Tribunal du travail, 23 mars 2006, m. RH. c/ SAM POLY SERVICES TMS

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Abstract🔗

Licenciement pour faute grave - CDD transformé en CDI - Refus par le salarié d'une réduction de la durée du travail - Licenciement non fondé sur un motif valable et abusif

Résumé🔗

Si le refus par un salarié de consentir à la modification d'un élément essentiel de son contrat de travail autorise l'employeur à prendre l'initiative de la rupture de celui-ci, il lui appartient de démontrer que la modification proposée était justifiée par l'intérêt de l'entreprise.

Un agent de propreté embauché sous différents CDD à compter du 10 janvier 2002 est licencié pour faute grave par courrier du 5 décembre 2002. Le motif réside dans le refus du salarié d'effectuer ses tâches quotidiennes qualifié par l'employeur d' « abandon de poste ». Ce dernier avait été attrait devant le tribunal du Travail par le salarié désireux d'obtenir paiement des indemnités de préavis, congés payés sur préavis, de licenciement ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement abusif. Le salarié soutenait qu'il n'avait commis aucune faute, ayant simplement refusé la modification de son contrat dont l'employeur voulait ramener la durée de 30h à 15h12mn. Ce dernier reconnaissait que son salarié, dont les contrats avaient varié de durée en fonction d'absence d'autres salariés sur des chantiers, avait poursuivi son activité sans signature d'un nouveau contrat à durée déterminée du 12 au 18 novembre 2002. Il estimait que les propositions formulées n'ayant pas été accepté, il se trouvait obligé de notifier le licenciement pour abandon de poste.

Le Tribunal du Travail, analysant la relation de travail comme étant devenue à durée indéterminée, puisque le dernier CDD s'était transformé en CDI aux mêmes conditions, constate que s'il est vrai que la modification substantielle de son contrat a été refusée par le salarié, aucune pièce probante ne démontre l'abandon de poste. À défaut, pour la société employeur, d'avoir démontré que la réduction du temps de travail était nécessaire à la bonne marche de l'entreprise, le licenciement n'est justifié ni par un faute grave, ni par un motif valable. Les indemnités de préavis, congés payés afférents au préavis, et indemnité de licenciement sont dues. La légèreté blâmable qui caractérise un licenciement immédiat, sous couvert d'un faux abandon de poste, justifie l'allocation de dommages et intérêts pour licenciement abusif à hauteur de 3000 €.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les requêtes introductives d'instance en date des 8 septembre 2004 et 19 janvier 2005, reçues les 10 septembre 2004 et 20 janvier 2005 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date des 14 décembre 2004 et 8 mars 2005 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur m. RH., en date des 7 avril 2005 et 1er décembre 2005 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur, au nom de la SAM POLY SERVICES TMS, en date des 7 juillet 2005 et 17 novembre 2005 ;

Après avoir entendu Maître Thomas GIACCARDI, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur m. RH., et Maître Alexandra SCHULER-VALLERENT, avocat au barreau de Grasse, substituant Maître Jean-Luc MARCHIO, avocat au barreau de Nice, au nom de la SAM POLY SERVICES TMS, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauché par la SAM POLY SERVICES TMS à compter du 10 janvier 2002 en qualité d'agent de propreté, d'abord dans le cadre de sept contrats à durée déterminée successifs puis à compter du 12 novembre 2002 d'un contrat à durée indéterminée, m. RH. a été licencié de son emploi pour faute grave, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 5 décembre 2002.

Le motif de la rupture immédiate et sans indemnité du contrat de travail à ce salarié, réside, selon les indications contenues dans la correspondance susvisée, dans le refus de m. RH. d'effectuer ses tâches quotidiennes, qualifié par la SAM POLY SERVICES TMS d'« abandon de poste ».

Contestant, en l'état des contradictions manifestes affectant la lettre du 5 décembre 2002, la validité du motif de son licenciement et soutenant par ailleurs que la légèreté blâmable dont avait fait preuve en l'espèce la SAM POLY SERVICES TMS, en se prévalant d'agissements qu'elle n'avait pas été en mesure de démontrer, conférait à la rupture un caractère abusif, m. RH., ensuite de deux procès-verbaux de défaut en date des 13 décembre 2004 et 7 mars 2005, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir l'allocation à son profit des sommes suivantes :

  • 887,90 €, au titre de l'indemnité de préavis,

  • 88,79 €, au titre de l'indemnité de congés payés afférente au préavis,

  • 590,00 €, au titre de l'indemnité de licenciement,

  • 3.800,00 €, à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Aux audiences fixées par les convocations les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après plusieurs renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 2 février 2006 à l'issue de laquelle le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 23 mars 2006.

