Tribunal du travail, 16 juillet 2015, Monsieur m. PI. c/ La Société A

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Abstract🔗

Contrat de travail - Licenciement pour motif économique - Validité du motif de la rupture (non) - Caractère abusif de la rupture (oui) - Préjudice financier et moral - Dommages et intérêts = 60 000 euros

Résumé🔗

Le salarié, employé en qualité de Directeur Développement marchés Europe du Sud, a été licencié en raison de la suppression de son poste. En l'absence de tout élément relatif à la menace qui pesait sur la compétitivité du groupe, ou au moins sur celle de la structure monégasque, justifiant la suppression de ce poste six mois après l'embauche, le Tribunal estime que n'existe aucun motif valable de rupture. Il résulte des circonstances de l'espèce que le motif réel de la rupture ne réside pas dans une prétendue restructuration de la société mais dans la volonté du groupe de ne pas conserver le salarié en qualité de Directeur commercial Italie pour le remplacer par un tiers, en utilisant le prétexte de l'existence d'une personnalité juridique distincte en Italie. L'employeur a abusé de son droit unilatéral de rupture en invoquant un faux motif de licenciement, dépourvu de toute considération économique. Cet abus a occasionné au salarié un préjudice moral lié à la perte de son emploi sous un prétexte fallacieux et au manque de considération de l'employeur en dépit de son important niveau de responsabilités et de rémunération, ainsi qu'un préjudice financier et moral lié à la nécessité d'avoir eu à quitter sa région d'origine avec sa famille pour une période finalement courte qui ne pouvait être anticipée. En réparation de l'ensemble des préjudices subis, le Tribunal alloue au salarié la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts.


Motifs🔗

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 16 JUILLET 2015

En la cause de :

  • Monsieur m. PI., demeurant : Viale X1 à MILAN - Italie (20122),

DEMANDEUR, plaidant par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Étude,

d'une part ;

Contre :

  • La société anonyme monégasque A, dont le siège social se situe : X2 à MONACO (98000),

DÉFENDERESSE, plaidant par Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Étude,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 29 avril 2013, reçue le 14 mai 2013 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 29 octobre 2013 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Monsieur m. PI., en date des 5 décembre 2013, 3 avril 2014, 2 octobre 2014 et 6 mars 2015 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque A, en date des 6 février 2014, 10 juillet 2014, 5 février 2015 et 10 avril 2015 ;

Après avoir entendu Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour Monsieur m. PI., et Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour la société anonyme monégasque A, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

m. PI. a été employé par la société anonyme monégasque A, suivant contrat à durée indéterminée, à compter du 1er novembre 2011, en qualité de Directeur Développement marchés Europe du Sud.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 2 mai 2012, celui-ci s'est vu notifier son licenciement pour suppression de poste et par une lettre remise en mains propres le même jour, a été dispensé de présence et d'exécution de son préavis de trois mois.

Soutenant que la rupture de son contrat de travail n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif, m. PI. a, ensuite d'un procès-verbal de défaut en date du 28 octobre 2013, attrait la SAM A devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes suivantes :

  • - 170.000 euros à titre de dommages-intérêts,

  • - 55.000 euros en remboursement des frais qu'il a avancés pour avoir été contraint de s'installer en Principauté de Monaco afin d'exercer ses fonctions.

À l'appui de ses prétentions, m. PI. fait valoir que :

  • - d'abord embauché par la société A ITALIE le 2 juillet 2011, au poste de Directeur commercial secteur Italie, son contrat de travail prévoyait qu'il exercerait ses fonctions en Italie et plus particulièrement en Lombardie,

  • - il avait pour objectif de rechercher des locaux dans cette zone géographique (Milan) pour installer les nouveaux bureaux du groupe A ITALIE afin de créer et développer une filiale italienne pour commercialiser les fruits et légumes de la marque A ITALIE,

  • - le 28 octobre 2011, le groupe A ITALIE lui a expliqué qu'en raison de contraintes fiscales, son lieu de travail serait prochainement transféré en Principauté de Monaco, sans qu'une alternative ne lui soit proposée,

  • - le 1er novembre 2011, son contrat de travail avec la société A ITALIE a pris fin et il a immédiatement été recruté par la SAM A,

