Tribunal du travail, 12 mars 2009, p. DE PO. c/ la SAM U.B.S. (MONACO) S.A.

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Abstract🔗

Jonction d'instances - Conditions - Demande d'annulation de sanctions constituées par un blâme puis une mise à pied - Communication d'une pièce obtenue par le salarié à l'occasion de ses fonctions - Lien avec le litige - Conditions de licéité non réunies

Résumé🔗

Un salarié peut sans commettre une quelconque faute, produire en justice des documents dont il a connaissance à l'occasion de ses fonctions à la condition qu'ils soient strictement nécessaires à la défense de ses intérêts dans le litige l'opposant à son employeur.

Dans le courant de l'année 2003, un salarié initie une action contre la banque qui l'emploie afin d'obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice commis du fait du non-respect, par elle, de la Convention Collective applicable, à propos de priorité d'embauche. Au cours de cette procédure, il avait été amené à communiquer un document bancaire relatif au virement du salaire d'une salariée de la même banque. Un blâme lui était notifié le 11 février 2005. Une seconde sanction disciplinaire constituée par une mise à pied intervint, à la suite d'une nouvelle communication de pièce une impression d'écran d'un virement sans toutefois que la banque respectât le délai d'un mois prévu par la Convention collective pour saisir le conseil de discipline. Le salarié avait formé devant le Tribunal du travail des demandes d'annulation successives de ces deux sanctions, soutenant que ses demandes étaient recevables puisque leurs causes sont nées ou ont été connues postérieurement à l'introduction de ses demandes primitives. Il estimait que le blâme était injustifié car sa communication de pièce, à laquelle il avait librement accès, était justifiée par la nécessité d'assurer la défense de ses intérêts. Quant à la mise à pied, celle-ci devait être annulée dans la mesure où le délai d'un mois prévu par l'article 27 de la Convention collective des banques, pour saisir le conseil de discipline n'étant pas respecté. L'employeur estimait, de son côté, que la jonction s'imposait, du seul fait que le Tribunal n'avait pas encore statué sur le fond entre les mêmes parties au même contrat de travail. Le blâme était justifié car la production du document litigieux contrevenait aux règles de la banque (interdiction rechercher, reproduire et divulguer des informations nominatives sans autorisation, respect de la confidentialité, pièce communiquée sans intérêt). La mise à pied avait été, pour ce qui la concerne, prononcée dans le respect des délais.

Le Tribunal du Travail estime qu'il n'était pas tenu de joindre les instances mais ordonne cependant la jonction des deux dernières, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. Sur le blâme, il déboute le salarié, car la pièce recherchée et reproduite était sans lien avec le litige. La mise à pied est annulée, en raison du non-respect des délais conventionnels.


Motifs🔗

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 12 MARS 2009

En la cause de Monsieur p. DE PO., demeurant: « X » X à MONACO,

demandeur, plaidant par Maître Franck MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,

d'une part ;

Contre :

La SOCIETE ANONYME MONEGASQUE dénommée U. B. S. (MONACO) S. A., dont le siège social se trouve : 2, Avenue de Grande-Bretagne - BP 189 - MC 98007 MONACO Cedex, prise en la personne de son administrateur délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège,

défenderesse, plaidant par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,

d'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les requêtes introductives d'instance en date des 3 mars 2005 et 9 janvier 2006, reçues les 4 mars 2005 et 11 janvier 2006 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date des 4 avril 2005 et 7 mars 2006 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Franck MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Monsieur p. DE PO., en date des 12 mai 2005, 20 octobre 2005, 29 juin 2006, 5 juillet 2007 et 8 mai 2008 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE dénommée U.B.S. MONACO S.A., en date des 6 juin 2005, 7 juillet 2005, 24 novembre 2005, 5 octobre 2006 et 8 novembre 2007 ;

Après avoir entendu Maître Franck MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour Monsieur p. DE PO., et Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE dénommée U.B.S. MONACO S.A., en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

p. DE PO. a, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 4 avril 2005, attrait la société anonyme monégasque dénommée UBS (Monaco) SA devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail à l'effet de voir annuler le blâme qui lui a été infligé le 11 février 2005 avec toutes conséquences de droit.

