Tribunal du travail, 17 décembre 2015, Madame m. BO. c/ La Société A.
Abstract🔗
Contrat de travail - Démission - Requalification - Licenciement - Manquement de l'employeur à ses obligations substantielles - Absence de fourniture de travail - Licenciement sans motif réel et sérieux - Indemnité de licenciement (oui) - Intention de nuire - Préjudice moral (oui) - Dommages-intérêts
Résumé🔗
Le salarié, qui soutient que la cessation des relations contractuelles s'analyse en un licenciement en raison du comportement fautif de l'employeur, doit rapporter la preuve que la rupture résulte du non-respect par ce dernier de ses obligations substantielles, qui a rendu impossible la poursuite du contrat de travail. En l'espèce, la salariée rapporte la preuve, par des témoignages concordants, qu'à la suite du refus de la commission de licenciement d'autoriser son congédiement, son activité s'est considérablement réduite pour devenir nulle au point que l'intéressée pouvait attendre que lui soit confié du travail, peu important que la charge des autres employés ne soit pas démontrée. Il apparaît que l'employeur a manqué à l'obligation essentielle de fourniture de travail à son employée des suites de l'impossibilité de procéder au licenciement, en l'absence de l'autorisation légale requise pour un délégué du personnel. Cette méconnaissance des obligations contractuelles empêchait la poursuite normale du contrat de travail, ce qui a d'ailleurs justifié que la demanderesse propose une rupture amiable. La rupture du contrat de travail est imputable au comportement de l'employeur et doit s'analyser en un licenciement, tandis que le droit positif monégasque n'impose aucunement que l'attitude fautive de l'employeur soit concomitante à la décision du salarié de prendre l'initiative de la cessation des relations contractuelles. De plus, le licenciement n'est fondé sur aucun motif valable, en sorte que la créance de la salariée au titre de l'indemnité de licenciement est fondée. Par ailleurs, l'attitude de l'employeur révélant une véritable intention de nuire, le préjudice moral subi par la salariée durant de nombreux mois pour faire face à l'attitude déloyale de son employeur justifie la fixation de la créance à la somme de 25.000 euros au titre des dommages et intérêts.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
AUDIENCE DU 17 DÉCEMBRE 2015
En la cause de :
Madame m. BO., demeurant : HLM Ténao - bloc Jade - X1 à BEAUSOLEIL (06240),
Demanderesse, plaidant par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Étude,
d'une part ;
Contre :
La société anonyme monégasque A., liquidation des biens, prise en la personne de son syndic, Monsieur Christian BOISSON, demeurant X2 à MONACO,
Défenderesse, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, substitué par Maître Sophie MARQUET, avocat-stagiaire près la Cour d'Appel de Monaco,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu le jugement du Tribunal de Première Instance en date du 19 février 2015 ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 18 juin 2014, reçue le 24 juin 2014 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 12 novembre 2014 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Madame m. BO., en date des 8 janvier 2015 et 29 mai 2015 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de Monsieur Christian BOISSON, ès-qualités de syndic en date des 20 mars 2015 et 8 octobre 2015 ;
Après avoir entendu Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour Madame m. BO., et Maître Sophie MARQUET, avocat-stagiaire près la Cour d'Appel de Monaco, pour Monsieur Christian BOISSON, ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la société anonyme monégasque A., en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
m. BO. a été employée par la société anonyme monégasque A. suivant contrat à durée indéterminée à compter du 11 novembre 2008, et a exercé en dernier lieu les fonctions de contrôleur qualité.
Après un arrêt de travail ayant expiré le 17 mars 2014, le conseil de la salariée a indiqué, par courrier recommandé avec accusé de réception du 3 avril 2014, que m. BO. « me précise qu'elle est plus que jamais ostracisée au sein de l'entreprise et cantonnée à des tâches qui n'ont rien à voir avec son poste considère avoir fait l'objet d'un licenciement abusif et injustifié. Dès lors, elle n'entend plus se présenter sur les lieux de travail et saisira à brève échéance le Tribunal du Travail de Monaco afin de voir dire et juger que la rupture du contrat qui la liait à la société A. est entièrement imputable à l'employeur ».
Soutenant que la rupture de son contrat de travail s'analyse en un licenciement, lequel est dépourvu de motif valable et abusif, m. BO. a, ensuite d'un procès-verbal de défaut en date du 10 novembre 2014, attrait la SAM A. devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir paiement des sommes suivantes :
4.207,28 euros au titre d'indemnité de licenciement (1.593,67 x 66 mois /25),
30.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis.
