Tribunal du travail, 29 mars 2012, p. WH. c/ la SOCIÉTÉ DEL MONTE FRESH PRODUCE INTERNATIONAL INC

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Abstract🔗

Entreprise appartenant à un groupe de sociétés - Licenciement économique - Charge de la preuve pesant sur l'employeur de la réalité et de la validité du motif de la rupture - Nécessité d'éléments objectifs, susceptibles de vérification par le tribunal - Employeur, devant démontrer la nécessité économique de la restructuration - Nécessité d'établir l'existence de difficultés économiques ou la nécessité de sauvegarde de la compétitivité dans le secteur d'activité du groupe auquel il appartient - Preuve non rapportée - Justification, en l'espèce, d'un motif valable de la rupture par l'employeur

Résumé🔗

L'employeur a la charge de la preuve de la nécessité économique de la restructuration.

Un salarié employé par un groupe depuis une vingtaine d'année et, depuis le 1er septembre 2006, en qualité de Vice président ventes, suivant contrat à durée indéterminée, par une société internationale de ventes de produits alimentaires appartenant à un groupe ayant des bureaux à Monaco, avait été licencié pour raison économique moins d'une année plus tard. Soutenant que la rupture, motivée par la « décision de supprimer son poste ne reposait pas sur un motif valable et présentait un caractère abusif, il avait demandé des indemnités de licenciement et des dommages intérêts devant le Tribunal du Travail. L'employeur soutenait qu'une dégradation de la situation de la branche d'activités dont dépendait ce cadre avait abouti à la fermeture d'unités de ventes et la suppression d'équipes de vente et marketing.

Le Tribunal du Travail, rappelle d'abord le principe selon lequel il incombe à l'employeur qui a la charge de la preuve de la validité du motif de la rupture, de démontrer, par des éléments objectifs susceptibles de vérification par le tribunal, que le licenciement était fondé sur un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise. Lorsque, comme c'est le cas en l'occurrence, l'employeur est membre d'un groupe, il doit matériellement établir la nécessité économique de la restructuration, les difficultés économiques ou sauvegarde de la compétitivité dans le secteur du groupe auquel il appartient. Après avoir analysé les chiffres d'affaires et bénéfices du groupe et considéré leur diminution, le tribunal a estimé que la situation économique plus défavorable du groupe au cours de l'année 2006, a rendu nécessaire la restructuration. La société employeur justifiait ainsi d'un motif valable de rupture.


Motifs🔗

PRINCIPAUTÉ DE MONACO

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 29 MARS 2012

En la cause de Monsieur p. WH., demeurant : X à MONACO,

demandeur, plaidant par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,

d'une part ;

Contre :

La SOCIÉTÉ DEL MONTE FRESH PRODUCE INTERNATIONAL INC, pris en son bureau administratif, sis 74, Boulevard d'Italie à MONACO (98000),

défenderesse, plaidant par Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,

d'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 18 janvier 2008 reçue le 22 janvier 2008;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 19 février 2008 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de Monsieur p. WH., en date des 3 avril 2008, 6 novembre 2008, 3 décembre 2009 et 3 février 2011 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ DEL MONTE FRESH PRODUCE INTERNATIONAL INC, en date des 3 juillet 2008, 7 mai 2009, 17 septembre 2010 et 14 juillet 2011 ;

Après avoir entendu Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour Monsieur p. WH., et Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour la SOCIÉTÉ DEL MONTE FRESH PRODUCE INTERNATIONAL INC, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

*

p. WH. a été employé par la société DEL MONTE FRESH PRODUCE INTERNATIONAL INC. au sein de son bureau administratif à Monaco, pour une durée indéterminée, à compter du 1er septembre 2006, en qualité de Vice-président Ventes et Marketing-Foods.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 juillet 2007, la société DEL MONTE FRESH PRODUCE INTERNATIONAL INC. a notifié à p. WH. son licenciement dans les termes suivants » la Direction Générale du groupe Del Monte a pris la décision de supprimer le poste de Vice Président Sales & Marketing – Foods à compter du 26 juillet 2007«, tout en le dispensant d'effectuer son préavis de trois mois.