À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après 31 renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 22 janvier 2009, à l'issue de laquelle le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 12 mars 2009.

p. DE PO. a, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 6 mars 2006, attrait la société anonyme monégasque dénommée UBS (Monaco) SA devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail à l'effet de voir :

  • constater le caractère illégal et injustifié de la mise à pied de trois jours, suspendant l'exécution de son contrat de travail avec perte de salaire, notifiée par courrier du 29 septembre 2005,

  • condamner la défenderesse à lui payer la somme de 6.000 euros à titre de légitimes dommages et intérêts,

  • prononcer l'annulation de cette sanction avec toutes conséquences de droit.

À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après 21 renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 22 janvier 2009, à l'issue de laquelle le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 12 mars 2009.

À l'appui de ses prétentions, Pierre de PORTU fait valoir que :

  • ses demandes sont parfaitement recevables, conformément à l'article 59 alinéa 1 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, dans la mesure où leurs causes sont nées et ont été connues de lui postérieurement à l'introduction de ses demandes primitives,

  • dans ces conditions, la jonction prévue par l'alinéa 2 de ce même article n'était obligatoire, étant souligné que si le Tribunal du Travail avait estimé le contraire, il n'aurait pas manqué de l'ordonner même d'office,

  • en tout état de cause, la jonction de l'ensemble des instances qu'il a introduites aurait inutilement retardé la résolution des premières procédures qui ont d'ailleurs été jugées en première instance et en appel,

  • la jonction ne peut désormais être ordonnée que pour les deux instances actuellement pendantes,

Sur le blâme,

  • courant 2003, il a initié une instance à l'effet d'obtenir paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non respect par son employeur des dispositions de la Convention Collective du Personnel des Banques, dans la mesure où la SAM UBS, à la suite de la diffusion d'un message informant son personnel qu'elle recherchait un responsable du « desk execution », a écarté sa candidature et embauché j. TR., laquelle était extérieure à l'établissement,

  • dans le cadre de cette procédure, il a été amené à communiquer à son adversaire courant novembre 2005 sous le numéro 40 un document bancaire relatif au virement du salaire de j. TR. du mois d'août 2004, sur lequel figurait uniquement le montant de la rémunération ainsi perçue, à l'exclusion de tous autres renseignements de nature personnelle,

  • cette communication n'avait donc pour but que de permettre au Tribunal de comparer les salaires effectivement perçus par ces deux employés,

  • à la suite d'un échange de courriers officiels, il a été convoqué à un entretien du 20 janvier 2005 au cours duquel la Direction de la SAM UBS lui a indiqué renoncer à lui infliger le blâme qu'elle avait préparé à son attention, en raison des éclaircissements fournis,

  • cependant, un courrier remis en main propre le 11 février 2005 et confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception lui notifiait un blâme avec inscription au dossier,

  • tout d'abord, la communication litigieuse était justifiée par la nécessité impérieuse d'assurer la défense de ses intérêts, de permettre la manifestation de la vérité et de rapporter la preuve de son préjudice, dont la charge lui incombe, en justifiant du salaire que j. TR. percevait pour le poste qu'elle occupait au mois d'août 2004 et qui aurait dû lui être attribué de plein droit,

  • le préjudice a été calculé en tenant compte des 13e et 14e mois, même si le virement ne les intégrait pas,

  • l'évaluation n'était, en tout état de cause, faite qu'a minima puisque son ancienneté lui aurait même permis d'obtenir un salaire majoré,

  • de plus, il avait librement accès à ce document dans le cadre de ses fonctions, même après la notification du blâme, puisqu'il faisait partie du groupe des « key users » chargés de la mise au point des nouveaux systèmes, et n'a dès lors pas obtenu cette information en violation d'une quelconque interdiction ou en raison d'une faille informatique,

  • si l'employeur évoque désormais un usage abusif de l'habilitation qui lui était confiée, il ne peut cependant modifier a posteriori les griefs invoqués à l'appui du blâme,

  • il convient également de relever que la modification des accès informatiques est intervenue tardivement sans que la défenderesse ait souligné la priorité de l'intervention ou relancé le fournisseur,

