Tribunal du travail, 23 octobre 2014, Monsieur p. CA. c/ La société anonyme monégasque A

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Abstract🔗

Contrat de travail - Salaire - Salaires minima légaux ou conventionnels français et monégasques - Principe de parité minimale - Conditions identiques - Entreprises de transport.

Résumé🔗

Faute pour le syndic de la liquidation des biens de l'employeur d'avoir établi que les conditions de travail n'étaient plus identiques à Monaco et dans la région économique voisine, dans la profession en cause, le salarié, conducteur poids lourds, est fondé à obtenir l'application du principe de parité minimale conformément à l'article 11 de la loi n° 739 du 16 mars 1963, modifié par la loi n° 1068 du 28 décembre 1983, relatif au principe de parité entre les salaires minima légaux ou conventionnels français et monégasques.


Motifs🔗

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 23 OCTOBRE 2014

En la cause de Monsieur p. CA., demeurant : X1 - « X » à NICE (06200),

demandeur, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Danièle RIEU, avocat au barreau de Nice, substituée par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice,

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée A, société en liquidation des biens, prise en la personne de son syndic, Jean-Paul SA., demeurant : X2 à MONACO (98000),

défenderesse, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Denis DEL RIO, avocat au barreau de Nice,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu le Jugement du Tribunal du Travail en date du 31 janvier 2013 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat, au nom de Monsieur p. CA., en date des 6 juin 2013 et 9 janvier 2014 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque dénommée A, en date des 7 novembre 2013 et 6 février 2014 ;

Après avoir entendu Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice, pour Monsieur p. CA., et Maître Denis DEL RIO, avocat au barreau de Nice, pour la société anonyme monégasque dénommée A, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

p. CA. a été employé par la société anonyme monégasque dénommée A, selon contrat à durée indéterminée, à compter du 23 juin 2003, en qualité de conducteur poids lourds.

Celui-ci a, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 14 mars 2011, attrait la SAM A et Jean-Paul SA., ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de la SAM A, devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes suivantes :

- 35.000 à titre de rappel de salaire (notamment salaire de base, heures supplémentaires, jours fériés, indemnité monégasque, heures de délégation, indemnité de déplacement, travail de nuit, 13ème mois, prime d'ancienneté),

- 3.500 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire,

- 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non paiement en temps voulu du salaire, entrave à la représentation syndicale, discrimination et harcèlement,

avec intérêts de droit et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Par décision du 29 mars 2012, le Tribunal de première instance a converti la procédure de cessation des paiements de la SAM A en liquidation des biens.

Par courrier du 16 avril 2012, p. CA. s'est vu notifier son licenciement.

Par jugement du 31 janvier 2013, auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, ce Tribunal a ordonné la réouverture des débats afin que :

  • p. CA. justifie du contenu intégral des accords collectifs relatifs aux salaires, applicables du 1er février 2006 au 31 janvier 2011, dans la région économique voisine, au sein du secteur des transports routiers ainsi que de la classification des emplois correspondante permettant de déterminer avec certitude que le poste de « conducteur poids lourds » relève du coefficient 150 M invoqué,

  • les parties s'expliquent contradictoirement sur la question de l'existence de conditions de travail identiques à Monaco et dans la région économique au sein du secteur des transports routiers, après que le syndic de la liquidation des biens de la SAM A ait le cas échéant établi que :

    • les conditions de travail, hormis la différence de durée légale du travail, n'étaient plus identiques entre le 1er février 2006 et le 31 janvier 2011, au sein du secteur des transports routiers, dans la région économique voisine et à Monaco, compte tenu notamment de l'existence en France de dispositifs, tels que l'annualisation du temps de travail, la flexibilité des horaires, l'institution de semaines courtes ou longues, par cycles, permettant une nouvelle organisation du travail dont ne disposent pas les entreprises monégasques, et ce, en versant aux débats les accords collectifs relatifs à la durée et à l'aménagement du temps de travail applicables sur ladite période,