  • - le courrier de rupture du contrat de travail avec la société italienne faisait état de l'embauche par la société monégasque et du fait qu'il exercerait les mêmes fonctions à savoir Directeur commercial secteur Italie pour le groupe A ITALIE,

  • - muté à Monaco dès le 1er novembre 2011, il a dû déménager subitement alors que sa fille venait de naître,

  • - il a été contraint de rechercher un appartement, d'acheter du mobilier et de régler les formalités administratives, sa famille demeurant en Italie,

  • - bien que ses fonctions en Principauté soient les mêmes que celles exercées à Milan, l'intitulé de son poste a été modifié par la défenderesse pour devenir « Directeur Développement marchés Europe du Sud », étant souligné que chaque pays de l'Europe du Sud possède sa propre filiale pour commercialiser les produits A ITALIE : A ITALIE Espagne, A ITALIE France etc.,

  • - en mars 2012, il a appris par ses supérieurs que le groupe A ITALIE avait changé d'avis et que sa mutation avec retour vers l'Italie était envisageable,

  • - sans aucun préavis, il a été congédié le 2 mai 2012 dans des conditions humiliantes,

  • - son licenciement lui a été notifié vers 18 heures au prétexte que la SAM A devait subir une restructuration et supprimer le poste qu'il occupait,

  • - il n'a pas pu saluer ses clients et ses collaborateurs, tandis qu'il lui a été demandé de quitter l'entreprise sur le champ et de laisser ses outils de travail comme son téléphone portable et son ordinateur,

  • - son départ précipité a été mal interprété (faute professionnelle grave),

  • - sa carrière qu'il avait mis quinze ans à construire s'est écroulée en quelques minutes alors qu'il travaillait déjà dans la commercialisation des fruits et légumes chez la société B, concurrent de la société A ITALIE,

  • - l'information de la rupture de son contrat de travail a été rapidement évoquée dans les médias et sa brutalité a eu des répercussions très négatives,

  • - le 8 mai 2012, soit moins d'une semaine après son licenciement, il a appris que Piero CA. avait été embauché par la SRL A ITALIE appartenant au groupe A, en qualité de Directeur commercial secteur Italie,

  • - comme lui auparavant, Piero CA. est devenu le subordonné de Danny D., Vice- Président Opération (fresh) Europe et Afrique, et devait donc rendre compte des résultats des opérations effectuées en Italie,

  • - à partir de cette date, Piero CA. a exécuté les mêmes tâches et occupait son ancien bureau à Monaco,

  • - en août 2012, Piero CA. a été muté à Milan dans des locaux proches de ceux qu'il avait ouverts et a bénéficié de la clientèle italienne qu'il avait lui-même précédemment créée et développée,

  • - son licenciement ne repose sur aucun motif sérieux et revêt un caractère abusif,

  • - il a été recruté par la SRL A ITALIE pour créer et développer la distribution de produits frais de sa marque sur le secteur italien, qui étaient antérieurement distribués par la marque C avec laquelle le partenariat devait prendre fin en 2011, ce qu'admet la société défenderesse dans ses écritures,

  • - l'argumentation de l'employeur selon laquelle la société A ITALIE l'aurait embauché avant de s'apercevoir qu'elle n'avait pas de bureaux ni de salariés pour démarrer l'activité en Italie, ce qui l'aurait contrainte à le licencier, n'est pas sérieux puisqu'il avait été justement recruté pour rechercher des locaux, installer les bureaux et créer, avec de nouveaux collaborateurs, une filiale italienne,

  • - ses fonctions n'ont pas été étendues et ce sont des raisons fiscales, et non pas de logistique, qui l'ont contraint à exécuter son travail à Monaco où sa mission n'a pas été modifiée,

  • - si la SAM A ne justifie pas de ses dires sur ce point, il produit pour sa part une série de courriers électroniques échangés avec Madame CH. du groupe A, qui démontre qu'il lui avait été confié la recherche de locaux, ainsi que des mails échangés avec des connaissances du secteur commercial qui établissent qu'il était chargé de recruter une équipe,

  • - le groupe A avait d'ailleurs commencé à partir du 31 juillet 2011 à publier des offres d'emploi pour cette filiale italienne sur internet, ces éléments étant confirmés par le jugement du Tribunal italien du 15 janvier 2014 devant lequel la société A ITALIE avait confirmé sa mission de regroupement des collaborateurs sur Milan (cette décision ne l'a pas opposé à la SAM A mais uniquement à la SRL A ITALIE et n'a traité que du conflit relatif aux négociations contractuelles avec la société italienne et non du licenciement prétendument économique, objet de la présente instance),