  • en outre, l'information en cause n'est pas relative à un des clients de la Banque mais à un de ses salariés, alors que la rémunération perçue par un employé ne peut être considéré comme un renseignement confidentiel vis-à-vis de la SAM UBS ou du Tribunal,

  • le document litigieux n'a pas été révélé au public mais a été exclusivement communiqué à la défenderesse, par l'intermédiaire de son avocat-défenseur également soumis au secret professionnel, sans qu'il puisse être invoqué une violation du secret bancaire en ce qui la concerne,

  • le Tribunal du Travail ne peut pas davantage être assimilé à un tiers ordinaire, et ce d'autant que ses membres sont soumis au secret des délibérations, alors que la sanction a été infligée avant même que cette juridiction ait eu connaissance de la pièce litigieuse,

  • en tout état de cause, la SAM UBS confond manifestement la diffusion des documents à des tiers et le fait de débattre oralement de ces mêmes documents,

  • ni le Tribunal du Travail, ni le Tribunal de première instance n'a estimé que la communication du « print » du virement était irrecevable en raison de la divulgation d'un secret professionnel,

  • par ailleurs, il n'a jamais cherché à porter atteinte au secret bancaire ou à occasionner un préjudice à j. TR., étant relevé qu'il n'est pas établi que sa collègue aurait formulé une quelconque réclamation auprès de l'employeur alors que la défenderesse ne peut se substituer à sa salariée pour dénoncer de tels faits,

  • de plus, les juridictions répressives rendent régulièrement des ordonnances de non-lieu du chef des infractions de violation du secret professionnel ou de vol lorsque la production par un salarié de documents confidentiels, ou qu'il s'est procuré sans y avoir un accès habituel et sans le consentement de l'employeur, est en lien avec le litige ou avec la preuve du droit invoqué,

  • s'agissant des autorisations de compulsoires, il est notoire que les banques refusent d'exécuter les ordonnances présidentielles en ce sens sous couvert du principe de confidentialité, de telle sorte qu'une procédure de référé s'impose et fait perdre toute efficacité à cette voie de droit,

  • les décisions françaises versées aux débats sont sans rapport avec le cas d'espèce dans la mesure où elles concernent des documents contenant des informations personnelles relatives aux employés concernés, à savoir des historiques de mouvements et des soldes de comptes auxquels le salarié licencié n'avait pas accès,

  • le blâme infligé n'est en définitive pas justifié et ne constitue qu'un prétexte permettant de le sanctionner pour avoir cherché à faire valoir ses droits,

Sur la mise à pied,

  • l'article 27 de la convention collective prévoit que le conseil de discipline doit être saisi dans un délai maximum d'un mois à compter de la constatation de la faute professionnelle,

  • or, la communication au mandataire de la SAM UBS (avocat-défenseur) d'un document bancaire relatif au virement du salaire de j. TR. du mois de décembre 2004, qui lui a été reprochée pour justifier cette seconde sanction disciplinaire, est intervenue le 24 mai 2005, alors qu'il a été convoqué à comparaître le 29 juin 2005 devant le conseil de discipline, lequel a été saisi postérieurement,

  • il s'ensuit que le délai d'un mois précité n'a pas été respecté, de telle sorte que l'irrégularité affectant la procédure disciplinaire, par méconnaissance de formalités substantielles, justifie l'annulation de la mise à pied,

  • la réunion du conseil de discipline est également entachée d'irrégularité, dans la mesure où l'un de ses membres est à la fois juge et partie,

  • en effet, c. GR., administrateur délégué de la SAM UBS est à la fois co-signataire du courrier du 29 juin 2005 et membre auto-désigné de la direction pour composer le conseil de discipline,

  • cette situation contraire au principe du procès équitable ne permet pas de considérer que la décision aurait été rendue de manière objective, puisque l'administrateur délégué était acquis à la sanction avant même que le débat ait eu lieu,

  • le procès-verbal du conseil de discipline est formellement illégal en ce que cet organe n'a pas établi son règlement et en ce qu'il ne reprend pas les arguments exposés en défense,

  • en outre, comme la Commission Paritaire l'a justement relevé aux termes de sa décision par laquelle elle s'est déclarée incompétente, la mise à pied ne figure pas parmi les sanctions du premier et du second degré qui peuvent être exclusivement prononcées en vertu de l'article 25 de la convention collective,