    • les modifications affectant les montants minima des salaires constatées en France au moment de la réduction de la durée du travail ont donné lieu à l'octroi au profit des entreprises concernées d'avantages financiers (loi Aubry I et II, loi Fillon) dont ne bénéficient pas leurs homologues monégasques,

a dit que p. CA. devra formuler des demandes subsidiaires de fixation de sa créance concernant les heures supplémentaires, les jours fériés, les heures de délégation, la prime d'ancienneté, la prime de 5% et les congés payés, dans l'hypothèse où l'application du principe de parité des salaires ne serait pas retenue, a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes formées par p. CA., et a réservé les dépens en fin de cause.

Aux termes de ses dernières écritures judiciaires, p. CA. a sollicité la fixation de ses créances de la manière suivante :

- 4.285,89 euros à titre de rappel de salaire de base,

- 3.997,98 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires ou subsidiairement 3.215,22 euros,

- 5.459,62 euros au titre des heures de nuit ou subsidiairement 5.195,67 euros,

- 219,84 euros au titre des jours fériés ou subsidiairement 209,60 euros,

- 1.727 euros au titre des heures de délégation ou subsidiairement 1.636,90 euros,

- 102,14 euros au titre de la prime d'ancienneté,

- 1.579,15 au titre des congés payés sur rappel de salaire ou subsidiairement 1.025,73 euros,

- 4.277,53 euros au titre de la prime monégasque de 5% ou subsidiairement 3.921,86 euros,

- 30.000 euros à titre de dommages et intérêts,

le tout avec intérêts de droit à compter de la demande en justice et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

À l'appui de ses prétentions, il fait valoir que :

- en dépit de son courrier du 13 octobre 2010 tendant au règlement des sommes dues au titre du salaire de base, des heures supplémentaires, des heures de nuit et des jours fériés, la société défenderesse n'a procédé à aucun paiement,

- il a réalisé le calcul des sommes réclamées au moyen de tableaux qui retracent son activité par journée de travail,

- sa demande de rappel de salaire de base, d'heures supplémentaires et d'heures de nuit (majoration de 20%) tient compte des taux horaires de la Convention Collective française des Transports Routiers pour le coefficient 150,

- il verse désormais aux débats les documents permettant de déterminer les salaires horaires applicables sur la période litigieuse et de confirmer qu'en sa qualité d'ouvrier roulant grands routiers ou longue distance, il devait bénéficier du coefficient de 150,

- la partie adverse ne rapporte pas la preuve que le principe de parité des salaires minima conventionnels français et monégasques devrait être écarté,

- les notions de temps de travail effectif et d'équivalence existent également en droit monégasque, alors que la durée du travail comprenait bien les temps de conduite, d'attente, de travaux divers et de double équipage,

- la lettre circulaire n° 2001-001 du 10 janvier 2001 vise les modalités à suivre pour bénéficier de certaines mesures permettant d'entraîner une « réduction unique dégressive de cotisations sociales ainsi que l'allègement des cotisations patronales de sécurité sociale » sous réserve du respect de certaines conditions (respect des décrets des 26 janvier 1983 et 27 janvier 2000, formalisation d'une demande pour la réduction unique, accord d'entreprise fixant les durées de travail et de temps de service),

- si les entreprises concernées pouvaient obtenir des aides, cette lettre ne suffit pas à prouver qu'elles ont été demandées et octroyées dans la région économique voisine,

- l'article relatif à l'application de la loi de financement de la sécurité sociale n'apporte rien au débat,

- la décision du 14 octobre 2011 de la Cour de Révision n'a pas érigé en principe l'irrecevabilité généralisée de toute demande tendant à obtenir un rappel de salaire par référence à la région économique voisine,

- par ailleurs, certaines heures supplémentaires effectuées auraient dû donner lieu à une majoration de 50% et le forfait réglé par l'employeur se trouvait être à son avantage,

- certains jours fériés, qui ont été travaillés, n'ont pas été payés s'agissant en 2008 de la Fête Dieu (22 mai) et du jour de Noël, et en 2010 de la Sainte-Dévote,