Suivant jugement du 19 février 2015, le Tribunal de première instance a prononcé la liquidation des biens de la SAM A..
Aux termes de ses écritures judiciaires, m. BO. sollicite la fixation de sa créance à hauteur de la somme initialement réclamée et fait valoir que :
- son chef de service l'a avisée, le 17 mai 2013, qu'elle allait être convoquée devant la commission de licenciement (déléguée du personnel depuis 3 ans) afin que celle-ci autorise son licenciement, et ce, sans préavis, ni entretien préalable, pour le motif fantaisiste prétendu qu'elle ne se serait pas conformée aux directives répétées de son supérieur hiérarchique concernant ses horaires de travail,
- elle n'a jamais bénéficié d'aucun aménagement horaire particulier et avait été autorisée à effectuer les mêmes horaires que les conditionneuses qu'elle aidait énormément en plus de son travail,
- elle a conservé avec l'accord de tous les services concernés ces horaires lors de son changement de département, si bien qu'il ne peut lui être fait aucun grief sur ce point,
- même si comme tout un chacun et compte tenu des conditions de circulation à Monaco, il a pu lui arriver très occasionnellement de prendre son poste avec 10 minutes de retard (qu'elle a rattrapées), la défenderesse fait preuve de mauvaise foi sur ce point,
- de plus, elle avait sollicité un aménagement ponctuel de ses horaires sur une semaine afin de pouvoir aller chercher ses enfants à l'école à la suite de l'immobilisation de son conjoint, avait obtenu l'autorisation nécessaire et rattrapé ses heures,
- quant à la tâche demandée (correspondant à celles effectuées dans son ancien département) la veille de ses congés, un vendredi à 15 heures, elle a averti son chef de service qu'elle ne pouvait pas l'accomplir compte tenu de la nécessité de terminer son travail de saisine et de son départ de l'entreprise prévu à 16 heures,
- il n'existait ainsi aucun motif au projet initial de congédiement sauf la volonté de l'employeur de faire des économies et de la sanctionner de son activité de représentante du personnel,
- après le refus d'autorisation du licenciement par la commission instituée par la loi le 22 mai 2013, elle a fait l'objet de mesures de rétorsion qui ont consisté notamment à ne plus lui laisser exercer ses fonctions prévues par son contrat de travail,
- elle a été affectée à des tâches subalternes comme des travaux manuels de conditionnement qui ne correspondent pas à sa fonction de contrôleur qualité, et a même été laissée sans travail,
- par courrier daté du 5 juin 2013, adressé le 21 juin 2013, elle a sollicité de la défenderesse des explications sur sa situation qui la préoccupait fortement,
- par lettre du 27 juin 2013, la SAM A. lui a répondu que l'entreprise connaissait une baisse d'activité depuis des mois,
- le même jour, apprenant que son employeur souhaitait la rencontrer, elle a demandé un entretien afin d'évoquer la dégradation des relations contractuelles et le fait qu'il pouvait être opportun d'envisager une rupture amiable négociée puisque la SAM A. avait clairement montré sa volonté de se séparer de ses services,
- convoquée le 8 juillet 2013, elle a proposé de transiger sur la base du versement de deux mois de salaire à titre de préavis non effectué, une indemnité compensatrice de congés payés, le versement de l'indemnité de licenciement, le versement à titre contractuel de six mois de salaires,
- la défenderesse a effectué une contreproposition visant à ramener les indemnités à deux mois de salaires au lieu des six mois sollicités,
- le 9 juillet 2013, elle a fait part de son accord à son chef de service qui l'a répercuté à la hiérarchie,
- le 23 juillet 2013, la SAM A. lui a précisé qu'elle ne souhaitait pas que le licenciement soit fondé sur l'article 6 de la loi n° 739 et qu'elle demanderait l'avis préalable de son avocat ainsi que de l'Inspection du Travail,
- le 25 juillet 2015, ne constatant aucune amélioration dans son travail, elle a écrit à la défenderesse pour lui indiquer qu'elle voulait effectuer le travail pour lequel elle était employée et l'a invité implicitement à lui en fournir,
- le 30 juillet 2013, lors d'une réunion, l'employeur lui a reproché d'avoir envoyé cette dernière correspondance en relevant que « si elle avait voulu jouer en envoyant cette lettre, il allait aussi le faire », que les négociations amiables sur la rupture du contrat de travail étaient annulées et en lui demandant de rédiger sur le champ un courrier démission,
- elle a adressé une nouvelle correspondance pour souligner qu'elle était toujours disposée à négocier mais que si l'employeur y renonçait, elle saisirait la justice pour faire reconnaître ses droits et le préjudice subi,
- elle a reçu le 5 août 2013, un courrier daté du 31 juillet 2013, par lequel la SAM A. l'informait ne pas avoir pu consulter son avocat et revenir ultérieurement vers elle,
- le 14 août 2013, elle a reçu une nouvelle lettre datée du 8 août 2013 de la défenderesse tentant de justifier son attitude, lui rappelant les missions confiées dans le cadre de son contrat de travail et sa volonté de poursuivre les négociations,
