Tribunal du travail, 24 octobre 2013, Monsieur A.R. c/ La SAM I
Abstract🔗
Contrat de travail - Rupture - Démission claire et non équivoque - Procédure de licenciement - Requalification de la démission (non).
Résumé🔗
Le licenciement ne peut intervenir postérieurement à la présentation par un employé d'une lettre de démission qu'à la condition qu'un lien de subordination et de hiérarchie ait été maintenu. Or en l'espèce, le salarié qui a adressé sa lettre de démission par télécopie n'a pas effectué de préavis et ne s'est ainsi pas maintenu sous l'autorité de l'employeur. En outre, il a clairement mentionné sa volonté de voir sa démission prendre un effet immédiat. Il s'ensuit que la relation de travail s'est interrompue à la date de réception de la lettre de démission. Nul n'étant censé ignorer la loi, il ne peut valablement invoquer une quelconque erreur de droit. Il se prévaut également, dans le but d'obtenir la requalification de sa démission, de pressions subies du fait de la mise en œuvre de la procédure de licenciement. Or, le fait de lancer une procédure de licenciement ne constitue pas une pression qui pousserait un employé à démissionner avant la fin de cette procédure. En outre, la lettre de démission est tout à fait claire et non équivoque, et s'il conteste dans ce document les reproches qui lui sont faits, il n'en résulte pas que cette démission serait en réalité imposée par l'employeur. La demande de requalification de la démission est rejetée.
Motifs🔗
TRIBUNAL DU TRAVAIL
AUDIENCE DU 24 OCTOBRE 2013
En la cause de Monsieur A.R., demeurant : Via 1X (18018) Province d'Impéria (Italie),
demandeur, ayant élu domicile en l'Etude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, substitué par Maître Sarah FILIPPI, avocat à la Cour d'Appel de Monaco,
d'une part ;
Contre :
La SAM I, dont le siège social est : 2X- Immeuble « 3X » 4X à MONACO (98000),
défenderesse, plaidant par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu la requête introductive d'instance en date du 4 août 2010, reçue le 6 août 2010 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 16 novembre 2010 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur A.R., en date des 3 mars 2011, 21 mai 2012 et 4 octobre 2012 ;
Vu la note en délibéré de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, en date du 19 juillet 2013 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de la SAM I, en date des 3 novembre 2011, 12 juillet 2012 et 6 février 2013 ;
Après avoir entendu Maître Sarah FILIPPI, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, pour Monsieur A.R., et Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour la SAM I, en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
A.R. était employée par la SAM I à compter du 2 janvier 2007 ;
Le 29 juillet 2009, un courrier recommandé était adressé à A.R. lui notifiant son licenciement pour faute grave, après mise a pied avec maintien de salaire ;
Le même jour, A.R. adressait par courrier et télécopie une lettre de démission ;
Soutenant que le licenciement doit primer sur la démission, que le licenciement était abusif et sans motif valable, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 15 novembre 2010, il a attrait la SAM I devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail afin d'obtenir à son profit, et sous le bénéfice de l'exécution provisoire la somme de 3.735.629,68 euros pour licenciement abusif, versement d'une indemnité contractuelle de préavis, congés payés restant dus, indemnités de licenciement et congédiement, commissions restant dues, clause pénale, dommages et intérêts et préjudice moral ;
À la date fixée par les convocations, les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après dix-sept renvois consécutifs intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue le 4 juillet 2013 et le jugement mis en délibéré au 24 octobre 2013 ;
Il fait valoir en substance à l'appui de ses demandes qu'il a été mal conseillé par un avocat Italien, raison pour laquelle il a présenté sa démission, qu'il est en tout état de cause possible de licencier un employé démissionnaire et que dans le cas où il serait considéré que la démission primerait sur le licenciement, il conviendrait de requalifier ce dernier en licenciement, suite aux pressions dont il aurait fait l'objet ;
