Tribunal du travail, 25 juin 2015, Monsieur p-n. RA. c/ La Société Anonyme Belgacom International Carrier Services Monaco

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Abstract🔗

Contrat de travail - Licenciement collectif pour motif économique - Caractère abusif du licenciement (oui) - Dommages et intérêts (non)

Résumé🔗

Le salarié, employé en qualité de de comptable par une société œuvrant dans le domaine des télécommunications et appartenant à un groupe, a été licencié dans le cadre d'un plan économique collectif en raison de l'intégration de la succursale monégasque et de la suppression corrélative de certains postes, dont le sien. Le salarié conteste son licenciement. Il estime qu'il repose sur un motif fallacieux et qu'il est intervenu avec précipitation et légèreté blâmable. Si l'employeur fournit un certain nombre de données générales sur son marché et son caractère concurrentiel, il n'établit cependant pas que l'augmentation de ses charges et la nécessité de réaliser des investissements pour garantir un réseau sécurisé et efficace constituaient des charges financières telles qu'elle pesait sur la compétitivité si le personnel n'était pas parallèlement réduit. Par ailleurs, les éléments produits ne permettent pas davantage d'estimer avec certitude que l'employeur a justement anticipé la migration vers la mutation technologique « du tout IP », peu important à cet égard l'impact sur le seul marché africain. Il estime ainsi que l'employeur ne justifie pas d'un motif valable de rupture, même si la suppression du poste de l'intéressé est incontestable.

Le salarié ne peut toutefois obtenir le versement de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 dès lors que l'indemnisation totale (indemnité légale de congédiement et indemnités supra-légales) qu'il a perçue à hauteur de 69.561,34 euros est supérieure à la somme réclamée à cet égard à concurrence de 41.602 euros.

Le Tribunal estime également que la note d'information de l'employeur ne mentionne pas les catégories professionnelles concernées, les seuls intitulés des emplois et des services s'avérant insuffisants au regard de l'interchangeabilité. Bien que les délégués du personnel aient joué un rôle important dans la négociation des indemnités finalement octroyées, ils n'ont pu exercer effectivement leur rôle consultatif et formuler des propositions permettant éventuellement de réduire le nombre de licenciements, en dépit du nombre de réunions organisées, en raison de la méconnaissance partielle des obligations résultant de l'avenant n° 12 à la convention collective nationale du travail. Au regard des préjudices résultant de cette méconnaissance (préjudice moral, perte de chance, à l'exclusion du préjudice financier relatif à la perte de l'emploi qui ne pourrait découler que d'un motif illicite ou fallacieux), le Tribunal juge que l'intéressé a été rempli de ses droits par le versement de la somme excédant l'indemnité légale de licenciement, de sorte que sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif ne peut être accueillie.


Motifs🔗

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 25 JUIN 2015

En la cause de :

  • Monsieur p-n. RA., demeurant : X à MONACO (98000),

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice,

d'une part ;

Contre :

  • La SOCIÉTÉ ANONYME BELGACOM INTERNATIONAL CARRIER SERVICES MONACO, dont le siège social se situe : Gildo Pastor Center - 7, Rue du Gabian à MONACO (98000),

DÉFENDERESSE, plaidant par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Étude,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 16 juin 2011, reçue le 27 juin 2011 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 18 octobre 2011 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur p-n. RA., en date des 14 juin 2012, 30 juillet 2013 et 3 octobre 2014 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME BELGACOM INTERNATIONAL CARRIER SERVICES MONACO, en date des 21 février 2013, 13 février 2014 et 4 décembre 2014 ;

Après avoir entendu Maître Delphine FRAHI et Maître Laurence CLAPIER, avocats au barreau de Nice, pour Monsieur p-n. RA., et Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour la SOCIÉTÉ ANONYME BELGACOM INTERNATIONAL CARRIER SERVICES MONACO, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

p-n. RA. a été employé par la société MTN ICS (anciennement société Mediterranean Network) suivant contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 28 janvier 1997, en qualité de comptable.

Le 26 juin 2009, la société BELGACOM INTERNATIONAL CARRIER SERVICES (ci-après BICS) a racheté le fonds de commerce de la société MTN ICS sous diverses conditions suspensives.

Les contrats de travail ont été transférés au nouvel employeur à compter du 30 novembre 2009.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 mars 2010 (faisant suite à la saisine de la commission de licenciement ayant autorisé la rupture du contrat de travail d'un délégué du personnel), p-n. RA. s'est vu notifier son licenciement dans le cadre d'un plan économique collectif, dans les termes suivants :

  • « Le 1er décembre 2009, il a été remis aux délégués du personnel, dont vous, de la succursale monégasque de la société de droit belge Belgacom International Carrier Services S. A. (ci-après la « Succursale ») un document d'information relatif au projet d'Intégration de la Succursale entraînant la suppression de certains postes.

  • Ce document d'information exposait les motifs structurel et économique à l'origine de cette décision, ses conséquences sur l'emploi ainsi que les mesures sociales d'accompagnement qui ont été proposées.

  • Conformément aux prescriptions de l'avenant N° 12 à la Convention Collective Nationale du Travail, et suite à la décision de la Direction d'accorder 15 jours supplémentaires de négociation au-delà des prescriptions légales compte tenu des fêtes de fin d'année intervenant pendant la période de consultation légalement prescrite, la période de consultation des délégués du personnel s'est déroulée du 1er décembre 2009 au 15 janvier 2010, aboutissant le 18 janvier 2010 à la signature d'un Accord Collectif.

  • Du fait de votre qualité de Délégué du Personnel, par courrier du 10 mars 2010, nous saisissons la Commission dont l'assentiment est requis en matière de licenciement d'un délégué du personnel conformément aux dispositions de l'article 16 de la loi N° 459 du 19 juillet 1947.

