Tribunal du travail, 30 septembre 2004, z. ZA. c/ la Société EFG Eurofinancial Investment, SAM EFG Eurofinancière

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Licenciement pour insuffisance professionnelle - Conditions de licéité

Résumé🔗

Si l'insuffisance de résultats obtenus par un salarié peut constituer un motif valable de licenciement, encore faut-il que des objectifs clairs précis et raisonnables lui aient été assignés et que ces résultats tenus pour insuffisants ne trouvent pas leur origine dans une cause étrangère à l'activité du salarié.

Un gestionnaire de patrimoine engagé par une société financière le 2 janvier 1998 pour développer un réseau de clientèle, est licencié par courrier du 7 mars 2001 qui « constatant (son) insuffisance », n'est plus en mesure de maintenir son poste « lequel fera l'objet, suite à (son) départ, d'une suppression pure et simple ». Le salarié estimant son licenciement abusif, attrait son employeur devant le bureau de jugement du Tribunal du travail, notamment en paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif. Le salarié estime qu'aucun objectif ne lui a été assigné et que son employeur ne lui a pas fourni les moyens normaux nécessaires à l'accomplissement de ses fonctions. La société qui l'employait soutient, de son côté, que ce salarié a échoué dans sa mission consistant à démarcher, créer, développer et fidéliser une clientèle dans le secteur du Moyen-Orient et a contraint son employeur à renoncer à sa politique de développement dans cette région.

Le Tribunal du Travail corrige tout d'abord la référence erronée à la notion de suppression de poste, la réalité du motif, tel qu'il résulte des pièces versées aux débats, étant celle d'une insuffisance professionnelle. Si celle-ci peut constituer un motif valable de licenciement, encore faut-il que le salarié se voit assigner des objectifs clairs, précis et raisonnables et que l'insuffisance ne trouve pas son explication dans une cause étrangère à l'activité du salarié, comme une insuffisance de moyens mis à disposition du salarié. Le Tribunal du Travail constate ensuite que ces conditions ne sont pas remplies en l'espèce et que, de surcroit, il ne dispose pas d'éléments de comparaison avec les autres gestionnaires de patrimoine. Une somme de 12.000 € est allouée au salarié compte tenu de son âge (55 ans lors de la rupture).


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 25 mars 2002, reçue le 27 mars 2002 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 16 avril 2002 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christophe SOSSO, avocat, au nom de Monsieur z. ZA., en date des 3 octobre 2002, 5 juin 2003 et 5 février 2004 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE EFG EUROFINANCIERE, en date des 9 janvier 2003, 3 septembre 2003 et 25 mars 2004

Après avoir entendu Maître Christophe SOSSO, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur z. ZA., et Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE EFG EUROFINANCIERE, en leurs plaidoiries ;

Lesdits avocat et avocat-défenseur ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauché à compter du 2 janvier 1998 par la SAM EUROFINANCIERE en qualité de gestionnaire de patrimoine, z. ZA. a été licencié de cet emploi, par lettre en date du 1er mars 2001, parvenue le 7 mars 2001 à son destinataire, dont le contenu s'avère le suivant :

« Monsieur,

» J'ai le regret de devoir vous notifier votre licenciement.

« Vous avez été engagé au sein de notre établissement en vue de développer et gérer une clientèle du Moyen-Orient.

» Lors des entrevues qui ont précédé votre embauché, vous vous êtes prévalu d'un tissu relationnel important et d'une clientèle potentielle conséquente, ce qui nous a conduit non seulement à vous recruter mais à créer votre poste, inexistant avant votre embauche au sein de notre établissement.

« Or, à la fin de l'année 1998, déjà la Direction d'EFGM a constaté que les objectifs que vous aviez vous-même fixés, n'étaient pas atteints et le chiffre d'affaires généré par votre activité était pratiquement inexistant au regard des attentes et des projets que vous aviez formulés.

» La Direction d'EFGM, bien qu'ayant estimé avoir été trompée, a estimé devoir vous laisser le temps nécessaire et a mis à votre disposition les moyens tant financiers que logistiques.

