Tribunal du travail, 27 mai 2004, a RA c/ la SAM Monte-Carlo Grand Hôtel

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Abstract🔗

Licenciement pour faute grave - Rixe dans des vestiaires entre deux salariés - Ancienneté importante du salarié - Motif valable (oui) - Faute grave (non)

Résumé🔗

Les dispositions du règlement intérieur, quant à la qualification de faute grave, ne s'imposent pas au juge.

Une altercation verbale, puis physique, oppose deux salariés dans les vestiaires d'un grand hôtel. Il s'ensuit le licenciement pour faute grave de l'un des protagonistes, Mr a RA. qui, estimant la rupture dénuée de motif valable, demande à son employeur, devant le tribunal du Travail, des indemnités de préavis, congédiement, licenciement après déduction de l'indemnité de congédiement non cumulable, outre des dommages et intérêts pour licenciement abusif. L'employeur, de son côté, estime que la participation du salarié à une rixe, sur le lieu de travail, ayant généré pour chacun des soins au service des Urgences, en violation du règlement intérieur qui régit le personnel de l'hôtel, constitue bien une faute grave privative d'indemnités.

Le Tribunal du Travail estime que le caractère réciproque des coups portés, résultant des certificats médicaux, démontrant la participation fautive du salarié à une rixe sur les lieux de travail, justifiait bien une sanction. Les dispositions du règlement intérieur quant à la qualification de la faute ne s'imposent pas au juge. De plus, la faible importance des violences physiques échangées, pendant le temps nécessaire à l'habillage et au déshabillage des salariés qui n'est pas considéré, à Monaco, comme un temps de travail, l'absence de trouble apporté au fonctionnement de l'entreprise et l'ancienneté sans reproche du salarié, écartent la qualification de faute grave. Les indemnités de préavis et de congédiement sont dues, à l'exclusion de dommages et intérêts, la société employeur n'ayant pas fait un usage abusif de son droit unilatéral de rupture.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 22 novembre 2002 et reçue le 25 novembre 2002 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 7 janvier 2003 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur a RA, en date des 20 mars 2003 et 16 octobre 2003 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Étienne LEANDRI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MONTE CARLO GRAND HÔTEL, en date des 15 mai 2003 et 20 novembre 2003 ;

Après avoir entendu Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur a RA, et Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MONTE CARLO GRAND HÔTEL, en leurs plaidoiries ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

*

Embauché le 23 octobre 1995 par la SAM HÔTEL LOEWS MONTE CARLO, actuellement dénommée MONTE CARLO GRAND HÔTEL, en qualité de plongeur batterie, d'abord dans le cadre de deux contrats à durée déterminée, puis à compter du 1er octobre 1997 pour une durée indéterminée, a RA a été licencié de son emploi, par une lettre recommandée avec avis de réception en date du 16 avril 2002, dont le contenu s'avère le suivant :

« Monsieur,

» Ce mardi 16 avril vers 9 heures 50, dans les vestiaires hommes du « personnel, vous vous êtes battu avec Monsieur HA d. Vous » avez été envoyés tous deux à l'hôpital de Monaco.

« Les docteurs des urgences ont établi un certificat à votre intention et » un autre pour Monsieur HA. Il ressort que vous vous présentez « tous deux comme victimes de coups et blessures.

» Conformément à l'article XIX de notre règlement intérieur la voie de « fait envers un membre du personnel constitue une faute grave.

» Vous avez été convoqué à un entretien ce jour, en présence de « Messieurs JO a et TO j-m, délégués du » personnel, au cours duquel vous avez été en mesure de présenter vos « explications.

» Ces explications n'atténuent pas la gravité des faits qui vous sont « reprochés, rendant impossible votre maintien dans l'entreprise. Aussi » nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute « grave. ».

Soutenant d'une part que le motif de licenciement invoqué par son employeur était infondé, dans la mesure où aucune faute ne pouvait lui être reprochée, et d'autre part qu'en le licenciant sans tenir compte de ses explications et sans avoir cherché à obtenir le témoignage du technicien de surface qui avait assisté à la scène, la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL avait agi avec une légèreté blâmable conférant à la rupture un caractère abusif, a RA, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 6 janvier 2003, a attrait la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir l'allocation à son profit des sommes suivantes :

  • 2.308,40 €, au titre du préavis,

  • 230,84 €, au titre de l'indemnité de congés payés afférente au préavis,

  • 692,52 €, à titre d'indemnité de congédiement,

  • 3.000,92 €, à titre d'indemnité de licenciement (après déduction du montant de l'indemnité de congédiement, non cumulable),

  • 41.551,20 €, à titre de dommages et intérêts.