Soutenant que la rupture de son contrat de travail n'est pas fondée sur un motif valable et revêt un caractère abusif, p. WH. a, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 18 février 2008, attrait le bureau administratif de la société DEL MONTE FRESH PRODUCE INTERNATIONAL INC. devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes suivantes :

  • 5.421,26 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du licenciement,

  • 200.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.

Il a également sollicité la délivrance des documents administratifs conformes (bulletins de salaire, attestation ASSEDIC…), sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ainsi que le prononcé de l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après 23 renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 15 décembre 2011, à l'issue de laquelle le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 15 mars 2012.

Le prononcé du jugement a été prorogé au 29 mars 2012.

Dans ses conclusions ultérieures, p. WH. a demandé au Tribunal d'écarter des débats la pièce adverse n° 8 qui n'a pas été intégralement traduite et fait valoir que :

  • son affectation au bureau de Monaco compétent pour l'Europe, l'Afrique et le Moyen Orient remonte en réalité au 1er juin 2006, alors qu'il était précédemment salarié du groupe DEL MONTE depuis le 1er avril 1988 et en poste en Floride en dernier lieu,

  • s'il devait initialement accroître le chiffre d'affaires et les profits de la société défenderesse, il a également été employé à Monaco, afin de gérer les difficultés économiques rencontrées par celle-ci, et ce, dans une optique de restructuration de la division » FOODS « par la fermeture d'usines et la suppression de personnel (rôle conforté par l'importance de son salaire et des coûts de déménagement ; témoignages RI. et CA.),

  • en effet, son transfert a eu lieu à une époque où lesdites difficultés financières étaient très importantes, ce que l'employeur ne pouvait ignorer,

  • de même, lors de son embauche officielle en septembre 2006, la défenderesse a agi en toute connaissance de cause et en l'état des chiffres déjà catastrophiques de 2005 et 2006,

  • il convient de relever que la situation est restée négative, bien que de meilleurs résultats aient été constatés entre 2006 et 2007,

  • en outre, la fermeture d'usines de production non rentables n'était pas encore intervenue lors de la rupture de son contrat de travail et leur activité a été transférée à des tiers cocontractants,

  • or, il était de sa responsabilité d'avoir des contacts avec les distributeurs (tâche non achevée au moment du congédiement) et de travailler avec eux,

  • si la pièce adverse n° 6 démontre qu'il était prêt à déménager à Budapest (pour l'ouverture d'un bureau) ou à Monaco, il n'en demeure pas moins que sa préférence portait sur Budapest (son épouse étant hongroise), de telle sorte qu'il est faux de soutenir qu'il a émis le souhait de venir travailler en Principauté,

  • la mauvaise santé économique de l'entreprise a conduit son employeur à lui proposer un poste à Monaco impliquant plus de responsabilités et il a donné son accord en vue de cette mutation nécessitée par les besoins de la société DEL MONTE,

  • par ailleurs, dans le cadre d'un voyage au Portugal, il a dû être hospitalisé du 21 au 25 avril 2007 avant d'être rapatrié à Monaco, puis s'est vu prescrire un arrêt de travail jusqu'au 24 juillet 2007,

  • pendant cette période, il a continué à travailler depuis son lit (échanges de courriels, importance des tâches) ainsi qu'en attestent Monsieur CA. et Madame RI.,

  • Monsieur EL NA. a décidé que ses responsabilités devaient être temporairement prises en charge par f. VA. ME. à compter du 28 juin 2007 (importance de ses attributions),

  • pourtant, son poste - devenu soudainement inutile - a été supprimé le 25 juillet 2007 dès son retour de maladie,

  • la veille de la notification de la rupture, son ordinateur et son Blackberry ont été mis hors d'usage (planification de la mesure) et il a dû immédiatement restituer les objets appartenant à l'entreprise,

  • en définitive, la rupture est intervenue pour un motif manifestement fallacieux (prétexte des difficultés économiques préexistantes qui étaient également à l'origine de l'embauche) et ce d'autant que ses fonctions sont exercées par un autre salarié au sein de la société défenderesse,

  • l'employeur a également fait preuve d'une précipitation et d'une légèreté blâmables dans la mesure où il était employé par le groupe depuis presque 20 années,

  • à l'âge de 54 ans et malgré son expérience ainsi que ses qualifications, il a rencontré les plus grandes difficultés dans sa recherche d'un nouvel emploi (nombreuses démarches infructueuses),

