Tribunal du travail, 2 juin 2016, Monsieur p. FE. c/ La SAM A

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Abstract🔗

Contrat de travail - Principe « à travail égal, salaire égal »  - Rappel de salaires - Prescription quinquennale

Résumé🔗

Le salarié employé en qualité de caissier-contrôleur, demande le paiement d'un rappel de salaires en application du principe « à travail égal, salaire égal ».

Ses demandes tendant à obtenir paiement de la somme annuelle de 15 592,24 euros à compter de l'exercice 2011 et des intérêts moratoires avec capitalisation à compter de l'exercice 2011 et des intérêts moratoires avec capitalisation annuelle à compter des réquisitions du 3 juillet 2013, qu'il a formées pour la première fois devant le bureau de jugement, ainsi que sa demande indéterminée tendant au paiement annuel d'un complément de salaire résultant de l'application de la règle « à travail égal, salaire égal », sont irrecevables.

Le Tribunal constate qu'il n'a présenté aucune demande pour la période du 15 mai au 31 décembre 2010.

La prescription quinquennale de l'action en paiement des salaires, accessoires et indemnités précitée n'a été interrompue que par la citation devant le bureau de conciliation du Tribunal du travail adressée le 8 juillet 2013 à l'employeur par le secrétaire de cette juridiction, de telle sorte que les demandes de l'intéressé ne sont recevables qu'à compter du 1er juillet 2008 et prescrites pour la période antérieure.

La généralité du champ d'application du principe de non-discrimination salariale résulte des engagements internationaux de la Principauté, de la volonté du législateur monégasque et de la jurisprudence de la Cour de Révision, érigeant le principe « à travail égal salaire égal » au rang de règle. L'employeur a donc l'obligation d'assurer l'égalité de rémunération entre tous ses employés placés dans des conditions identiques, accomplissant un même travail ou un travail de valeur égale.

Il appartient toutefois à l'intéressé de soumettre au Tribunal du Travail des éléments précis et concrets, permettant d'établir qu'il accomplit un travail d'égale valeur à celui effectué par un superviseur des appareils automatiques clairement désigné, disposant d'un niveau de connaissances professionnelles, de qualification et de responsabilités comparable au sien et qu'il perçoit une rémunération inférieure à celle du salarié de référence.

En l'espèce, l'analyse des fiches de poste de caissier contrôleur, non visé dans le règlement intérieur du personnel des services annexes des jeux et qui n'a pas fait l'objet par le salarié d'une explication plus précise des attributions exercées, et de superviseur, correspondant au descriptif des fonctions contenu dans le règlement intérieur du personnel concourant à l'exploitation des appareils automatiques, ne permet pas de considérer que le travail accompli serait équivalent ou de valeur égale, de que la comparaison opérée, même avec un salarié nommément désigné, n'a pas lieu d'être retenue.

Par ailleurs, le document dénommé « synthèse des écarts », dont l'origine est inconnue, ne permet pas de considérer que l'emploi de caissier contrôleur serait équivalent à celui de superviseur.

Le Tribunal déboute en conséquence le salarié de ses demandes de rappels de salaires pour la période du 1er juillet 2008 au 14 mai 2010.


Motifs🔗

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 2 JUIN 2016

  • En la cause de Monsieur p. FE., demeurant : X1 à TOURETTE LEVENS (06690),

demandeur, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Pierre-Paul VALLI, avocat au barreau de Nice,

d'une part ;

Contre :

  • La SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE dénommée A, en abrégé A, dont le siège social se situe : X2 à MONACO,

défenderesse, plaidant par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Étude,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 3 juillet 2013, reçue le 5 juillet 2013 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 7 janvier 2014 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur, au nom de Monsieur p. FE., en date des 14 avril 2014 et 5 janvier 2015 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE dénommée A, en date des 10 juillet 2014 et 7 mai 2015 ;

Après avoir entendu Maître Pierre-Paul VALLI, avocat au barreau de Nice, pour Monsieur p. FE. et Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE dénommée A, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

* * *

p. FE. est employé par la société anonyme monégasque dénommée A en qualité de « caissier contrôleur ».