  • si certaines de ces sanctions peuvent être jugées illégales, il n'en demeure pas moins que la défenderesse ne pouvait, sans l'accord du salarié et en outrepassant la décision de la Commission Paritaire, infliger une sanction qui ne figure pas dans la convention collective, et ce d'autant que les dérogations aux dispositions conventionnelles ne sont possibles que si elles s'avèrent plus favorables au salarié, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, notamment en l'état de la perte de rémunération au cours de la période de mise à pied,

  • en tout état de cause, le document litigieux a simplement été communiqué à la SAM UBS, ce qui ne peut constituer une violation du secret professionnel ou bancaire,

  • la sanction a également été infligée, alors que la juridiction n'avait pas connaissance de cette pièce,

  • la prétendue « récidive » ne peut être retenue, dans la mesure où l'impression du virement mensuel a été effectuée avant la notification du blâme sus évoqué,

  • le salaire du mois de décembre 2004 lui permettait de calculer au plus juste son préjudice puisqu'il intègre le 13e mois et les 50% du 14e mois,

  • le reste de l'argumentation sur le fond est identique à celle développée pour le blâme.

La SAM UBS demande au Tribunal de déclarer irrecevables les prétentions nouvelles ainsi formulées par p. DE PO. ou de les rejeter en soutenant que :

  • la circonstance que le demandeur ait obtenu que le Tribunal statue sur sa demande initiale, alors que ses autres demandes, dérivant du même contrat de travail, n'étaient pas encore en état d'être jugées, rend discutable toute décision ultérieure entre les mêmes parties,

  • en effet, la jonction s'impose du seul fait que le Tribunal n'a pas encore statué sur le fond de litiges entre les mêmes parties dérivant du même contrat de travail, de telle sorte que les demandes nouvelles devront être jugées irrecevables,

Sur le blâme,

  • si elle a d'abord cru à tort que p. DE PO. avait profité d'une faille informatique pour accéder à des données confidentielles, il est vrai qu'elle s'est rendue compte, après analyse des systèmes de sécurité, que l'absence de restriction de l'habilitation dont ce dernier bénéficiait lui permettait d'obtenir un nombre trop étendu d'informations relatives aux mouvements de compte, et notamment le renseignement litigieux,

  • il n'en demeure pas moins que le demandeur a fait un usage abusif de son habilitation, dans la mesure où ses fonctions ne l'autorisent en aucun cas à rechercher et encore moins à reproduire et divulguer, en dehors de toute nécessité professionnelle et uniquement pour ses besoins personnels, des informations nominatives concernant un compte joint d'un couple de clients (même si l'un d'eux est salarié de l'entreprise), sans l'autorisation de la Banque ou des personnes concernées, et ce, quand bien même il pouvait y avoir librement accès,

  • en effet, un employé ne peut utiliser les outils à sa disposition que pour exécuter son travail, et ce quand bien même le règlement intérieur ne le prévoit pas explicitement,

  • de plus, les salariés sont considérés comme tels lorsque la discussion porte sur leur contrat de travail mais redeviennent des tiers ou des clients lorsque la question porte sur leurs comptes au sein de la Banque,

  • en outre, la diffusion d'une information nominative, visée par la loi n° 1165, constitue une violation de l'interdiction de faire usage de données personnelles sans l'autorisation de la personne concernée,

  • la production du document litigieux dans un débat judiciaire, par définition public, implique la divulgation large de renseignements confidentiels à des tiers,

  • or, la confidentialité, qui est une base essentielle des règles de la profession, est rappelée par l'article 31 du règlement intérieur, alors que l'obligation de respecter le secret professionnel s'impose à tous les salariés,

  • par ailleurs, la pièce litigieuse qui a été communiquée ne présente aucun intérêt quant aux conditions d'application de l'article 58 de la convention collective,

  • de même, ce virement n'est pas forcément révélateur du salaire de la personne concernée et ne constituerait, en tout état de cause, que la rémunération d'une salariée qui occupait alors un autre poste que celui dont p. DE PO. revendiquait l'attribution, j. TR. ayant quitté l'emploi litigieux le 31 mai 2003,

  • ce n'est qu'à l'issue d'une phase de vérification des failles de son système informatique, rapportées par le demandeur, qu'elle a rédigé le blâme, objet du présent litige,