  • il a créé une société se dénommant » BUENGA WELLNESS « qui ne lui a procuré aucun revenu et dont l'activité est désormais interrompue, alors que sa collaboration dans cette structure avec Monsieur CA. est sans rapport avec le présent litige,

  • les contacts avec la compagnie » DR SMOOTHIE « n'ont pas abouti à des résultats concrets,

  • lors de son arrivée à Monaco, les conditions d'acclimatation ont été difficiles pour lui ainsi que pour toute sa famille,

  • en dépit d'un lourd labeur, il a été congédié de manière parfaitement abusive,

  • certains employés mentionnés par la partie adverse (AL., DU., MO.) ont reçu des propositions pour d'autres affectations géographiques, ce qui n'a pas été son cas,

  • les pièces adverses n° 33 à 38 ne démontrent pas les raisons pour lesquelles le licenciement serait intervenu pour un juste motif.

La société DEL MONTE FRESH PRODUCE INTERNATIONAL INC. a sollicité reconventionnellement la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts et soutient pour l'essentiel que :

  • si elle dispose d'un bureau administratif (comprenant notamment l'administration des ventes et le marketing) pour l'Europe situé en Principauté de Monaco, elle est dûment enregistrée au Libéria et fait partie du groupe DEL MONTE dont l'activité principale à travers le monde, qui consiste en la production ainsi que la vente de denrées alimentaires, se répartit en deux divisions : la division » FRESH « (production agricole et commercialisation de produits frais) et la division » FOODS « (production industrielle et commercialisation de produits alimentaires transformés),

  • p. WH. a été embauché le 1er avril 1988 en tant que responsable régional ventes par la société de droit américain aujourd'hui dénommée » Del Monte Fresh Produce Company « enregistrée dans l'État du DELAWARE, puis a intégré à compter du mois de mai 1998 un poste pour les activités de vente et marketing en Amérique du Nord au sein de la société » Del Monte Fresh Produce Company NA « enregistrée dans l'État de FLORIDE,

  • au cours de l'année 2002, le demandeur a émis le souhait de travailler en Europe et si possible à Monaco ou à Budapest, afin de se rapprocher de la famille de son épouse, citoyenne hongroise,

  • il a ainsi accepté le 29 août 2006 un poste à Monaco (situation liquidée aux USA) et a été chargé jusqu'en juillet 2007 de la responsabilité marketing et de l'animation commerciale de la division » FOODS « en Europe en tant que » Vice President Sales & Marketing «,

  • la branche d'activité » FOODS « a connu une grave crise qui s'est poursuivie en 2007 et ses résultats catastrophiques ont conduit le groupe à opérer une restructuration en Europe,

  • or, les difficultés économiques et les restructurations de l'entreprise sont des motifs valables de rupture selon une jurisprudence constante des juridictions monégasques,

  • les rapports annuels du groupe pour les années 2006 et 2007 démontrent la réalité des difficultés de la branche » Prepared Foods « en Europe, elles-mêmes reconnues par le salarié,

  • dans ces conditions, le groupe a été contraint de procéder à une profonde réorganisation de son activité » FOODS « en Europe, en sorte que des unités de production ont été fermées et leur activité transférée à des contractants tiers, que les activités vente et marketing ont été confiées à des distributeurs locaux et que de nombreux licenciements ont eu lieu (France : trois salariés qui étaient » responsable grands comptes « (commercial/vente), » responsable grands comptes –marques de distributeurs « et » marketing « ; Monaco : les 8 salariés du département marketing supervisé par p. WH. ; Italie – fermeture de l'usine SAN FELICE : 78 salariés, cessation d'activité de la société Del Monte Foods (Italia) Spa : 40 salariés ; Angleterre – 26 salariés de la Division Foods transférés chez le distributeur ou congédiés, fermeture de l'usine WEST LYNN : 67 salariés),

  • la majeure partie des cadres à travers l'Europe sous l'autorité directe ou indirecte du demandeur ont été antérieurement ou concomitamment licenciés, ce que la partie adverse n'a au demeurant jamais remis en cause,

  • l'argumentation tendant à considérer comme abusive toute rupture d'un contrat de travail pour motif économique prononcée à l'encontre d'un employé embauché en temps de crise ne peut être suivie,