  • - il n'a pas existé de filiale A FOOD chargée des ventes de tous les pays d'Europe du Sud,

  • - ses fonctions à Monaco étaient identiques à celle exercées en Italie, ainsi que le montre le courrier du groupe A du 28 octobre 2011,

  • - son numéro de téléphone portable était un numéro italien pour joindre plus facilement la clientèle italienne,

  • - il n'a toujours voyagé qu'en Italie, son déplacement à Miami étant destiné à se rendre au siège mondial du groupe A,

  • - des articles de presse prouvent qu'il n'a exercé ses missions que sur le secteur Italie,

  • - aucun document interne n'évoque de secteur Europe du Sud, chaque pays d'Europe du Sud disposant de son propre directeur commercial qui rend compte à Danny D.,

  • - il en ressort ainsi une continuité de ses fonctions, malgré le changement d'intitulé de son poste, tandis que la défenderesse ne justifie pas qu'il aurait été en charge des ventes en Slovénie, Serbie, Croatie, Grèce,

  • - il est faux de prétendre qu'il avait le choix de partir travailler à Monaco puisque s'il avait pu, il serait resté auprès de sa famille en Italie,

  • - le courrier du 28 octobre 2011 fait état d'exigences incompressibles liées à l'entreprise,

  • - l'employeur ne peut pas affirmer qu'il lui aurait été conseillé de rester sur le territoire italien à la frontière, alors que le responsable des ressources humaines lui a adressé des courriers électroniques contenant des annonces le 27 septembre 2011 et que la SAM A lui a consenti un prêt de 13.000 euros pour faire face aux difficultés financières rencontrées par son installation en Principauté,

  • - l'exemple de Monsieur PO. n'est pas probant car celui-ci réside à LOANO, soit à moins d'une heure de Monaco,

  • - il était quant à lui basé à 300 kilomètres (à Milan) ce qui était incompatible avec des allers retours quotidiens,

  • - les échanges entre le responsable de la SAM A et le cabinet de recrutement D pour démontrer que son transfert n'était pas planifié et résultait d'un concours de circonstances sont inopérants dès lors qu'ils datent de novembre 2010, soit à une époque où il ne travaillait même pas pour la SRL A ITALIE,

  • - son salaire n'a pas été augmenté de 2.500 euros par mois mais de 1.700 euros par mois après son transfert en Principauté, cette augmentation n'ayant été perçue que durant six mois,

  • - il avait parfaitement conscience qu'en venant à Monaco, il exposerait des frais conséquents supplémentaires (dont 3.300 euros par mois de loyer sur une durée minimale d'une année) que ne compensait pas l'augmentation de 1.700 euros,

  • - en tout état de cause, le groupe A lui avait expliqué que s'il n'acceptait pas ce nouveau poste, il serait licencié,

  • - le coût de son installation en Principauté (frais de location d'appartement, parking, assurances, frais d'agence, internet, électricité) doit être supporté par la SAM A, la somme réclamée de 55.000 euros étant justifiée,

  • - son déplacement a également doublé les frais du ménage puisque sa famille a dû, dans un premier temps, demeurer en Italie avant de le rejoindre en mars 2012 (carte de résident de sa compagne qui comporte la même adresse que la sienne, enfant à peine né dont il devait préparer la venue),

  • - si l'employeur dispose du droit de rompre le contrat de travail en cas de restructuration de l'entreprise, ce doit est encadré par la jurisprudence et est susceptible de dériver en abus, notamment en cas de recrutement d'un nouvel employé pour occuper le même poste, ce qui a été le cas en l'espèce avec l'embauche de Piero CA. en qualité de Directeur commercial (produits frais) Italie qui exerçait strictement les mêmes fonctions d'abord dans son bureau à Monaco puis à Milan,

  • - leurs cartes de visite professionnelles portaient le même numéro de cellulaire italien et le même numéro de ligne fixe directe monégasque,

  • - ses courriels ont été transférés vers la boite mail de Piero CA. (témoignage de m. ME.),

