Tribunal du travail, 2 octobre 2008, j. YA. c/ L'ÉTABLISSEMENT D'ENSEIGNEMENT PRIVÉ CATHOLIQUE FRANCOIS D'ASSISE et NICOLAS BARRÉ

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Abstract🔗

Licenciement d'un enseignant - Article 27 de la loi n° 826 du 14 août 1967 - Lettre de la Direction de l'Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports enjoignant à l'établissement employeur de « prendre les mesures nécessaires » - Circonstance indifférente.

Résumé🔗

Il n'existe aucune autorité chargée de contrôler la moralité exigible des enseignants sur le fondement de l'article 26 de la loi n°826.

Embauché par un établissement scolaire confessionnel le 11 septembre 1989, un enseignant avait été licencié par lettre remise en main propre le 5 septembre 2006 au motif que la Direction de l'Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports de la Principauté de Monaco avait enjoint à l'établissement de prendre « les mesures nécessaires », le salarié « ne devant plus enseigner à Monaco ». Celui-ci avait alors attrait son employeur devant le Tribunal du travail en demandant un solde d'indemnité de licenciement et la somme de 75.000 € de dommages et intérêts pour rupture abusive. Il exposait qu'il avait vainement demandé des explications sans obtenir aucun élément précis, la lettre de la direction de l'Éducation Nationale de la jeunesse et des Sports n'ayant jamais été portée à sa connaissance. De son côté, l'employeur faisait valoir qu'il ne disposait d'aucune marge de manœuvre, cette perte d'agrément s'apparentant selon lui à un cas de force majeure, le demandeur faisant l'objet d'une mesure administrative lui faisant grief, sans qu'il ait exercé un recours.

Le Tribunal du Travail rappelle d'abord qu'aux termes de l'article 27 de la loi n°826 du 14 août 1967 sur l'enseignement, nul ne peut enseigner s'il n'est de bonne moralité. Cependant, ni la loi ni le règlement, n'ont institué d'autorité publique particulière pour le contrôle de la moralité ni pour la délivrance d'un quelconque agrément. Par ailleurs, l'enseignant n'exerce pas en vertu d'un agrément qui aurait fait l'objet d'un retrait, comme d'ailleurs le permis de travail. L'établissement défendeur ne peut donc se considérer comme tenu par les termes de la lettre de la Direction de l'Éducation Nationale dont l'enseignant n'était pas destinataire et qui ne constituait pas une décision administrative individuelle lui faisant grief. L'employeur ne rapporte pas non plus la preuve d'un motif valable de licenciement au regard de la condition de bonne moralité, une procédure précédente n'ayant fait apparaître aucune faute imputable au salarié. L'indemnité de licenciement est due. La rupture, intervenue de façon précipitée et avec légèreté blâmable, présente, pour ce salarié totalisant 17 ans d'ancienneté un caractère abusif occasionnant un important préjudice par l'atteinte à l'image professionnelle du demandeur qui se voit allouer la somme de 75 000 €.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 14 décembre 2006 reçue le 18 décembre 2006 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 30 janvier 2007 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur j. YA., en date des 8 mars 2007, 2 août 2007 et 7 février 2008 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur, au nom de L'ÉTABLISSEMENT D'ENSEIGNEMENT PRIVÉ CATHOLIQUE FRANCOIS D'ASSISE et NICOLAS BARRÉ, en date des 26 avril 2007 et 10 janvier 2008 ;

Après avoir entendu Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur j. YA., et Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco au nom de L'ÉTABLISSEMENT D'ENSEIGNEMENT PRIVÉ CATHOLIQUE FRANCOIS D'ASSISE et NICOLAS BARRÉ, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Il est constant que j. YA. a été embauché par le collège des Pères Franciscains, aux droits duquel se trouve désormais l'établissement FRANCOIS D'ASSISE NICOLAS BARRÉ, ci-après FANB, à compter du 11 septembre 1989, en qualité de professeur de sciences économiques, selon contrat de travail à durée indéterminée.

Par une lettre de licenciement remise en mains propres le 5 septembre 2006, l'établissement FANB informait j. YA. de son licenciement dans les termes suivants :

« … J'entends par la présente lettre vous notifier votre licenciement.