  • la mesure de licenciement est justifiée lorsque la persistance des difficultés financières impose une restructuration conduisant à des suppressions de poste,

  • p. WH. a été employé pour répondre à un objectif précis : le développement des ventes dans la branche » FOODS « et non sa liquidation, ainsi qu'il résulte de la description de son poste et des pièces versées aux débats (contrats marketing, communiqué officiel pièce adverse n° 22),

  • les déclarations de tiers versées aux débats ne sont pas davantage suffisantes pour administrer la preuve d'une mission spécifique de restructuration confiée au demandeur,

  • le témoignage de Monsieur CA. cite le nom de sociétés n'appartenant pas au groupe, évoque sans plus de détails un » plan de sauvetage « et devra en tout état de cause être rejeté en raison du lien d'intérêt existant avec le salarié (co-fondateurs de la société BUENGA WELLNESS),

  • l'attestation de Madame RI. comporte également une erreur,

  • de plus, ce n'est qu'en cours d'année 2007, lorsque les résultats définitifs de l'année 2006 ont confirmé une nette dégradation de la situation de la branche d'activité » FOODS « que la restructuration (jusqu'alors cantonnée aux unités de production) s'est poursuivie pour entraîner la fermeture d'unités de vente et la suppression des équipes ventes et marketing,

  • en tout état de cause, si elle avait eu l'intention de licencier le salarié, elle n'avait aucun intérêt à le faire en Principauté de Monaco, surtout après avoir octroyé une importante rémunération à l'intéressé et engagé des frais de déménagement ainsi que de location d'appartement,

  • en effet, elle aurait très bien pu procéder à la rupture à moindre frais aux États-Unis où les lois sociales sont nettement moins protectrices,

  • par ailleurs, il n'a jamais été convenu que p. WH. serait transféré à Budapest au lieu de Monaco, les échanges de correspondances de décembre 2002 excluant tout engagement ferme et définitif en ce sens et aucune filiale ou bureau de représentation du groupe n'existant en Hongrie,

  • l'affectation éventuelle évoquée uniquement à Monaco en janvier 2006 n'a ainsi jamais été imposée au lieu et place de Budapest (destination non sérieusement envisagée),

  • le remplacement temporaire du demandeur par f. VA. ME. (qui a repris l'exercice de ses seules fonctions à la suite de la rupture) a été décidé afin que la finalisation des contrats de distribution (contacts déjà identifiés) puisse être menée à bien au moment du prolongement de l'arrêt de travail du salarié,

  • p. WH. ne peut soutenir qu'il aurait » travaillé de manière très importante « pendant cette période, l'attestation de Madame RI. ne fournissant aucun élément concret en ce sens,

  • le salarié était parfaitement informé des difficultés rencontrées et des restructurations opérées dans la branche » FOODS «,

  • il a même participé aux entretiens préalables aux licenciements des membres de son équipe à Monaco dès le mois de novembre 2006, ainsi qu'aux négociations avec les distributeurs tiers dans le cadre des transferts d'activités ventes et marketing,

  • la suppression du poste du demandeur est intervenue dans ce contexte et n'était que la conséquence logique de la restructuration ainsi menée,

  • en l'état de l'arrêt de travail prescrit du 19 avril au 24 juillet 2007, il était impossible de prononcer la rupture avant le retour de p. WH.,

  • le salarié a été reçu en entretien et a été licencié le lendemain, ces circonstances ne caractérisant aucune brusquerie,

  • elle a maintenu la rémunération du demandeur à hauteur de 90% puis des 2/3 pendant l'interruption de travail, alors qu'elle n'y était pas légalement tenue (ancienneté de moins de 2 ans),

  • le service des ressources humaines a consacré un temps non négligeable afin d'aider l'intéressé dans ses démarches administratives,

  • p. WH. a retrouvé un emploi (BUENGA WELLNESS et DR SMOOTHIE) alors que les pièces adverses versées aux débats ne permettent pas de considérer que les recherches (dernière offre du 29 octobre 2008) auraient été infructueuses ou n'aient pas donné lieu à un travail même temporaire,

  • il n'est pas davantage justifié d'une inscription actuellement en cours en tant que demandeur d'emploi,