  • La Commission réunie en votre présence en date du 18 mars 2010, a notifié le 19 mars 2010 à la BISC son acceptation de votre licenciement.

  • Par la présente, nous sommes donc au regret de vous confirmer la décision qui a été prise de mettre fin à votre contrat de travail suite à l'intégration de la Succursale entraînant la suppression de certains postes.

  • Selon la législation applicable à Monaco, la fin de votre contrat de travail interviendra à l'issue de la période de préavis d'une durée de 3 mois, laquelle débutera le 31 mars 2010. La sortie des effectifs est dès lors prévue le 30 juin 2010 ».

Estimant que son licenciement est fondé sur un motif fallacieux, est intervenu avec précipitation et légèreté blâmable, p-n. RA. a, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 17 octobre 2011, attrait la société BELGACOM ICS MONACO SA et la société BELGACOM ICS devant le bureau de jugement à l'effet d'obtenir condamnation au paiement des sommes suivantes :

  • - 81.666,66 euros à titre d'indemnité de licenciement en raison du motif non valable invoqué par l'employeur (article 2 de la loi n° 845),

  • - 245.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison de son licenciement abusif (soit environ 18 mois de salaire),

  • - avec intérêts au taux légal sur l'ensemble des sommes à compter de la saisine du Tribunal du Travail.

Il a sollicité également l'exécution provisoire du jugement à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

À l'appui de ses prétentions, p-n. RA. fait valoir :

  • - la SAM MTN INTERNATIONAL CARRIER SERVICES appartenait au groupe sud-africain MTN, opérateur de téléphonie multinational, détenant des licences GSM dans 21 pays, comptant 35.000 employés dans le monde et étant en situation de quasi-monopole sur le marché africain,

  • - la société monégasque avait pour activité la fourniture de services de télécommunications aux opérateurs de téléphonie et plus particulièrement le transport de voix et données mobiles internationales principalement en provenance et en direction de l'Afrique et du Moyen Orient,

  • - la SAM MTN ICS offrait en outre les mêmes services que la société BICS à savoir roamming, SMS, voix, capacité IP et satellite, fourniture d'équipement, consulting et support technique au groupe MTN,

  • - ce transport de télécommunications se faisait notamment au moyen du commutateur international situé à Monaco,

  • - le fonds de commerce de la société MTN ICS a été cédé à la société BICS, filiale du groupe belge BELGACOM, opérateur téléphonique historique en Belgique, en contrepartie d'une participation du groupe MTN dans la société cessionnaire,

  • - la filiale BICS exerçait une activité concurrente à celle de la société MTN ICS en sorte que la première avait un véritable intérêt économique au rachat de l'entité monégasque,

  • - contrairement à ce que soutient la partie adverse, le groupe MTN ne s'est pas séparé de la SAM MTN ICS au motif qu'elle avait une taille insuffisante et ne disposait pas d'un double conducteur,

  • - l'avenant n° 12 à la Convention collective nationale du travail prévoit que les délégués du personnel doivent être informés et consultés de tout projet de licenciement collectif pour raison économique,

  • - la direction de la société BICS a adressé une note d'information relative au « projet d'intégration de ladite succursale entraînant la suppression de certains postes » le 1er décembre 2009, soit 24 heures après le transfert des contrats de travail,

  • - il se déduit de cette chronologie que la société BICS avait véritablement l'intention de procéder au licenciement des trois-quarts des salariés, lesquels avaient déjà été convoqués à des entretiens individuels avec le responsable des ressources humaines de la défenderesse en juillet 2009 (entretiens ne visant pas à intégrer les employés mais à préparer les ruptures afin de réduire au maximum voire supprimer l'activité de la nouvelle succursale monégasque),

  • - la période de consultation courant du 1er décembre 2009 au 15 janvier 2010 avec deux réunions les 3 et 10 décembre 2010, la direction n'a laissé aux délégués du personnel qu'un jour ouvrable avant la première réunion de travail,

  • - la note d'information prévoyait quatre vagues de licenciement, chacune désignant nommément les salariés dans les listes établies suivant les critères d'ordre déjà déterminés (16 salariés au 31 mars 2010, 10 salariés au 30 juin 2010, 3 salariés au 30 septembre 2010 et 3 salariés au 31 décembre 2010), tandis que le site monégasque a définitivement fermé en 2012,

  • - 9 employés ont saisi le Tribunal du Travail le 16 juin 2011, le délai écoulé étant destiné à permettre aux derniers congédiés de se joindre à leur action,

  • - si la législation monégasque ne définit pas la notion de succursale, les motifs économiques doivent s'apprécier exclusivement au niveau de l'entité monégasque, bien qu'aucun salarié belge n'ait été concerné,

  • - l'activité en Principauté de la société MTN ICS devenue BICS était très rentable, enregistrant en 2008 un résultat net de 2 millions d'euros avec une quarantaine de salariés,

  • - les employés monégasques étaient deux à trois fois plus performants que les salariés de l'entité belge, l'ancienne direction projetant même des embauches,

  • - le fait que dès le lendemain de la clôture de la cession, la société BICS ait engagé la procédure de licenciement économique démontre indéniablement sa volonté de procéder au rachat de la SAM MTN ICS dans le seul but de récupérer son portefeuille clients, avant de fermer le site à moyen terme,

  • - la société BICS s'est contentée d'évoquer la nécessité de s'adapter à l'évolution du marché et de compenser une prétendue baisse régulière de la marge unitaire par une maîtrise absolue des coûts d'exploitation ainsi que par une augmentation des volumes,

