Tribunal du travail, 11 mai 2006, p. PA. c/ b. RO.

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Abstract🔗

Exception d'incompétence - Défendeur ayant son domicile en France - Privilège de juridiction - Demande de dommages intérêts - Litige portant sur un différend élevé à l'occasion d'un contrat de louage de services - Rejet de l'exception

Résumé🔗

Dès lors qu'elles s'avèrent étrangères à l'ordre juridique interne monégasque, les dispositions de l'article 15 du Code civil français instituant un privilège de juridiction ne sont pas applicables et ne sauraient de toute façon faire échec au privilège de juridiction dont une personne de nationalité monégasque bénéficie elle-même en vertu du chiffre 2 de l'article 3 du Code de procédure civile monégasque.

Un salarié, licencié pour avoir fait un usage abusif de la carte bancaire qui lui avait été remise pour assurer le paiement de ses frais professionnels, avait été attrait par son employeur devant le Tribunal du travail en remboursement de la somme de 46 469,40 € en principal outre des dommages et intérêts. Il excipait, devant cette juridiction dont il soulevait l'incompétence, de son domicile en France, du privilège de juridiction prévu par les articles 14 et 15 du Code civil français. S'agissant d'une action en dommages et intérêts, celle-ci ne constituait pas un différend s'élevant à l'occasion du louage de service et sur le fondement du règlement du Conseil de l'Union européenne n°44/2001 du 22 décembre 2000, l'action de l'employeur, selon lui, ne pouvait être portée que devant les Tribunaux de l'État sur le territoire duquel le travailleur a son domicile.

L'employeur concluait au rejet de l'exception d'incompétence, invoquant l'article 3 du Code de procédure civile attribuant compétence aux Tribunaux de la Principauté pour connaître des actions fondées sur des obligations qui sont nées ou doivent être exécutées en Principauté. Il s'agit bien, en outre, d'un litige constitué par un différend s'élevant à l'occasion du contrat de louage de services. La Principauté de Monaco ne faisant pas partie de l'Union européenne ne saurait se voir imposer le respect de règles applicables à ses seuls États Membres.

Le Tribunal du Travail retient que l'action, fondée ici sur des obligations nées ou devant être exécutées à Monaco, relève bien de la compétence des juridictions monégasques et plus précisément du Tribunal du Travail conformément à la compétence d'attribution telle que définie par l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946. Les dispositions de l'article 15 du Code civil français, étrangères à l'ordre juridique interne monégasque, ne peuvent ici recevoir application. En tout état de cause les dispositions de l'article 15 du Code civil Français, à les supposer applicables, ne sauraient faire échec au privilège de juridiction dont le demandeur, de nationalité monégasque bénéficie lui-même en vertu du chiffre 2 de l'article 3 du Code de procédure civile.

L'exception d'incompétence soulevée par le défendeur est rejetée (et l'affaire renvoyée pour qu'il soit conclu au fond).


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 6 janvier 2005, reçue le 10 janvier 2005 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 1er  mars 2005 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PA.-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur p. PA., en date des 17 mai 2005 et 10 novembre 2005 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de Monsieur b. RO., en date des 13 octobre 2005 et 23 février 2006 ;

Après avoir entendu Maître Carine VARO, avocat au barreau de Carpentras, au nom de Monsieur p. PA., et Maître Florent ELLIA, avocat au barreau de Nice, au nom de Monsieur b. RO., en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauché le 1er  mai 1999 par p. PA. exploitant en son nom personnel l'entreprise à l'enseigne AVENIR CONCEPT MONACO, en qualité de Directeur Technique, b. RO., dont le contrat de travail a été ultérieurement transféré de plein droit en application des dispositions de l'article 15 de la loi n° 729 au profit de la SCS p. PA. et Cie, a été licencié de son emploi le 26 septembre 2002 moyennant un préavis de trois mois expirant le 31 décembre 2002.

Soutenant que l'intéressé avait fait un usage abusif de la carte bancaire qui lui avait été remise dans le cadre de son contrat de travail pour assurer le paiement de ses frais professionnels, p. PA. agissant ès-qualités de liquidateur amiable de la société en liquidation dénommée SCS p. PA. et Cie, désigné à cette fonction par décision de l'Assemblée Générale des associés de ladite société en date du 18 septembre 2002, a attrait, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 28 février 2005, b. RO. devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir le remboursement des sommes de 46.469,40 € en principal représentant le montant des sommes prélevées à des fins personnelles par l'intéressé au cours de l'exécution de son contrat de travail, et 10.000,00 €, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire et avec intérêts au taux légal à compter de la convocation en conciliation.