  • le poste et le déménagement n'ont nullement été imposés au salarié qui les a acceptés en toute connaissance de cause, alors que p. WH. et sa famille résident encore en Principauté,

  • le demandeur a bénéficié du programme d'attribution des stock-options du groupe dans des conditions dérogatoires (plus-value de 135.645 dollars),

  • la mauvaise foi du salarié est avérée puisqu'il connaissait les difficultés rencontrées par l'entreprise,

  • la traduction intégrale de la pièce n° 8 suppose un coût astronomique et les extraits traduits n'ont fait l'objet d'aucune contestation, alors que p. WH., dont l'anglais est la langue maternelle, peut y apporter tout commentaire qu'il estimerait utile.

SUR QUOI,

La pièce n° 8 produite par la société défenderesse, quand bien même elle n'est que partiellement traduite, n'a pas lieu d'être rejetée des débats, dans la mesure où il n'est pas soutenu, ni démontré que le Tribunal ne pourrait pas justement apprécier le litige sans la traduction de l'ensemble du document. En tout état de cause, le texte non traduit ne sera pas examiné par la présente juridiction.

I) Sur la validité du licenciement

Il incombe à l'employeur, qui a la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif de la rupture, de démontrer par des éléments objectifs susceptibles de vérification par le Tribunal que le licenciement était fondé sur un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise.

À cet égard, l'employeur, membre d'un groupe de sociétés, doit matériellement établir la nécessité économique de la restructuration - difficultés économiques ou sauvegarde de la compétitivité dans le secteur d'activité du groupe auquel il appartient.

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats (rapports annuels du groupe DEL MONTE pour les années 2006 et 2007) par la société défenderesse que :

  • le chiffre d'affaires net du groupe était de 3.259,7 (millions de dollars US) au 30 décembre 2005, de 3.214,3 (millions de dollars US) au 29 décembre 2006, et de 3.365,5 (millions de dollars US) au 28 décembre 2007,

  • le bénéfice brut du groupe était de 315 (millions de dollars US) - 311,5 dans le rapport annuel de l'année 2006 - au 30 décembre 2005, de 189.4 (millions de dollars US) - 186,5 dans le rapport annuel de l'année 2006 - au 29 décembre 2006, et de 364,9 (millions de dollars US) au 28 décembre 2007,

  • dans le secteur spécifique dénommé » Prepared Foods «, le chiffre d'affaires net et le bénéfice brut ont évolué de la manière suivante :

Chiffre d'affaires net - Bénéfice brut

30 décembre 2005 : 329,5 (millions de dollars US) 45.9

29 décembre 2006 : 308.6 (millions de dollars US)- 10,4 (perte)

  1. 9 (rapport annuel 2006)- 12,6 (perte)

28 décembre 2007 : 357 (millions de dollars US) 47,3

  • la diminution du bénéfice brut en 2006 » a été essentiellement attribuable à la baisse du bénéfice brut sur les aliments préparés de 58,5 millions de dollars US, le bénéfice brut plus bas sur les autres produits frais de 49,7 millions de dollars US et la baisse du bénéfice brut sur les bananes de 21,9 millions de dollars US, compensée partiellement par l'augmentation du bénéfice brut sur les autres produits et services de 5,1 millions de dollars US. Le bénéfice brut du segment des aliments préparés a diminué en raison des plus hauts prix de production combinés avec les ventes plus basses en raison de la pression de la concurrence continue sur le marché britannique dans le fruit de conserves et les gammes de produits de jus à longue conservation. A également contribué à la diminution du bénéfice brut du segment des aliments préparés en 2006 une imputation à hauteur de 16,6 de millions de dollars US pour charges associées au programme de rappel des produits à la suite de la contamination peu importante de nos produits d'ananas en conserves au Kenya, et 1,8 millions de dollars US de dépréciations d'inventaire à la suite de la fermeture de notre usine de jus en Italie (…) «,