Celui-ci a, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 6 janvier 2014, attrait la SAM A devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail aux fins de la voir condamner :

  • - à lui payer, par application de la règle « à travail égal, salaire égal », un complément de salaire de :

    • 11.864,95 euros bruts pour la période du 15 mai au 31 décembre 2005,

    • 18.983,92 euros bruts pour l'année 2006,

    • 18.983,92 euros bruts pour l'année 2007,

    • 18.983,92 euros bruts pour l'année 2008,

    • 18.983,92 euros bruts pour l'année 2009,

    • 7.118,97 euros bruts pour la période du 1er janvier au 14 mai 2010,

      Sommes à parfaire sous réserve de l'éventuelle variation du salaire de métier similaire dont l'employeur devra justifier, avec intérêts de droit à compter de la demande en justice,

  • - à lui verser annuellement tout complément de salaire résultant de l'application de la règle « à travail égal, salaire égal »,

  • sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Aux termes de ses écritures judiciaires, p. FE. a sollicité paiement de :

  • la somme de 9.745,13 euros bruts pour la période du 15 mai au 31 décembre 2005,

  • la somme de 15.592,24 euros bruts pour l'année 2006,

  • la somme de 15.592,24 euros bruts pour l'année 2007,

  • la somme de 15.592,24 euros bruts pour l'année 2008,

  • la somme de 15.592,24 euros bruts pour l'année 2009,

  • la somme de 5.847,08 euros bruts pour la période du 1er janvier au 14 mai 2010,

  • la somme annuelle de 15.592,24 euros à compter de l'exercice 2011,

  • et a demandé au Tribunal de dire et juger que ces sommes seront à parfaire sous réserve de l'éventuelle variation du salaire de métier similaire dont la SAM A devra justifier, et ce, avec intérêts de droit à compter de la demande en justice, que ces condamnations seront majorées des intérêts moratoires au taux légal, avec capitalisation annuelle, à compter des réquisitions du 3 juillet 2013, tout en maintenant ses autres prétentions.

Il fait valoir que :

  • - la défenderesse a reconnu que pour des fonctions équivalentes, le personnel de caisse (caissier, caissier contrôleur, caissier manipulateur, aide-caissier), dont il fait partie, percevait une rémunération nettement inférieure à celle du personnel des appareils automatiques,

  • - devant cette inégalité, le syndicat du personnel des caisses a sollicité, par courrier du 27 octobre 2009, que soit instaurée une égalité de traitement entre les différents salariés occupant un emploi équivalent,

  • - par suite, il a été demandé que le personnel de caisse perçoive un salaire similaire à celui du personnel des appareils automatiques,

  • - à la suite de négociations, la SAM A, reconnaissant la violation du principe « à travail égal, salaire égal », s'est engagée de manière non équivoque, par courrier du 14 mai 2010 adressé aux délégués syndicaux du syndicat des caissiers, à verser « un intéressement à l'ensemble du personnel des caisses, quels que soient leur emploi et/ou leur lieu de travail cet intéressement visant à aligner la rémunération des caissiers avec celle des salariés exerçant un métier similaire dans le secteur des appareils automatiques », l'employeur tentant d'atténuer son engagement d'alignement en ajoutant in fine qu'il se ferait sur 2 années, 50% au titre de l'exercice 2010/2011 et 100% au titre de l'exercice 2011/2012 et des exercices suivants,

  • - cette correspondance ne comporte aucune limitation, en sorte que le Tribunal ne pourra retenir que l'égalité de traitement ne devait être appliquée qu'entre les caissiers manipulateurs et les caissiers changeurs des appareils automatiques,

  • - il importe peu également que la SAM A ait proposé à ses employés d'adhérer à une nouvelle convention collective laquelle aurait conduit à l'alignement des rémunérations à compter du 1er avril 2012, notamment au regard de ses demandes formulées pour la période antérieure et remontant à l'année 2005,