- en réponse, elle rappelait les éléments du dossier et confirmait vouloir négocier sur les bases de l'accord intervenu au mois de juillet,
- le 9 septembre 2013, la SAM A. a maintenu sa position en la priant de « bien vouloir se consacrer désormais aux tâches qui sont les vôtres », courrier qui constitue une tentative de pré-constitution de preuve,
- le 16 septembre 2013, lors d'une nouvelle réunion, l'employeur lui a présenté un projet de protocole d'accord à faire valider par l'Inspection du travail dans lequel il était précisé que le licenciement ne résultait pas de l'article 6 de la loi sur le contrat de travail, qu'elle devrait effectuer deux mois de préavis dont un effectif et percevrait un mois de salaire à titre d'indemnités, un mois de salaire à titre de transaction ainsi que l'indemnité compensatrice de congés payés (bien différente de celle de juillet 2013),
- elle a refusé de signer une telle proposition dérisoire puis a continué à exercer son travail,
- « sa placardisation » s'est alors accentuée avec des conséquences néfastes sur son équilibre psychologique la conduisant à être placée en arrêts maladie, régulièrement renouvelés,
- outre son comportement fautif, la défenderesse a procédé à une modification substantielle des termes de son contrat de travail,
- considérant que cette attitude était destinée à la contraindre à un départ volontaire, son conseil a écrit à la SAM A. le 14 octobre 2013 pour dénoncer sa situation,
- l'employeur a contesté les griefs et argué de discussions sur un départ amiable,
- la situation ne s'étant pas améliorée, elle a adressé un nouveau courrier le 3 avril 2014,
- la défenderesse a de nouveau contesté les faits allégués et a entériné la rupture du contrat en considérant qu'elle produisait l'effet d'une démission,
- la position de la SAM A. a été confirmée par courrier du 21 mai 2014 lequel mentionnait que les documents sociaux de fin de contrat étaient à sa disposition,
- son employeur a tenté de la licencier dans un premier temps pour un motif fallacieux et devant le refus de la commission, l'a incitée à un départ volontaire, qu'elle a refusé de faire sans obtenir de justes et préalables indemnités,
- elle n'a pas multiplié les stratégies mais a peut-être été maladroite face à celle de la défenderesse,
- elle rapporte la preuve que la SAM A. ne lui a plus fourni de travail et l'a restreinte à des tâches étrangères à son poste,
- elle verse un relevé manuscrit de son travail, inventaire exhaustif, qui doit être lu avec le temps mis pour le réaliser,
- à titre d'exemple, le 6 septembre 2013, la récupération des pièces de destruction lui a procuré trois heures de travail sur la journée, les 9 et 10 septembre 2013, aucun travail ne lui a été fourni,
- cette situation est confirmée par les attestations de salariés de l'entreprise qui témoignent qu'après son passage devant la commission de licenciement, l'employeur ne lui confiait plus de travail et qu'elle passait ses journées à attendre qu'il lui en fourni,
- selon sa fiche de poste au département logistique, elle était chargée, avant le 20 mars 2013, du contrôle des dispos (commandes clients), des retours fournisseurs (retour des marchandises défectueuses en Asie), gestion des stocks destruction (trois stocks), retours de marchandises shop et airlines (déballer et contrôler les bijoux défectueux), poinçonnage des bijoux, réparation des bijoux (SAV),
- à la suite de son changement de département (produits), elle ne s'occupait plus que de réparations de bijoux (SAV), ce qui correspond à environ 10 pièces une fois par semaine, et des retours fournisseurs (refus dus aux dettes de la société),
- à son retour de maladie au mois de mars 2014, tous les outils nécessaires au bon accomplissement de son travail avaient été enlevés,
- dans l'intervalle, elle s'est vue confier de manière sporadique des missions tout à fait subalternes relevant normalement d'autres services notamment celui de la logistique comme l'inventaire de la destruction des montres, le reconditionnement de colliers, le comptage des perles, le collage des présentoirs et le changement de piles pour un « déstockiste »,
- bien que ces tâches ne correspondent pas à ses fonctions et à sa qualification, elle les a effectuées consciencieusement,
- il est vain pour l'employeur de soutenir que la faible charge de travail était liée à la baisse de l'activité de la société mise ensuite en cessation des paiements,
- si tel avait été le cas, la défenderesse pouvait la licencier pour motif économique,
- il ne peut lui être reproché de ne pas avoir pris acte immédiatement de la rupture alors qu'elle espérait encore que la SAM A. change de comportement et lui confie du travail,
- la rupture a été dans un premier temps considérée comme une démission par Pôle Emploi, ce qui l'a privée de ses indemnités chômage, tandis qu'elle est restée plusieurs mois sans ressources et a fini par trouver un travail alimentaire, en sorte qu'elle a subi un préjudice moral et financier.