  • l'augmentation du bénéfice brut en 2007 » est principalement attribuable à un bénéfice plus brut plus élevé des produits frais (72,8 millions de dollars US), des aliments préparés (57,7 millions de dollars US), des bananes (42,5 millions de dollars US) et des autres produites et services (2,5 millions de dollars US) (…). Le bénéfice brut sur le secteur des aliments préparés a augmenté principalement en raison du prix de vente au détail plus élevé des produits d'ananas en boîte, provoqué par le manque de volumes industriels et des économies d'exploitation résultant de la restructuration en 2006, associée à l'absence de coûts résultant du programme de retrait et de mise au rebut des boîtes d'ananas, qui a été mis en œuvre au Kenya en 2006. L'indemnité des assurances à hauteur de 3 millions de dollars US encaissée en 2007 à la suite du programme de retrait et de mise au rebut des boîtes d'ananas au Kenya a également contribué à l'augmentation du bénéfice brut (…)«,

  • » les moins values et autres charges ont été de 105,3 millions de dollars US en comparaison aux 3,1 millions de dollars US en 2005, soit une augmentation de 102,2 millions. En 2006, nous avons enregistré des moins values d'un montant total de 84 millions de dollars US ventilés comme suit a) 21,7 millions de dollars US, à la suite des déficits d'exploitation en raison de la sous-exploitation d'équipements de production et de machines en Europe et en Afrique associés au segment des aliments préparés ; b) 27,6 millions de dollars US essentiellement à la suite des tests de moins value sur les biens incorporels à durée indéterminée au Royaume-Uni en raison de l'arrêt de la gamme de produits préparés et d'autres produits frais non rentables aux États-Unis (…) «,

  • » les moins values et autres charges se sont élevés à 12,5 millions de dollars US en 2007, comparés aux 105,3 millions de dollars US en 2006. En 2007, nous avons enregistré des moins values d'un montant total de 15,5 millions de dollars US, associés à la cessation d'activités dans les secteurs des aliments préparés et les produits frais, principalement en Europe et en Amérique du Sud (…)«.

Il résulte à suffisance de ce qui précède que la situation économique plus défavorable du groupe DEL MONTE au cours de l'année 2006, plus particulièrement dans la branche » Prepared Foods « (qui a connu une perte à la fin de l'année 2006), a rendu nécessaire la restructuration ainsi décidée en vue de la sauvegarde de la compétitivité du secteur d'activité dudit groupe, étant relevé que cette réorganisation a contribué à l'amélioration des résultats (notamment au sein de la Division » Prepared Foods ") constatée à la fin de l'année 2007.

La réalité de la restructuration est par ailleurs établie par les suppressions de poste effectuées en France à la fin du mois de septembre 2006 et mais également à Monaco, au sein du service marketing, en novembre 2006, janvier 2007 et juillet 2007 (licenciement de m. KI. et p. WH.), alors qu'il n'appartient pas au Tribunal de contrôler le choix effectué par l'employeur entre les différentes solutions de réorganisation possibles.

Le demandeur ne soutient pas que son poste n'aurait pas été concrètement supprimé au sein du bureau administratif monégasque, alors que le fait que f. VA. ME. exerce, le cas échéant, les anciennes attributions de p. WH. en sus des siennes, n'est pas de nature à contredire l'effectivité de la suppression de l'emploi de Vice-Président Ventes et Marketing-Foods.

En définitive, la société DEL MONTE FRESH PRODUCE INTERNATIONAL INC. justifie d'un motif valable de rupture, de telle sorte que la demande en paiement de l'indemnité de licenciement doit être rejetée.

II) Sur le caractère abusif de la rupture

Il appartient au salarié d'établir l'abus commis par l'employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de licenciement.

Tout d'abord, la circonstance que certaines missions confiées à p. WH. n'étaient pas encore achevées et ont été attribuées (temporairement ou non) à f. VA. ME., compte tenu de leur importance, pendant l'arrêt de travail du demandeur et même après la notification de la rupture, ne suffit pas à considérer que le motif économique du licenciement serait fallacieux, et ce d'autant que :

  • m. KI., membre du service marketing, a également été congédié le 9 juillet 2007,

  • la défenderesse a simplement attendu le retour du salarié après une absence pour maladie pour lui notifier la rupture,

  • la rémunération de l'intéressé constituait une charge financière non négligeable dans une période de restructuration pour motif économique.

De plus, il n'est pas précisé, ni établi que l'amélioration des résultats de l'entreprise était antérieure à la suppression du poste de p. WH. ou aurait permis de l'éviter.

