Tribunal du travail, 17 juin 2004, p. ZE. c/ la SAM RMC info

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Abstract🔗

Application d'un commun accord d'une clause de cession à l'occasion d'un changement de majorité dans une société de radio - Plan social plus favorable que les conditions de la clause de cession - Remise en cause de l'accord par le salarié (non)

Résumé🔗

La remise en cause des conditions financières d'une rupture ayant donné lieu à une « clause de cession » volontairement appliquée, au motif d'avantages supérieurs accordés dans d'autres conditions à d'autres salariés n'est pas possible.

Rédacteur en chef d'une société de radio, un salarié s'était vu proposer, en 2001, un départ indemnisé, à la suite de l'acquisition de la majorité du capital par un groupe, et dans le cadre de la clause de cession, l'employeur lui a indiqué qu'il aurait un préavis de six mois à effectuer et bénéficierait des conditions du plan de départ de 1998. Pendant qu'il effectuait son préavis, il avait appris que certains salariés bénéficiaient de conditions de départ plus favorables, sur la base d'un plan adopté antérieurement à la rupture de son contrat de travail. Il avait attrait son employeur en paiement de complément d'indemnité de rupture. Ce dernier soutenait que Mr p. ZE. avait été rempli de ses droits, ne pouvant exiger d'autres avantages que ceux énoncés dans la lettre de rupture, le plan de suppression d'emploi revendiqué n'ayant pas vocation à s'appliquer en dehors des circonstances prévues et concerne des licenciements subis alors que la rupture du contrat de travail du demandeur s'inscrit dans un contexte personnel non transposable.

Le Tribunal du Travail rappelle tout d'abord que Mr p. ZE. a sollicité, et obtenu de son employeur, le bénéfice de la « clause de cession » disposition du Code du Travail français sans équivalent à Monaco. Ainsi, alors même qu'il a pris l'initiative de la rupture, il est fondé à obtenir des indemnités de rupture et en particulier l'indemnité conventionnelle de congédiement. Le droit à indemnisation naissant au jour de la notification de la rupture, il y a lieu de se placer au jour où l'employeur a pris acte de la volonté de son salarié de se prévaloir de la clause de cession pour déterminer ses droits. Or, le plan revendiqué n'était pas applicable à ce moment là et la catégorie professionnelle des journalistes à laquelle appartenait le demandeur n'était pas concernée par les mesures due ce plan. Ce dernier ne peut remettre en cause l'accord qu'il a librement négocié avec son ancien employeur au motif que d'autres salariés auraient obtenu d'avantages dans d'autres conditions. Le demandeur est débouté de l'ensemble de ses demandes.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 20 février 2003, reçue le 25 février 2003,

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 1er avril 2003,

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur p. ZE., en date des 26 juin 2003 et 27 novembre 2003 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE RMC INFO, en date des 16 octobre 2003 et 5 février 2004 ;

Après avoir entendu Maître Jean-Pierre POLI, avocat au barreau de Nice, au nom de Monsieur p. ZE., et Maître Alexis MARQUET, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE RMC INFO, en leurs plaidoiries ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 31 mars 2003, p. ZE. a attrait la SAM RMC INFO, son ancien employeur, devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir l'allocation à son profit, avec intérêts au taux légal à compter de la demande, des sommes suivantes :

  • 41.161,23 €, à titre de solde d'indemnité de rupture du contrat de travail,

  • 5.000,00 €, à titre de dommages et intérêts pour non maintien de la mutuelle,

  • 2.000,00 €, au titre des frais irrépétibles d'instance.

À l'audience fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu par leurs conseils.

Puis, après sept renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 6 mai 2004, et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 17 juin 2004.

p. ZE. expose, à l'appui de ses prétentions, qu'il a été embauché le 1er janvier 1971 par la SAM Radio Monte-Carlo au sein de laquelle il exerçait, en dernier lieu, les fonctions de rédacteur en chef.

Qu'à la suite de l'acquisition par le groupe de Monsieur a. WE., de la majorité du capital de la SAM RMC, il s'est vu proposer un départ dans les conditions qui avaient été accordées précédemment au personnel par le groupe Sud Radio, ladite proposition lui ayant été confirmée par écrit le 11 juin 2001 par le Directeur Général Adjoint de RMC.