En réponse, Christian BOISSON, ès-qualités de syndic de la liquidation des biens de la SAM A., soutient pour l'essentiel que :
- m. BO., initialement embauchée en qualité de bijoutière au sein du département produits, a exercé des fonctions de contrôleur qualité au sein du département logistique à compter du 1er mars 2010,
- la demanderesse avait pour mission de contrôler les produits de la société A. retournés par les fournisseurs et les clients ainsi que de procéder à leur réparation pour répondre à la charte qualité,
- à compter du 1er mars 2013, suite à une réorganisation des services, la salariée a été affectée au département marketing produits, ses fonctions de contrôleur qualité demeurant inchangées et sa fiche de poste identique,
- afin de lui permettre d'aller chercher sa fille à l'école, il a été accordé à la demanderesse des horaires aménagés différents de ceux de son service marketing produits,
- bien que disposant déjà d'horaires aménagés, la salariée a sollicité un aménagement temporaire de ses horaires de travail pour la semaine du 8 au 12 avril 2013, demande qui a été acceptée,
- au cours des semaines suivantes, son supérieur, Monsieur B., a constaté qu'elle avait pris l'habitude de modifier ses horaires de travail en fonction de ses impératifs personnels sans lui en référer préalablement,
- malgré des explications précisées apportées par Monsieur B. et son souhait exprimé de voir m. BO. appliquer strictement les horaires de travail, la demanderesse ne s'est pas conformée aux directives,
- la salariée tente vainement pour la première fois de justifier son défaut de respect des horaires par les conditions de circulation en Principauté,
- cet argument est dénué d'intérêt car il ne lui était pas reproché d'arriver régulièrement en retard mais d'avoir unilatéralement modifié ses horaires de travail en fonction de ses convenances,
- souhaitant dans ces circonstances mettre un terme au contrat de travail, elle a saisi la commission de licenciement pour obtenir l'autorisation de licencier la salariée,
- le 22 mai 2013, le licenciement a été refusé alors même que l'insubordination de m. BO. était clairement établie,
- la demanderesse, désirant quitter son emploi malgré sa réintégration immédiate, n'a eu de cesse d'user de manœuvres pour tenter de négocier son départ contre le versement de plusieurs mois de salaires,
- par courrier du 21 juin 2013, la salariée a affirmé que depuis la tenue de la commission de licenciement, elle ne se voyait plus confier aucun travail,
- par courrier du 27 juin 2013, elle a contesté les affirmations de m. BO. et a précisé que la réduction de son travail résultait d'une baisse de l'activité enregistrée depuis plusieurs mois dans l'entreprise,
- dans l'intervalle, la demanderesse a sollicité un entretien avec Monsieur W., président administrateur délégué, sans la justifier par une dégradation de ses conditions de travail, comme elle tente de le dire dans ses écritures,
- la salariée a été reçue le 8 juillet 2013 et a fait part de sa volonté de quitter l'entreprise,
- des discussions ont été entamées et Monsieur W. a relevé que compte tenu de l'historique du dossier et de la qualité de déléguée du personnel de l'intéressée, il devait se renseigner sur la légalité de l'accord, ce qui a pris un certain temps,
- en dépit de ces négociations et vérifications, m. BO. a adressé le 25 juillet 2013 un courrier dans lequel elle réitérait ses accusations de ne pas avoir de travail à effectuer,
- la demanderesse a dès lors été convoquée à un entretien par Monsieur W. le 30 juillet 2013, en présence de Madame GRANT et de Monsieur B.,
- à cette occasion, M. W. a avisé la salariée de son incompréhension quant la correspondance du 25 juillet 2013 et l'a informée de sa décision de ne plus poursuivre les négociations compte tenu de son attitude provocatrice,
- par courrier du 30 juillet 2013, m. BO. a accusé Monsieur W. d'intimidations et a prétendu que pendant l'entretien, il lui aurait été imposé de démissionner,
- la demanderesse lui a également demandé de reconsidérer sa position sur la rupture amiable sous peine de saisir la justice,
- par lettre du 8 août 2013, elle a contesté les termes de la dernière correspondance et a rappelé à la salariée ses missions en tant que contrôleur qualité,