  • - aucune explication n'est fournie par la partie adverse pour justifier le rejet de ses prétentions antérieures au 1er novembre 2009,

  • - l'obligation de faire contenue dans la lettre du 14 mai 2010 doit être exécutée, étant souligné que seules les modalités et échéances ont été reportées et devaient être arrêtées à l'occasion de discussions ultérieures,

  • - les « négociations » n'ont pas abouti, l'employeur souhaitant en réalité soumettre l'application du principe « à travail égal, salaire égal » à la renonciation par le personnel de caisse à diverses dispositions statutaires,

  • - conformément à l'article 2068 du Code civil, la prescription quinquennale de l'article 2092 bis de ce même code a été interrompue par « la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait »,

  • - le prétexte selon lequel le courrier du 14 mai 2010 ne lui a pas été adressé personnellement mais à un syndicat ou ne mentionne pas un quantum déterminé (le texte ne visant que la reconnaissance du principe) est inopérant, tandis que la défenderesse a elle-même cherché à échapper à l'évaluation de la différence salariale en cause (nemo auditur propriam turpitudinem), si bien que ses demandes sont recevables à compter du 15 mai 2005,

  • - concernant le calcul du rappel de salaire, le Tribunal se reportera aux bulletins de paie des employés concernés, occupant un poste similaire et disposant d'une ancienneté équivalente, et constatera notamment, par référence à l'année 2009, la disparité entre sa rémunération (caissier contrôleur, catégorie cadre, entrée à la SAM A le 22 janvier 1990) et celle de f. AU. (superviseur AA, catégorie cadre, ancienneté au 1er septembre 1987), soit 15.592,24 euros bruts par an,

  • - l'employeur produit aux débats des descriptifs de poste sur feuille mobile, sans aucune référence et dont l'origine est ignorée,

  • - les seuls documents auxquels il convient de se référer sont le règlement intérieur du personnel des services annexes des jeux, en son chapitre VI, sur les « CAISSES » et la définition des diverses qualifications, ainsi que le règlement intérieur du personnel concourant à l'exploitation des appareils automatiques contenant également la définition des diverses qualifications,

  • - le compte-rendu de la réunion « Caissiers » du 3 juin 2010 transmis le 17 juin 2010 par Monsieur MA. vient préciser les similitudes,

  • - la défenderesse a ainsi dressé une « synthèse des écarts » et est dès lors malvenue à contester les comparatifs qu'elle a elle-même proposés,

  • - si la présente juridiction s'estimait insuffisamment éclairée quant au salaire de comparaison à retenir, elle condamnera avant-dire-droit, la SAM A, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir, à verser aux débats tous les éléments de comparaison au titre de la rémunération.

Aux termes de ses écritures judiciaires, la SAM A demande au Tribunal de déclarer irrecevables les prétentions nouvelles, non soumises au préliminaire de conciliation, ainsi que celles postérieures au 14 mai 2010 (dont le Tribunal n'a pas été saisi), en tout état de cause, de déclarer p. FE. irrecevable à revendiquer une quelconque somme pour la période postérieure au 1er avril 2012, de déclarer prescrites les demandes antérieures au 5 juillet 2008 et enfin de rejeter l'intégralité des prétentions.

Elle soutient pour l'essentiel que :

  • - pour la période postérieure au 14 mai 2010, le salarié a sollicité un jugement déclaratoire visant à constater son droit au paiement d'une rémunération égale à celle d'un autre employé des appareils automatiques, ce qui ne saurait être assimilé à une demande de rappel de salaires,

  • - il s'ensuit que le Tribunal n'est pas saisi d'une telle prétention à compter de l'exercice 2011, si bien que p. FE. doit être déclaré irrecevable en cette demande,

  • - en tout état de cause, le demandeur n'a pas donné suite à la proposition d'adhésion personnelle à la convention collective du 30 mars 2012, dans le délai imparti au 17 avril 2012, ni ultérieurement,