À l'audience fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu par leurs conseils.

Puis, après neuf renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 30 mars 2006, les débats se trouvant circonscrits, en accord avec les parties, à l'examen du bien fondé de l'exception d'incompétence, en raison du lieu d'une part et de la matière d'autre part, soulevée par la partie défenderesse.

À l'appui de son exception d'incompétence b. RO. se prévaut successivement :

  • des dispositions de la législation monégasque (articles 2 et 5 du Code de procédure civile – article 1er de la loi n° 446),

  • du privilège de juridiction accordé au plaideur de nationalité française par les articles 14 et 15 du Code civil français,

  • des articles 2 et 20 et suivants du règlement du Conseil de l'Union Européenne n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Il fait valoir en substance à cet effet :

S'agissant des dispositions de la législation monégasque :

  • qu'alors que l'article 2 du Code de procédure civile dispose que les Tribunaux de la Principauté connaissent des actions contre un défendeur domicilié en Principauté, il a pour sa part installé son domicile en France,

  • que la relation entre les parties n'entrant pas dans le champ d'application des articles 1 à 5 du Code de procédure civile, il est en droit de décliner la juridiction des Tribunaux de la Principauté,

  • qu'à partir du moment où la demande formulée à son encontre par p. PA. s'analyse en une action en dommages et intérêts et/ou en répétition et ne constitue donc pas un différend s'élevant à l'occasion du contrat de louage de services, le Tribunal du Travail n'est pas compétent, rationae materiae.

S'agissant du privilège de juridiction prévu par les articles 14 et 15 du Code civil français

Dès lors d'une part qu'il est de nationalité française et d'autre part que le litige ne porte pas sur l'une des matières exclues du champ d'application de l'article 14 du Code civil par la Cour de Cassation, il est fondé à solliciter conformément à ces textes que le présent litige soit porté devant les Tribunaux Français et plus précisément devant le Conseil des Prud'hommes de Grasse.

S'agissant du règlement du Conseil de l'Union européenne n° 44/2001 du 22 décembre 2000

En l'absence de conventions attributives de juridiction postérieures à la naissance du différend permettant au travailleur de saisir d'autres Tribunaux, l'action de l'employeur ne peut être portée que devant les Tribunaux de l'État sur le territoire duquel le travailleur a son domicile.

Il demande en conséquence à la présente juridiction, à titre principal de se déclarer territorialement incompétente au profit des juridictions françaises et de renvoyer par suite p. PA. à mieux se pourvoir et à titre subsidiaire de prendre acte de ce qu'il se réserve de conclure au fond sur les demandes présentées par p. PA. ès-qualités.

p. PA. conclut quant à lui au rejet de l'exception d'incompétence.

Il invoque à cette fin les moyens suivants :

  • s'agissant du droit monégasque :

  • l'article 3 du Code de procédure civile attribue compétence aux Tribunaux de la Principauté pour connaître, quel que soit le domicile du défendeur des actions fondées sur des obligations qui sont nées ou qui doivent être exécutées dans la Principauté,

  • la présente instance portant sur des manquements reprochés à b. RO. dans le cadre des obligations afférentes à l'exécution du travail pour lequel il avait été embauché, lesquelles devaient être exécutées dans la Principauté, le demandeur est fondé à saisir la juridiction monégasque,

  • le litige relatif à l'utilisation par un salarié à des fins personnelles de la carte bancaire qui lui a été confiée dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail constitue un différend s'élevant à l'occasion du contrat de louage de services, relevant de la compétence d'attribution du Tribunal du Travail.

  • s'agissant du privilège de juridiction prévu par les dispositions de droit français :

  • les articles 14 et 15 du Code civil français ne consacrent qu'une possibilité dont le demandeur n'a en l'espèce pas souhaité se prévaloir, entendant au contraire voir b. RO. attrait devant la juridiction monégasque ainsi qu'il en avait la faculté.

  • s'agissant du Droit européen

La Principauté de Monaco ne faisant pas partie de l'Union européenne ne saurait se voir imposer le respect des règles applicables à ses seuls États Membres.

SUR CE,

Il résulte des pièces produites aux débats par la partie demanderesse, en cours de délibéré, à la demande expresse de cette juridiction, dont la copie a été simultanément adressée au défendeur (demande d'autorisation d'embauchage – autorisation d'embauchage – permis de travail) que b. RO., citoyen Français domicilié à GATTIERES dans le département français des Alpes Maritimes, a été embauché, selon contrat de travail à durée indéterminée conclu à Monaco le 25 mai 1999 d'abord par p. PA. puis par la SCS PA. p. et Cie, personne morale de nationalité monégasque, en qualité de Directeur Technique coefficient 420 moyennant paiement d'un salaire de 25.000 F brut par mois.

