Tribunal du travail, 5 décembre 2013, Madame M. C. c/ Monsieur M. M. N.
Abstract🔗
Contrat de travail - Résiliation judiciaire - Méconnaissance par l'employeur de ses obligations essentielles - Dommages et intérêts.
Résumé🔗
La partie envers laquelle l'obligation convenue n'a pas été exécuté a la faculté, en l'absence de dispositions contraires de la loi n° 729 du 16 mars 1963, concurremment avec l'exercice de son droit unilatéral de rupture (licenciement ou démission), de solliciter auprès du Tribunal du Travail la résiliation judiciaire du contrat de travail (contrat à exécution successive) ainsi que des dommages et intérêts. Dès lors, en l'état de la méconnaissance par l'employeur de ses obligations essentielles de paiement des salaires à la salariée à laquelle il n'a pas notifié de licenciement, il convient de prononcer, à la date du présent jugement, la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur. Les fautes commises par l'employeur justifient l'allocation au profit de la salariée de dommages et intérêts.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
AUDIENCE DU 5 DÉCEMBRE 2013
En la cause de Madame M. C., demeurant : X à NICE (06000),
demanderesse, bénéficiant de l'assistance judiciaire par décision n° 83/BAJ/13 du bureau d'assistance judiciaire en date du 14 février 2013, plaidant par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Étude,
d'une part ;
Contre :
Monsieur M. M. N., propriétaire exploitant du cabinet K sis X, et domicilié : X à MONACO,
défendeur, non comparant, ni représenté,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu la requête introductive d'instance en date du 31 mai 2013 reçue le même jour ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 18 juin 2013 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de Madame M. C., en date du 11 juillet 2013 ;
Ouï Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour Madame M. C., en sa plaidoirie ;
Nul n'ayant comparu pour Monsieur M. M. N. ;
Vu les pièces du dossier ;
M. C. a été employée par M. M. N. suivant contrat à durée indéterminée, à compter du 10 juillet 2006, en qualité de manipulatrice radio.
Celle-ci a, ensuite d'un procès-verbal de défaut en date du 17 juin 2013, attrait M. M. N. devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat à la date du jugement à intervenir aux torts exclusifs de l'employeur et d'obtenir paiement :
- de la somme de 9.878,76 euros à titre de rappel de salaires bruts pour l'année 2012 (trois mois),
- de la somme de 200 euros à titre de complément de rémunération (tickets restaurants septembre 2012),
- des salaires brus restant dus pour l'année 2013 et ce jusqu'à la date du jugement prononçant la résiliation judiciaire (13.171,68 euros à parfaire),
- de l'indemnité de congés payés restant due jusqu'à la date du jugement prononçant la résiliation judiciaire (9.812,51 euros à parfaire),
- la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts,
avec intérêts de droit à compter de la date de convocation devant le bureau de conciliation.
Elle a également sollicité la délivrance des bulletins de salaires depuis le mois de septembre 2012 jusqu'à la date du jugement prononçant la résiliation judiciaire, le certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement.
M. M. N. a signé l'accusé de réception de la lettre recommandée prévue par l'article 39 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 mais n'a nullement comparu.
L'affaire a été plaidée en l'absence du défendeur lors de l'audience du 24 octobre 2013 et le jugement mis en délibéré a été prononcé le 5 décembre 2013.
Aux termes de ses écritures judiciaires, M. C. a également sollicité l'exécution provisoire de la décision à intervenir et a précisé qu'elle avait été en arrêt maladie du 8 février au 11 avril 2013 et en congé maternité du 12 avril 2013 au 10 octobre 2013.
SUR QUOI,
M. M. N. n'a pas comparu dans le cadre de la présente instance, alors qu'il a été destinataire de la lettre recommandée, l'informant du renvoi de l'affaire devant le bureau de jugement, dont il a signé l'accusé de réception, de telle sorte qu'il sera statué par jugement réputé contradictoire à son encontre.