  • - si le Tribunal devait considérer que les motifs économiques doivent s'apprécier au niveau de la société BICS ou du groupe BELGACOM, il ne pourrait qu'observer également le caractère non fondé du licenciement collectif,

  • - il appartient à l'employeur de rapporter la preuve d'éventuelles difficultés financières présentes ou à venir pouvant justifier la réorganisation tant de la société BICS que du groupe BELGACOM, ce qui n'est pas établi en l'espèce,

  • - l'employeur, qui invoque la situation du groupe, a circonscrit l'application des critères d'ordre de licenciement aux seuls salariés basés à Monaco, ce qui entraîne une rupture d'égalité au sein même de l'entité BICS,

  • - les contraintes économiques invoquées dans la lettre d'information du 1er décembre 2009 à savoir que la « pérennité de l'entreprise » serait « mise en danger, parce que d'abord elle ne générera plus le retour sur investissement minimum pour la rendre attractive pour ses actionnaires (qui doivent approuver les investissements) et qu'ensuite l'activité risque de devenir déficitaire » ne sauraient justifier une restructuration conduisant à des congédiements et n'ayant pour seul but que d'améliorer encore plus la rentabilité financière, déjà importante pour les actionnaires de la société BICS,

  • - les nouveaux motifs économiques de pure opportunité visés par la société BICS dans ses écritures ne figuraient pas dans la note d'information adressée aux délégués du personnel, ainsi que le prévoit l'article 7 de l'avenant n° 12,

  • - les marges pratiquées par la société BICS ne sont pas inférieures à celles de la SAM MTN ICS avant son rachat,

  • - les offres de voix IP telles que SKYPE ne concurrencent pas le marché de la téléphonie mobile en Afrique compte tenu du faible taux de pénétration d'internet,

  • - la fusion de BELGACOM avec SWISSCOM n'a eu de lourdes conséquences sociales qu'en Suisse,

  • - la nécessité avancée d'augmenter les volumes transportés et de les consolider ainsi que le fait que la structure monégasque n'était pas viable sont fallacieux, la société BICS étant notamment devenue à 95 % le seul fournisseur d'accès au groupe MTN en Afrique,

  • - la pièce n° 8 fournie pour établir de prétendues difficultés économiques n'est pas représentative,

  • - l'augmentation du prix du loyer des locaux était connue en juillet 2009 avant la finalisation du rachat,

  • - la capacité de trafic était conforme et la mise en place d'un réseau redondant en passe d'être finalisée avant son arrêt par la société BICS,

  • - l'acquisition avait également pour objectif de permettre à la société BICS de conquérir le marché africain en fusionnant ses propres intérêts avec ceux du groupe MTN,

  • - le personnel de la société MTN n'intéressait pas la société BICS pour laquelle il ne présentait aucune utilité,

  • - outre son caractère abusif, son licenciement revêt un caractère vexatoire et brutal résultant notamment des nombreuses irrégularités commises lors de la procédure menée par la défenderesse,

  • - aux termes de l'article 8 de l'avenant n° 12, l'employeur doit initier la procédure d'information et de consultation des délégués du personnel dès qu'il peut prévoir les conséquences d'une restructuration sur l'emploi,

  • - or, la société BICS n'a remis la note d'information aux délégués du personnel que le 1er décembre 2009, soit six mois après la signature le 26 juin 2009 de la cession, clôturée le 30 novembre 2009,

  • - la défenderesse ne peut sérieusement soutenir qu'elle ignorait les conséquences sociales de cette réorganisation avant le 1er décembre 2009, le rachat ayant débuté en juin 2009, tandis qu'il est indifférent que la société BICS ne soit devenue juridiquement l'employeur que postérieurement,

  • - cette dernière connaissait l'impact du projet DEEP BLUE depuis le mois de juillet 2009,

  • - avant même la phase finale de la cession, la société BICS savait que la réorganisation se solderait par des suppressions d'emplois,

  • - selon les articles 11 et 17 de l'avenant n° 12, l'employeur doit réduire au maximum les licenciements, utiliser les possibilités de mutations internes, soit à l'intérieur de l'établissement concerné, soit dans un établissement autre de l'entreprise, et rechercher des possibilités de reclassement,

  • - seul un simulacre de reclassement et de mutation des salariés a été mis en place,

  • - la société IRIS chargée de l'accompagnement des employés a proposé des bilans de compétence mais n'a jamais eu d'objectif de reclassement,

  • - aucune mutation n'a été proposée au sein de la succursale monégasque, les seuls postes offerts se trouvant à Bruxelles,

  • - malgré la soi-disant priorité, les salariés de Monaco se trouvaient en concurrence avec d'autres candidats, seuls 3 sur les 18 postulants ayant été retenus,

  • - l'accord collectif du 15 janvier 2010 ne comporte aucune référence à des postes de reclassement,

  • - des employés ont été recrutés en Belgique en janvier, février et avril 2010 sans proposition aux salariés monégasques,

  • - les critères d'ordre des licenciements prévus par l'article 6 de la loi n° 629 n'ont pas été respectés, la société BICS s'étant contentée d'accoler des critères d'ordre aux postes déjà considérés comme supprimés,

  • - la société BICS ne peut se dédouaner de ses responsabilités en mettant en avant les mesures mises en œuvre dans le cadre de l'accord collectif qui n'a pas été exécuté de bonne foi,

  • - le budget formation a été réduit de 5.000 euros à 3.000 euros par salarié entre les négociations et l'accord collectif,

  • - l'employeur, qui s'était engagé à contribuer aux formations plus onéreuses, a fait subir des retards aux intéressés,