  • - dans ces conditions, à compter de la date à laquelle il aurait pu bénéficier des dispositions favorables du nouvel accord collectif, le salarié n'est pas fondé à invoquer l'existence d'une inégalité ou d'un quelconque préjudice en résultant,

  • - elle ne peut dès lors être condamnée à payer une somme correspondant à un rattrapage de salaires pour la période postérieure au 1er avril 2012,

  • - par ailleurs, le courrier du 14 mai 2010 ne constitue pas un acte interruptif de prescription au sens de l'article 2068 du Code civil (devenu 2061), lequel suppose, pour son application, un destinataire identifié (le créancier) et le montant déterminé quant à l'obligation du débiteur,

  • - p. FE. ne peut ainsi se prévaloir d'une correspondance qui ne lui est pas directement adressée (résumé des discussions ayant eu lieu avec les syndicats depuis plusieurs mois) et aux termes de laquelle les délégués syndicaux du syndicat des caisses, qui ne détiennent aucun mandat de la part des salariés, ont été informés de la date de la prochaine réunion afin de poursuivre les discussions engagées, dans le cadre d'un conflit collectif concernant la structure de la rémunération du personnel de caisse et plus généralement la refonte du statut collectif du personnel de l'entreprise,

  • - les négociations se sont d'ailleurs étirées pendant près de deux années après cette lettre et se sont soldées par la signature de la nouvelle convention collective mise en oeuvre à compter du 31 mars 2012,

  • - le courrier du 14 mai 2010 ne saurait davantage constituer le moindre engagement « non équivoque », ainsi que le confirment les conclusions adverses et le compte-rendu de la réunion du 3 juin 2010,

  • - l'adage « nemo auditur » ne concerne pas le présent litige qui se situe hors du champ d'application de cette exception,

  • - il s'ensuit que les demandes antérieures au 5 juillet 2008 (interruption de la prescription quinquennale le 5 juillet 2013) apparaissent prescrites,

  • - au mois de mai 2010, plusieurs syndicats, dont celui des caissiers, l'ont avisée qu'ils entendaient faire grève pendant le Grand Prix Automobile, en raison de la disparité des rémunérations entre les caissiers,

  • - afin d'éviter cette grève qui aurait désorganisé et nui à l'image de l'entreprise en cette forte période d'affluence, elle s'était engagée par sa lettre du 14 mai 2010 à examiner la situation,

  • - elle avait d'ores et déjà fait savoir qu'elle acceptait de mettre en place un système d'intéressement pour l'avenir et d'aligner la rémunération du personnel des caisses avec celle des salariés ayant une fonction similaire dans le secteur des appareils automatiques,

  • - entre le mois de mai 2010 et de mai 2011, d'importantes difficultés de mise en oeuvre sont survenues, la mise en place de l'intéressement supposant la signature d'un accord d'entreprise,

  • - en effet, pour les emplois reconnus similaires (changeurs des appareils automatiques et caissiers manipulateurs), les parties n'ont pas pu se mettre d'accord sur la mesure des écarts de rémunération, ceux-ci étant variables d'un employé à l'autre, les structures de paie étant différentes,

  • - de nombreuses réunions se sont tenues et la dernière proposition du 8 avril 2011 visait à un alignement des salaires sous la forme d'une prime d'intéressement exprimée en pourcentage sur les recettes des jeux de table et appareils automatiques (15.000 euros par an pour l'ensemble des caissiers, 5.000 euros par an pour les aides caissiers),

  • - cette offre a été refusée et face à un nouveau préavis de grève, sa Direction a réuni le 22 avril 2011 la Commission paritaire, conformément aux termes de la convention collective en vigueur,

  • - à cette occasion, certains syndicats ont proposé aux caissiers d'accepter dans un premier temps la proposition qui était faite jusqu'à la conclusion d'un accord définitif mais en vain,