  • elle a fait son possible pour bloquer l'accès de p. DE PO. aux comptes des employés, bien que cette opération prenne un certain temps,

  • le demandeur aurait parfaitement pu obtenir le document litigieux en toute légalité, en la sollicitant préalablement puis en initiant une procédure de compulsoire,

  • elle a fait preuve d'une très grande clémence en limitant l'exercice de son pouvoir disciplinaire à une sanction de blâme avec inscription au dossier, étant relevé que les juridictions de l'État voisin ont estimé dans des circonstances très proches que le licenciement pour faute grave était justifié,

Sur la mise à pied,

  • le délai d'un mois prévu pour saisir le conseil de discipline après la constatation de la faute professionnelle a bien été respecté en l'espèce, dans la mesure où elle n'a eu connaissance de la communication du virement du mois de décembre 2004 de j. TR. que le 30 mai 2005, alors que la saisine a eu lieu le 29 juin 2005,

  • la convention collective ne comporte aucune exclusion quant à la composition du conseil de discipline, de telle sorte que le directeur du personnel ou de l'établissement peuvent être présents, quand bien même il dispose du pouvoir de sanction,

  • la Commission Paritaire a, à cet égard, admis que le directeur de la Banque, qui a envisagé de sanctionner ou de licencier un employé, soit membre du conseil de discipline,

  • la convention collective ne fait pas de l'établissement du règlement intérieur une condition de validité du conseil de discipline,

  • de plus, il n'existe aucune obligation d'énoncer les moyens de défense dans le procès-verbal,

  • outre que certaines des sanctions du 2e degré prévues par la convention collective sont illégales, elle ne souhaitait pas envisager la révocation ou la rétrogradation, laquelle peut conduire au licenciement en cas de refus de cette modification essentielle du contrat de travail par le salarié,

  • en conséquence, elle a décidé de prononcer une mise à pied sans maintien de salaire, qui ne constitue pas une sanction pécuniaire (équilibre prestation/salaire garanti), afin de tenir compte de la réitération et de la gravité des faits, tout en évitant la rupture du contrat de travail,

  • elle pouvait légitimement estimer qu'un employé responsable, averti une première fois, ne récidiverait pas immédiatement dans la violation de ses obligations professionnelles, de telle sorte qu'il ne peut lui être reproché de ne pas être intervenue suffisamment rapidement pour empêcher la commission d'une nouvelle faute, déjà formellement désapprouvée,

  • les mêmes fautes que celles précédemment évoquées sont également caractérisées, alors que le demandeur ne peut soutenir qu'il n'avait pas conscience que les faits étaient suffisamment graves, dans la mesure où lors de la seconde communication intervenue le 24 mai 2005, le blâme lui avait déjà été notifié,

  • aucun éclairage n'était en outre apporté au débat judiciaire par cette nouvelle pièce.

SUR QUOI,

I) Sur la recevabilité des demandes et la jonction des instances

En vertu de l'article 59 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, « Toutes les demandes dérivant du contrat de louage de services entre les mêmes parties doivent avoir fait l'objet d'une seule instance, à peine d'être déclarées non recevables, à moins que le demandeur ne justifie que les causes des demandes nouvelles ne sont nées à son profit ou n'ont été connues de lui que postérieurement à l'introduction de la demande primitive.

Sont toutefois recevables les nouveaux chefs de demandes tant que le tribunal du travail ne se sera pas prononcé en premier ou dernier ressort sur les chefs de la demande primitive ; il ordonnera la jonction des instances et se prononcera sur elles par un seul et même jugement ».

Il n'est pas contesté que les causes des demandes, objet des instances n° 106 de l'année judiciaire 2004-2005 et 49 de l'année judiciaire 2005-2006, introduites par requêtes des 3 mars 2005 et 9 janvier 2006, lesquelles concernent un blâme notifié le 11 février 2005 et une mise à pied notifiée le 29 septembre 2005, sont nées au profit de p. DE PO. ou n'ont été connues de lui que postérieurement à l'introduction de la demande primitive (instances jointes par jugement du 12 mai 2005 et introduites les et 28 juillet 2003), de telle sorte que ses prétentions tendant à l'annulation des sanctions disciplinaires sus évoquées apparaissent recevables conformément à l'article 59 alinéa 1 précité.