- il ressort de l'examen de ses bulletins de salaire qu'il n'a jamais reçu le moindre règlement pour des heures de délégation concernant ses fonctions syndicales occupées à compter du 13 juillet 2009,

- le complément de salaire sollicité se répercute sur la prime d'ancienneté ainsi que sur les congés payés,

- la prime monégasque de 5% est due sur l'ensemble des sommes sollicitées,

- les intérêts au taux légal ont seulement pour but de compenser la perte de pouvoir d'achat quelques années plus tard, tandis qu'il a été contraint d'agir en justice pour obtenir paiement des sommes en cause,

- en sa qualité d'archiviste du syndicat des Transports et Déménagements, il avait droit à 10 heures de délégation dont il n'a jamais pu bénéficier,

- dès qu'il a manifesté l'intention de prendre tel ou tel jour, il a été obligé, 1 ou 2 jours avant, de partir en grands déplacements et ne pouvait être de retour en temps voulu,

- cette attitude est constitutive du délit d'entrave aux fonctions de délégué syndical (article 12 de la loi n° 957 du 18 juillet 1974),

- elle est également corroborée par l'impossibilité d'assister au dépouillement à la suite du vote en vue de l'élection des délégués du personnel qui s'est déroulé le 20 mai 2010,

- la décision du sous-traitant qui l'a empêché d'être présent lors du scrutin ne saurait décharger l'employeur de sa responsabilité,

- il avait formulé sa demande dès le 17 mai 2010 (ordres de mission couramment reçus très tardivement) et s'est vu interdire la veille de l'élection d'y participer, alors qu'il ne lui a pas été expliqué les impératifs professionnels invoqués et les infractions qui auraient pu être commises,

- en outre, il avait décidé de mettre un tout petit drapeau israélien (emblème d'un pays en dehors de tout caractère politique) sur l'avant de son camion et a été obligé de le retirer en raison des sarcasmes et humiliations diverses de Monsieur PO.,

- ce n'est qu'après plusieurs interventions auprès de sa hiérarchie tant verbales qu'écrites (courriers des 3 août, 1er septembre et 21 décembre 2009) qu'il lui a été répondu le 6 janvier 2010 que le dénommé PO. a « refusé » de présenter des excuses car il estimait qu'un « contentieux » était né entre eux,

- si ce dernier est employé par l'entreprise C, une note de service rappelait que les salariés de la SAM A étaient rattachés directement au service du principal client de la société C et qu'ils étaient susceptibles de recevoir des ordres de leurs responsables dont Monsieur PO.,

- cette situation anormale et intolérable à laquelle il a été confronté a duré plusieurs mois, en sorte qu'il est bien fondé à obtenir réparation auprès de la défenderesse du préjudice subi, ne serait-ce que pour son temps d'inertie, étant également relevé que les liens entre la SAM A et l'entreprise C sont plus étroits qu'il n'y parait.

Jean-Paul SA. soutient pour sa part que :

- le demandeur n'est fondé qu'à solliciter la fixation de sa créance (déclarée le 28 février 2011) au passif de la société, en l'état de la procédure collective ouverte le 14 janvier 2011,

- les bulletins de salaire n'ont jamais été contestés et leur examen permet de se rendre compte que l'ensemble des avantages légaux et conventionnels ont été respectés,

- la durée du travail effectif en France comporte les temps de conduite, d'attente, de travaux divers et de doublage d'équipe,

- de plus, des heures d'équivalence sont comprises dans le temps de travail effectif, alors que cette notion n'existe pas en droit monégasque,

- les modalités de travail diffèrent ainsi, alors que des avantages financiers ont été accordés aux entreprises françaises de transports sans que leurs homologues monégasques n'en aient bénéficié,

- la lettre circulaire n° 2001-001 du 10 janvier 2011 relative à l'allégement Aubry II dans les transports établit que les entreprises françaises du secteur ont profité d'avantages en contrepartie de la réduction du temps de travail (allégements de cotisations sociales),