» La raison qui me conduit à appliquer cette mesure est la suivante : j'ai reçu de la Direction de l'Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports de la Principauté de Monaco un document me stipulant Monsieur YA. ne doit plus enseigner à Monaco, les conditions requises n'étant plus assurées, notamment celles prévues par l'article 27 de la loi sur l'enseignement et m'intimant de prendre immédiatement les mesures nécessaires .

« Je vous dispense d'effectuer votre préavis qui prendra fin trois mois après la présentation de cette lettre. ».

j. YA. contestait le principe et les conditions de ce licenciement et faisait notifier une citation à comparaître à son employeur devant le Bureau de Conciliation du Tribunal du Travail le 14 décembre 2006. Un procès-verbal de non-conciliation était établi le 29 janvier 2007 et devant le Bureau de jugement du Tribunal du Travail, j. YA. sollicitait par conclusions en date du 8 mars 2007 :

  • qu'il soit jugé que son licenciement ne repose sur aucun motif valable et qu'il revêt en outre un caractère abusif,

  • la condamnation de l'établissement FANB à lui payer les sommes de :

  • 1.698,93 euros à titre de reliquat de l'indemnité de préavis,

  • 9.931,21 euros à titre de reliquat de l'indemnité de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2006, date de la mise ne demeure,

  • 75.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

  • la délivrance de ses bulletins de salaire conformes au jugement à intervenir et d'une attestation ASSEDIC rectifiée,

  • l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu.

Suite à des renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 17 juin 2008, à l'issue de laquelle le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour, 2 octobre 2008.

À l'appui de ses demandes, j. YA. qui a encore conclu les 2 août 2007 et 7 février 2008, fait valoir qu'il avait été interloqué par la teneur de la lettre de licenciement, ne comprenant pas en quoi il ne remplierait plus le critère de bonne moralité visé par le texte de l'article 27 de la loi n° 826 sur l'enseignement et qu'il avait sollicité vainement des entretiens aux fins d'explications auprès de la Direction de d'Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports. Il établissait un parallèle avec son licenciement pour faute grave intervenu le 2 octobre 2006 de la Fondation Marika BESOBRASOVA au sein de laquelle il enseignait aussi, également contesté devant le Tribunal du Travail.

Il fait valoir qu'aucun élément précis n'est évoqué à l'appui de son licenciement par FANB et que cet employeur ne s'étant pas prévalu de l'article 6 de la loi n°729 du 16 mars 1963, ce licenciement ne reposerait sur aucun motif valable.

En réponse aux arguments développés par l'établissement FANB, j. YA. estime qu'en invoquant des faits, qu'il nie énergiquement, qui se seraient déroulés dans un autre établissement, son employeur n'est pas en mesure d'invoquer un motif personnel et direct de licenciement à son encontre.

Il fait valoir également qu'en toute hypothèse, même en prenant en compte la lettre que son employeur avait reçu de la Direction de l'Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports, il n'était pas enjoint de procéder à son licenciement, mais uniquement de prendre les « mesures nécessaires », lesquelles auraient pu constituer en une suspension dans l'attente de l'aboutissement de l'enquête de police en cours.

Il conteste le fait qu'un enseignant ait besoin d'un « agrément » selon le terme employé par le défendeur, pour exercer en Principauté de Monaco et fait valoir que la lettre de la Direction de l'Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports n'a jamais été portée à sa connaissance et qu'il n'en était pas le destinataire. Il formule également à cet égard une demande subsidiaire, estimant que si le Tribunal du Travail devait considérer que la lettre de la Direction de l'Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports constituait une décision administrative, il y avait lieu de le renvoyer à saisir le Tribunal Suprême d'un recours en appréciation de validité et surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Juge administratif.

En défense, l'établissement FANB verse aux débats le contenu d'une enquête menée par les services de la Sûreté Publique de Monaco relative à des dénonciations d'élèves de la fondation Marika BESOBRASOVA portant sur le comportement de j. YA., à qui sont prêtés des propos déplacés et sexistes et des attitudes équivoques. L'établissement estime donc dans ses conclusions du 20 avril 2007, que le licenciement repose sur le fait qu'il ne remplissait plus la condition de bonne moralité exigée par la loi pour occuper un poste d'enseignant.