Qu'ayant accepté son départ, dans le cadre de l'application de la clause de cession, la SAM RMC lui a indiqué, par courrier en date du 21 juin 2001 :

  • qu'il aurait un préavis de six mois à effectuer,

  • qu'il bénéficierait des conditions du plan de départ de 1998 que lui avait accordées Monsieur RE. dans son courrier du 11 octobre 2000, lequel prévoyait essentiellement une majoration de 20 % de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Qu'ayant appris, pendant qu'il effectuait son préavis, que le plan de re-développement communiqué aux délégués du personnel le 15 décembre 2000, soit plus de six mois avant la rupture de son contrat de travail intervenue le 21 juin 2001, accordait aux salariés concernés des conditions plus favorables que le plan de départ de 1998, à savoir un bonus de 50 % de l'indemnité de rupture au lieu de 20 %, il a sollicité le bénéfice de cette disposition, lequel lui a été refusé par son employeur, le 13 décembre 2001, dans les termes suivants :

« Je trouverais particulièrement inéquitable et dérangeant de m'écarter de la règle définie par rapport aux journalistes de la rédaction qui ont ou vont quitter l'entreprise en ne bénéficiant que des indemnités légales et conventionnelles sans les avantages accordés aux autres catégories de personnel qui, en ce qui les concerne, ont été licenciés dans le cadre d'un plan social, ce qui n'est pas le cas des journalistes qui eux, ont fait soit le choix de la clause de cession soit de refuser une »mutation« ».

Que les affirmations de son employeur se sont toutefois révélées inexactes, puisque l'inspecteur du travail lui a indiqué, par courrier en date du 27 mars 2003, que les journalistes, « exclus de l'application du plan social », qui ont été licenciés avaient pu, après son intervention et par le biais de transactions individuelles, obtenir une indemnisation équivalente, à savoir un bonus de 50 % et non de 20 % de l'indemnité de licenciement.

Soutenant qu'en l'état de cette information, il avait fait l'objet d'une discrimination inacceptable par rapport aux autres salariés de la même catégorie professionnelle, p. ZE. sollicite la condamnation de son employeur au paiement :

  • d'une somme de 41.675,50 €, correspondant au solde lui restant dû sur l'indemnité de rupture,

  • d'une somme de 5.000,00 €, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice que lui a causé l'interruption le 31 décembre 2002, soit au bout d'une année seulement, du contrat de prévoyance souscrit à son profit par la SAM RMC.

Il fait valoir, en substance, à cet effet :

  • qu'en cas de cession d'un organe de presse, le congédiement d'un journaliste, conformément aux dispositions de droit français dont se prévaut la SAM RMC, est considéré comme provenant du fait de l'employeur, avec toutes les conséquences qui en découlent ; que par suite son départ de l'entreprise ne peut valablement être assimilé à un départ volontaire,

  • que le plan social prévoyant une majoration de 50 % de l'indemnité de licenciement, ainsi que le maintien de la mutuelle pendant deux ans, qui a été adopté antérieurement à la rupture de son contrat de travail a été appliqué volontairement par l'employeur à l'ensemble des services, y compris aux journalistes,

  • que l'ensemble des salariés d'un même service doit bénéficier des mêmes conditions de calcul de leur indemnité de licenciement.

Estimant pour sa part que p. ZE. ne peut exiger de son employeur d'autres avantages que ceux, au demeurant plus favorables pour lui que ceux découlant de la loi, clairement énoncés dans la lettre de rupture et qu'en conséquence l'intéressé a été rempli de ses droits par le versement d'une indemnité conventionnelle de licenciement majorée de 20 % et le maintien pendant une année après l'expiration de son contrat de la garantie de « l'assurance prévoyance », la SAM RMC conclut au rejet de l'intégralité des prétentions formulées à son encontre par son ancien salarié.

Elle invoque, à cette fin, en substance les moyens suivants :

  • p. ZE. ayant bénéficié de la part de son employeur, suite à la prise de contrôle de la société par le groupe d'a. WE., des dispositions prévues par les articles L. 761-5 et L. 761-7 du Code du Travail Français, son départ de l'entreprise s'inscrit dans le cadre juridique de l'application de la clause dite « de cession »,

  • dès lors, aux termes d'une jurisprudence constante, que le droit à indemnisation naît au jour de la notification de la rupture, soit en l'espèce au 21 juin 2001, p. ZE., qui ne peut exiger de son employeur que le bénéfice des dispositions qui lui ont servi de base de réflexion puis de décision, n'est pas fondé à réclamer le bénéfice des mesures nouvelles, au demeurant plus favorables, proposées aux salariés de la même société par un accord signé à Paris en décembre 2001,

  • en tout état de cause le plan de suppression d'emplois, qui traite de dispositions et de mesures dont l'application était limitée dans le temps et n'a pas vocation à s'appliquer en dehors des circonstances prévues, vise une circonstance particulière de licenciements subis consécutivement à la restructuration de la société, alors que la rupture du contrat de travail de p. ZE. s'inscrit dans un contexte qui lui est tout à fait personnel et non transposable,