  • - elle est parvenue à signer le 10 février 2012 un accord d'intéressement avec les syndicats susceptibles de représenter les caissiers, à l'exception notable du syndicat des caissiers à proprement parler,

  • - si à l'occasion de la refonte du statut de son personnel, elle a reconnu la similitude des métiers de caissiers manipulateurs et de changeurs aux appareils automatiques ainsi que la nécessité de mettre fin à la disparité existante, cette reconnaissance ne saurait avoir de portée générale à l'ensemble des métiers des caisses,

  • - p. FE. n'a jamais exercé les fonctions de caissier manipulateur, alors qu'il se compare à f. AU., superviseur des appareils automatiques,

  • - le demandeur prétend qu'il s'agirait de fonctions similaires sans apporter le moindre commencement de preuve,

  • - elle produit à cet égard les descriptifs de poste et le salarié les règlements intérieurs, dont l'analyse conduira au rejet des demandes,

  • - en outre, la méthode de calcul utilisée par la partie adverse est irrégulière dans la mesure où la détermination de la disparité de traitement, qui requiert un examen individualisé, ne peut se limiter à retenir le seul bulletin de paie des intéressés pour le mois de décembre 2009, et ce, afin de déduire un différentiel de rémunération annuel de 15.592,24 euros pour les années 2005 à 2010,

  • - de plus, il n'est pas démontré que p. FE. et f. AU. aient eu un rythme de progression de carrière identique, en dépit d'une ancienneté quasi similaire,

  • - le calcul du rattrapage de salaires ne peut consister en une simple soustraction des montants perçus par les deux employés sur une année civile, étant souligné que certains éléments sont variables et personnels (prime d'ancienneté, heures supplémentaires, absences pour maladie et congés), tiennent compte des spécificités de chaque salarié (expérience, qualification) ou sont versés à périodicité annuelle le 31 mars (comparaison par année civile peu pertinente),

  • - la carence du demandeur dans l'administration de la preuve doit être relevée, étant précisé que les caissiers affectés aux machines automatiques, qui bénéficient d'un intéressement, perçoivent un salaire fixe moindre que les caissiers contrôleurs.

SUR QUOI,

Les demandes nouvelles, inhérentes à l'exécution du contrat de travail, tendant à obtenir paiement de la somme annuelle de 15.592,24 euros à compter de l'exercice 2011 (alors que la demande tenant au paiement annuel d'un complément de salaire résultant de l'application de la règle « à travail égal, salaire égal », qui n'était pas déterminée dans le temps et en son montant dès l'origine, apparaît également irrecevable) ainsi que des intérêts moratoires avec capitalisation annuelle à compter des réquisitions du 3 juillet 2013, lesquelles n'ont pas été soumises à la tentative obligatoire de conciliation, doivent être déclarées irrecevables. Les « prétentions » sous forme de « dire et juger » relatives au courrier du 14 mai 2010, contenues dans le dispositif des conclusions déposées par p. FE. devant le bureau de jugement, ne constituent pas des demandes à proprement parler mais l'expression de simples moyens concernant cette correspondance, en sorte qu'aucune fin de non-recevoir ne peut être retenue de ce chef.

La demande tendant à la communication de pièces sous astreinte est liée au procès devant le bureau de jugement et n'avait dès lors pas à être soumise à la SAM A lors de l'audience de conciliation.

Le salarié n'a formé aucune prétention pour la période comprise entre le 15 mai et le 31 décembre 2010, si bien qu'il conviendra simplement de le constater.

En tout état de cause, le Tribunal note que la circonstance que la défenderesse ait proposé individuellement au mois d'avril 2012 au demandeur la possibilité d'adhérer à la nouvelle convention collective du 30 mars 2012 n'aurait pas d'incidence sur la recevabilité d'une prétention postérieure au 1er avril 2012, chaque employé demeurant libre de signer ou non cet accord collectif.

