Tribunal du travail, 23 février 2006, j DU c/ la SAM SONIA RYKIEL

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Abstract🔗

Licenciement sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 - Nécessité d'une motivation explicite ou implicite (non) - Légèreté et brusquerie de la rupture Licenciement abusif

Résumé🔗

Si le licenciement, avec paiement des indemnités de préavis et congédiement, sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 n'exige pas nécessairement de référence à une motivation explicite ou implicite, il n'exclut pas l'abus dans sa mise ne œuvre.

La directrice d'une boutique de mode ayant seize années d'ancienneté est licenciée, par lettre non motivée, avec paiement des indemnités de préavis, de congés payés, de treizième mois et de licenciement auxquelles son ancienneté lui permettait de prétendre. Peu avant, elle avait reçu des courriers de la direction générale de la marque lui laissant penser qu'elle demeurait impliquée dans la gestion de la boutique de Monaco. Soutenant qu'elle avait été licenciée avec brusquerie et légèreté, sans être avertie d'aucune façon des intentions de l'employeur, elle demandait réparation à celui-ci du préjudice, par elle évalué à 100.000 €, que la mise en œuvre abusive du droit de résiliation unilatérale lui occasionnait.

De son côté, l'employeur faisait valoir que rien n'interdit en droit monégasque de procéder à un licenciement pendant une période d'arrêt de travail et qu'il n'existe aucune obligation d'information préalable de ses intentions avant de procéder à la rupture. Il excipait également du caractère extérieur à la SAM S.R des correspondances dont se prévalait la salariée.

Le Tribunal rappelle tout d'abord que si le texte de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 permet certes à l'employeur de congédier un salarié sans se référer à un motif inhérent à la personne, il n'instaure pas cependant à son profit un droit discrétionnaire et absolu. En l'espèce, la salariée ayant reçu paiement par son employeur de l'intégralité des indemnités de rupture, le rôle du tribunal se borne à vérifier l'absence d'abus. Or, les circonstances de la rupture, à moins de deux années de la retraite et notamment l'absence de la moindre information et l'existence de courriers qui, même émanant de la direction parisienne de la marque, laissaient légitimement espérer un maintien de l'emploi, apparaissent abusive. Le tribunal indemnise le préjudice, moral à défaut de précisions sur le préjudice matériel, à hauteur de 20.000€.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 9 décembre 2004 reçue le 13 décembre 2004 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 15 février 2005 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Madame j DU, en date des 14 avril 2005 et 13 octobre 2005 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la SAM SONIA RYKIEL, en date des 23 juin 2005 et 10 novembre 2005 ;

Après avoir entendu Maître Elie COHEN, avocat au barreau de Nice, au nom de Madame j DU, et Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SAM SONIA RYKIEL, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée par la SCS MA. et Cie à laquelle a succédé la SAM SONIA RYKIEL en qualité de vendeuse, j DU qui occupait en dernier lieu au sein de cet établissement les fonctions de Directrice de boutique, a été licenciée de son emploi, par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 26 octobre 2004, libellée dans les termes suivants :

« Madame,

» Nous vous prions de noter que conformément aux dispositions de l'article 6 « de la loi n° 729 du 16 mars 1963 nous mettons fin à la relation de travail qui » vous lie avec la société à dater de la première présentation de la présente à votre « domicile.

» Votre préavis d'une durée de trois mois débutera à cette date et nous vous « dispensons de l'effectuer – Il sera néanmoins rémunéré.

» Vous recevrez par la voie postale et courrier séparé les documents d'usage et « la liquidation de vos droits comprenant les éléments de salaires, préavis, congés » payés et indemnité de licenciement «.

Soutenant que la soudaineté, la légèreté et la brusquerie avec laquelle son licenciement a été conduit lui confèrent incontestablement un caractère abusif, j DU, ensuite d'un procès-verbal de défaut en date du 14 février 2005, a attrait la SAM SONIA RYKIEL devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir l'allocation à son profit de la somme de 100.000,00 € à titre de dommages et intérêts.

À l'audience fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après six renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 12 janvier 2006 à l'issue de laquelle le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 23 février 2006.