  • la rédaction n'étant pas visée par les mesures de suppression de postes présentées le 15 décembre 2000, la décision de p. ZE., qui n'a au demeurant pas été exprimée dans le délai prévu par le plan (entre le 4 janvier et le 22 janvier 2001), n'a préservé aucun emploi,

  • le fait que des journalistes aient bénéficié, dans les circonstances particulières de leur licenciement, d'accords transactionnels ne suffit pas à permettre à p. ZE. de revenir sur sa décision de rompre son contrat de travail pour cause de clause de cession à la seule fin d'obtenir des avantages qu'il n'escomptait pas au moment de sa décision,

  • il ne s'agit donc pas en définitive, comme voudrait le faire croire le demandeur, de discrimination au sein d'un même service, mais de l'application justifiée de mesures différentes à des personnes différentes, dans des circonstances différentes et à des moments différents.

SUR CE,

Il est constant en l'espèce, nonobstant l'absence de production aux débats par l'une et l'autre partie de la correspondance adressée par Monsieur RE. à p. ZE. le 11 octobre 2000, qu'à la suite de l'acquisition par le groupe d'actionnaires constitué autour de Monsieur a. WE. de la majorité du capital social de la SAM RMC, p. ZE. a sollicité de son employeur le bénéfice de la clause dite « clause de cession » ;

Qu'alors pourtant que les dispositions contenues dans les articles L. 761-5 et L. 761-7 du Code du Travail Français n'ont pas d'équivalent en droit social monégasque, la SAM RMC a formellement accepté ladite demande, par lettre en date du 21 juin 2001 ;

Qu'en conséquence, bien qu'il ait pris l'initiative de mettre un terme aux relations contractuelles, p. ZE. est fondé à obtenir paiement par son employeur des diverses indemnités de rupture, et notamment de l'indemnité conventionnelle de congédiement.

Le droit à indemnisation naissant au jour de la notification de la rupture, il convient, pour apprécier l'étendue des indemnités dues à p. ZE., de se placer à la date du 21 juin 2001, à laquelle l'employeur a formellement pris acte de la volonté de son salarié de se prévaloir de la clause dite de cession, et non au jour de l'expiration du préavis.

S'il a certes été communiqué aux délégués du personnel et aux membres de la commission de concertation de la SAM RMC dès le 15 décembre 2000, le plan de redéploiement de RMC, prévoyant notamment au titre des mesures sociales accompagnant les mesures de congédiement économique envisagées, l'octroi (cf. pages 61 et 62) au bénéfice des salariés disposant de plus de trois années d'ancienneté, souhaitant quitter l'entreprise en vue de la réalisation d'un projet professionnel ou personnel d'une prime individuelle de départ volontaire, représentant 50 % du montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement acquise par l'intéressé à la date d'effet de la rupture de son contrat de travail, n'a, selon les informations contenues dans la correspondance adressée le 27 mars 2003 par l'inspecteur du travail à p. ZE., été adopté qu'au terme d'un accord signé à Paris en décembre 2001.

Ce plan n'était donc pas applicable à la date du 21 juin 2001, à laquelle la SAM RMC a pris acte de la rupture, à l'initiative de p. ZE., du contrat de travail de ce salarié.

La catégorie professionnelle des journalistes à laquelle appartenait p. ZE. n'étant pas, en tout état de cause, concernée par les mesures de suppression d'emplois énumérées par le plan de re-développement, lequel n'envisage au sein du service de la rédaction, comptant alors vingt trois personnes, que la suppression d'un seul poste de secrétaire, p. ZE. n'est pas fondé à réclamer le bénéfice de mesures sociales d'accompagnement réservées aux salariés ayant perdu leur emploi consécutivement à la restructuration de la société.

Il est constant enfin que l'accord intervenu entre la SAM RMC et p. ZE., matérialisé par l'échange entre les parties des correspondances en date des 11 octobre 2000, 11 juin 2001 et 21 juin 2001, prévoyant le versement, au bénéfice du salarié, d'une indemnité conventionnelle de congédiement majorée d'un bonus de 20 % ainsi que le maintien pendant un an de l'assurance mutuelle a été intégralement exécuté par la SAM RMC.

Les conventions légalement formées, lesquelles tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, ne pouvant être révoquées que par le consentement mutuel des parties ou pour les causes que la loi autorise, p. ZE. ne peut aujourd'hui remettre en cause l'accord qu'il a librement négocié avec son ancien employeur, au seul motif que d'autres salariés licenciés après lui auraient obtenu, par le biais de transactions individuelles, des avantages supérieurs à ceux dont il a lui même bénéficié.

L'intéressé ne pourra par suite qu'être débouté de l'intégralité de ses prétentions.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Déboute p. ZE. de l'intégralité de ses prétentions.

Le condamne aux entiers dépens.

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