Après avoir liminairement sollicité la jonction des deux instances successivement introduites par ses soins, m. RH. fait valoir en premier lieu, à l'appui de ses prétentions, que son licenciement pour abandon de poste a été monté de toute pièce, la SAM POLY SERVICES TMS ne rapportant pas la preuve de la faute grave qu'elle lui reproche d'avoir commise.

Qu'en effet il ne peut sérieusement lui être fait grief simultanément d'avoir refusé d'effectuer ses tâches quotidiennes et de s'être absenté de son poste de travail.

Que par ailleurs, alors que dans la lettre de licenciement la SAM POLY SERVICES TMS lui reproche d'avoir abandonné son poste de travail depuis le 18 novembre 2002, cette dernière, dans la correspondance qu'elle a cru devoir adresser au service de l'Emploi, a indiqué qu'il n'aurait pas réintégré son emploi depuis le 28 novembre 2002.

Qu'en réalité ces diverses contradictions, combinées avec le témoignage de Monsieur EL MA., témoignent de ce qu'il n'a commis aucune faute, si ce n'est celle d'avoir refusé la modification de son contrat de travail consistant à ramener sa durée hebdomadaire de travail de 30 heures à 15 h 12 minutes, que son employeur a tenté par tous moyens de lui imposer et qu'il a cru devoir sanctionner, après avoir vainement réclamé sa démission puis exigé la restitution de son véhicule de fonction et des clés de ses chantiers, par un licenciement immédiat sous le couvert d'un prétendu abandon de poste.

Qu'il est par suite fondé à obtenir paiement par la SAM POLY SERVICES TMS de l'indemnité de préavis, en ce compris les congés payés y afférents, ainsi que de l'indemnité de licenciement.

m. RH. soutient, en second lieu, que le fait pour un employeur de se prévaloir d'une faute grave, alors que les agissements reprochés ne présentaient pas les caractéristiques d'une telle faute, constitue un abus de droit.

Que par ailleurs en invoquant à son encontre dans la lettre de rupture des agissements qualifiés de « refus d'effectuer ses tâches quotidiennes », sans avoir été à même d'en justifier par aucun élément de preuve, la SAM POLY SERVICES TMS a fait preuve d'une légèreté blâmable dans la mise en œuvre de son droit de rupture.

Qu'il est fondé dans ces conditions à obtenir réparation du préjudice, notamment matériel, qu'il a subi et dont il justifie par les pièces produites aux débats, à hauteur de la somme totale de 3.800,00 €.

*

Estimant quant à elle d'une part que le licenciement de m. RH., qui est la conséquence du refus de l'intéressé de poursuivre l'exécution de son contrat de travail, est justifié par une faute grave, privative de toute indemnité de préavis et de licenciement, et d'autre part que cette mesure ne revêt aucun caractère abusif, la SAM POLY SERVICES TMS conclut au débouté de l'intégralité des prétentions formulées à son encontre par son ancien salarié.

Soutenant en outre que la procédure introduite par m. RH. revêt, dans ce contexte, un caractère aussi abusif qu'infondé, la SAM POLY SERVICES TMS sollicite reconventionnellement l'allocation à son profit de la somme de 1.000,00 €, à titre de dommages et intérêts.

Elle fait valoir, en substance, à ces diverses fins les arguments suivants :

  • la durée hebdomadaire de travail de m. RH., qui avait été fixée à l'origine par les parties à 10 heures, a été portée à compter du mois de mars 2002 à 30 heures hebdomadaires, soit 130 heures mensuelles, du fait de l'absence d'autres salariés sur les chantiers,

  • à réception de la carte de séjour de l'intéressé un renouvellement de son contrat à durée déterminée lui a été proposé sur une base hebdomadaire de 15 h 12 minutes, compte tenu d'une part de la perte d'un chantier et d'autre part du retour parallèle d'un salarié précédemment absent,