Après avoir liminairement rappelé que si l'article 6 de la loi n° 729 permet certes à un employeur de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, ce texte ne lui confère toutefois pas un droit discrétionnaire et absolu, j DU fait valoir qu'en l'espèce la SAM SONIA RYKIEL a fait un usage abusif de ce droit :

  • en la licenciant pendant une période d'arrêt de travail pour maladie,

  • en ne l'avertissant en aucune manière de ses intentions et en lui laissant au contraire penser, comme l'atteste le contenu de la correspondance qui lui a été adressée le 11 octobre 2004, soit moins de quinze jours avant la notification de la rupture, qu'elle demeurait totalement impliquée dans la gestion de la boutique de Monaco.

Prétendant par ailleurs avoir subi un préjudice matériel constitué par la différence existant entre le salaire qu'elle aurait continué de percevoir jusqu'à l'âge de la retraite, si elle avait poursuivi son activité au service de la SAM SONIA RYKIEL, soit pendant dix-huit mois, et les indemnités qui lui ont été servies durant la même période par l'ASSEDIC, doublé d'un préjudice moral important, j DU demande en définitive à la présente juridiction de sanctionner la soudaineté, la brusquerie et la légèreté dont son employeur a fait preuve dans la mise en œuvre de son droit de résiliation, en lui allouant la somme de 100.000,00 €, à titre de dommages et intérêts.

Estimant pour sa part que j DU ne rapporte la preuve, dont la charge lui incombe, ni de l'abus dont elle se serait rendue coupable dans l'exercice du droit autonome et unilatéral de rupture qui lui est reconnu par l'article 6 de la loi n° 729, ni d'un préjudice découlant de l'exercice fautif de ce droit, la SAM SONIA RYKIEL conclut au rejet des prétentions formulées à son encontre par son ancienne salariée.

Soutenant en outre que la procédure introduite à son encontre revêt dans ce contexte un caractère particulièrement excessif, la SAM SONIA RYKIEL sollicite reconventionnellement la condamnation de cette dernière au paiement de la somme de 2.500,00 €, à titre de dommages et intérêts.

Elle fait valoir en substance à cet effet :

  • que si la maladie ne peut certes constituer un motif de rupture d'un contrat de travail, rien n'interdit en droit monégasque, hormis en ce qui concerne les salariés protégés, de procéder à un licenciement sur le fondement de l'article 6 du texte précité pendant une période d'arrêt de travail ;

  • que l'employeur n'a pas l'obligation d'informer son salarié, préalablement à son licenciement, de ses intentions ;

  • qu'en tout état de cause, dès lors que :

  • leur rédacteur n'est pas la SAM SONIA RYKIEL mais la direction générale de la marque, dans le cadre de son assistance aux boutiques ;

  • elles ne contiennent aucun engagement ferme de quelque nature que ce soit, ainsi que le démontre l'utilisation de la locution » le cas échéant «,

les correspondances en date des 17 septembre et 11 octobre 2004, dont se prévaut j DU, ne caractérisent aucune brusquerie ou légèreté de sa part ;

  • qu'il n'existe pas de lien de causalité adéquate entre le préjudice matériel allégué par j DU, à savoir le manque à gagner jusqu'à l'âge de la retraite, et l'exercice fautif par l'employeur du droit de rompre posé par l'article 6 de la loi n° 729 ;

  • que le préjudice moral important invoqué par la demanderesse n'est nullement justifié.

SUR CE,

Il résulte des termes de la lettre de rupture adressée le 26 octobre 2004 par la SAM SONIA RYKIEL à j DU que le licenciement de cette salariée a été mis en œuvre sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729.

Si ce texte permet certes à l'employeur de congédier un salarié, sans se référer de façon implicite ou explicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, il n'instaure toutefois pas à son profit un droit discrétionnaire et absolu.

Il appartient donc au Tribunal du Travail, lorsque un tel licenciement est contesté, de vérifier non pas la cause de la rupture mais le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié d'une part et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de faute d'autre part.

Il est constant (cf. bulletins de paie des mois de novembre, décembre 2004 et janvier, février 2005) que j DU, qui ne réclame le règlement d'aucune somme à ces divers titres, a reçu paiement par son employeur de l'intégralité des indemnités de préavis, de congés payés, de treizième mois et de licenciement auxquelles son ancienneté lui permettait de prétendre.

Le rôle du Tribunal du Travail se limite donc en l'espèce à vérifier que la SAM SONIA RYKIEL n'a pas commis d'abus dans l'exercice du droit autonome et unilatéral de rupture qui lui est reconnu par l'article 6 du texte susvisé, la charge de la preuve d'un tel abus incombant à celui qui s'en prévaut, et donc plus précisément à j DU.