- par courrier du 21 août 2013, m. BO. a répondu en prétendant que suite à ses demandes, un travail lui avait été confié la veille de ses congés, tout en reconnaissant avoir été à l'initiative des discussions sur un départ amiable,
- le 16 septembre 2013, un accord a été trouvé entre les parties sur la base d'un préavis de deux mois dont un effectif, d'un mois de salaire à titre d'indemnités, d'un mois de salaire à titre d'indemnité transactionnelle et d'une indemnité de congés payés,
- le 23 septembre 2013, un projet de protocole d'accord transactionnel a été remis à la demanderesse qui devait le soumettre à l'approbation de l'Inspection du Travail lors d'une réunion prévue le 30 septembre 2013,
- bien qu'ayant accepté cet accord, la salariée faisait volteface et ne se présentait pas à l'Inspection du Travail en estimant que les conditions de son départ n'étaient plus en adéquation avec ses prétentions financières,
- m. BO., qui n'obtenait pas gain de cause, a été placée en arrêt de travail du 24 septembre au 15 novembre 2013,
- suivant lettre de son conseil du 14 octobre 2013, la demanderesse a alors allégué que lors de la saisine de la commission de licenciement, il n'existait aucun motif valable à la rupture envisagée et que depuis, elle s'était vue confier des tâches subalternes ne correspondant pas à sa qualification,
- aux termes d'un courrier du 27 novembre 2013, elle a contesté cette position et a précisé qu'à son retour de maladie, la salariée bénéficierait des mêmes missions, celles-ci étant en tous points conformes au poste de contrôleur qualité,
- à compter du 2 janvier 2014, l'arrêt de travail a été renouvelé jusqu'au 14 mars 2014,
- par une correspondance du 3 avril 2014, le conseil de m. BO. a affirmé que depuis son retour d'arrêt maladie, cette dernière était plus que jamais « ostracisée » et se voyait confier des tâches sans lien avec ses fonctions, en relevant qu'elle ne se présenterait plus sur son lieu de travail et que le Tribunal du Travail serait saisi afin de dire et juger que la rupture du contrat est imputable à l'employeur,
- suivant lettre du 15 mai 2014, son conseil a contesté lesdites allégations et souligné que la demanderesse était à l'initiative de la rupture des relations contractuelles compte tenu de sa décision ne plus se présenter sur son lieu de travail,
- il appartient à la salariée de démontrer la modification substantielle du contrat de travail qu'elle invoque, ce qu'elle ne fait pas en l'espèce,
- la prise d'acte de la rupture du fait d'un tel changement n'est que l'ultime stade de la stratégie menée par la demanderesse, ainsi qu'il résulte de la chronologie des faits,
- m. BO. a souhaité la cessation des relations contractuelles et se sentant en position de force suite à l'avis de la commission de licenciement, elle n'a eu de cesse que d'user de manœuvres pour lui imposer son départ de l'entreprise à ses propres conditions,
- la demanderesse est mal fondée à soutenir l'absence de travail, compte tenu de l'importante baisse d'activité de l'entreprise (rappelée par le courrier du 27 juin 2013), alors que la date de cessation des paiements a été fixée judiciairement au 30 juin 2013,
- suite à l'entretien du 8 juillet 2013 au cours duquel la salariée a fait part de sa volonté de quitter l'entreprise et à l'accord de Monsieur W. pour engager des discussions, m. BO. n'a pas hésité, malgré un accord informel des parties, à adresser un nouveau courrier le 25 juillet 2013 pour se plaindre de ce qu'elle n'aurait aucun travail à effectuer, avec pour unique but d'accentuer la pression afin qu'il accepte ses demandes financières disproportionnées,
- après l'entretien du 30 juillet 2013 au cours duquel il a été indiqué à la demanderesse la fin des négociations amiables compte tenu de son comportement, la salariée a, le jour même, accusé Monsieur W. de lui avoir ordonné de démissionner en lui suggérant de reconsidérer sa position sur sa demande de rupture amiable,
- or, il n'a jamais été sollicité la démission de l'intéressée mais simplement une feuille et un crayon lui ont été tendus pour qu'elle fasse part de ses souhaits ainsi que de ses suggestions après qu'un certain nombre de nouvelles tâches ait été proposé ainsi qu'il ressort de la correspondance du 8 août 2013,