  • - une cliente italienne atteste également que les relations commerciales qu'il suivait ont été reprises par Piero CA., et les médias ont relayé ce remplacement,

  • - fiscalement au moins, Piero CA. a forcément travaillé pour la société monégasque entre le 9 mai 2012, date de son embauche, et le 22 août 2012, date d'ouverture des bureaux en Italie, si bien que son poste a immédiatement été pourvu même si la défenderesse affirme que Piero CA. a été embauché par la SRL A ITALIE,

  • - en pratique c'est le groupe A qui gère les embauches afin d'échapper aux lois sociales de chaque pays,

  • - l'employeur ne peut justifier de la suppression de poste à défaut de documents attestant de sa situation économique difficile l'ayant conduit à restructurer,

  • - il a été humilié devant ses collègues et clients en devant quitter les locaux sur le champ,

  • - la SAM A a porté atteinte à sa réputation à la suite de rumeurs et il a eu les plus grandes difficultés à renouer avec la clientèle et à conclure de nouveaux contrats de commercialisation,

  • - il est erroné de prétendre qu'il savait depuis le mois de mars 2012 qu'il ne resterait pas dans l'entreprise car la pièce n° 10 de la défenderesse, qui fait état d'un retour en juin-juillet, se réfère en réalité à une mutation de retour vers l'Italie sans que son contrat de travail ne soit rompu,

  • - s'il avait eu connaissance du licenciement à venir, il ne se serait pas inquiété auprès de son employeur des conséquences fiscales de son futur retour en Italie,

  • - sa demande de dommages-intérêts ne doit pas uniquement prendre en compte le temps passé au sein de la SAM A mais aussi le poste qu'il a dû quitter pour intégrer le groupe A, la fonction qu'il occupait chez la défenderesse, la façon abusive dont il a été congédié, les motifs fallacieux et injustifiés de la rupture ainsi les frais d'avocat-défenseur et de traduction assermentée qu'il a dû assumer pour faire valoir ses droits en justice.

  • En réponse, la SAM A sollicite la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et soutient pour l'essentiel que :

  • - le groupe A est un groupe américain dont la principale activité est la production et la commercialisation de produits agro-alimentaires notamment de fruits tropicaux frais,

  • - il est présent dans la plupart des pays d'Europe au travers de sociétés de commercialisation,

  • - dans les pays d'Europe du Sud y compris l'Italie, les produits étaient distribués exclusivement par la société C, ce partenariat ayant pris fin en 2011,

  • - la direction de la SRL A ITALIE avait décidé de ne pas activer cette entité et de confier la responsabilité du secteur Italie au Directeur Développement Europe du Sud qui comprend aussi les Balkans et la Grèce,

  • - en 2010, afin de pourvoir ce poste, une publication avait été faite avec l'aide du cabinet de recrutement D,

  • - il ressort des échanges avec ce cabinet des 19 novembre 2010 et 29 novembre 2010 que m. PI. avait postulé pour occuper l'emploi à pourvoir à Monaco et qu'il y avait plusieurs candidats,

  • - les raisons de la création d'un poste à Monaco étaient commerciales, logistiques, structurelles, comptables et fiscales (contentieux affectant la société A FOOD Italie, gagné depuis lors), même si aucun recrutement n'a d'abord été effectué,

  • - le demandeur a été embauché en juillet 2011, en qualité de Directeur commercial de la société A Italie (salaire annuel de 170.000 euros payé sur 14 mois, soit 14.166,66 euros par mois), et devait procéder dans un premier temps à la mise en place d'une équipe et à la recherche de bureaux en vue de la commercialisation des produits frais à partir du 1er janvier 2012 (fonctions n'ayant duré en réalité que trois mois),

  • - le groupe A a finalement changé de stratégie et a décidé de regrouper les activités Europe du Sud à Monaco, comme il l'avait initialement envisagé,

  • - il a été proposé à m. PI. de travailler au sein de la structure monégasque au poste de Directeur Développement marchés Europe du Sud qui engloberait l'Italie, ce que celui-ci a accepté (responsabilités plus importantes et conditions salariales plus avantageuses),

  • - la SRL A ITALIE étant une entité juridiquement distincte, le salarié a démissionné de son poste en Italie avec établissement d'un solde de tout compte et paiement des indemnités dues,