En vertu des dispositions de l'article 2092 bis du Code civil (loi ancienne applicable au présent litige, introduit avec l'entrée en vigueur de la loi n° 1.401 du 5 décembre 2013), l'action des ouvriers, gens de travail et domestiques pour le paiement de leurs salaires, indemnités, accessoires et fournitures se prescrit par cinq années.

Cette prescription quinquennale ne peut, aux termes des articles 2064 et 2065 (en sa rédaction ancienne applicable) de ce même code, être valablement interrompue que par une citation en justice, y compris une citation en conciliation, un commandement ou une saisie.

L'article 2068 (en sa rédaction ancienne également applicable) prévoit quant à lui que « la prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait ».

En l'espèce, le courrier du 14 mai 2010 adressé par b. LA. aux délégués syndicaux du syndicat des caissiers est rédigé comme suit :

« Pour faire suite à nos échanges de courriers précédents respectivement en date du 13 mai, sous la signature du Président du Conseil d'Administration, et du 14 mai (deux lettres) sous ma signature, je vous résume ci-après l'ensemble des éléments contenus dans ces lettres :

* versement d'un intéressement à l'ensemble du personnel des caisses quels que soient leur emploi et/ou leur lieu de travail ;

* intéressement assis sur les recettes des jeux de tables et des appareils automatiques selon un pourcentage qui sera déterminé au cours de nos négociations ;

* cet intéressement visera à aligner la rémunération des caissiers avec celles des salariés exerçant un métier similaire dans le secteur des appareils automatiques ;

* cet alignement se fera sur deux années : 50% au titre de l'exercice 2010/2011 et 100% au titre de l'exercice 2011/2012 et les exercices suivantes ;

* la première réunion est fixée au 19 mai ».

Cette correspondance de portée très générale ne vaut en aucun cas reconnaissance par la SAM A :

  • - que les caissiers (sans autre précision) seraient victimes d'une inégalité de traitement par rapport au personnel des appareils automatiques (sans autre précision), indépendamment des fonctions concrètement exercées (« exerçant un métier similaire »), quand bien même la structure de la paie évoluerait pour l'ensemble du personnel des caisses vers l'octroi d'un intéressement,

  • - et donc a fortiori qu'un caissier contrôleur serait victime d'une disparité illicite de rémunération par rapport à un superviseur.

En réalité, la prescription quinquennale précitée n'a été interrompue que par la citation devant le bureau de conciliation du Tribunal du travail adressée le 8 juillet 2013 à la SAM A par le secrétaire de cette juridiction, de telle sorte que les demandes de p. FE. ne sont recevables qu'à compter du 1er juillet 2008 et prescrites pour la période antérieure.

Si le principe d'égalité de traitement en matière de salaires n'est certes pas formellement consacré sur un plan général par le législateur monégasque, l'article 2-1 de la loi n° 739 sur le salaire ne prohibant expressément que les discriminations fondées sur le sexe, il résulte toutefois des dispositions de l'article 7 du Pacte International relatif aux droits civiques et politiques, fait à New-York le 16 décembre 1966 et rendu exécutoire en Principauté de Monaco par l'ordonnance n° 13.330 du 12 février 1998, que tous les salariés doivent recevoir une rémunération égale en contrepartie d'un travail égal ou de valeur égale, la rémunération s'entendant non seulement du salaire proprement dit, mais également des divers avantages et accessoires y afférents.

La généralité du champ d'application du principe de non-discrimination en matière de salaires, en droit social monégasque, se trouve en outre et en tout état de cause illustrée :

  • - tant par les débats qui ont précédé l'adoption par le Conseil National, lors de la séance du 8 avril 1974, de l'article 2-1 de la loi n° 739 sur le salaire, lesquels traduisent très clairement la volonté du législateur monégasque de transposer d'une « manière plus large et plus explicite », dans le domaine du droit social, le principe d'égalité des monégasques devant la loi édicté par l'article 17 de la Constitution du 17 décembre 1962,

  • - que par la formulation employée par la Cour de Révision dans ses arrêts en date du 9 juin 2005 (P et autres demandeurs contre la SAM A), érigeant le principe « à travail égal salaire égal » au rang de règle.