- la détermination de m. BO. à la voir céder à son chantage l'a conduit à adresser une nouvelle correspondance le 21 août 2013 aux termes de laquelle elle mentionne que suite à ses demandes, un travail lui a finalement été confié la veille de ses congés sans démontrer qu'elle aurait été dans l'impossibilité de l'effectuer,
- en tout état de cause, cette demande ne saurait être assimilée à une mesure d'ostracisme, l'activité de l'entreprise ne pouvant être calquée sur le planning de la demanderesse,
- par « sms » du 20 septembre 2013, la salariée a elle-même reconnu que l'absence de travail confié ne relevait pas d'une quelconque faute mais était le résultat de la baisse d'activité de l'entreprise,
- dans son mail du 23 novembre 2013, Monsieur W. a noté le comportement déstabilisant de m. BO.,
- la demanderesse n'établit pas que les autres employés auraient eu une charge de travail supérieure à la sienne,
- la salariée avait conscience de cette baisse d'activité ainsi qu'il ressort de son courrier du 21 juin 2013 mentionnant qu'elle espérait que sa prétendue absence de travail était en corrélation avec la réduction importante de l'activité de l'entreprise et non la résultante de la décision de la commission de licenciement,
- m. BO. s'est attelée à créer un conflit artificiel qui serait la conséquence de l'avis défavorable de cette commission pour négocier à son avantage son départ,
- le listing des tâches établi par la demanderesse ne peut être pris en compte par le Tribunal dès lors que ses indications manuscrites ont été établies de manière erronée et délibérée pour les besoins de la cause,
- par exemple, le 10 septembre 2013, la salariée n'aurait eu aucune mission à réaliser, ce qui est contredit par les échanges de courriers électroniques qu'elle produit elle-même,
- le 21 mars 2014, alors qu'elle allègue également une absence de travail, m. BO. a réalisé un tableau de retours fournisseurs, comme elle le précise elle-même dans son mal,
- les attestations de Madame K. et de Monsieur C. ne peuvent être analysées car elles émanent d'anciens salariés de la société, en représailles à leur licenciement pour cessation d'activité,
- en outre, le service comptabilité où ces derniers travaillaient n'était pas à proximité du service marketing produits et aucun fait précis n'y est décrit,
- la parfaite similitude entre ces deux témoignages ne peut susciter que des réserves sur la véracité des faits relatés, qui sont orientés pour les besoins de la cause,
- les photographies produites censées représenter le bureau de m. BO. vide de fourniture ne peuvent être retenues dans la mesure où le lieu et la date de leur prise ne sont pas vérifiables,
- au demeurant, elles ne renseignent pas sur l'absence de travail car elles ne sont pas comparées avec un bureau en pleine activité,
- l'allégation de tâches subalternes confiées est en contradiction avec celle d'absence de toute mission,
- cette affirmation a été formulée pour la première par le conseil de la demanderesse le 14 octobre 2013 et ce afin de prétendre que ce cantonnement à des tâches subalternes (non démontrées) serait assimilable à une modification substantielle du contrat de travail nécessitant un accord préalable,
- les missions confiées ont toujours été en parfaite adéquation avec le poste de contrôleur qualité,
- la seule nouvelle tâche consistant à faire un inventaire des pièces détachées des bijoux et montres pour le responsable qualité et la bijouterie n'avait pour but que de compenser la faible charge de travail de l'intéressée résultant de la baisse d'activité et de répondre à ses demandes,
- m. BO. reconnaît dans ses écritures avoir pris l'initiative d'accomplir une mission ne relevant pas de ses fonctions tout en affirmant dans un second temps qu'elle lui a été imposée par son employeur (saisie du prix des perles),
- il ne peut dès lors être sérieusement contesté que lorsque la demanderesse effectuait une tâche ne relevant pas de ses fonctions, cette circonstance ne résultait pas d'une intention malveillante mais de sa seule initiative,
- la salariée soutient pour la première fois dans la présente instance, sans en rapporter la preuve, qu'à son retour de maladie en mars 2014, l'employeur lui aurait retiré ses outils de travail et sa messagerie professionnelle,