- d'autres dispositifs ont également été mis en place, comme la loi FILLON,

- l'arrêt de la Cour de Révision du 14 octobre 2011 prévoit expressément que le simple fait de pouvoir bénéficier d'allégements légaux de leurs charges salariales destinés à neutraliser les augmentations de salaires minima n'assure pas le principe de parité entre les entreprises monégasques et françaises,

- le salarié a toujours obtenu en temps et en heure paiement de sa rémunération sans qu'aucune contestation n'ait été formulée,

- p. CA. se borne à énoncer un seul fait qui se serait déroulé le 20 mai 2010,

- le demandeur a fait part de son souhait d'être présent lors du dépouillement du scrutin seulement trois jours avant cet évènement,

- de plus, la décision critiquée, qui a été prise par son sous-traitant, résulte d'impératifs professionnels et du fait que la demande a été formulée trop tardivement,

- les dispositions françaises relatives au harcèlement moral ne sont pas applicables en Principauté de Monaco et supposent en tout état de cause des agissements répétés,

- il convient de s'interroger sur l'opportunité de faire figurer sur un camion un signe à caractère politique, totalement étranger aux fonctions,

- les correspondances échangées démontrent qu'elle a cherché à apaiser la situation, alors que son attitude irréprochable à cet égard a été reconnue par l'Inspection du travail,

- aucune faute ne peut lui être imputée et ce d'autant qu'elle ne peut être responsable d'un contentieux intervenu avec un employé d'une société tiers sur lequel elle n'a aucun pouvoir.

SUR QUOI,

En vertu de l'article 11 de la loi n° 739 du 16 mars 1963, modifié par la loi n° 1068 du 28 décembre 1983, relatif au principe de parité entre les salaires minima légaux ou conventionnels français et monégasques,

« Sauf les exceptions prévues par la loi, les montants minima des salaires, primes, indemnités de toute nature et majorations autres que celles prévues par les dispositions législatives relatives à la durée du travail, ne peuvent être inférieurs à ceux qui seront fixés par arrêté ministériel.

Sous réserve des dispositions de l'alinéa suivant, ils seront au moins égaux à ceux pratiqués en vertu de la réglementation ou de conventions collectives, pour des conditions de travail identiques, dans les mêmes professions, commerces ou industries de la région économique voisine.

Les montants minima à calculer en fonction de la durée du travail le seront, par application à cette durée, des dispositions qui la réglementent et d'un taux horaire théorique.

Le taux horaire théorique est obtenu en divisant par le nombre d'heures auxquels ils correspondent les minima de référence prévus au deuxième alinéa, déduction faite de leurs majorations pour heures supplémentaires.

Il ne sera pas tenu compte des modifications qui, dans la région de référence, affecteront le salaire, soit directement, soit indirectement en raison de changements intervenus dans la durée du travail, lorsque ces modifications trouveront leur cause dans des accords passés par les employeurs avec des contractants autres que leurs salariés ou leurs syndicats ».

Aux termes d'un arrêt rendu le 14 octobre 2011, dans une affaire TF c/ SAM M, la Cour de Révision a confirmé les jugements du Tribunal du Travail des 28 avril 2005 et 29 mars 2007 et a été amenée à préciser :