En application de ce principe, la SAM A a donc l'obligation d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les employés de son entreprise qui, placés dans des conditions identiques, accomplissent un même travail ou un travail de valeur égale.

Conformément aux dispositions de l'article 1162 du Code Civil, il incombe ainsi au salarié, qui invoque une atteinte à ce principe, de présenter au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, à charge pour l'employeur, si la disparité alléguée apparaît suffisamment caractérisée, d'établir pour sa part que cette différence est justifiée par des éléments objectifs.

S'agissant d'un différend de nature individuelle, le litige opposant p. FE. à son employeur ne peut être appréhendé, sous l'angle de la preuve, sur le terrain purement théorique de la disparité de traitement existant entre telle ou telle catégorie de salariés mais requiert nécessairement un examen individualisé de chaque situation.

Il appartient donc au demandeur de soumettre au Tribunal du Travail des éléments précis et concrets, déduits des activités effectivement exercées par les employés concernés, de nature à établir que :

  • - le travail qu'il accomplit est égal ou de valeur égale à celui qu'effectue un superviseur des appareils automatiques clairement désigné, disposant d'un niveau de connaissances professionnelles, de qualification et de responsabilités comparable au sien,

  • - la rémunération qui lui est versée en contrepartie de ce travail par la défenderesse s'avère inférieure à celle dont bénéficie le salarié de référence.

En l'espèce, l'analyse des fiches de poste de caissier contrôleur (lequel n'est pas visé dans le règlement intérieur du personnel des services annexes des jeux et n'a pas donné lieu à une explication plus précise par le demandeur des attributions exercées) et de superviseur, lesquelles correspondent au descriptif des fonctions contenu dans le règlement intérieur du personnel concourant à l'exploitation des appareils automatiques, ne permet pas de considérer que le travail accompli serait équivalent ou de valeur égale, en sorte que la comparaison opérée, même avec un salarié nommément désigné en la personne de f. AU., n'a pas lieu d'être retenue.

Le Tribunal ignore l'origine du document dénommé « synthèse des écarts », lequel ne suffit en tout état de cause pas à considérer que l'emploi de caissier contrôleur serait équivalent à celui de superviseur.

Les demandes de rappel de salaires pour la période du 1er juillet 2008 au 14 mai 2010 doivent en conséquence être rejetées.

p. FE., qui succombe, doit supporter les dépens du présent jugement.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, après en avoir délibéré,

Déclare irrecevables les demandes tendant à obtenir paiement de la somme annuelle de 15.592,24 euros à compter de l'exercice 2011 et des intérêts moratoires avec capitalisation annuelle à compter des réquisitions du 3 juillet 2013, formées pour la première fois devant le bureau de jugement par p. FE., ainsi que sa demande indéterminée tendant au paiement annuel d'un complément de salaire résultant de l'application de la règle « à travail égal, salaire égal » ;

Constate que p. FE. n'a formé aucune demande pour la période du 15 mai au 31 décembre 2010 ;

Déclare irrecevables comme prescrites les demandes de rappel de salaires antérieures au 1er juillet 2008 formées par p. FE. ;

Rejette le surplus des fins de non-recevoir soulevées par la société anonyme monégasque A ;

Déboute p. FE. de ses demandes de rappel de salaires pour la période du 1er juillet 2008 au 14 mai 2010 ;

Condamne p. FE. aux dépens du présent jugement ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président du Tribunal de Première Instance chargé des fonctions de Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Nicolas MATILE, Paul-Marie JACQUES, membres employeurs, Messieurs Jean-Pierre PIZZOLATO, Robert TARDITO, membres salariés et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le deux juin deux mille seize, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président du Tribunal de Première Instance chargé des fonctions de Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Paul-Marie JACQUES et Robert TARDITO, Messieurs Nicolas MATILE et Jean-Pierre PIZZOLATO étant empêchés, assistés de Madame Catherine CATANESE, Secrétaire en Chef.

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