  • - les salariés monégasques ont eu des difficultés à accéder au e-learning de BELGACOM UNIVERSITY et certains d'entre eux ont rencontré des problèmes pour anticiper leur départ comme Monsieur VERRANDO,

  • - il comptait plus de 13 années d'ancienneté, lorsqu'il a été congédié à l'âge de 50 ans,

  • - il occupait le poste de responsable administratif et comptable et a largement contribué au développement du projet d'entreprise de son employeur non seulement en qualité de délégué du personnel mais également parce qu'il figurait parmi les premiers collaborateurs recrutés,

  • - il a grandement participé à la création de son propre département et avait l'intention de poursuivre sa carrière au sein de l'entreprise,

  • - la société BICS a accepté de lui payer une formation linguistique en italien afin de lui permettre d'améliorer ses chances de retrouver un travail et de démarcher notamment des entreprises de shipping, bien qu'il ait dû prendre à sa charge les frais de transport et d'hébergement,

  • - à l'issue de préavis, il a été pris en charge par Pôle Emploi et s'est trouvé exclu du marché du travail durant 13 mois malgré ses démarches,

  • - il n'a pas retrouvé d'emploi équivalent en termes de rémunération, de responsabilité et d'évolution, les recruteurs préférant généralement embaucher des collaborateurs plus jeunes ou prévoir des plans de carrière pour les salariés déjà présents,

  • - il a donc été contraint d'accepter un contrat à durée déterminée à temps partiel, ce qui le place durablement dans une grande précarité professionnelle,

  • - son préjudice financier est important, puisqu'outre sa rémunération mensuelle fixe de 6.412 euros bruts, il percevait :

    • une prime d'ancienneté d'au moins 833,56 euros bruts par mois,

    • une prime de bilan : 1.939,71 euros, 16.367,22 euros en février 2010 et 12.011,90 euros en juin 2010,

    • une prime de vente : 29.908,80 euros en novembre 2009,

    • la moyenne de ses douze derniers mois de salaires bruts s'élevait à 12.978,98 euros,

  • - sa rémunération chez son nouvel employeur est de 855,68 euros, ce différentiel étant particulièrement lourd au regard de ses charges incompressibles,

  • - il a subi un préjudice moral du fait de la brutalité de la mesure, dans un contexte où il était le salarié le plus ancien, connaissait parfaitement l'entreprise et s'était beaucoup investi pour son attractivité (il avait notamment formé les quatre assistant, aide comptable, comptable qui composaient l'équipe sous sa responsabilité),

  • - en sa qualité de délégué du personnel, il a pu mesurer le manque de dialogue et d'écoute qui a caractérisé la procédure menée,

  • - en réalité, le licenciement collectif était planifié depuis longtemps et la période dite de « négociations » entre les délégués du personnel et la direction a été une véritable épreuve pour lui,

  • - au-delà de ses insomnies et angoisses, il a perdu confiance en l'avenir et a également subi une dermatose causée par le stress accumulé pendant de longs mois nécessitant un traitement par crème corticoïde,

  • - l'exécution provisoire du jugement à intervenir est justifiée par le fait que la rupture abusive l'a plongé dans une précarité professionnelle, ses revenus sont faibles et les frais occasionnés pour assurer sa défense devant la juridiction ont nécessité des efforts et sacrifices financiers considérables pour sa famille qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge plus longtemps,

  • - l'action menée n'est pas abusive, tandis qu'il était parfaitement fondé à solliciter réparation de son préjudice,

  • - le fait qu'il ait bénéficié de mesures supplémentaires du fait de l'accord collectif et ait perçu des indemnités supérieures aux indemnités légales ne rend pas pour autant le licenciement valable.

Aux termes de ses écritures judiciaires, la société BELGACOM INTERNATIONAL CARRIER SERVICES demande au Tribunal de prononcer la nullité des pièces adverses n° 21 et 22, en application des dispositions par l'article 324 du Code de procédure civile, d'écarter des débats les pièces adverses n° 1, 15, 16, 17 et 23 entièrement rédigées en langue anglaise et non traduites, et sollicite la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive. Elle soutient pour l'essentiel que :

  • - société anonyme de droit belge, elle est détenue conjointement par BELGACOM, opérateur historique en Belgique, SWISSCOM, opérateur historique en Suisse, et MTN, groupe sud-africain de télécommunications,

  • - elle a pour mission la fourniture de services de transports internationaux de la voix et de données mobiles aux opérateurs téléphoniques du monde entier,

  • - elle a déployé un réseau mondial avec des capacités propres en Europe et des participations dans des consortiums de câbles sous-marins, d'utilisation de capacités satellites et d'équipements de commutation principalement en Belgique,

  • - grâce à une politique d'investissement constante et des accords stratégiques avec SWISSCOM en 2005 et MTN en 2009, elle est parvenue à atteindre et maintenir une position stratégique sur le marché en cause,

  • - courant 2008, la groupe MTN a souhaité se séparer de ses activités de transport de télécommunications opérées par MTN ICS (activités ne rentrant pas dans son métier d'origine, MTN ICS n'avait pas la taille suffisante et n'était pas correctement équipée, notamment du fait de l'absence de double conducteur indispensable à la sécurité du réseau),

  • - une transaction a été signée le 26 juin 2009 et clôturée le 30 novembre 2009 entre BICS et MTN, prévoyant la signature d'un contrat à long terme d'acheminement du trafic international de MTN ICS par BICS, la reprise par BICS des actifs de MTN ICS, des salariés de la société et des contrats passés entre MTN ICS et ses clients opérateurs n'appartenant pas au groupe MTN ainsi qu'une prise de participation de 20 % de MTN dans BICS,

  • - l'acquisition s'inscrivait dans une politique active de consolidation au sein d'un marché fragmenté où la concurrence est extrêmement forte,