« Mais attendu que l'existence de conditions de travail identiques à Monaco et dans la région de référence, au sens des textes susvisés, est une condition d'application du principe posé de parité des salaires et non une modalité de sa mise en œuvre ; que l'ensemble des dispositions régissant le travail salarié doit être pris en considération, notamment dans l'aménagement de sa durée, de sa flexibilité et de leurs coûts corrélatifs ; que le droit national français, à partir de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 et de lois ultérieures, relatives à la réduction négociée ou impérative du temps de travail, s'est caractérisé par une diminution de sa durée hebdomadaire avec maintien du salaire minimum et extension corrélative du régime pécuniaire des heures supplémentaires, ainsi que par la possible annualisation du temps et de la rémunération du travail, dans un contexte de réorganisations minoratives de sa durée, en contrepartie d'avantages financiers particuliers accordés directement aux entreprises par les pouvoirs publics, toutes dispositions légales ou réglementaires affectant directement les conditions de travail et inconnues du droit monégasque ; qu'en effet, sur le territoire de la Principauté, l'ordonnance-loi n° 677 du 2 décembre 1959, l'ordonnance d'application n° 5505 et la loi n° 950 du 19 avril 1974 déterminent un régime hebdomadaire impératif de la durée contractuelle du travail sans possibilité de conventions entre les employeurs et les salariés visant à compenser un éventuel dépassement horaire sur une semaine par un allègement corrélatif au cours des semaines suivantes, ni d'aides étatiques exonératoires de charges patronales pour favoriser l'emploi ;

Attendu qu'en l'espèce les pièces produites établissent que, pour la période des rappels de salaire réclamés par M. FE., les entreprises de sécurité de la région niçoise ont bénéficié d'allègements légaux de leurs charges salariales destinées à neutraliser des augmentations du salaire minimum interprofessionnel de croissance et pallier la hausse des minima catégoriels, afin de leur permettre de créer des emplois tout en maintenant leur productivité ; qu'il s'ensuit que le principe de parité invoqué par M. FE. n'est pas applicable à ses demandes ».

L'identité des conditions de travail doit s'entendre, ainsi que le relève la décision du Tribunal du Travail du 29 mars 2007 rendue dans la même affaire, dans un sens large incluant d'une part, les aspects organisationnel et juridique de cette notion, lesquels recouvrent non seulement l'organisation matérielle du travail et les conditions relatives à la force de travail, mais aussi l'organisation et l'aménagement du temps de travail, et d'autre part, son aspect économique, lequel doit être examiné sous l'angle de l'octroi d'aides étatiques nouvelles aux entreprises françaises dont leurs homologues monégasques ne bénéficieraient pas (alinéa 5 de l'article 11).

En l'espèce, p. CA. verse aux débats l'ensemble des avenants à la convention collective nationale française des transports routiers et activités auxiliaires de transport relatifs aux salaires applicables sur la période du 1er février 2006 au 31 janvier 2011.

De plus, il résulte à suffisance des pièces produites que le coefficient 150 mentionné sur les bulletins de salaire pour un poste de conducteur poids lourds groupe 7 est celui accordé par la convention collective française dont s'agit aux ouvriers roulants des entreprises de transports de marchandises pour le groupe 7 ou pour les conducteurs les plus qualifiés.

Il incombe par suite à la présente juridiction de déterminer si les conditions de travail, telles qu'elles ont été définies ci-dessus, étaient identiques, au sein de la profession considérée, dans la région économique voisine et à Monaco, pendant la période 1er février 2006 au 31 janvier 2011 (la charge de cette preuve incombant au syndic de la liquidation des biens de la SAM A).

La différence actuelle de la durée légale du travail en France et en Principauté ne constitue pas, en elle-même, un obstacle à l'application du principe de parité grâce à l'unité de compte alignée sur l'heure et dénommée taux horaire théorique, ainsi que l'avait précisé la présente juridiction dans sa décision du 28 avril 2005 (affaire TF c/ SAM M).

S'agissant de l'organisation et de l'aménagement du temps de travail, la durée du travail se trouve actuellement réglementée, en Principauté de Monaco, pour les entreprises de transport par terre (dont transports routiers de marchandises), par les dispositions de l'ordonnance n° 2866 du 20 juillet 1962.

Le législateur français ayant pour sa part mis la négociation collective au cœur de l'évolution de l'organisation du temps de travail et de la mise en place de sa flexibilité (sans qu'il soit démontré que les lois ultérieures aient remis en cause ce principe) depuis la phase de réduction négociée puis impérative de la durée du travail, il convient d'analyser les accords collectifs sur la durée du travail applicables dans la région économique voisine et dans le secteur d'activité concerné (transports routiers), sur la période de référence (1er février 2006 au 31 janvier 2011), pour déterminer les contours des conditions de travail.