Que dans le cadre de son activité professionnelle b. RO. s'est vu remettre par son employeur une carte de crédit portant le n° 497652130019175 lui permettant d'imputer directement sur le compte ouvert par la SCS PA. et Cie à la Barclays-Bank agence de Monaco sous le n° 2043542001 le montant de ses frais professionnels.

Que selon requête introductive d'instance en date du 10 janvier 2005 p. PA., ès-qualités de liquidateur amiable de la SCS PA. p. et Cie, a saisi le Tribunal du Travail d'une demande tendant à obtenir le remboursement par b. RO. des sommes prélevées indûment par l'intéressé pendant l'exécution de son contrat de travail, au moyen de la carte bancaire mise à sa disposition pour ses dépenses à caractère professionnel.

Si les Tribunaux de la Principauté de Monaco connaissent certes, aux termes de l'article 2 du Code de procédure civile, de toutes actions intentées contre un défendeur domicilié dans la Principauté, sauf l'exception prévue à l'article 4, ils connaissent également, en application des dispositions de l'article 3 chiffre 2 du même code, des actions fondées sur des obligations qui sont nées ou qui doivent être exécutées dans la Principauté, ainsi que des actions fondées sur des obligations nées à l'étranger envers une personne physique ou morale de nationalité monégasque.

Dès lors en l'espèce qu'elle porte sur des manquements reprochés à b. RO. dans le cadre des obligations afférentes à l'exécution d'un contrat conclu à Monaco et qui devait s'exécuter en Principauté, l'action engagée par p. PA. ès-qualités à l'encontre de b. RO., nonobstant le fait que l'intéressé soit domicilié en France, relève de la compétence des juridictions monégasques.

La carte de crédit qui aurait été utilisée à des fins personnelles par b. RO. lui ayant été remise par la SCS PA. dans le cadre de ses fonctions et pour les besoins de son travail, le litige opposant les parties constitue bien un différend entre employeur et salarié s'élevant à l'occasion du contrat de louage de services.

Ladite action relève par suite de la compétence d'attribution du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, telle qu'elle est définie par l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946.

Pour écarter la compétence des juridictions monégasques, b. RO., après avoir en vain invoqué les dispositions de l'article 2 du Code de procédure civile monégasque, se prévaut successivement d'une part des dispositions de l'article 15 du Code civil français et d'autre part du règlement du Conseil de l'Union européenne n° 44/2001 du 22 décembre 2000.

Force est de constater toutefois qu'aucun de ces moyens ne résiste à l'examen.

Qu'en effet, dès lors qu'elles s'avèrent étrangères à l'ordre juridique interne monégasque les dispositions de l'article 15 du Code civil Français ne peuvent recevoir application en l'espèce (Tribunal de Première Instance 26 juillet 1985 – État de Monaco c/Sieur DE. et SARL International Marketing Vidéo).

Qu'en tout état de cause les dispositions de l'article 15 du Code civil français, à les supposer applicables, ne sauraient cependant faire échec au privilège de juridiction dont la SCS p. PA. et Cie, personne morale de nationalité monégasque, bénéficie elle-même en vertu du chiffre 2 de l'article 3 de ce même code (Tribunal de Première Instance – DE MA. c/ LA. – 14 juillet 1994).

Qu'enfin, à partir du moment où elle ne fait pas à ce jour partie de l'Union européenne, la Principauté de Monaco ne saurait valablement se voir opposer le respect des règles applicables exclusivement aux États Membres de ladite Union.

L'action introduite par p. PA. ès-qualités à l'encontre de b. RO. relevant par suite de la compétence du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, il convient de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par le défendeur.

b. RO. n'ayant à ce jour pas conclu sur le fond des demandes formulées à son encontre par p. PA. ès-qualités, il convient de renvoyer à cette fin l'affaire à l'audience du jeudi 22 juin 2006.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, par jugement insusceptible d'appel immédiat, en application des dispositions de l'article 423 du Code de procédure civile.

Rejette l'exception d'incompétence soulevée par b. RO.

Se déclare compétent, rationae materiae et rationae loci, pour connaître des demandes formées par p. PA. ès-qualités à l'encontre de b. RO.

Renvoie la cause et les parties à l'audience du 22 juin 2006.

Invite pour cette date b. RO. à conclure sur le fond du litige.

Réserve les dépens.

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