- son changement de département est intervenu deux mois avant la saisine de la commission de licenciement, en sorte qu'il ne peut être soutenu qu'il s'agirait d'une mesure de rétorsion,
- les échanges de courriels entre m. BO. et sa hiérarchie ou ses collègues (notamment 10 septembre 2013, 21 mars 2014, 5 avril, 7, 8 et 17 mai 2013) n'établissent pas une modification importante de ses tâches mais traduisent une poursuite normale de l'activité conformément à la mission confiée,
- la prise d'acte de la rupture est intervenue 7 mois après le courrier du conseil de la demanderesse du 14 octobre 2013 faisant état d'une modification substantielle du contrat de travail,
- or, la prise d'acte constate une situation empêchant la poursuite de la relation contractuelle et doit être concomitante à l'élément fautif allégué,
- en réalité, la salariée a, dans l'intervalle, tenté de négocier et a toujours été à l'initiative des tractations afin d'obtenir son licenciement qui serait qualifié de départ amiable,
- la prise d'acte de la rupture par m. BO. n'est motivée par aucun manquement de sa part et porte ainsi les effets d'une démission,
- si le Tribunal devait considérer que la prise d'acte s'analyse en un licenciement, les demandes ne pourront être accueillies puisque la salariée ne produit aucun justificatif de recherche d'emploi, ne communique aucun élément sur sa situation financière actuelle, ne craint pas d'affirmer que cette situation conflictuelle a eu un effet néfaste sur son équilibre psychologique et ne démontre pas que ses arrêts maladie auraient été liés à la relation de travail.
SUR QUOI,
En application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, chaque partie au contrat de travail à durée indéterminée dispose d'un droit de rupture unilatérale.
Le salarié peut donc librement mettre fin au contrat de travail en démissionnant de son emploi.
Le fait pour le salarié d'imputer à l'employeur la responsabilité de la rupture des relations contractuelles, tout en prenant l'initiative, ne constitue pas l'expression claire et non équivoque de son intention de démissionner, quand bien même les griefs exprimés ne seraient pas fondés. (TPI, 25 janvier 2007, Société V c/ RC).
Pour autant, le salarié, qui soutient que la cessation des relations contractuelles s'analyse en un licenciement en raison du comportement fautif de l'employeur, doit rapporter la preuve que la rupture résulte du non-respect par ce dernier de ses obligations substantielles, qui a rendu impossible la poursuite du contrat de travail (TT, 31 mai 2007, KS c/ Société C confirmé par TPI, 5 février 2009).
Il résulte à suffisance de la correspondance du conseil de m. BO. en date du 3 avril 2014 que celle-ci a pris l'initiative de la rupture du contrat de travail mais en a imputé la responsabilité à la SAM A., en soutenant qu'elle devait être qualifiée de licenciement.
Les deux témoignages (anciens salariés présents dans l'entreprise de juillet 2008/juin 2010 à juillet 2013) versés aux débats par la demanderesse, dont les termes sont proches mais non identiques, sont concordants pour établir que suite au refus de la commission de licenciement d'autoriser le congédiement de la salariée (22 mai 2010), son activité s'est considérablement réduite pour devenir nulle au point que l'intéressée pouvait attendre que lui soit confié du travail (faits décrits suffisamment précis et datés), peu important que la charge des autres employés ne soit pas démontrée.
Ces attestations ne sont contredites par aucun élément probant produit par la défenderesse, qui se contente de remettre en cause l'impartialité des témoins au motif de représailles suite au licenciement ou de leur localisation dans l'entreprise, sans fournir la moindre pièce susceptible d'étayer de telles affirmations.
Les mails échangés avant et après la saisine de la commission de licenciement ne permettent nullement d'estimer, ainsi que le soutient l'employeur, que la quantité de travail (indépendamment de la nature des missions confiées) fournie à la demanderesse aurait été parfaitement normale dans le contexte de la baisse générale d'activité de l'entreprise (le SMS du 20 septembre 2013 ne constituant aucune reconnaissance à cet égard), bien que les photographies du bureau de m. BO. (sa pièce n° 58) ou le listing de tâches établi par ses soins (sa pièce n° 59) soient effectivement sans portée particulière.