Or, force est de constater que Jean-Paul SA. ne produit aucune convention collective relative à la durée du travail, ainsi que le Tribunal l'y avait pourtant invité par son jugement du 31 janvier 2013, étant relevé que le document versé aux débats intitulé « transports routiers marchandises : la durée du travail et la rémunération » (pièce n°1 du défendeur) est insuffisant pour procéder à une comparaison concrète des conditions de travail entre la France et Monaco.

Il n'est nullement démontré que les dispositions conventionnelles françaises relatives à l'équivalence ou les temps compris dans la durée du travail effectif aient évolué à la suite de l'entrée en vigueur des lois AUBRY I et II, lesquelles ont marqué le point de départ de la modification majeure des conditions de travail en France, dans certaines professions, par rapport à celles existant à Monaco.

La lettre circulaire n° 2001-001 du 10 janvier 2001 et l'articule publié sur le site internet du Sénat français concernant l'application de la loi de financement de la sécurité sociale (pièces n° 2 et 3 du défendeur) ne permettent pas de justifier que les entreprises de la région économique voisine ou même seulement certaines d'entre elles ont effectivement bénéficié des aides de la loi AUBRY I et II (quand bien même elles ont été accordées antérieurement à la période de référence) dans le secteur d'activité concerné, alors que les allégements de charges octroyés à toutes les entreprises par la loi FILLON ne constituent pas « un accord passé » avec l'État français au sens de l'article 11 alinéa 5 susvisé.

En définitive, faute pour le syndic de la liquidation des biens de la SAM A d'avoir établi que les conditions de travail n'étaient plus identiques à Monaco et dans la région économique voisine, dans la profession en cause, le salarié est fondé à obtenir l'application du principe de parité minimale sur la période du 1er février 2006 au 31 janvier 2011.

Les calculs auxquels p. CA. a procédé pour déterminer le rappel de salaire de base, le rappel d'heures supplémentaires, le rappel de primes de nuit et d'ancienneté n'ayant pas été précisément contestés, il convient de fixer respectivement les créances en cause à hauteur des sommes brutes réclamées de 4.285,89 euros, 3.997,98 euros et 5.459,62 euros et 102,14 euros.

Les pièces versées aux débats démontrent également que les jours fériés des 22 mai 2008, 25 décembre 2008 et 27 janvier 2010 qui ont été travaillés ont été payés normalement, sans règlement d'une indemnité ou octroi d'un repos compensateur, si bien que la demande de fixation de la créance sur ce point à hauteur de la somme brute de 219,84 euros doit être accueillie.

L'indemnité compensatrice de congés payés doit par suite être fixée à la somme brute de 14.065,47 /10 = 1.406,55 euros et l'indemnité monégasque de 5% à la somme de (14.065,47 + 1.406,55) x 5/100 = 773,60 euros.

Il convient d'ordonner l'exécution provisoire pour l'ensemble des fixations qui précèdent dès lors qu'elles concernent les salaires et leurs accessoires. Toutefois, les intérêts au taux légal ne peuvent être octroyés, en application des dispositions de l'article 453 alinéa 1er du Code de commerce.

S'agissant des heures de délégation, le demandeur ne démontre pas que l'employeur l'aurait empêché d'utiliser les 10 heures de délégation qu'il avait la possibilité de prendre en sa qualité d'archiviste du bureau syndical de l'USM (à supposer que le salarié puisse prétendre au bénéfice des dispositions de la convention collective nationale du travail non étendue), de telle sorte qu'aucune fixation de créance ne peut avoir lieu de ce chef.

En outre, l'employeur a pu se méprendre sur la portée de ses obligations concernant les sommes dues en application de la convention collective française.

Par ailleurs, p. CA. ne rapporte aucunement la preuve de ses allégations relatives à une quelconque entrave à ses fonctions syndicales.

