte de séjour par la Sûreté Publique et le début effectif d'une activité professionnelle pour son compte en l'absence des formalités administratives auprès des services de l'emploi,
- Seule l'autorisation d'embauche délivrée le 15 octobre 2013 établit la date du début de son activité au sein de la SAM A.
Monsieur L a répliqué par conclusions du 6 octobre 2016 en soulevant in limine litis l'incompétence du Tribunal du travail.
Subsidiairement, il s'oppose à la demande de jonction présentée par la SAM A et en sollicite le rejet.
Il demande enfin que lui soit permis de conclure sur le fond du litige après intervention du jugement avant-dire droit demandé si le Tribunal du travail devait retenir sa compétence.
Il soutient que :
- Sur l'incompétence :
- Le différend allégué concernerait la société de droit suisse la SA B et lui-même pour un contrat de travail qui n'est ni né ni n'a été exécuté en Principauté de Monaco,
- La société de droit monégasque A est absolument étrangère à la relation juridique de travail concernée,
- Elle concerne le remboursement de prétendus trop-perçus de salaires qui n'ont pas été versés par la société monégasque mais qui l'auraient été par la SA B,
- Sur le rejet de la demande de jonction :
- Une jonction suppose, pour être accueillie, l'existence de deux instances recevables chacune pour ce qui la concerne. Tel n'est pas le cas en l'espèce compte tenu de l'incompétence du Tribunal du travail,
- La connexité invoquée est purement artificielle puisqu'elle a été uniquement bâtie par le biais de cession et rétrocession de créance successives alors que la prétendue créance ne concernerait qu'une relation de travail suisse, née en Suisse au profit d'une société suisse,
- La demande de jonction procède d'une volonté purement dilatoire,
- La SAM A tente de retarder par tous les moyens l'issue du procès initiée à son encontre.
SUR CE :
En application des dispositions de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, le Tribunal du Travail est notamment compétent pour juger :
- « les différends qui peuvent s'élever à l'occasion du contrat de travail entre les employeurs et leurs représentants d'une part, les salariés et les apprentis qu'ils emploient d'autre part,
- les différends nés entre les salariés à l'occasion du travail, à l'exception, toutefois, des actions en dommages et intérêts motivées par des accidents dont le salarié aurait été victime.».
Le Tribunal du Travail est ainsi exclusivement compétent pour trancher les différends individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail ;
En l'espèce, la relation liant les parties telle que relatée par la SAM A ne s'inscrit pas dans le cadre d'un contrat de travail ;
En effet, la demande présentée par la SAM A est fondée sur une cession de créance (contestée par Monsieur L) entre elle-même cessionnaire et la SA B cédant, portant sur des salaires qui auraient été payés indûment par cette dernière société à Monsieur L ;
Les liens existants entre les deux sociétés et qui ne sont contestés par aucune des parties en cause ne sauraient remettre en cause les dispositions d'ordre public susvisés ;
Il convient dans ces circonstances de se déclarer incompétent ratione materiae pour connaître de la demande présentée par la SAM A à l'encontre de Monsieur L et de rejeter en conséquence la demande de jonction par elle présentée avec la procédure initiée par le salarié à son encontre ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré,
Se déclare incompétent pour connaître des demandes de la SAM A,
Rejette la demande de jonction présentée par la SAM A,
La condamne aux dépens,
Composition🔗
Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt-six janvier deux mille dix-sept, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Manolo VELADINI et Nicolas MATILE, membres employeurs, Mesdames Anne-Marie PELAZZA et Nathalie VIALE, membres salariés, assistés de Madame Catherine CATANESE, Secrétaire en Chef.