Dans des conclusions en date du 10 janvier 2008, l'établissement FANB fait également valoir qu'il ne disposait à son sens d'aucune marge de manœuvre suite à la réception de la lettre de la Direction de l'Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports du 30 août 2006, ne pouvant que constater la perte de son « agrément » (sic), le motif étant donc valable et s'apparentant selon le défendeur, à un cas de force majeure. Il ajoute que j. YA. aurait donc été l'objet d'une mesure administrative lui faisant grief à l'encontre de laquelle il n'a formé aucun recours. Il déclare enfin que le licenciement ne saurait être considéré comme abusif dans la mesure où j. YA. a bénéficié d'un préavis de trois mois.

SUR CE,

Attendu qu'aux termes de l'article 27 de la loi n° 826 du 14 août 1967 sur l'enseignement applicable à la cause, nul ne peut, soit diriger un établissement d'enseignement public ou privé, soit ouvrir un établissement d'enseignement privé, soit enseigner ou exercer la surveillance dans un quelconque établissement d'enseignement, soit encore enseigner à titre particulier, s'il n'est de bonne moralité ;

Attendu, qu'au niveau de l'influence éventuelle de l'administration sur la relation de travail entre l'employeur et l'employé que ni la loi ni le règlement n'ont institué spécifiquement d'autorité publique particulière pour le contrôle de la bonne moralité des enseignants, ni pour la délivrance et le contrôle d'un quelconque agrément;

Qu'au niveau de la stricte relation employeur/employé, la condition de bonne moralité doit s'entendre comme une condition légale supplémentaire à la validité du contrat de travail, tant au niveau de sa formation que de son exécution, du fait de la particularité de la profession d'enseignant ;

Attendu qu'en l'espèce il n'est pas contesté que l'établissement FANB a reçu le 30 août 2006 un courrier émanant de la Direction de l'Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports dont les termes sont les suivants :

« Suite aux entretiens que j'ai eus pendant votre absence avec M. PE. et aux éléments que vous m'avez transmis récemment au sujet de M j. YA., je vous confirme que ce dernier ne doit plus enseigner à Monaco.

» Les conditions requises n'étant plus assurées –notamment celles prévues par l'article 27 de la Loi sur l'enseignement, je vous prie de bien vouloir prendre immédiatement les mesures nécessaires et de m'en tenir informée.

« Je vous remercie par avance de votre célérité en cette affaire qui demande, à la vue des circonstances, toute notre fermeté. Je vous prie d'agréer, Madame le Directeur, l'expression de mes salutations distinguées. » ;

Attendu que dans certains cas le contrat de travail, soumis aux termes de l'article 2 de la loi n° 729 aux règles de droit commun des contrats peut être rompu lorsque son exécution est rendue impossible par un événement naturel extérieur, imprévisible et irrésistible ou un acte de l'administration dit du fait du prince, revêtant les caractéristiques de la force majeure ;

Mais attendu que tel n'est pas le cas en l'espèce, dans la mesure où l'enseignant n'exerce par en vertu d'un agrément qui aurait fait l'objet d'un retrait et qu'il n'est pas démontré, ni même allégué que le permis de travail à Monaco de j. YA., délivré le 5 juillet 1989, aurait fait l'objet d'un retrait ;

Attendu en conséquence que l'établissement FANB ne peut valablement se considérer comme tenu en l'espèce par les termes d'une lettre de la Direction de l'Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports, laquelle ne peut en outre être considérée comme une décision administrative individuelle faisant grief à j. YA., qui n'en était de surcroît pas le destinataire ;

Qu'il convient dès lors d'envisager, dans le strict cadre de la relation employeur/employé, si l'employeur rapporte la preuve d'un motif valable de licenciement, éventuellement au regard de la condition légale de bonne moralité, dont la violation peut provenir le cas échéant du comportement de l'enseignant au sein d'un autre établissement ;