  • - elle a donc ouvert une succursale à Monaco en reprenant le fonds de commerce,

  • - cette reprise a entraîné la mise en place d'un plan d'intégration des activités de MTN ICS dans BICS rendant nécessaire la réorganisation de la société, compte tenu des contraintes concurrentielles,

  • - elle n'a jamais fait état de difficultés économiques au moment du plan social, alors que le demandeur s'acharne à en prouver l'absence (les pièces adverses n° 1 à 13 étant donc sans objet),

  • - dans le respect des dispositions de l'avenant n° 12 à la convention collective nationale du Travail, le document d'information remis aux délégués du personnel le 1er décembre 2009 a permis d'assurer l'information des salariés sur le motif économique inhérent à la réorganisation à venir et sur le déroulement des étapes de ce plan,

  • - au-delà des prescriptions légales, elle a prolongé la période de consultation à un mois et deux semaines avec de nombreuses réunions avec les délégués du personnel,

  • - 31 postes ont été supprimés avec un échéancier prévoyant plusieurs vagues de départs ou mutations à Bruxelles entre le 31 mars 2010 et le 31 décembre 2010,

  • - la négociation a abouti à des solutions satisfaisantes quant à la réduction du nombre de suppressions de poste et à la mise en place de mutations internes à Bruxelles,

  • - un accord a été formalisé le 18 janvier 2010 détaillant les mesures sociales du plan d'intégration,

  • - contre toute attente, p-n. RA. a saisi le Tribunal du Travail près d'un an après la notification de son licenciement,

  • - un opérateur de télécommunication doit, pour être compétitif, être en mesure d'offrir des prix compétitifs à ses clients, ce qui implique de préserver une marge unitaire suffisante et de transporter un volume de données suffisamment important,

  • - la réorganisation à Monaco entraînant une double limitation du réseau transitant par le commutateur de Monaco a été nécessaire du fait :

    • de l'insuffisance de capacité de ce dernier,

    • des carences de sécurité qu'il comportait notamment en l'absence de réelle redondance, condition indispensable d'un réseau sécurisé, et du risque que de telles insuffisances faisaient peser sur la compétitivité de la société BICS,

    • de la complexification du réseau et du risque d'erreur accru qu'aurait entraîné le passage du trafic sortant par les infrastructures monégasques d'abord puis par les commutateurs internationaux de la société BICS ensuite,

    • de la nécessité pour l'employeur d'anticiper les conséquences sur l'emploi de l'augmentation des coûts d'exploitation (multipliés par trois) de BICS MONACO et de pérenniser l'entreprise,

    • du caractère obsolète de sa technologie de commutation, la reprise étant intervenue à l'aube d'une évolution technologique majeure qui devait révolutionner les marchés de télécommunications : le transport de voix par Internet (IP),

  • - l'ensemble de ces contraintes économiques et techniques ont été mentionnées dans le document d'information du 1er décembre 2009 même si elles n'étaient pas aussi détaillées,

  • - les mesures prises ont été insuffisantes puisque deux ans plus tard, elle a été contrainte de fermer le site monégasque compte tenu de l'obsolescence des équipements,

  • - si le fonds avait été vendu à une autre société, celle-ci aurait également été contrainte de restructurer,

  • - elle a opté pour l'option la plus complexe au niveau opérationnel afin de préserver l'emploi, alors qu'elle aurait pu fermer immédiatement la succursale monégasque,

  • - les risques anticipés en connaissance des marchés se sont confirmés quelque mois plus tard,

  • - les suppressions de poste sont incontestables, personne n'ayant été embauchée jusqu'à la fermeture,

  • - des postes similaires ont été offerts à Bruxelles et le licenciement est intervenu suite au refus du salarié d'être muté,

  • - les difficultés du marché conduisent à une baisse de la marge unitaire et à la nécessité d'augmenter les volumes, l'augmentation des tarifs abaissant la compétitivité,

  • - son activité ne se limite pas au marché africain, qui est très fragmenté et dans lequel certains pays ont un taux d'équipement technologique informatique proche de l'Europe, en sorte que l'argument en demande n'est pas sérieux,

  • - la comparaison avec les conséquences sociales du rapprochement avec SWISSCOM est hors de propos,

  • - la rentabilité de la société MTN ICS était artificielle puisque 90 % du trafic transporté par cette société concernait le trafic à destination ou en provenance du groupe MTN,

  • - les dépenses d'investissement indispensables dans le secteur avaient été réduites les années précédant la cession par MTN ICS, ce qui explique le caractère obsolète des équipements,

  • - la réalité du motif économique ne saurait s'apprécier au regard de l'activité de la société MTN ICS,

  • - si elle a pu par l'intégration de sa succursale monégasque augmenter ses volumes de données, elle a subi une augmentation fulgurante de ses coûts d'exploitation,

  • - les prix très élevés imposés par MONACO TELECOM, seul fournisseur d'accès aux installations monégasques et en situation de monopole, ne permettaient pas sur le long terme de faire face à la baisse des marges unitaires tout en conservant des prix compétitifs,

  • - le coût d'exploitation a été aussi impacté par le prix du loyer monégasque déjà conséquent avant le rachat et qui a augmenté de 280 % passant de 40.000 euros à 120.000 euros par an,

  • - bien que cette augmentation ait été annoncée par le bailleur, elle pensait pouvoir négocier, ce qui n'a pas abouti,

  • - si la mise en conformité de la maintenance n'a été réalisée qu'en 2010, elle était informée du surcoût et pénalisée par l'impossibilité d'installer un groupe électrogène de secours rendant toute panne longue désastreuse,