  • cette proposition n'a pas été acceptée par m. RH. qui s'est toutefois abstenu de notifier son refus à son employeur, en démissionnant ou en prenant acte de la rupture, tout en conservant par devers lui le véhicule de la société et les clés des chantiers,

  • m. RH. ayant poursuivi son activité du 12 novembre au 18 novembre 2002, sans signature d'un nouveau contrat de travail à durée déterminée, l'employeur a donc été dans l'obligation de considérer que le contrat de travail à durée déterminée précédent avait été ipso facto transformé en contrat de travail à durée indéterminée,

  • le salarié s'étant refusé à reprendre son activité, l'employeur n'avait pas d'autre solution que de lui notifier son licenciement pour abandon de poste,

  • le licenciement pour faute grave privant le salarié de tout droit à indemnité de préavis et de licenciement, m. RH. ne pourra qu'être débouté de l'intégralité de ses prétentions.

SUR CE,

I – Sur la jonction

Dès lors qu'elles dérivent de l'exécution du même contrat de travail et opposent les mêmes parties prises en la même qualité, il y a lieu conformément aux dispositions de l'article 59 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, d'ordonner la jonction des deux procédures enrôlées sous les numéros 56 et 97 de l'année judiciaire 2004/2005, successivement introduites par m. RH. à l'encontre de la SAM POLY SERVICES TMS et de ne statuer à leur égard que par un seul et même jugement.

II – Sur la qualification du contrat de travail liant les parties

Il est constant en droit que lorsque l'activité d'un salarié se poursuit à l'échéance d'un contrat de travail à durée déterminée, sans conclusion d'un nouveau contrat, la relation des parties se transforme en un contrat de travail à durée indéterminée aux mêmes conditions.

À partir du moment où il résulte en l'espèce clairement des pièces produites aux débats (demande de renouvellement du contrat de travail en date du 8 août 2002 pour la période du 12 août 2002 au 11 novembre 2002 et autorisation d'embauchage en date du 27 septembre 2002 – demande de modification du contrat de travail en date du 12 novembre 2002 – bulletin de salaire de novembre 2002, lettre de licenciement en date du 5 décembre 2002) :

  • que m. RH. a été embauché à compter du 10 janvier 2002 par la SAM POLY SERVICES TMS en qualité d'agent de propreté coefficient 150 dans le cadre de sept contrats à durée déterminée successifs, dont le terme avait été fixé, d'un commun accord entre les parties, au 11 novembre 2002, date d'expiration du titre de séjour temporaire accordé au salarié,

  • que l'intéressé, qui avait obtenu au cours du mois d'octobre 2002, un titre de séjour définitif valable jusqu'au 12 août 2012, a poursuivi son travail au sein de ladite société, nonobstant l'arrivée à son terme du contrat de travail à durée déterminée conclu entre les parties le 8 août 2002, au moins jusqu'au 18 novembre 2002 inclus, ainsi que le reconnaît l'employeur lui-même dans la lettre de licenciement,

  • qu'aucun nouveau contrat n'a été conclu entre les parties, la demande de renouvellement établie par la SAM POLY SERVICES TMS le 12 novembre 2002, s'avérant, à défaut d'être revêtue de la signature du salarié, dépourvue de tout effet,

le contrat de travail à durée déterminée qui liait à l'origine les parties s'est transformé ipso facto à compter du 12 novembre 2002 en un contrat de travail à durée indéterminée, aux mêmes conditions que celles arrêtées d'un commun accord dans la demande de renouvellement du 8 août 2002 à savoir : une qualification d'agent de propreté – l'attribution du coefficient 150 – un temps de travail hebdomadaire de 30 heures et une rémunération mensuelle brute de 887,21 € + 5 % monégasque.

III – Sur la faute grave et la validité du motif du licenciement

Aux termes de la lettre adressée le 5 décembre 2002 par la SAM POLY SERVICES TMS à m. RH., la faute grave justifiant le licenciement immédiat de ce salarié résiderait dans son refus de poursuivre son travail ou de remettre sa démission, considéré par son employeur comme un abandon de poste.

S'il est certes constant en l'espèce que m. RH. a refusé la modification substantielle de son contrat de travail proposée par son employeur visant à ramener sa durée hebdomadaire de travail de 30 h à 15 h, force est de constater toutefois que la SAM POLY SERVICES TMS n'établit par aucune pièce probante que l'intéressé aurait délibérément et volontairement abandonné son poste de travail à compter du 18 novembre 2002.