Conformément aux articles 1er et 2 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, le contrat de travail, qui constitue la convention par laquelle une personne s'engage temporairement à exécuter un travail sous l'autorité et au profit d'une autre personne contre paiement d'un salaire déterminé, est soumis aux dispositions de droit commun.
Dès lors qu'il comporte à la charge des parties contractantes des obligations réciproques, le contrat de travail est un contrat synallagmatique.
La condition résolutoire étant, aux termes de l'article 1039 du Code civil, toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des deux parties ne satisferait pas à son engagement, la partie envers laquelle l'obligation convenue n'a pas été exécutée a la faculté, en l'absence de dispositions contraires de la loi n° 729 du 16 mars 1963, concurremment avec l'exercice de son droit unilatéral de rupture (licenciement ou démission), de solliciter auprès du Tribunal du Travail la résiliation judiciaire du contrat de travail (contrat à exécution successive) ainsi que des dommages et intérêts.
En l'espèce, M. C. n'a plus perçu ses salaires depuis le mois d'octobre 2012 et ne s'est pas vue notifier son licenciement, alors qu'en dépit des promesses de M. M. N., aucune régularisation n'est intervenue.
De plus, ce dernier n'a pas attesté de la présence au sein de l'entreprise de la salariée au cours de sa grossesse.
En l'état de la méconnaissance par l'employeur de ses obligations essentielles, il convient de prononcer, à la date du présent jugement, la résiliation judiciaire du contrat de travail de la demanderesse aux torts exclusifs du défendeur.
De plus, le salarié, qui se tient à la disposition de son employeur, a droit au paiement des salaires, primes et congés payés afférents, peu important que ce dernier ne lui fournisse pas de travail, si bien que M. M. N. est redevable de la somme brute totale de 21.187,58 euros à titre de rappel de salaire se décomposant comme suit :
Rappel de salaire d'octobre 2012 à janvier 2013 : 3.292,92 x 4 = 13.171,68 euros
Rappel de salaire du 1er au 7 février 2013 : 3.292,92 x 7/28 = 823,23 euros
Rappel de salaire pendant l'arrêt de travail du 8 février au 8 avril 2013 :
Maintien du salaire à hauteur de 90% pendant 30 jours (avenant n° 18 à la convention collective nationale du travail), soit du 8 février au 9 mars 2013,
(3.292,92 x 21/28 + 3.292,92 x 9/31) x 90 / 100 - (805,41 + 604,06 + 838,97 + 55,93) = 3.425,70 x 90/100 - 2.304,37 = 778,76 euros
Maintien du salaire à hauteur des 2/3 pendant 30 jours (avenant n° 18 à la convention collective nationale du travail), soit du 10 mars au 8 avril 2013,
(3.292,92 x 22 /31 + 3.292,92 x 8 /30) x 2 / 3 - (503,38 + 783,04 + 391,52) = 3.215,02 x 2/3 - 1.677,94 = 465,41 euros
Rappel de salaire du 11 octobre au 4 décembre 2013 : 3.292,92 x 21/31 + 3.292,92 + 3.292,92 x 4/31= 2.230,69 + 3.292,92+ 424,89 = 5.948,50 euros
ainsi que la somme brute totale de 14.074,22 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés se décomposant comme suit :
Pour la période de référence 2010/2011 : 3.292,92 (règle du maintien du salaire faute de justifier des bulletins de paie afférents à la période) /26 (nombre de jours ouvrables au cours du mois de novembre 2013) x 26 (nombre de jours non pris) = 3.292,92 euros
Pour la période de référence 2011/2012 :
1/10ème de la rémunération totale : [3.292,92 x 10 (y compris l'indemnité de congés payés de l'année précédente) + 2.095,58 + 1.796,10]/10 = 36.820,88/ 10 = 3.682,09 euros pour les 26 jours acquis et non pris
Pour la période de référence 2012/2013 :
(3.292,92 x 12 + 3.682,09) /10 = 4.319,71 euros pour 30 jours de congés acquis et non pris
Pour la période comprise entre le 1er mai 2013 et le 4 décembre 2013 :
1/10ème de la rémunération : (3.292,92 x 7 + 3.292,92 x 4/31 + 4.319,71)/10= 2.779,50 euros pour les 18 jours de congés acquis et non pris,
le tout avec intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2013, date de la convocation en conciliation, sur la somme de 13.171,68 + 823,23 + 778,76 + 465,41 + 3.292,92 + 3.682,09 + 4.319,71 = 26.533,80 euros et à compter du jugement pour le surplus, et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire (salaires et accessoires).