« Constatant votre insuffisance, elle vous a alors proposé, pour justifier le maintien de votre poste, et de votre salaire, une activité dans le secteur crédit, tâche qui n'a pu, en aucun façon, gêner votre action vis à vis de vos clients puisqu'elle pouvait être réalisée en moins de deux heures (prise en charge des contrôles journaliers des positions comptables de la clientèle).

» Suite à votre demande, en début d'année 2000, la Direction d'EFGM a accepté de vous libérer de ces nouvelles tâches afin que vous vous « sentiez totalement libre » de « contacter vos clients ».

« À cette fin, la Direction a mis à votre disposition un budget pour votre voyage de deux semaines en Arabie, au Yémen et à Abu Dhabi au mois d'avril 2000.

» Il apparaît à ce jour que ce déplacement, ayant généré des frais « important pour notre établissement, s'est avéré infructueux.

» Dans ces conditions et au vu de ce qui précède, l'EFGM n'est plus en mesure de maintenir votre poste, lequel fera l'objet, suite à votre départ, d'une suppression pure et simple. «

Estimant que la rupture de son contrat de travail revêtait un caractère manifestement abusif, z. ZA., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 15 avril 2002, a attrait la SAM EFG EUROFINANCIERE devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir l'allocation à son profit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

  • 100.000,00 €, à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

  • 10.000,00 €, à titre de dommages et intérêts complémentaires en compensation des frais exposés en justice.

À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après dix sept renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 24 juin 2004 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour, 30 septembre 2004.

z. ZA. fait valoir, à l'appui de ses prétentions, que si son licenciement a certes été qualifié, dans la lettre du 1er mars 2001, de licenciement pour suppression de poste, cette mesure est en réalité intervenue pour un grief inhérent à sa personne, son employeur lui reprochant une prétendue insuffisance professionnelle, caractérisée par la non réalisation des objectifs qui lui avaient été impartis.

Estimant quant à lui qu'à partir du moment où :

  • aucun objectif clair et précis ne lui a jamais été assigné, que ce soit en terme de nombre de clients, ou de chiffre d'affaires à réaliser,

  • parallèlement à son activité de gestion de patrimoine, il s'est vu confier par son employeur à la fin du mois de décembre 1998 la charge de la » réorganisation générale de la totalité des dossiers de crédits ",

  • son employeur ne lui a pas fourni les moyens normaux nécessaires à l'accomplissement de ses fonctions, qu'il s'agisse des locaux ou des instruments de travail (petit bureau, totalement isolé des collègues de travail, situé dans une pièce immense et vide – pas d'ordinateur),

l'insuffisance de résultats qui lui est reprochée n'est nullement caractérisée, z. ZA. demande à la présente juridiction de sanctionner le caractère fallacieux du motif invoqué ainsi que, d'une manière plus générale, l'attitude empreinte de légèreté blâmable et d'intention de nuire adoptée à son encontre par la SAM EFG, en déclarant abusif le licenciement intervenu et en lui allouant, à titre de dommages et intérêts les sommes visées dans sa requête introductive d'instance dont le montant a été détaillé supra.

Soutenant pour sa part que le licenciement de z. ZA., qui est intervenu pour cause d'insuffisance professionnelle avérée consécutivement à l'échec de ce dernier dans sa mission consistant à démarcher, créer, développer et fidéliser une clientèle dans le secteur du Moyen-Orient, contraignant ainsi son employeur à renoncer à sa politique de développement dans cette région, ne revêt donc pas de caractère abusif, la SAM EFG conclut au débouté de l'intégralité des prétentions formulées à son encontre par son ancien salarié.