Le fait que le demandeur n'ait pas pu assister au dépouillement du vote des élections des délégués du personnel le 20 mai 2010 résulte de sa propre carence, dès lors qu'il n'a manifestement prévenu sa hiérarchie que tardivement (17 ou 18 mai 2010) de sa volonté d'y prendre part et que les impératifs professionnels invoqués par le client de la société C apparaissent parfaitement plausibles et légitimes. De plus, la SAM A a pris la peine de répondre le 28 mai 2010 à la correspondance de son salarié du 24 mai 2010 évoquant cette question.

Il résulte des échanges de courriers intervenus entre p. CA. et son employeur ou la lettre de l'Inspection du travail du 26 janvier 2010 que :

- la SAM A avait apporté une réponse au demandeur concernant sa correspondance du 3 août 2009 relative aux agissements dont il a été victime de la part d'un tiers, Monsieur PO., employé de l'entreprise C, et ce, par un courrier recommandé du 4 septembre 2009 qui n'a jamais été retiré par le salarié,

- l'employeur a reçu p. CA. au mois de décembre 2009 et discuté avec Monsieur PO. sans toutefois obtenir les excuses sollicitées,

- la SAM A, qui ne disposait d'aucun pouvoir hiérarchique sur Monsieur PO., a demandé à l'entreprise C que ce dernier ne donne plus d'ordre au salarié (correspondance du 6 janvier 2010 en réponse à celle du 21 décembre 2009).

Dans ces conditions, il apparaît que l'employeur a bien pris en compte les remarques du demandeur, est intervenu pour tenter de solutionner le litige et mettre fin à la difficulté en cause, de telle sorte qu'il n'a aucunement manqué à son obligation de bonne foi d'exécution du contrat de travail.

La demande de fixation de dommages et intérêts doit dès lors être rejetée.

Le syndic de la liquidation des biens de la SAM A doit supporter les dépens du présent jugement.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, après en avoir délibéré,

Fixe à la somme brute de 4.285,89 euros (quatre mille deux cent quatre vingt cinq euros et quatre vingt neuf centimes) le rappel de salaire de base dû par la société anonyme monégasque A à p. CA., et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Fixe à la somme brute de 3.997,98 euros (trois mille neuf cent quatre vingt dix sept euros et quatre vingt dix huit centimes) le rappel d'heures supplémentaires dû par la société anonyme monégasque A à p. CA., et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Fixe à la somme brute de 5.459,62 euros (cinq mille quatre cent cinquante neuf euros et soixante deux centimes) le rappel de primes de nuit dû par la société anonyme monégasque A à p. CA., et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Fixe à la somme brute de 102,14 euros (cent deux euros et quatorze centimes) le rappel de prime d'ancienneté dû par la société anonyme monégasque A à p. CA., et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Fixe à la somme brute de 219,84 euros (deux cent dix neuf euros et quatre vingt quatre centimes) le rappel de salaire dû pour les jours fériés par la société anonyme monégasque A à p. CA., et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Fixe à la somme brute de 1.406,55 euros (mille quatre cent six euros et cinquante cinq centimes) l'indemnité compensatrice de congés payés due sur les rappels de salaire par la société anonyme monégasque A à p. CA., et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Fixe à la somme de 773,60 euros (sept cent soixante treize euros et soixante centimes) l'indemnité monégasque de 5% due par la société anonyme monégasque A à p. CA., et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Déboute p. CA. du surplus de ses demandes ;

Dit que le syndic de la liquidation des biens de la société anonyme monégasque A doit supporter les dépens du présent jugement qui seront employés en frais privilégiés de liquidation des biens ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Jean DESIDERI, Jacques ORECCHIA, membres employeurs, Messieurs Philippe LEMONNIER, Pierre AMERIGO, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt trois octobre deux mille quatorze, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Jacques ORECCHIA, Philippe LEMONNIER et Pierre AMERIGO, Monsieur Jean DESIDERI étant empêché, assistés de Madame Catherine CATANESE, Secrétaire en Chef.

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