Mais attendu à cet égard que l'établissement FANB se borne à verser aux débats une copie de la procédure d'enquête menée par les services de la Sûreté Publique suite à des dénonciations d'élèves de la Fondation Marika BESOBRASOVA quant au comportement de j. YA. dans cet établissement et qu'il a été jugé par décision de ce jour, ( j. YA. c/ Fondation Marika BASOBRASOVA) qu'il ne s'évince nullement de cette procédure, qui au demeurant a fait l'objet d'un classement sans suite du Parquet Général, l'existence de fautes imputables à j. YA. ;

Attendu en conséquence que le licenciement de j. YA. n'est pas justifié par un motif valable et que ce dernier est fondé à obtenir la condamnation de son employeur au paiement de la sommes suivante, calculée sur la base d'une ancienneté de 17 ans et 2 mois :

  • 9.931,12 euros à titre d'indemnité de licenciement, le calcul proposé par j. YA. aboutissant à un résultat qui n'est pas supérieur à la méthode prévue par l'article 2 de la loi n°845 du 27 juin 1968 ;

Que la demande de j. YA. relative à un à un reliquat d'indemnité compensatrice de préavis sera rejetée comme injustifiée, au regard des bulletins de paye versés aux débats par le demandeur lui-même ;

Attendu qu'en procédant au licenciement de j. YA. alors que ce salarié présentait une importante ancienneté de 17 années, qu'il n'avait fait l'objet que d'un seul blâme en 1992, trop lointain pour être pertinent dans le cadre de la présente instance, et que malgré la difficulté juridique d'interprétation des pouvoirs de l'administration, suite à la réception du courrier comminatoire du 30 août 2006, alors même qu'une enquête pénale était encore en cours à l'encontre de j. YA., l'établissement FANB pouvait à tout le moins prendre des mesures conservatoires à l'égard de son salarié ;

Attendu en conséquence que l'employeur a fait preuve d'une précipitation et d'une légèreté blâmable qui confèrent assurément au licenciement un caractère abusif ;

Attendu que j. YA. déclare en premier lieu avoir subi un préjudice financier suite à la perte de son emploi, étant inscrit aux ASSEDIC suite à son licenciement et n'ayant initié qu'en mars 2008 une activité de cours à domicile, dont il n'a pas pour autant précisé quels étaient les revenus qu'il en tirait ;

Attendu que du fait de la rupture de son contrat de travail, il a subi un important préjudice moral résultant de la très grave atteinte portée à son image professionnelle dans le domaine de l'enseignement ;

Attendu que ce double préjudice sera équitablement réparé par l'allocation de la somme de 75.000,00 euros à titre de dommages et intérêts ;

Attendu qu'il y a lieu de condamner l'établissement FANB à délivrer à j. YA., dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement des bulletins de salaires et une attestation ASSEDIC conformes au dispositif du présent jugement ;

Attendu que la situation professionnelle précaire de j. YA. caractérise l'urgence, il y a lieu de faire droit à sa demande et d'assortir le jugement de l'exécution provisoire ;

Attendu que l'établissement FRANCOIS D'ASSISE NICOLAS BARRÉ qui succombe, sera condamné aux dépens de la présente instance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de j. YA. par l'établissement FRANCOIS D'ASSISE NICOLAS BARRÉ n'est pas justifié par un motif valable et revêt en outre un caractère abusif ;

Condamne en conséquence l'établissement FRANCOIS D'ASSISE NICOLAS BARRÉ à payer à j. YA. les sommes suivantes :

  • 9.931,12 euros, (neuf mille neuf cent trente et un euros et douze centimes), au titre de l'indemnité de licenciement,

  • 75.000,00 euros, (soixante quinze mille euros), à titre de dommages et intérêts ;

Condamne l'établissement FRANCOIS D'ASSISE NICOLAS BARRÉ à délivrer à j. YA., dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement des bulletins de salaires et une attestation ASSEDIC conformes au dispositif du présent jugement ;

Déboute l'établissement FRANCOIS D'ASSISE NICOLAS BARRÉ de toutes ses demandes ;

Rejette le surplus des demandes de j. YA. ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne l'établissement FRANCOIS D'ASSISE NICOLAS BARRÉ aux dépens.

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