  • - par courrier du 27 octobre 2011, elle a confirmé à m. PI. son embauche par un nouveau contrat de travail en qualité de Directeur Développement marchés Europe du Sud, à compter du 1er novembre 2011, moyennant un salaire annuel brut de 200.000 euros, soit 16.666,66 euros bruts par mois (augmentation de salaire de 2.500 euros par mois),

  • - les articles de presse ne démontrent nullement une continuité dans l'exécution du travail depuis le 2 juillet 2011, dès lors qu'ils mentionnent le groupe A et jamais la société monégasque,

  • - compte tenu du coût élevé du logement en Principauté et des délais pour obtenir une carte de séjour, il a été vivement conseillé au demandeur de s'installer en Italie à la frontière franco-italienne ou à la rigueur en France,

  • - les fonctions plus étendues du salarié couvrant l'activité commerciale sur toute l'Europe du Sud y compris l'Italie, elles n'étaient pas les mêmes en Italie et à Monaco (l'Europe du Sud comprenait la Slovénie, la Serbie, la Croatie, la Grèce...),

  • - les tâches à Monaco nécessitaient des compétences en marketing, ce qui n'est pas le cas des Directeurs commerciaux des secteurs France, Espagne et Portugal, qui n'ont que des attributions commerciales,

  • - dans le cadre de la restructuration du département ventes Europe du Sud, elle a été contrainte de supprimer le poste de m. PI. et de procéder à son licenciement le 2 mai 2012,

  • - l'employeur ne peut être tenu de conserver indéfiniment un salarié dès lors que son poste n'est plus utile à l'organisation du travail et ne correspond plus aux besoins, le propre d'une entreprise étant d'être compétitive et rentable dans le contexte d'une économie mondialisée,

  • - il est faux de soutenir que Piero CA. aurait été embauché pour exercer les mêmes fonctions et occuper le bureau en Principauté, puisque celui-ci a été recruté le 9 mai 2012 par la SRL A ITALIE pour gérer les nouveaux bureaux ouverts à Milan,

  • - Piero CA. n'a jamais occupé l'emploi du demandeur à Monaco et aucune embauche n'a eu lieu pour le remplacer, comme l'atteste Georges VERDINO, comptable,

  • - m. PI. reconnaît lui-même que la SRL A ITALIE et la SAM A sont des entités juridiquement distinctes, si bien qu'elle ne saurait être responsable des embauches effectuées en Italie,

  • - le poste de Directeur commercial Italie a été attribué à Piero CA. et non au salarié, ce qui relève d'une décision des organes de direction de la société italienne,

  • - en janvier 2012, elle a recruté un commercial manager pour assister le demandeur,

  • - en mai 2012, à la signature du bail des locaux en Italie au nom de la SRL A ITALIE, Monsieur PO. a démissionné de son poste monégasque puis a été embauché par la société italienne,

  • - il n'a pas été imposé à m. PI. d'accepter le poste à Monaco et encore moins de s'y installer,

  • - l'emploi a été jugé attractif (augmentation de salaire) mais le salarié, qui était libre de décider de son lieu d'habitation (un autre collaborateur, Monsieur PO., est domicilié en Italie), a choisi de s'établir en Principauté pour des raisons fiscales (exonération d'impôts),

  • - lors de son embauche, le demandeur était résident en France à La Turbie,

  • - m. PI. ne produit aucun document attestant de ce que sa « famille » l'aurait rejoint à Monaco, ni de ce que son épouse aurait démissionné de son poste (dans les formalités d'embauche, l'intéressé s'est déclaré célibataire et père d'une enfant dénommée Vittoria résidant avec sa mère à Milan),

  • - m. PI. sollicite le remboursement de la somme de 55.000 euros correspondant aux frais de son installation en Principauté, cette demande étant totalement infondée et injustifiée,

  • - il n'a jamais été convenu que l'augmentation de salaire avait vocation à couvrir les frais d'installation,

  • - elle n'a pas pour habitude de prendre en charge les frais de logement de ses employés, tandis que la rémunération du demandeur lui permettait de faire face à ses frais de logement même à Monaco, ce dernier ayant même un prêt de 13.000 euros pour faire face à un manque de trésorerie qui a été remboursé,