À partir du moment où la maladie ne constituait pas le motif de la rupture du contrat de travail de j DU, la circonstance que cette mesure ait été notifiée pendant une période où cette salariée se trouvait en arrêt de travail pour cette raison ne suffit pas à établir le caractère abusif de son licenciement.

Dès lors en revanche qu'il résulte des pièces produites aux débats par j DU :

  • que cette dernière, nonobstant son importante ancienneté de services (plus de seize années) et la nature des responsabilités qui lui étaient contractuellement dévolues (Directrice de la boutique) n'a pas été, préalablement à la mise en œuvre de la rupture, informée ou avertie, de quelque manière que ce soit, des intentions de son employeur à son égard,

  • qu'en tenant, par lettre en date du 17 septembre 2004, j DU informée des recrutements de personnel en cours en l'invitant en outre à s'associer au processus de sélection des candidats d'une part, et en prenant l'engagement, dans une correspondance en date du 11 octobre 2004, de lui présenter les candidats retenus d'autre part, la SAM SONIA RYKIEL lui a au contraire laissé légitimement croire qu'elle demeurait totalement associée à la gestion de la boutique de Monaco,

le licenciement de l'intéressée, qui est intervenu moins de deux semaines après l'envoi de cette deuxième correspondance, a été, en la forme, conduit avec une soudaineté, une brusquerie et une légèreté fautives, qui lui confèrent incontestablement un caractère abusif.

Si la SAM SONIA RYKIEL soutient certes, pour tenter de retirer toute portée aux deux correspondances susvisées, d'une part qu'elles émanent d'une personne morale qui n'est pas l'employeur et d'autre part qu'elles ne contiennent aucun engagement ferme, force est de constater toutefois qu'aucun de ces arguments ne résiste à l'examen.

Qu'en effet, l'expédition depuis PARIS de la lettre de licenciement sur un papier à en-tête comportant aussi bien l'intitulé, la forme et le siège social de la SAM SONIA RYKIEL, que l'adresse de la Direction des Ressources Humaines et des Bureaux de la SA SONIA RYKIEL démontre que la gestion du personnel de la boutique de MONACO était assurée, au même titre que celle des boutiques françaises, par la Direction des Ressources Humaines de la Maison Mère à Paris.

Que par ailleurs l'incertitude introduite par l'emploi de la locution » le cas échéant " dans la lettre en date du 11 octobre 2004 ne concerne pas l'engagement souscrit envers j DU par la société SONIA RYKIEL, mais les résultats du processus de recrutement, la présentation promise par l'employeur ne pouvant se réaliser que pour autant qu'une ou plusieurs candidatures aient été effectivement retenues.

Le caractère abusif du licenciement intervenu le 26 octobre 2004 étant ainsi suffisamment démontré, j DU est fondée à obtenir réparation par la SAM SONIA RYKIEL de son préjudice.

Si cette dernière soutient certes avoir subi, en premier lieu, un préjudice matériel important elle n'a toutefois étayé ses affirmations, formulées au surplus au futur, par aucune pièce.

Ainsi, alors pourtant qu'à la date du 13 octobre 2005 où elle a déposé ses dernières conclusions son licenciement était intervenu depuis plus d'une année, j DU n'a produit aux débats aucun document justifiant de sa situation financière ou professionnelle actuelle, notamment à l'égard de l'ASSEDIC.

En se retrouvant évincée, à moins de deux années de la retraite, d'un établissement auquel elle s'était dévouée pendant seize ans, gravissant tour à tour les différents échelons de la hiérarchie pour parvenir en dernier lieu au poste de directeur de boutique, sans que son employeur n'ait pris la peine de l'informer préalablement de sa décision, et alors au contraire que ce dernier lui avait laissé croire qu'elle allait poursuivre sa mission, j DU a subi un préjudice moral certain, justifiant l'allocation à son profit, au vu des divers éléments analysés ci-dessus, d'une somme de 20.000,00 €, à titre de dommages et intérêts.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de j DU par la SAM SONIA RYKIEL revêt un caractère abusif.

Condamne en conséquence la SAM SONIA RYKIEL à payer à j DU la somme de 20.000,00 euros, (vingt mille euros), à titre de dommages et intérêts.

Condamne la SAM SONIA RYKIEL aux entiers dépens.

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