À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après huit renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 25 mars 2004 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 27 mai 2004.

a RA expose en premier lieu, à l'appui de ses prétentions, après avoir liminairement souligné qu'en près de sept années d'activité il n'a jamais fait l'objet de la part de son employeur du moindre reproche ou de la moindre réprimande, que l'altercation qui l'a opposé le 16 avril 2002 à Monsieur HA ne peut constituer une faute grave justifiant son licenciement immédiat, ni même un motif valable de rupture.

Il fait valoir, à cet effet, que son employeur, à qui il appartient de prouver la réalité et la validité du motif de licenciement, ne démontre pas en l'espèce qu'il ait été l'initiateur de cette altercation.

Que par ailleurs, ni le caractère réciproque des violences ni leur gravité ne sont davantage établis.

Qu'enfin, dès lors qu'il s'est produit dans le vestiaire « hommes » du personnel, l'incident litigieux, qui n'est ainsi pas survenu pendant le temps du travail, n'a généré aucune perturbation dans le fonctionnement interne de l'établissement.

Estimant pour sa part avoir été d'abord verbalement puis physiquement violenté par Monsieur HA et s'être contenté, face à cette violence, de repousser son agresseur comme en attestent les constatations effectuées sur la personne des deux protagonistes par les Médecins du service des Urgences, a RA demande à la présente juridiction de sanctionner la non validité du motif de rupture, en condamnant la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL à lui payer les sommes suivantes :

  • 2.308,40 €, au titre du préavis,

  • 230,84 €, au titre des congés payés sur le préavis,

  • 692,52 €, au titre de l'indemnité de congédiement,

  • 3.000,92 €, à titre d'indemnité de licenciement.

Soutenant en second lieu qu'en congédiant sur le champ les deux salariés impliqués dans l'altercation du 16 avril 2002, sans avoir recherché celui qui se trouvait à l'initiative de ces violences ni pris en compte, pour apprécier le niveau de leur responsabilité respective, leur comportement habituel, la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL a fait preuve d'une légèreté blâmable conférant au licenciement intervenu un caractère abusif, a RA sollicite l'allocation, afin de réparer l'important préjudice tant matériel que moral subi par ses soins, d'une somme de 41.551,20 € à titre de dommages et intérêts.

Estimant quant à elle que la participation d'a RA à une rixe survenue sur le lieu du travail, ayant généré pour chacun des protagonistes des séquelles visées en les certificats médicaux que le service des Urgences du CENTRE HOSPITALIER PRINCESSE GRACE a établis pour chacun d'eux, constitue une faute grave, au sens de l'article XIX du règlement intérieur de l'établissement, privative de l'octroi des indemnités légales de licenciement et à fortiori de l'allocation de tous dommages et intérêts, la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL conclut au rejet de l'intégralité des prétentions formées à son encontre par son ancien salarié.

Elle invoque, à cette fin, en substance les moyens suivants :

– le caractère réciproque des violences est établi par les certificats médicaux délivrés aux intéressés par le service des Urgences, lesquels mentionnent l'existence de séquelles sur la personne de chaque protagoniste,

– dès lors que les deux salariés se trouvaient à l'intérieur du vestiaire qui leur est réservé, l'altercation qui les a opposés est bien intervenue à l'occasion et sur le lieu de leur travail,

– l'incident lui-même, tout comme l'attitude adoptée par la suite par les deux belligérants qui s'en sont mutuellement rejeté la responsabilité, étaient indiscutablement de nature à nuire au fonctionnement du service,

– le règlement intérieur qui régit le personnel de l'hôtel, dont a RA a expressément eu connaissance, stipule expressément, en son article 19, que sont notamment réputées fautes graves, entraînant la résiliation immédiate du contrat de travail, sans préavis ni indemnité, les voies de fait envers un membre du personnel ou un supérieur,

– en convoquant, préalablement à toute décision, les deux protagonistes, lesquels ont été entendus en la présence de délégués du personnel, pour leur permettre de fournir toutes explications utiles, l'employeur n'a fait preuve ni de précipitation ni encore moins de légèreté dans la mise en œuvre de son droit unilatéral de rupture.

SUR CE,

a) Sur la validité du motif de rupture

Il est constant dans le domaine des faits, qu'une altercation d'abord verbale, puis physique ayant opposé Messieurs HA et RA est survenue le mardi 16 avril 2002, à l'intérieur du vestiaire HOMMES du personnel de la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL, alors que ces deux employés, après avoir validé leur carte de pointage, se préparaient pour leur travail.