  • - c'est en dénaturant les faits que m. PI. prétend qu'il devrait bénéficier d'une ancienneté supérieure compte tenu de ses fonctions précédentes dans la société italienne (situation décidée par les parties et droits de chacun soldés),

  • - les allégations du salarié sur le caractère brutal de la rupture ne sont étayées par aucun élément probant,

  • - au mois de mars 2012, le demandeur savait qu'il ne resterait pas salarié à Monaco, (échange de courriers électroniques entre Jean-Philippe CHLOUS, directeur des ressources humaines, et m. PI. du 20 mars 2012 dans lequel ce dernier, parfaitement informé de son départ prochain de la Principauté, s'inquiétait des conséquences financières et fiscales de son retour en Italie au vu des revenus importants perçus à Monaco et des frais qu'il avait engagés),

  • - le salarié a bénéficié de trois mois de préavis au lieu d'un mois et a été dispensé de présence durant ce temps,

  • - la demande de dommages-intérêts est fantaisiste dans son montant, puisque le demandeur n'a été salarié que six mois, a été licencié pour un motif dont il était parfaitement informé, a bénéficié d'un entretien préalable, a reçu une lettre recommandée, a perçu les indemnités légales dues (soit 58.985,40 euros selon le solde de tout compte plus la somme de 7.000 euros qui lui avait été avancée) et a pu saluer ses collaborateurs,

  • - elle ne peut être tenue du fait que m. PI. a quitté de son plein gré la société CHIQUIRA puis la SRL A ITALIE,

  • - il est intéressant de relever que le salarié avait saisi les juridictions italiennes pour obtenir la condamnation de la SRL A ITALIE à lui payer la somme de 610.214 euros à titre de dommages-intérêts du fait de son licenciement par la société monégasque, a été intégralement débouté de ses demandes tendant notamment à contraindre la SRL A ITALIE à l'embaucher suite à son licenciement par la SAM A et a été condamné à payer la somme de 3.500 euros à titre de dommages-intérêts à la SRL A ITALIE,

  • - les allégations fallacieuses du demandeur ont pour but de tenter de porter atteinte à son image, comme il a tenté de le faire en Italie.

SUR QUOI,

Il incombe à l'employeur, qui a la charge de la preuve de la réalité et la validité du motif économique de licenciement, de démontrer par des éléments objectifs susceptibles de vérification par le Tribunal que la rupture était fondée sur un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise.

À cet égard, l'employeur, membre d'un groupe de sociétés, doit matériellement établir la nécessité économique de la restructuration - difficultés économiques ou sauvegarde de la compétitivité - dans le secteur d'activité du groupe auquel il appartient.

En l'espèce, force est de constater que la SAM A ne fournit pas le moindre élément (notamment pièces comptables ou données relatives au marché litigieux) relatif à la menace qui pesait sur la compétitivité du groupe, ni même sur celle de la structure monégasque, justifiant la suppression du poste en cause si peu de temps après l'embauche, en sorte que l'existence d'un motif valable de rupture ne peut être retenue.

En dépit de l'intitulé de l'emploi visé par la lettre d'engagement du 27 octobre 2011, à savoir Directeur Développement marchés Europe du Sud, la lettre de transfert du 28 octobre 2011 mentionne l'exercice de fonctions de Directeur commercial à Monaco (« poste en totale adéquation avec vos qualifications et correspondant dans tous les cas aux qualifications utilisées lors de votre précédente fonction »).

Outre que m. PI. ne peut rapporter la preuve négative qu'il n'aurait pas effectué des missions relatives aux marchés de l'Europe du Sud, la défenderesse, nécessairement en possession de tels documents, ne démontre pas que les tâches nouvelles confiées au demandeur (par rapport au contrat de travail italien du 24 février 2011 rompu lors de la mutation en Principauté) à partir du 1er novembre 2011 ne concernaient pas que l'Italie mais toute l'Europe du Sud et impliquaient de nouvelles attributions en matière de marketing (autres que commerciales ; échanges avec le cabinet de recrutement, qui remontaient à une année, concernant un poste de Directeur commercial), étant relevé que les articles de presse versés aux débats ne visent que les fonctions de Directeur commercial sur le marché italien. L'augmentation de la rémunération (différence de l'ordre de 1.700 euros par mois en tenant compte de l'indemnité pour usage du véhicule personnel octroyée par le contrat italien) peut parfaitement s'expliquer par les contraintes financières impliquées par une installation à Monaco (3.300 euros de loyer mensuel notamment) y compris avec un avantage fiscal, indépendamment de toutes nouvelles responsabilités (pour faire suite aux choix stratégiques du groupe).