Les éléments versés aux débats ne permettent cependant pas de considérer que le montant des tickets restaurants non remis aurait été prélevé sur le salaire du mois de septembre 2012, en sorte que la demande formée de ce chef ne peut prospérer.
Les fautes commises par le défendeur justifient l'allocation au profit de M. C. de la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts, dans la mesure où la demanderesse a subi :
- un préjudice financier lié à l'absence de tout revenu pendant certaines périodes et à l'impossibilité de percevoir des indemnités chômage depuis le 11 octobre 2013,
- un préjudice moral lié aux démarches accomplies au cours de sa grossesse en vue de sa prise en charge par les Caisses Sociales,
- un préjudice moral lié à la nécessité d'introduire la présente instance pour faire valoir ses légitimes prétentions, à l'incertitude quant au recouvrement de sommes indubitablement dues et au manque de considération de la part du défendeur pour le compte duquel elle a travaillé pendant plus de sept années,
étant relevé qu'il n'est pas justifié sur ce point des conditions nécessaires au prononcé de l'exécution provisoire.
Il convient également d'ordonner, dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la présente décision, la délivrance par M. M. N. à M. C. des bulletins de salaire pour la période s'étendant du 1er septembre 2012 au 4 décembre 2013, le certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi conformes, et ce, sous astreinte de 50 euros par jour retard et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
Le défendeur, qui succombe, doit supporter les dépens du présent jugement.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Statuant publiquement, en premier ressort et par jugement réputé contradictoire,
Prononce, à la date du présent jugement, la résiliation judiciaire du contrat de travail conclu entre M. C. et M. M. N. aux torts exclusifs de ce dernier ;
Condamne M. M. N. à payer à M. C. la somme brute de 21.187,58 euros (vingt et un mille cent quatre vingt sept euros et cinquante huit centimes) à titre de rappel de salaire pour la période s'étendant du 1er octobre 2012 au 4 décembre 2013 ainsi que la somme brute de 14.074,22 euros (quatorze mille soixante quatorze euros et vingt deux centimes) à titre d'indemnité compensatrice de congés, avec intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2013 sur la somme de 26.533,80 euros et à compter du jugement pour le surplus, a somme de de justifier des difficultés particulières en raison de sa situation familiale à compter du 15 octobre 2012.
Condamne M. M. N. à payer à M. C. la somme de 20.000 euros (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
Ordonne la délivrance par M. M. N. à M. C. des bulletins de salaire pour la période s'étendant du 1er septembre 2012 au 4 décembre 2013, du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi conformes, dans le délai de quinze jours à compter de la signification du présent jugement, et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;
Déboute M. C. du surplus de ses demandes ;
Condamne M. M. N. aux dépens du présent jugement qui seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d'assistance judiciaire ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Daniel CAVASSINO, Jean DESIDERI, membres employeurs, Messieurs Bruno AUGE, Lionel RAUT, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le cinq décembre deux mille treize, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Bruno AUGE et Daniel CAVASSINO, Messieurs Jean DESIDERI et Lionel RAUT étant empêchés, assistés de Madame Catherine CATANESE, Secrétaire en Chef.