  • - le contrat de maintenance en cours lors du rachat était insuffisant pour répondre aux besoins,

  • - la société MTN ICS ne bénéficiait pas d'un réseau redondant indispensable et elle ne pouvait s'en équiper compte tenu des conditions d'exploitation des infrastructures monégasques,

  • - la restructuration s'articulait autour de plusieurs axes : la rationalisation des connexions physiques avec les clients et fournisseurs communs, l'harmonisation des contrats et de la gestion commerciale des clients et fournisseurs communs, la rationalisation des systèmes informatiques, l'harmonisation du système de facturation, la comptabilité et l'administration,

  • - du fait de la rationalisation des connexions physiques vers les commutateurs de la société BICS en Belgique et en Suisse, le poste de comptable de p-n. RA. a été supprimé,

  • - ses compétences pouvaient être utilisées au siège social à Bruxelles mais il ne l'a pas souhaité,

  • - elle avait la volonté d'intégrer les salariés monégasques dans l'entité belge, ainsi qu'il résulte du projet DEEP BLUE transmis aux délégués du personnel le 24 juillet 2009, avant même qu'elle ne devienne l'employeur,

  • - contrairement à ce qu'affirme le demandeur, elle ne pouvait mettre en œuvre une procédure de licenciement avant d'être officiellement l'employeur,

  • - les réunions avec les ressources humaines de BICS n'ont été possibles qu'avec l'accord de MTN ICS,

  • - elle a informé les délégués du personnel dès le lendemain de la clôture de la transaction,

  • - le respect de l'ordre des licenciements résulte du document d'information du 1er décembre 2009 et des pièces communiquées,

  • - elle ne pouvait appliquer cet ordre à des employés belges sans lien avec Monaco,

  • - malgré cet ordre, elle a autorisé certains salariés, à leur demande, à partir plus tôt,

  • - elle a pris en charge les frais d'un avocat pour assister les employés dans la négociation,

  • - ces négociations ont abouti à un accord collectif le 18 janvier 2010 qui a été signé par p-n. RA. en sa qualité de délégué du personnel,

  • - elle ne pouvait évidemment proposer de reclassement dans l'entité de Monaco mais a tout mis en œuvre pour des reclassements dans l'entreprise,

  • - elle a ouvert 15 postes qui ont donné lieu à des discussions formelles avec 17 salariés dont certains ont ensuite changé d'avis,

  • - la liste des postes pourvus en Belgique, produite par la partie adverse, concerne des postes pourvus postérieurement à la consultation des employés monégasques et au refus de ces derniers de rejoindre les effectifs dans ce pays,

  • - elle avait prévu des facilités pour la mobilité (prise en charge des frais de déménagement, prime d'installation, aide pour trouver un logement, statut fiscal),

  • - elle a pris des mesures sociales d'accompagnement extra- légales : prise en charge de formations, aide à la famille, maintien de la mutuelle, indemnisations supplémentaires (6 mois de salaire brut de base ; complément variable de 1,2 mois de salaire brut de base par année d'ancienneté au-delà de 5,5 ans et jusqu'à un mois de salaire brut par année d'ancienneté au-delà de 5,5 ans),

  • - le demandeur ne démontre pas l'existence d'un préjudice qui lui serait imputable,

  • - il a déjà perçu, outre une indemnité de congédiement de 42.549,06 euros, une indemnité extra-légale de 148.654,75 euros (représentant plus de 23 mois de salaire brut de base), soit au total 191.203,81 euros, ce qui rend indécent sa demande en paiement de dommages-intérêts,

  • - il a manifesté son accord sur les mesures proposées par la signature de l'accord et le vote à main levée favorable qui a précédé,

  • - en toute hypothèse, le salarié a d'ores et déjà été indemnisé nonobstant toute faute de sa part,

  • - p-n. RA. ne démontre pas que son contrat à temps partiel ne résulterait pas de sa seule volonté au vu de son âge ainsi que de la confortable indemnisation qu'il a perçue,

  • - s'il n'est pas contesté que les problèmes de peau sont particulièrement inconfortables, le lien entre ceux-ci et la rupture du contrat de travail plus d'un an plus tôt est pour le moins obscur,

  • - la procédure menée est parfaitement abusive et justifie la condamnation du demandeur au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

  • - le salarié a pris l'initiative de la procédure alors qu'il a négocié, assisté d'un avocat dont les honoraires ont été payés, une indemnité extra-légale et fait donc fi de la bonne foi et du respect des obligations contractuelles,

  • - p-n. RA. a retardé la procédure ce qui l'a pénalisée sur le plan comptable,

  • - elle a légitiment pu s'interroger sur les réelles motivations du demandeur soupçonnant une manœuvre destinée à obtenir la conclusion d'une transaction avec une indemnisation supplémentaire.

SUR QUOI,

Les attestations produites par p-n. RA. sous le numéro G et H sont conformes aux dispositions de l'article 324 du Code de procédure, étant également relevé que Patricia RA., sœur de l'intéressé, a effectivement mentionné son lien de parenté.

Les pièces versées aux débats par p-n. RA. sous les numéros 1, 15, 16, 17 et 23, qui ne sont pas traduites en langue française, doivent être écartées des débats.

Il incombe à l'employeur, qui a la charge de la preuve de la réalité et la validité du motif économique de licenciement, de démontrer par des éléments objectifs susceptibles de vérification par le Tribunal que la rupture était fondée sur un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise.

À cet égard, l'employeur, membre d'un groupe de sociétés, doit matériellement établir la nécessité économique de la restructuration - difficultés économiques ou sauvegarde de la compétitivité - dans le secteur d'activité du groupe auquel il appartient.