Le Tribunal estime en conséquence que le demandeur a poursuivi l'accomplissement des mêmes tâches (Directeur commercial Italie) mais a été embauché par un nouvel employeur, la SAM A, puisque ses attributions s'exerçaient à Monaco.

Cependant, lorsque le groupe a décidé de recentrer ses activités italiennes en Italie à travers la SRL A ITALIE, m. PI. a été concrètement remplacé par Piero CA. au poste de Directeur commercial Italie (quand bien même ce dernier était vraisemblablement employé par la société italienne à une date exacte indéterminée et n'apparaît ainsi nullement sur le registre d'entrées et de sorties du personnel de la société monégasque), dès lors que :

  • - les numéros de téléphone du premier ont continué à être utilisés par le second (carte de visite et signature mails),

  • - les courriels adressés au demandeur ont été transférés sur la boîte mail de Piero CA. (attestation Mauro ME.),

  • - les relations avec les clients se sont poursuivies avec Piero CA. (attestation Edouardo RA.),

  • - les articles de presse ont fait le relai de ce changement de Directeur commercial Italie pour la société A.

De plus, le groupe n'a pas réservé au salarié le même sort qu'à Stefano PO., lequel avait été employé, selon les propres dires de l'employeur, pour assister m. PI.. En effet, celui-ci a démissionné de son poste et quitté l'entreprise monégasque le 8 juillet 2012 pour être embauché par la SRL A ITALIE.

Il apparaît en définitive que le motif réel de la rupture ne réside pas dans une prétendue restructuration de la SAM A mais dans la volonté du groupe de ne pas conserver le demandeur en qualité de Directeur commercial Italie pour le remplacer par Piero CA., en utilisant le prétexte de l'existence d'une personnalité juridique distincte en Italie.

L'échange de mails de mars 2012 ne permet toutefois pas de déterminer si le retour en Italie évoqué s'inscrivait dans une résiliation des relations contractuelles ou dans le cadre d'une nouvelle mutation, en sorte que la présente juridiction ne peut en tirer aucune conséquence sur la question de la brutalité du congédiement. Aucun élément ne permet davantage de démontrer la réalité d'humiliations lors de la notification de la mesure.

Il n'en demeure pas moins que la défenderesse a abusé de son droit unilatéral de rupture en invoquant un faux motif de licenciement indépendant de toutes considérations économiques. Le salarié doit dès lors être indemnisé du préjudice moral subi du fait de la perte de son emploi sous un prétexte fallacieux et du manque de considération en dépit de l'important niveau de responsabilités et de rémunération, ainsi que du préjudice financier et moral lié à la nécessité (qu'elle ait été imposée ou non) d'avoir eu à quitter sa région d'origine avec sa famille pour une période finalement courte qui ne pouvait être anticipée.

Si le Tribunal ne peut imputer de manière certaine à la SAM A l'atteinte portée à la réputation de m. PI., ni tenir compte de l'emploi occupé chez la société B (quitté volontairement et en l'absence de quelconques promesses), les éléments d'appréciation dont il dispose (y compris frais de déménagements) justifient l'allocation de la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'ensemble des préjudices subis.

Les prétentions du salarié étant fondées, la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive n'a pas lieu de prospérer.

La SAM A, qui succombe, doit supporter les dépens du présent jugement.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de m. PI. par la société anonyme monégasque A n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif ;

Condamne la société anonyme monégasque A à payer à m. PI. la somme de 60.000 euros (soixante mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation des divers préjudices subis ;

Déboute la société anonyme monégasque A de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne la société anonyme monégasque A aux dépens du présent jugement ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Carol MILLO, Monsieur Eugénio TUILLIER, membres employeurs, Messieurs Pascal GARRIGUES, Philippe RION, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le seize juillet deux mille quinze, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Madame Carol MILLO, Messieurs Pascal GARRIGUES et Philippe RION, Monsieur Eugénio TUILLIER étant empêché, assistés de Mademoiselle Sylvie DA SILVA ALVES, Secrétaire-Adjoint.

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