En outre, le Tribunal ne peut que constater que la question des horaires n'a donné lieu qu'à un rappel de ses obligations à la salariée par Fabrice B. par courriel du 24 avril 2013 et qu'aucune sanction disciplinaire intermédiaire (en adéquation avec la nature de la faute éventuelle et l'absence d'antécédent en 4 années et demi de travail dans la société) n'a été envisagée avant la saisine de la commission de licenciement, dans un contexte où l'entreprise rencontrait des difficultés économiques.
Dans ces conditions, il apparaît que l'employeur a manqué à l'obligation essentielle de fourniture de travail à son employée des suites de l'impossibilité de procéder au licenciement - pour des fautes vénielles, en l'absence de l'autorisation légale requise pour un délégué du personnel. Cette méconnaissance des obligations contractuelles empêchait la poursuite normale du contrat de travail, ce qui a d'ailleurs justifié que la demanderesse propose une rupture amiable.
Ces éléments (indépendamment des faits de mars 2014 qui ne sont pas prouvés) permettent en conséquence de considérer que la rupture du contrat de travail est imputable au comportement de la SAM A. et doit s'analyser en un licenciement, tandis que le droit positif monégasque n'impose aucunement que l'attitude fautive de l'employeur soit concomitante à la décision du salarié de prendre l'initiative de la cessation des relations contractuelles, étant relevé en l'espèce que le temps qui a couru entre les faits litigieux s'explique par les négociations menées entre les parties et les arrêts de travail prescrits par le médecin de m. BO. (dont il n'est pas démontré qu'ils auraient été injustifiés).
De plus, le licenciement n'est fondé sur aucun motif valable dans la mesure où :
- les fautes éventuelles qui ont été à l'origine de la saisine de la commission de licenciement ne sont pas établies et ne justifiaient aucunement un congédiement,
- aucun reproche ne peut être formulé à l'égard des positions prises par la demanderesse lors des négociations en vue d'une rupture amiable, dès lors qu'elle pouvait légitiment défendre ses intérêts après avoir été « placardisée » des suites de la décision protectrice de la commission de licenciement, laquelle n'a pas entendu faire droit à l'argumentation injustifiée de la défenderesse sur la question des horaires ou même de la motivation de l'intéressée,
- en sorte que la créance de la salariée au titre de l'indemnité de licenciement est fondée à hauteur de la somme réclamée de 1.593,67/25 x 66 = 4.207,28 euros.
Par ailleurs, l'attitude de la SAM A. révèle une véritable intention de nuire pour les motifs susévoqués qui constitue indéniablement un abus. Si aucune pièce n'est fournie pour démontrer la réalité du préjudice financier (date de la signature du nouveau contrat de travail), le préjudice moral subi par m. BO. durant de nombreux mois pour faire face à l'attitude déloyale de son employeur qui a été le premier à mettre en œuvre une stratégie pour se séparer des services de l'intéressée à moindre coût justifie la fixation de la créance à la somme de 25.000 euros au titre des dommages et intérêts.
La SAM A., qui succombe, doit supporter les dépens du présent jugement qui seront employés en frais privilégiés de liquidation des biens.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, après en avoir délibéré,
Dit que la rupture du contrat de travail ayant lié m. BO. à la société anonyme monégasque A. s'analyse en un licenciement ;
Dit que le licenciement de m. BO. par la société anonyme monégasque A. n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif ;
Fixe à la somme de 4.207,28 euros (quatre mille deux cent sept euros et vingt-huit centimes) l'indemnité de licenciement due par la société anonyme monégasque A. à m. BO. ;
Fixe à la somme de 25.000 euros (vingt-cinq mille euros) le montant des dommages et intérêts dus par la société anonyme monégasque A. à m. BO. ;
Condamne la société anonyme monégasque A. aux dépens du présent jugement, qui seront employés en frais privilégiés de liquidation des biens ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Daniel CAVASSINO, Alain GALLO, membres employeurs, Messieurs Lionel RAUT, Pascal GARRIGUES, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le dix-sept décembre deux mille quinze, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Alain GALLO, Lionel RAUT et Pascal GARRIGUES, Monsieur Daniel CAVASSINO étant empêché, assistés de Mademoiselle Sylvie DA SILVA ALVES, Secrétaire-Adjoint.