Elle invoque à cet effet en substance les moyens suivants :

  • l'auteur du congédiement ne pouvant être condamné à des dommages et intérêts pour renvoi abusif que si l'autre partie prouve contre lui, outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, z. ZA. s'avère en l'espèce débiteur en preuve,

  • la fonction simple, n'impliquant aucune technicité au niveau de la qualité juridique et économique des dossiers traités, confiée à z. ZA. en l'état de la faiblesse de ses résultats commerciaux et de son manque d'occupation corrélatif, lui laissait toute latitude pour assumer, sur la base de son portefeuille existant, son rôle de gestionnaire,

  • si la société n'a certes pas imparti à z. ZA. de seuils minima en matière de nombre de clients et de chiffre d'affaires, les résultats particulièrement insignifiants (portefeuille de 14 comptes actifs au 22 janvier 2001) obtenus par celui-ci s'avèrent extrêmement éloignés des objectifs qu'il s'était lui même fixés dans les notes et rapports remis à son employeur, faisant état de montants réglés de 129.950 USD alors que les montants attendus s'élevaient à 9.030.000 USD,

  • z. ZA., qui a disposé de tous les moyens, aussi bien financiers que logistiques, nécessaires à l'accomplissement de sa mission, n'a pas fait l'objet de la part de son employeur d'un harcèlement et encore moins subi de brimades,

  • le préjudice allégué n'est, en tout état de cause, pas suffisamment justifié.

Estimant en outre qu'en intentant la présente procédure, alors qu'il a été pourtant intégralement désintéressé de ses droits par son employeur, z. ZA. a fait un usage abusif de son droit d'ester en justice, la SAM EFG sollicite reconventionnellement l'allocation d'une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts, afin de compenser les frais qu'elle a été contrainte d'exposer.

Soutenant enfin qu'en révélant dans ses conclusions en date du 5 juin 2003 l'identité de certains de ses clients z. ZA. a contrevenu aux dispositions des articles L511-33 du Code Bancaire et Financier et 226-13 du Nouveau Code Pénal Français, applicables à Monaco en vertu de l'Ordonnance n° 3066 du 25 juillet 1945, la SAM EFG demande à la présente juridiction, après avoir constaté la violation par l'intéressé de son obligation au secret professionnel, de lui donner acte de ses réserves d'engager à son encontre toutes poursuites de ce chef.

SUR CE,

Nonobstant la référence erronée à la notion de suppression de poste contenue dans la lettre de notification de la rupture en date du 1er mars 2001, il résulte de l'ensemble des pièces du dossier (cf. attestation ASSEDIC – lettre d'observations du 19 août 2000 – conclusions déposées les 9 janvier 2003, 3 septembre 2003 et 25 mars 2004 par la SAM EFG) que le licenciement de z. ZA. a été en réalité mis en œuvre pour un motif inhérent à la personne du salarié, tenant à l'insuffisance professionnelle avérée dont ce dernier aurait fait preuve dans l'exercice de sa mission de gestionnaire de patrimoine et plus particulièrement dans l'insuffisance des résultats obtenus en cette qualité, tant en ce qui concerne le nombre de comptes ouverts que le montant des actifs déposés.

Si l'insuffisance des résultats obtenus par un salarié peut certes, constituer un motif valable de licenciement, encore faut-il toutefois :

1) que des objectifs non seulement clairs et précis mais aussi raisonnables, au regard des spécificités de la mission impartie, lui aient été préalablement assignés,

2) que les résultats tenus pour insuffisants ne trouvent pas leur explication dans une cause étrangère à l'activité du salarié, l'employeur ayant, à cet égard, le devoir de fournir à son salarié les moyens normaux nécessaires à l'accomplissement de son travail.

Force est de constater en l'espèce, de l'aveu même de la SAM EFG (cf. conclusions du 9 janvier 2003 page 7), que z. ZA. ne s'est vu assigner par son employeur, lors de son embauche, aucun seuil minimum à atteindre, ni en termes de nombre de clients, ni en termes de chiffre d'affaires.

Qu'en conséquence, à défaut de disposer d'une part d'objectifs clairement définis et d'autre part du moindre élément de comparaison (les performances habituellement réalisées dans des conditions comparables par les autres gestionnaires de patrimoine n'ont pas été précisées), la présente juridiction n'est pas en mesure d'apprécier si, au regard des caractéristiques très particulières de la mission dévolue à ce salarié, consistant à créer de toutes pièces, développer et fidéliser une nouvelle clientèle, dans un secteur géographique non encore prospecté, les résultats réalisés par z. ZA. revêtent effectivement, ainsi que le soutient son employeur, un caractère insuffisant.