Il n'est pas davantage clairement démontré que l'interruption de travail du salarié depuis le mois d'avril 2007 serait la cause du licenciement ou aurait accéléré la décision de rupture, alors que l'employeur a maintenu le salaire du demandeur, dans des conditions proches de celles de l'avenant n° 18 à la convention collective nationale du travail étendu par arrêté ministériel, sans y être légalement tenu (ancienneté de moins de deux années).

Par ailleurs, si la défenderesse avait parfaitement connaissance des difficultés sus évoquées lors de l'embauche de p. WH., ce dernier était également conscient de la situation économique litigieuse à cette époque puisqu'il affirme qu'il a notamment été recruté pour réaliser des compressions de personnel. Or, le seul fait que cette mission ait pu lui être confiée ne constituait pas une quelconque garantie juridique de son maintien dans l'entreprise.

Le demandeur a dès lors accepté le transfert à Monaco proposé par le groupe DEL MONTE, tout en étant avisé des mauvais résultats rencontrés, et a ainsi pris, dans le contexte en cause, un risque qui était vraisemblablement compensé par une rémunération et des responsabilités importantes, quels que soient au demeurant les motifs personnels qui ont eu une incidence sur sa décision définitive.

En conséquence, et à défaut d'avoir cherché à négocier contractuellement, bien que son statut, son expérience et ses qualifications le lui permettaient, son éventuelle reconversion au sein du groupe dans l'hypothèse où les difficultés financières imposeraient également la suppression de son poste en Principauté, p. WH. ne peut pas reprocher à l'employeur d'avoir fait preuve de légèreté blâmable.

Il convient de souligner que si des propositions de reclassement ont été effectuées aux employés du groupe en France conformément aux dispositions légales applicables, le salarié ne soutient pas qu'une obligation de recherche de solutions de reclassement aurait pu le cas échéant incomber à la défenderesse.

En outre, la brutalité ou la précipitation n'apparaissent pas caractérisées puisque :

  • le demandeur, qui était informé de la persistance des difficultés financières et de la restructuration en cours, en l'état des licenciements des employés de son équipe (novembre 2006 et janvier 2007), ne pouvait ignorer qu'une telle mesure pourrait le cas échéant le concerner,

  • la poursuite des contacts par courriers électroniques pendant l'arrêt de travail de p. WH., qui était au demeurant conforme à l'intérêt de l'entreprise, n'est pas suffisante pour considérer que la décision de rupture ne pouvait être anticipée dans le contexte d'une embauche récente et coûteuse,

  • l'employeur a attendu l'expiration de l'arrêt de travail de l'intéressé pour notifier le licenciement, alors qu'il a partiellement maintenu sa rémunération pendant cette période,

  • le salarié a été reçu en entretien et a été dispensé d'exécuter le préavis d'une durée de trois.

La mise hors d'usage des outils de travail la veille de la reprise du travail et la restitution immédiate des objets de l'entreprise ne peuvent être considérées comme des mesures vexatoires et s'expliquent par la décision inéluctable de rupture que la défenderesse n'a pas souhaité notifier pendant l'interruption de travail ainsi que par la dispense d'exécution du travail pendant le préavis.

De plus, ainsi que l'indique l'employeur, aucune intention de préméditer le licenciement ne peut être retenue puisqu'il n'est pas démontré que les lois américaines seraient plus protectrices que les lois monégasques en matière sociale.

En définitive, la demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif doit être rejetée.

Cependant, le salarié a pu se méprendre sur la portée de ses droits dès qu'il a été employé par le groupe DEL MONTE pendant près de 20 années, de telle sorte que la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ne peut prospérer.

p. WH., qui succombe, doit supporter les dépens du présent jugement.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de p. WH. par la société DEL MONTE FRESH PRODUCE INTERNATIONAL INC. repose sur un motif valable et ne revêt aucun caractère abusif ;

Déboute les parties de l'ensemble de leurs demandes ;

Condamne p. WH. aux dépens du présent jugement.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt neuf mars deux mille douze, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président, Messieurs Manolo VELADINI, Francis GRIFFIN, membres employeurs, Messieurs Jean-Paul HAMET, Karim TABCHICHE, membres salariés, assistés de Madame Catherine CATANESE, Secrétaire en Chef.

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