En l'espèce, la juridiction ne doit nullement circonscrire son analyse à la seule succursale monégasque anciennement SAM MTN ICS mais doit tenir compte de la situation du groupe BELGACOM (et non pas seulement de la société BELGACOM ICS, le secteur d'activité étant celui du groupe) au moment de la décision de licenciement économique collectif, définitivement intervenue en décembre 2009.

Si la circonstance que le groupe BELGACOM est demeuré en bonne santé financière au cours de la période concernée ne permet pas d'exclure la nécessité économique de la restructuration et des ruptures qui en sont la conséquence, il n'en demeure pas moins que la défenderesse doit rapporter la preuve de la menace qui pesait sur la compétitivité dans le secteur d'activité du groupe et de la réalité de « l'anticipation des risques identifiés dans le cadre de l'intégration du fonds de commerce ».

À cet égard, bien que l'employeur justifie, par les pièces versées aux débats, que le marché en cause est particulièrement concurrentiel, que les marges unitaires ont sensiblement baissé entre 2006 et 2011 et notamment entre 2008 et 2010, malgré une augmentation des volumes transportés, et que les tarifs doivent rester compétitifs, ces données générales ne suffisent pas à considérer que les mesures prises depuis décembre 2009 et jusqu'à la fin de l'année 2010 visaient à sauvegarder la compétitivité menacée du groupe, notamment à la suite du rachat du fonds de commerce.

Si la société BELGACOM ICS soutient que la SAM MTN ICS bénéficiait de prix préférentiels, elle n'explique pas clairement les raisons pour lesquelles il a été mis fin à cette situation (retour aux prix du marché) lors de la création de la succursale monégasque BICS et les motifs relatifs à l'impossibilité de maintenir de tels tarifs (le groupe MTN entrant au capital BICS et pouvant le cas échéant conserver les anciens contrats avantageux).

En outre, il n'est pas établi que l'augmentation même importante du coût de location des locaux de la succursale monégasque ainsi que la nécessité, à la supposer réelle (le Tribunal n'étant pas techniquement en mesure de se prononcer sur les affirmations opposées des parties), de réaliser des investissements pour garantir un réseau sécurisé et efficace constituaient des charges financières telles qu'elle pesait sur la compétitivité si le personnel n'était pas parallèlement réduit, indépendamment de la question des choix de gestion sur lesquels la présente juridiction n'a pas à se prononcer.

Les éléments de la cause ne permettent pas davantage d'estimer avec certitude que la société défenderesse a justement anticipé (articles de presse concernant d'autres opérateurs insuffisants), à l'époque des licenciements économiques litigieux, la migration vers la mutation technologique « le tout IP », peu important à cet égard l'impact sur le seul marché africain.

En définitive, bien que la suppression effective du poste de p-n. RA. ne soit pas contestable, l'employeur ne justifie pas d'un motif valable de rupture.

Toutefois, le demandeur n'est pas fondé à obtenir paiement de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, dans la mesure où l'indemnisation totale (indemnité légale de congédiement et indemnités supra-légales) versée par la société BELGACOM ICS à hauteur de 191.203,81 euros est supérieure à la somme réclamée à cet égard à concurrence de 81.666,66 euros.

Il appartient au salarié de rapporter la preuve de l'abus commis par l'employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de rupture.

Le fait que la procédure de licenciement collectif ait été initiée dès la finalisation de la cession du fonds de commerce ne suffit pas à considérer que le motif serait fallacieux ou que la défenderesse aurait volontairement cherché à contourner les dispositions d'ordre public de l'article 15 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, dans la mesure où :

  • - la modification de la situation juridique de l'employeur n'exclut pas à elle seule la mise en œuvre de licenciements économiques,

  • - la société BELGACOM ICS a conservé une partie de son personnel et la succursale n'a définitivement fermé qu'en décembre 2012,

  • - la préparation du plan social initiée à travers le projet DEEP BLUE et les entretiens de juillet 2009 n'est pas révélatrice d'une intention illicite (nombre de postes à supprimer non évoqué, reclassements envisagés, absence de démonstration que la fermeture du site était déjà prévue « options d'évaluation pour maintenir une opération à Monaco »).

Les arguments avancés par la défenderesse, quand bien mêmes ils sont insuffisamment prouvés, sont parfaitement admissibles, ne sont pas contredits par des éléments de preuve concrets et ne permettent pas de conclure que cette dernière a uniquement envisagé d'améliorer sa rentabilité et de satisfaire ses actionnaires, en dehors de toute question de compétitivité, tandis que les logiques économiques en cause, en termes de pénétration de nouveaux marchés pour faire face à la concurrence et de rationalisation, ne sont pas en elles-mêmes contestables, et ce, même si les résultats financiers définitifs ont été positifs.

Il convient également de noter que les possibilités de mutations (proposition individualisée de reclassement non prévue par l'avenant n° 12 à la convention collective nationale du travail, article 17 dudit avenant respecté) en Belgique (s'inscrivant dans une volonté de rationalisation) ont été portées à la connaissance des salariés (liste de la note d'information, accès à intranet, courriel du 2 décembre 2009), qui n'y ont pas (en dépit des entretiens du 16 décembre 2009) définitivement donné suite dans leur ensemble - sans qu'il soit prouvé que la question du reclassement à Monaco était envisageable. En tout état de cause, p-n. RA. ne démontre pas qu'il n'a pas pu avoir accès à un poste en Belgique, que le « package » d'accompagnement dans l'expatriation a été évoqué trop tardivement (note d'information, mail du 5 janvier 2010, accord du 18 janvier 2010 ; délai mi ou fin février 2010 pour se prononcer sur les mutations internes) ou qu'il aurait été finalement mis en concurrence avec d'autres candidats (les nouvelles embauches parallèles étant dès lors indifférentes), alors que la comparaison avec la situation de la SWISSCOM, dont les contours ne sont pas justifiés, n'est pas clairement pertinente.