Il considère qu'à tout le moins, il était en période de préavis lors du licenciement ;
Il conteste l'intégralité des fautes qui lui sont reprochées et déclare notamment que ses employeurs étaient parfaitement au courant de l'intégralité de son travail et du fait que dans l'opération relative à l'aéroport, le montant de l'investissement envisagé avait augmenté ;
Il déclare que son licenciement aurait en fait pour but de masquer des pratiques anormales et notamment la découverte par ses soins d'un document faussement signé de sa main ;
Il estime que ses commissions doivent être calculées sur le bénéfice total réalisé par la SAM I et considère être le seul responsable de la valorisation de la défenderesse en bourse ;
Il demande l'annulation des pièces adverses 6, 24, 25 et 25 bis en ce qu'elles ne respecteraient pas les prescriptions de l'article 324 du Code de procédure civile, ainsi que de la pièce 50 qui est en langue étrangère, non traduite ;
En réponse, la SAM I demande au Tribunal de déclarer les demandes d'A.R. irrecevables suite à sa démission et à titre subsidiaire de le débouter de l'ensemble de ses demandes ;
Elle fait valoir en substance que l'erreur de droit ne peut valablement être invoquée, que le licenciement d'un salarié démissionnaire suppose la poursuite d'une relation de travail et de subordination, ce qui n'a pas été le cas puisque aucun préavis n'a été effectué et qu'en outre, un licenciement pour faute grave durant la période de préavis ne pourrait être fondé que sur des faits nouveaux, postérieurs à la démission ;
Elle considère également qu'en laissant le temps à A.R. de s'expliquer sur les reproches qui lui étaient faits et qui, selon elle, étaient parfaitement justifiés, elle n'a commis aucun abus dans la procédure de licenciement ;
Elle estime que la lettre de démission est claire et non équivoque et n'est pas la conséquence d'une pression le poussant à démissionner ;
Elle conteste les accusations selon lesquelles des documents faussement signés par le demandeur auraient été retrouvés et note que si celui-ci en parle dans un courriel postérieur à la cessation de ses fonctions, il n'a pas mentionné cela dans sa lettre de démission ;
Elle estime que les attestations versées aux débats sont conformes au droit procédural monégasque en ce que si les mentions ne sont pas toujours strictement identiques à la formulation du Code, l'information requise est présente ;
Elle considère en outre que l'absence de la date et lieu de naissance ainsi que du domicile sont sans incidence sur la validité de l'attestation, notamment en ce qu'elles sont contenues dans la pièce d'identité versée aux débats ;
SUR QUOI,
Sur la validité des pièces 6, 24, 25 et 25 bis et 50 de la SAM I :
Au terme de l'article 324 du Code de procédure civile, les attestations doivent, à peine de nullité, être écrites, datées et signées de la main de leur auteur, mentionner leur nom, prénom, date et lieu de naissance, demeure et profession, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, alliance, subordination et d'intérêt avec les parties, préciser si l'auteur a un intérêt au litige, indiquer que l'auteur a établi cette attestation pour être produite en justice et qu'une fausse attestation l'expose aux sanctions de l'article 103 du Code pénal, et être accompagnée d'une copie d'un document officiel comportant sa signature ;
Contrairement à ce que soutient la SAM I, la mention manuscrite de la date et lieu de naissance, demeure et profession est prévue à peine de nullité et ne peut être régularisée par la présentation d'une pièce d'identité ;
Le but de ces mentions est précisément de pouvoir vérifier si l'attestant est bien la personne dont la pièce d'identité est ensuite versée aux débats ;
De plus, il est admis que si ces mentions ne sont pas écrites de la main de l'attestant, l'attestation entière encoure la nullité ;