L'obligation de jonction des instances en cours, laquelle n'est prévue que par l'alinéa 2 de l'article 59 qui a été introduit par la loi n° 736 du 16 mars 1963, ne concerne que la demande primitive et les demandes nouvelles dont la cause serait née au profit du demandeur ou aurait été connue de lui avant l'introduction de la demande initiale, de telle sorte que le Tribunal du Travail n'était pas tenu de joindre les présentes instances avec celles précédemment introduites, qui ont d'ailleurs été définitivement jugées.

Cependant, il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'ordonner la jonction des présentes instances enrôlées sous les numéros 106 de l'année judiciaire 2004-2005 et 49 de l'année judiciaire 2005-2006, dérivant d'un même contrat de travail.

II) Sur le blâme notifié le 11 février 2005

Si l'employeur tient de son pouvoir de direction dans l'entreprise le droit de sanctionner un salarié pour un comportement fautif, il appartient au Tribunal du Travail, saisi d'une contestation d'une sanction disciplinaire d'en contrôler le bien fondé et de l'annuler si elle apparaît irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée par rapport à la faute commise.

Aux termes d'un courrier remis en main propre à p. DE PO. le 11 février 2005, la SAM UBS (Monaco) SA a indiqué à son salarié :

« Nous avons eu la surprise de découvrir, dans les pièces communiquées par votre Conseil dans le cadre de la procédure que vous avez introduite devant le TRIBUNAL DU TRAVAIL, un document contenant une information qui n'aurait jamais dû se trouver entre vos mains et qui, de surcroît, s'agissant d'informations concernant des tiers à l'instance, n'aurait jamais dû être utilisé par vous.

En effet, la pièce n° 40 que vous avez fait produire en justice représente une impression d'écran retraçant un virement effectué par la banque en 2004 sur le compte bancaire commun à une salariée et à son époux, ouvert dans notre établissement.

Ce fait met en évidence deux fautes qui vous sont personnellement imputables et qui justifient la présente sanction.

En premier lieu, la consultation des comptes du personnel est strictement réservée et vous n'êtes pas habilité à y accéder. Le fait que vous y ayez néanmoins accédé, ainsi que vous l'avez indiqué à Messieurs ME. et TR. lors de votre entretien du 20 courant, en exploitant une faille du système informatique inconnue de la Direction, constitue une violation d'une règle de restriction d'accès alors que vous n'êtes pas détenteur d'une clé d'accès. Ces agissements constituent une faute qui vous est directement et personnellement imputable.

En second lieu, outre son acquisition inévitablement frauduleuse, vous avez violé l'interdiction posée par l'article 31 du règlement intérieur en vigueur dans notre établissement qui dispose :

» Le personnel est tenu de garder la plus grande discrétion sur tout ce qui a trait directement ou indirectement à la clientèle, aux procédés et à l'organisation du travail dans l'entreprise et, d'une manière générale sur toutes opérations industrielles, commerciales ou financières dont il aurait connaissance dans l'exercice de ses fonctions ou de quelque façon que ce soit. «

Les parties soulignées de cet article sont autant de notions avec lesquelles vous vous êtes mis en infraction.

En outre, s'agissant d'informations privées appartenant aux titulaires du compte, nous vous indiquons que nous avons informé les victimes de cette indiscrétion et que nous formulons toutes réserves quant aux suites qu'elles décideraient de donner en raison de leur préjudice, sachant que, les actes relevés contre vous étant des actes de désobéissance, vous en assumerez la responsabilité car, nonobstant notre qualité de commettant, nous ne saurions répondre de vos fautes personnelles, fussent-elles commises en nos locaux et nonobstant votre statut de salarié car ces actes dépassent le cadre de ce qui vous est demandé dans l'exécution de votre travail.

Par l'intermédiaire de votre Conseil, vous nous avez fait savoir que ces actes se trouveraient, selon vous, légitimés par une prétendue nécessité d'étayer vos prétentions devant la juridiction du travail.