En outre, si le demandeur n'établit pas que la société BELGACOM ICS aurait méconnu l'ordre des licenciements prévu par l'article 6 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 (qui ne peut effectivement s'appliquer qu'à Monaco aux employés de la succursale monégasque, à l'exclusion des salariés belges, et peut le cas échéant ne concerner qu'un seul établissement, indépendamment du cadre d'appréciation du motif économique), la présente juridiction ne peut pas estimer que la note d'information du 1er décembre 2009 mentionne effectivement les catégories professionnelles concernées (seuls intitulés des emplois et des services), au regard de l'interchangeabilité.

Par ailleurs, les dispositions de l'avenant n° 12 du 20 mars 1970 à la convention collective nationale du travail sur la sécurité de l'emploi, rendu obligatoire par l'arrêté d'extension du 28 juillet 1970, pour tous les employeurs des entreprises industrielles et commerciales appartenant aux secteurs professionnels compris dans son champ d'application, et en particulier ses articles 6 et suivants, imposent à l'employeur :

  • - d'informer préalablement les délégués du personnel du projet de licenciement collectif, de les consulter et d'étudier avec eux les conditions de mise en œuvre de ses prévisions, en leur fournissant dans un document écrit les indications utiles concernant l'importance des licenciements envisagés, les catégories professionnelles concernées ainsi que les raisons l'ayant conduit à présenter ce projet,

  • - d'informer les délégués du personnel, lorsque le projet de licenciement collectif économique résulte d'une décision de restructuration, des facteurs économiques ou techniques qui sont à l'origine de cette situation, et d'indiquer les dispositions qu'il a pu prendre ou envisagé de prendre pour limiter les mesures de licenciement.

À cet égard, si la société défenderesse a communiqué le 1er décembre 2009 (ce qu'elle ne pouvait faire juridiquement avant la finalisation du rachat du fonds de commerce) aux délégués du personnel un document d'information évoquant, de manière très générale, la situation du marché, les objectifs recherchés et les axes de la réorganisation, ces considérations, qui ne sont accompagnées d'aucune donnée chiffrée concrète, ne permettent pas de déterminer la situation économique réelle du groupe BELGACOM (en dehors de l'identité de ses actionnaires) ou même de la société BELGACOM ICS, les éléments financiers relatifs à la menace pesant sur la compétitivité et les moyens pour y remédier, et par la même la nécessité du nombre de licenciements envisagés.

Bien que les pièces versées aux débats démontrent que les délégués du personnel ont joué un rôle important dans la négociation des indemnités finalement réglées, il n'est pas justifié qu'ils ont été mis en mesure, à travers les informations qui leur ont ainsi été transmises, d'exercer effectivement leur rôle consultatif, de formuler et mettre à l'étude des suggestions en vue d'une éventuelle réduction du nombre de licenciements, en dépit du nombre de réunions organisées, étant souligné que l'allongement du délai de consultation apparaît légitime au regard de la période des vacances scolaires qui allait intervenir.

De plus, le Tribunal doit se référer à l'accord du 18 janvier 2010 concernant les conditions relatives à l'octroi d'un budget de formation, tandis que le salarié n'invoque, ni n'établit aucune difficulté personnelle à cet égard. Il n'est davantage justifié d'un incident sur un éventuel départ anticipé.

En définitive, la présente juridiction, qui demeure attentive aux opérations émanant de sociétés étrangères à l'égard des entreprises monégasques, dans un souci de protection de l'emploi et du maintien de sources de revenus pour la Principauté, ne peut que constater en l'espèce qu'au regard des préjudices subis (préjudice moral, perte de chance, à l'exclusion du préjudice financier relatif à la perte de l'emploi qui ne pourrait découler que d'un motif illicite ou fallacieux) du fait de la méconnaissance partielle des obligations résultant de l'avenant n° 12 à la convention collective nationale du travail, p-n. RA. a été rempli de ses droits par le versement de la somme excédant l'indemnité légale de licenciement, en sorte que sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif ne peut être accueillie.

Le demandeur a, sans abuser de son droit d'ester en justice, cherché à obtenir l'indemnisation de l'intégralité de son préjudice, en se méprenant sur la portée de ses droits, et a pu mettre un certain temps pour conclure (tout comme la défenderesse) et fournir des pièces, au regard de la complexité de l'affaire, en sorte que la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive n'a pas lieu de prospérer.

Les parties, qui succombent chacune respectivement, doivent supporter par moitié les dépens du présent jugement.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré,

Écarte des débats les pièces produites par p-n. RA. sous les numéros 1, 15, 16, 17 et 23 ;

Dit que le licenciement de p-n. RA. par la société anonyme BELGACOM ICS n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif ;

Constate que p-n. RA. a été rempli de ses droits s'agissant de l'indemnité légale de licenciement et de l'indemnisation de ses préjudices ;

Déboute les parties de l'intégralité de leurs demandes ;

Fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés par moitié par p-n. RA. et la société anonyme BELGACOM ICS ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Catherine LECLERCQ-HUTTER, Monsieur Jacques ORECCHIA membres employeurs, Messieurs Jean-Pierre PIZZOLATO, Silvano VITTORIOSO, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt-cinq juin deux mille quinze, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Madame Catherine LECLERCQ-HUTTER, Messieurs Jacques ORECCHIA et Silvano VITTORIOSO, Monsieur Jean-Pierre PIZZOLATO étant empêché, assistés de Mademoiselle Sylvie DA SILVA ALVES, Secrétaire-Adjoint.

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