Qu'il résulte au contraire des pièces produites aux débats (lettre adressée par POLY SERVICES TMS le 29 novembre 2002 au service de l'Emploi – attestation EL MA. – bulletin de paie du mois de novembre 2002) d'une part que m. RH. a normalement poursuivi son activité au service de son employeur jusqu'au 26 novembre 2002 et d'autre part que la remise par ce salarié le 28 novembre 2002 des clés de ses chantiers et de son véhicule de fonction ne s'est effectuée qu'à la demande expresse de son employeur.

Par ailleurs, si le refus par un salarié de consentir à la modification d'un élément essentiel de son contrat de travail autorise l'employeur à prendre l'initiative de la rupture du contrat de travail, il lui appartient toutefois dans cette hypothèse de démontrer que la modification proposée était justifiée par l'intérêt de l'entreprise.

En l'espèce, si la SAM POLY SERVICES TMS soutient certes dans ses conclusions que la réduction de moitié du temps de travail de m. RH. aurait été rendue nécessaire par la perte d'un chantier et le retour parallèle d'un salarié précédemment absent, force est de constater toutefois que la réalité de ces deux éléments n'est attestée par aucune pièce, à l'exception d'un document informatique intitulé « planning employé de base », unilatéralement édité par ses soins et dépourvu comme tel de toute force probante.

Que par suite à défaut pour la SAM POLY SERVICES TMS d'avoir démontré, par des éléments pertinents et probants, que la réduction du temps de travail de m. RH. était nécessaire à la bonne marche de l'entreprise, le licenciement de ce salarié n'est en définitive justifié ni par une faute grave ni même par un motif valable.

Compte tenu de son ancienneté de services et du montant de sa rémunération mensuelle de base, m. RH. est en droit de prétendre à l'allocation des sommes suivantes :

  • 887,90 €, équivalent à un mois de salaire, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

  • 88,79 €, au titre de l'indemnité de congés payés afférente au préavis,

  • (887,90 € x 12) / 25 = 426,19 €, au titre de l'indemnité sanctionnant la non validité du motif de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845.

IV – Sur le caractère abusif de la rupture

En notifiant à m. RH. son licenciement immédiat et sans indemnité de rupture, sous le couvert d'un abandon de poste non avéré, alors qu'il lui appartenait en réalité de tirer les conséquences qui s'imposaient du refus de l'intéressé d'accepter la modification d'un élément substantiel de son contrat de travail, la SAM POLY SERVICES TMS a fait preuve d'une légèreté blâmable conférant au licenciement intervenu un caractère abusif.

En agissant de la sorte elle a contraint m. RH. à saisir la présente juridiction pour obtenir paiement de sommes (indemnité de préavis, congés payés sur préavis) qui lui étaient incontestablement dues et dont ce dernier aurait dû obtenir le versement au moment de son départ de l'entreprise le 5 décembre 2002, soit il y a plus de trois années.

Compte tenu de ces divers éléments, le préjudice matériel et moral subi par m. RH., consécutivement à la rupture abusive de son contrat de travail, justifie l'allocation à son profit de la somme de 3.000 €, à titre de dommages et intérêts.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Ordonne la jonction des procédures introduites par m. RH. à l'encontre de la SAM POLY SERVICES TMS enrôlées sous les numéros 56 et 97 de l'année judiciaire 2004/2005.

Dit que le licenciement de m. RH. par la SAM POLY SERVICES TMS n'est justifié ni par une faute grave ni par un motif valable.

Dit en outre que la rupture revêt un caractère abusif.

Condamne en conséquence la SAM POLY SERVICES TMS à payer à m. RH. les sommes suivantes :

  • 887,90 euros, (huit cent quatre vingt sept euros et quatre vingt dix centimes), au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

  • 88,79 euros, (quatre vingt huit euros et soixante dix neuf centimes), au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente au préavis,

  • 426,19 euros, (quatre cent vingt six euros et dix neuf centimes), au titre de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845,

  • 3.000,00 euros, (trois mille euros), à titre de dommages et intérêts.

Condamne la SAM POLY SERVICES TMS aux entiers dépens.

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