Nous ne saurions accepter cette excuse car rien ne peut justifier l'utilisation d'une information appartenant à un client, donc à un tiers aux parties en cause dans l'instance, sans sa permission formelle, ce qui ne saurait être prétendu en l'espèce, compte tenu de la réaction des victimes de votre indiscrétion.

En outre, la prétendue défense de vos intérêts est en l'occurrence inacceptable car l'information privée que vous divulguez avec cette indiscrétion concerne le versement du salaire du mois d'août 2004 sur le compte des clients, ce qui lui retire tout lien avec la cause que vous avez présentée devant le TRIBUNAL DU TRAVAIL. En effet, le montant du salaire d'août 2004 n'a strictement aucun lien avec le poste dont vous prétendez avoir été le seul bénéficiaire possible au moment de sa vacance, la personne bénéficiaire du virement dont vous divulguez la nature n'occupant plus ce poste qui a disparu de la structure depuis des mois.

En conséquence de ces deux fautes et en raison de l'irrecevabilité des arguments avec lesquels vous avez tenté de vous exonérer de votre responsabilité, nous avons le regret de vous notifier par la présente un BLÂME.

La gravité des faits justifie qu'il en soit fait mention dans votre dossier. La présente sanction et la relation des faits qui la justifient demeureront donc dans votre dossier personnel jusqu'au 20 janvier 2010. Elles y demeureront définitivement si vous deviez faire l'objet d'une autre sanction, conformément à l'article 26 de la convention collective monégasque du travail du personnel des Banques (…)».

En vertu de l'article 25-4 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques, « l'insuffisance de travail, les manquements à la discipline et d'une manière générale, les fautes professionnelles commises par un agent sont passibles de sanctions disciplinaires qui, suivant la gravité de la faute, sont du 1er ou du 2e degré.

a)Sanctions du 1er degré

Ces sanctions sont les suivantes :

  • avertissement écrit ;

  • blâme avec inscription au dossier ;

  • réduction de l'allocation du 13e mois, jusqu'à concurrence d'un maximum de 10%. (…) ».

Il n'est nullement contesté que le demandeur a communiqué à la SAM UBS (Monaco) SA, dans le cadre de l'instance qui les opposait, concernant la prétendue violation des dispositions de l'article 58 d de la convention collective précitée du fait du rejet de la candidature de p. DE PO. en juillet 2002 et de l'embauche consécutive de j. TR. au poste de responsable du service « desk execution », une pièce portant le numéro 40, laquelle constitue une impression écran du virement effectué le 25 août 2004 par la défenderesse au profit du compte joint de « Monsieur et Madame p. TR. » et révèlerait le montant du salaire du mois d'août 2004 de cette employée et cliente de la Banque.

Un salarié peut, sans commettre une quelconque faute, produire en justice des documents, dont il a connaissance à l'occasion de ses fonctions et qui sont strictement nécessaires à la défense de ses intérêts dans le litige l'opposant à son employeur.

En l'espèce, si le demandeur ne peut se voir reprocher d'avoir frauduleusement eu accès au compte de j. TR., en l'état de habilitation informatique très large désormais non contestée dont il bénéficiait, il n'en demeure pas moins que la production du virement relatif au salaire du mois d'août 2004 de cette salariée n'apparaît pas strictement nécessaire à la défense des intérêts de p. DE PO., dans la mesure où il résulte des informations fournies dans le cadre de la présente instance et du jugement du Tribunal de Première Instance du 17 janvier 2008 que :

  • j. TR. a changé de fonctions au début de l'année 2003, soit le 31 mai 2003,

  • la SAM UBS (Monaco) SA a indiqué à l'Inspection du Travail le 10 juillet 2003 qu'il n'y avait pas lieu d'envisager son remplacement dès lors que le service « Execution Desk » avait fusionné avec le service « Active Advisory » dirigé par g. DE VI., pour former sous l'autorité de ce dernier un service unique dénommé « Transaction Product », tandis que j. TR. reprenait le service « Processing » du département « OPS ».

En effet, le salaire du mois d'août 2004 de j. TR., qui occupait à cette époque un nouveau poste sans lien avéré avec celui pour lequel p. DE PO. avait posé sa candidature, n'était pas révélateur des revenus que le demandeur aurait pu percevoir s'il avait été nommé « responsable du Desk Exécution » en juillet 2002 et n'apparait ainsi pas en rapport avec le préjudice, dont p. DE PO. devait justifier et qui aurait été subi du fait de la violation des dispositions conventionnelles invoquées.