Ainsi, il convient d'annuler la pièce n°6 qui ne contient pas la mention des dates et lieu de naissance de son rédacteur ;
Il est admis que les mentions exigées par l'article 324 du Code de procédure civile ne doivent pas nécessairement être reproduites à l'identique de la rédaction dudit article et que certaines informations telles notamment que l'intérêt au litige peuvent s'apprécier par le contenu même de l'attestation ;
Ainsi, lorsque les pièces 24 et 25 mentionnent l'absence d' « intérêt aux présentes », il s'évince de cette mention que leurs auteurs estiment ne pas avoir d'intérêt au litige ;
En outre, il n'est pas contesté que la mention en langue italienne « interesse alle lite delle parti » puisse se traduire également par « intérêt au litige des parties » ;
Il n'y a donc pas lieu à annuler ces deux pièces ;
En ce qui concerne la pièce 50, l'absence de traduction d'une pièce ne se traduit pas par son annulation mais par le fait qu'elle doit être écartée des débats ;
Il convient donc d'écarter ce document des débats ;
Sur le licenciement :
S'il est constant qu'un licenciement peut intervenir postérieurement à la présentation par un employé d'une lettre de démission, celui-ci ne peut intervenir que si postérieurement à cette démission un lien de subordination et de hiérarchie a été maintenu ;
En l'espèce, suite à la lettre de démission reçue par télécopie le 29 juillet 2009, A.R. n'a pas effectué de préavis et ne s'est ainsi pas maintenu sous l'autorité de la SAM I ;
En outre, A.R. a clairement mentionné sa volonté de voir sa démission prendre un effet immédiat ;
Il s'ensuit que la relation de travail s'est interrompue dès le 29 juillet 2009, date de la réception de la lettre de démission d'A.R. ;
Nul n'étant censé ignorer la loi, A.R. ne peut valablement invoquer une quelconque erreur de droit ;
Il est admis qu'une démission peut être requalifiée en licenciement dans le cas où il est démontré que l'employeur a exercé des pressions ou entravé le travail de son salarié et l'a ainsi poussé à présenter sa démission ;
En l'espèce, la SAM I a mis en place une procédure de licenciement pour faute grave, a mit à pied A.R. et l'a appelé à fournir ses observations sur les reproches qui lui étaient faits ;
Il ne peut être sérieusement soutenu que le fait de lancer une procédure de licenciement serait une pression qui pousserait un employé à démissionner avant la fin de cette procédure de licenciement ;
En outre, la lettre de démission d'A.R. est tout à fait claire et non équivoque, et s'il conteste dans ce document les reproches qui lui sont faits, il ne s'en évince nullement que cette démission serait en réalité imposée par l'employeur ;
Il convient donc de débouter A.R. de sa demande de requalification de sa démission ;
Il résulte de ces considérations que le lien de travail a été rompu par la lettre de démission d'A.R. et qu'ainsi, toutes ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail sont irrecevables ;
Sur les commissions :
Pour démontrer le principe de sa créance, A.R. se contente d'affirmer que les commissions qu'il aurait dû percevoir doivent être calculée sur les bénéfices de la société et sa valorisation ;
Il n'évoque cependant aucune opération qu'il aurait mené à bien pour le compte de la SAM I et pour laquelle il pourrait prétendre à percevoir une commission telle que prévue par la lettre-contrat de travail ;
Il convient donc de le débouter de ses demandes de ce chef ;
Il convient en outre de condamner A.R. aux dépens, distraits au profit de Me Franck MICHEL, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré ;
Déclare irrecevables les demandes principales d'A.R. ;
Déboute A.R. de ses demandes en paiement de commissions ;
Condamne A.R. aux dépens ;
Composition🔗
Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt quatre octobre deux mille treize, par Monsieur Florestan BELLINZONA, Juge au Tribunal de Première Instance suppléant Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Carol MILLO, Monsieur Tiago RIBEIRO DE CARVALHO, membres employeurs, Messieurs Lionel RAUT, Karim TABCHICHE, membres salariés, assistés de Madame Catherine CATANESE, Secrétaire en Chef.