Si a RA soutient certes n'avoir joué qu'un rôle passif dans cet incident, dont la responsabilité pleine et entière incomberait selon lui à d HA, qui l'aurait agressé verbalement avant de le frapper, force est de constater toutefois que cette thèse ne se trouve confortée par aucun élément matériel objectif du dossier.

Que le caractère réciproque des coups portés résulte au contraire clairement des certificats médicaux établis le jour même des faits par les praticiens du service des urgences, lesquels ont constaté la présence de séquelles physiques sur la personne de chacun des protagonistes (dermabrasions au niveau de la face antérieure du tiers supérieur de l'avant-bras gauche, en ce qui concerne a RA, griffures et érosions cutanées peu profondes de l'hémi face droite, notamment au menton et à la face antérieure du cou, en ce qui concerne d HA).

Qu'en conséquence la participation d'a RA, sur le lieu de son travail, à une altercation physique l'ayant opposé à un autre salarié de l'entreprise revêt bien un caractère fautif et justifiait donc le prononcé d'une sanction par l'employeur.

Si le règlement intérieur applicable au sein de la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL, dont a RA a reconnu avoir pris connaissance le 20 octobre 1995, érige certes, en son article XIX, au rang de faute grave les voies de fait envers un membre du personnel, il est toutefois de jurisprudence constante (cf. Arrêt Cour de Révision Loews Hotel / MI 25 avril 1989) que les dispositions du règlement intérieur, quant à la qualification de la faute, ne s'imposent pas au Juge.

Dès lors qu'il ressort en l'espèce des divers éléments soumis à la présente juridiction :

– que les violences physiques échangées entre Messieurs RA et HA sont de faible importance,

– que l'incident est survenu pendant le temps nécessaire à l'habillage et au déshabillage des salariés, lequel n'est pas considéré, à ce jour, à Monaco, comme un temps de travail,

– que la scène s'est déroulée dans un local réservé au personnel (vestiaire) à l'abri des regards des clients ou des visiteurs de l'hôtel et n'a pu ainsi apporter aucun trouble au fonctionnement de l'entreprise et encore moins altérer sa réputation,

– qu'a RA, qui dispose d'une importante ancienneté au sein de la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL, n'avait fait l'objet, avant cet incident, d'aucune remarque ni d'aucun avertissement de la part de son employeur,

l'incident survenu le 16 avril 2002, s'il constitue bien un motif valable de licenciement, n'était en revanche pas de nature à rendre impossible le maintien d'a RA, au sein de la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL, pendant le temps limité du préavis.

La qualification de faute grave se trouvant ainsi écartée par la présente juridiction, a RA est en droit de prétendre, compte tenu de son ancienneté de services de six ans et six mois, à l'allocation des sommes suivantes :

  • 2.308,40 €, au titre du préavis,

  • 230,84 €, au titre des congés payés afférents au préavis,

  • (1.154,20 x 6) / 10 = 692,52 €, au titre de l'indemnité de congédiement,

lesdites sommes produisant intérêts de retard au taux légal à compter de la convocation en conciliation du 26 novembre 2002, valant mise en demeure.

b) Sur le caractère abusif de la rupture

Dès lors qu'il résulte de la déclaration écrite effectuée le 13 mai 2003 par Messieurs AN et TO qu'avant de prendre sa décision le Directeur des Ressources Humaines de la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL, a entendu, en présence des délégués du personnel, les explications des deux salariés concernés, ladite société n'a fait preuve ni de légèreté ni de précipitation dans la mise en œuvre de son droit unilatéral de rupture.

Le licenciement de Monsieur RA ne pouvant par suite être qualifié d'abusif, ce dernier doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement d'a RA par la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL ne repose pas sur une faute grave, mais sur un motif valable de rupture.

Dit en outre que ce licenciement ne revêt pas de caractère abusif.

Condamne en conséquence la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL à payer à a RA les sommes suivantes :

  • 2.308,40 €, (deux mille trois huit euros et quarante centimes), au titre du préavis,

  • 230,84 €, (deux cent trente euros et quatre-vingt-quatre centimes), au titre des congés payés afférents au préavis,

  • 692,52 €, (six cent quatre-vingt-douze euros et cinquante-deux centimes), à titre d'indemnité de congédiement,

lesdites sommes portant intérêts de retard au taux légal à compter du 26 novembre 2002, date de la convocation en conciliation valant mise en demeure.

Déboute a RA du surplus de ses prétentions.

Condamne la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à la législation régissant l'assistance judiciaire.

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