Force est de constater, en tout état de cause, que si la SAM EFG a certes financé :

  • les différents déplacements professionnels de z. ZA. au Moyen-Orient,

  • les communications téléphoniques passées par son salarié pour les besoins de son travail,

cette dernière ne lui a, en revanche pas fourni tous les moyens matériels usuels nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

Qu'il ressort en effet clairement des deux procès-verbaux de constat produits aux débats (constat de Maître ESCAUT-MARQUET, établi le 4 octobre 2000 – constat de Maître NOTARI, rédigé le 26 janvier 2001) que z. ZA. ne disposait ni d'un bureau adapté à la réception d'une clientèle réputée pour son exigence (il était installé au fond d'un grand local vide situé au rez-de-chaussée de l'immeuble occupé par la société, totalement isolé de ses collègues de travail), ni même d'un ordinateur, et se trouvait donc dans l'obligation, pour pouvoir procéder à l'interrogation des comptes de ses clients et imprimer les relevés correspondants, de se rendre à l'étage supérieur, dans un bureau dépendant d'un autre service (back office).

Que par ailleurs, les responsabilités non négligeables s'exerçant au sein du département crédit, confiées à z. ZA. par la SAM EFG à partir de la fin de l'année 1998 ont nécessairement empiété sur le temps consacré par ce gestionnaire de patrimoine à la prospection de sa clientèle ainsi qu'au suivi des comptes de celle-ci.

En conséquence, les résultats tenus pour insuffisants par l'employeur, à supposer même qu'ils s'avèrent suffisamment caractérisés, dès lors qu'ils trouvent leur explication dans une conjoncture étrangère à l'activité personnelle de z. ZA. ne peuvent valablement justifier le licenciement de ce salarié.

Il est constant en droit que l'invocation par l'employeur à l'appui du licenciement d'un motif fallacieux confère à la rupture un caractère abusif.

En versant aux débats la copie des diverses lettres de candidature adressées par ses soins, en vain, à divers employeurs potentiels et l'attestation de paiement qui lui a été délivrée le 23 octobre 2003 par l'ASSEDIC, z. ZA. démontre qu'il n'a pas retrouvé d'emploi à ce jour et subit donc, ensuite de son licenciement, un préjudice matériel incontestable.

Compte tenu d'une part de l'âge de z. ZA. (55 ans lors de la rupture) et de l'importance de la perte financière subie (les indemnités ASSEDIC dont ce dernier bénéficie actuellement représentent environ 50 % du salaire que lui versait la SAM EFG), mais aussi de son ancienneté de services modérée (un peu plus de trois années) le préjudice de toute nature subi par z. ZA., ensuite de son licenciement sera justement compensé par l'allocation à son profit de la somme de 12.000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande reconventionnelle tenant à la violation du secret professionnel

La présente juridiction n'ayant pas compétence, s'agissant de faits susceptibles d'avoir été commis postérieurement à la rupture du contrat de travail, pour apprécier si le secret professionnel a été ou non enfreint par z. ZA., il convient de donner seulement acte à la société EFG de ses réserves d'engager toutes poursuites de ce chef à l'encontre de l'intéressé.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de z. ZA. revêt un caractère abusif.

Condamne en conséquence la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE EFG EUROFINANCIERE à payer à z. ZA. la somme de :

12.000,00 euros, (douze mille euros), à titre de dommages et intérêts,

toutes causes de préjudices confondues, laquelle somme produira intérêts de retard au taux légal à compter du présent jugement.

Déboute z. ZA. du surplus de ses prétentions.

Donne acte à la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE EFG EUROFINANCIERE de se qu'elle se réserve d'engager toutes poursuites à l'encontre de z. ZA. pour violation du secret professionnel.

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.

Condamne la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE EFG EUROFINANCIERE aux dépens.

  • Consulter le PDF