Il s'ensuit que le demandeur a commis une faute en recherchant en dehors de toute nécessité professionnelle et en reproduisant une information confidentielle, sans lien avec le litige sus évoqué, étant relevé que le blâme avec inscription au dossier, sanction du 1er degré de la convention collective précitée, n'apparaît pas disproportionné au regard des faits pour lesquels il a été infligé.

p. DE PO. doit, en conséquence, être débouté de sa demande tendant à l'annulation du blâme notifié le 11 février 2005.

III) Sur la mise à pied notifiée le 29 septembre 2005

Dès lors que la SAM UBS (Monaco) SA a décidé de saisir le conseil de discipline, afin de prononcer une sanction qu'elle estime être du 2e degré en raison de la gravité de la faute invoquée (usage abusif réitéré d'une habilitation en vue de commettre un acte violant l'obligation de secret et de discrétion), il lui appartenait de respecter la procédure prévue par la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques.

Or, l'article 27 de cet accord collectif, qui exige l'avis préalable du conseil de discipline pour l'application des sanctions du 2e degré, prévoit que cet organe « doit être saisi des cas à juger dans un délai maximum d'un mois à dater de la constatation de la faute professionnelle (…) ». La formulation impérative de cette disposition permet de considérer que le respect de ce délai conditionne la régularité de la procédure disciplinaire conventionnelle ainsi édictée.

En l'espèce, il est constant que la communication à l'avocat-défenseur de la défenderesse d'une nouvelle impression écran d'un virement effectué par cette dernière au profit de j. TR. au mois de décembre 2004 est intervenue le 24 mai 2005, alors qu'il n'est pas établi que la SAM UBS (Monaco) SA n'en aurait effectivement eu connaissance que le 30 mai 2005.

En tout état de cause, la communication de la pièce litigieuse le 24 mai 2005 constitue le point de départ du délai d'un mois précité, sans que le Tribunal ait à distinguer la défenderesse et son avocat-défenseur, qui la représentait dans le procès sus évoqué, alors que p. DE PO. a été convoqué à assister au conseil de discipline par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 juin 2005.

Il apparaît, en conséquence, que la SAM UBS (Monaco) SA n'a pas respecté le délai conventionnel imparti pour saisir le conseil de discipline, de telle sorte que la sanction de mise à pied sans maintien de salaire notifiée à l'issue de la procédure disciplinaire doit être annulée, avec toutes conséquences de droit.

Faute pour p. DE PO. de préciser clairement ou de justifier la nature du ou des préjudices subis du fait du cette sanction, la demande en paiement de dommages et intérêts formée par ce dernier ne peut être accueillie.

p. DE PO. et la SAM UBS (Monaco) SA doivent supporter par moitié les dépens du présent jugement.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré,

Déclare recevables les demandes formées par p. DE PO., suivant requêtes du 3 mars 2005 et 9 janvier 2006 reçues au secrétariat du Tribunal du Travail le 4 mars 2005 et le 11 janvier 2006 ;

Ordonne la jonction des instances enrôlées sous le numéro 106 de l'année judiciaire 2004-2005 et le numéro 49 de l'année judiciaire 2005-2006 ;

Déboute p. DE PO. de sa demande tendant à l'annulation du blâme avec inscription au dossier qui lui a été notifié le 11 février 2005 par la société anonyme monégasque UBS (Monaco) SA ;

Annule, avec toutes conséquences de droit, la mise à pied de trois jours sans maintien de salaire notifiée par la société anonyme monégasque UBS (Monaco) SA à p. DE PO. suivant courrier recommandé avec accusé de réception du 29 septembre 2005 ;

Déboute p. DE PO. de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;

Fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés par moitié par p. DE PO. et la société anonyme monégasque UBS (Monaco) SA.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le douze mars deux mille neuf, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, Président, Madame Corinne BERTANI, Monsieur Michel GRAMAGLIA membres employeurs, Messieurs Blaise DEVISSI, Jean-Paul HAMET membres salariés, assistés de Madame Catherine CATANESE, Secrétaire en Chef.

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