Tribunal du travail, 19 février 2004, j-d GR c/ la SAM Wargny Gestion

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Abstract🔗

Contrôle et surveillance de l'activité des salariés pendant le temps de travail - Écoutes effectuées à son insu sur les lignes téléphoniques du salarié - Atteinte à la liberté individuelle - Mode de preuve illicite - Licenciement infondé - Promesse d'une évolution de carrière vers des fonctions dirigeantes non respectée - Licenciement abusif

Résumé🔗

Des enregistrements réalisés à l'insu d'un salarié et ne portant pas sur des communications avec des clients constituent un mode de preuve illicite.

Un directeur du développement est licencié pour fautes graves moins d'un an après son embauche, aux motifs de mauvaise exécution des tâches, de propos injurieux, volonté de monter une structure personnelle, prises de contacts avec des concurrents et utilisation du temps de travail à des fins personnelles. Il soutenait que sa rémunération avait été unilatéralement modifiée, que les motifs de son licenciement étaient fallacieux, fondés sur des attestations peu crédibles de personnes unies par un lien de subordination avec l'employeur et qu'il n'avait jamais donné son accord à l'enregistrement de ses conversations professionnelles dont l'enregistrement à son insu constituait un mode de preuve illégal. Il avait attrait son employeur devant le Tribunal du travail en paiement de rappels de salaires, d'indemnités de licenciement et de préavis, ainsi que de dommages et intérêts pour licenciement abusif. De son côté, l'employeur estimait rapportée la preuve des motifs allégués, tant par les attestations valables, que par les procès-verbaux de constats effectués par l'huissier ayant écouté les enregistrements, le salarié étant au demeurant informé de l'enregistrement des lignes téléphoniques mises à sa disposition. Aucun abus n'avait par ailleurs été commis.

Le Tribunal, s'agissant du rappel de salaires, estime qu'aucun complément de rémunération n'est dû, en fonction des tarifs relatifs aux comptes ouverts. Sur les demandes relatives à la cessation du contrat de travail, la preuve de la faute grave (-la faute lourde invoquée par l'employeur est un concept inconnu du droit monégasque-) n'est pas rapportée, car les attestations, de seuls salariés de l'entreprise, formulent des appréciations à caractère subjectif. Le constat d'huissier, quant à lui, doit être écarté des débats car dressé hors la présence du salarié, retranscrivant de courts extraits de conversations téléphoniques sorties de leur contexte et enregistrées à l'insu du salarié. Le préavis et l'indemnité de licenciement sont dus. En mettant un terme brutalement à la carrière d'un collaborateur de haut niveau, à qui elle avait promis une évolution vers des fonctions dirigeantes, la SAM W a fait un usage abusif du droit unilatéral de rupture. Il est alloué au salarié la somme de 40.000 € à titre de dommages et intérêts.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 29 novembre 2000 et reçue le 30 novembre 2000.

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 13 décembre 2000.

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur J-d GR, en date des 15 février 2001, 18 octobre 2001 et 16 janvier 2003 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la S.A.M. WARGNY GESTION, en date des 3 mai 2001 et 15 mai 2003 ;

Après avoir entendu Maître Laurence CRESSIN-BENSA, avocat au barreau de Nice, au nom de Monsieur J-d GR, et Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la S.A.M. WARGNY GESTION, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

*

Recruté par la SAM WARGNY GESTION à compter du 2 novembre 1999 en qualité de directeur du développement, moyennant paiement d'une rémunération se décomposant ainsi :

– un salaire fixe brut annuel de 450.000 F payable en douze mensualités,

– un salaire variable en base brute correspondant à 0,5 % des capitaux déposés par les clients démarchés par ses soins dans le cadre de ses fonctions, payable par période trimestrielle,

J-d GR a été licencié de cet emploi, sans préavis ni indemnités de rupture, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 6 juin 2000.

Les motifs de ce licenciement, tels qu'ils sont contenus dans la correspondance susvisée, s'énoncent ainsi :

« Monsieur,

» Depuis votre entrée dans notre Société Monégasque en novembre « dernier, nous avons eu l'occasion de vous rappeler à diverses reprises, » soit oralement, soit par écrit, votre mission et vos obligations.

« Nous constatons que vous n'avez pas jugé utile de tenir compte de » nos observations. C'est ainsi que vos comptes rendus d'activité se sont « interrompus au 13 janvier dernier.

» De plus, nous avons enregistré de votre part des fautes « professionnelles particulièrement graves dont nous vous résumons les » principales :

« - Propos injurieux et méprisants auprès de personnes extérieures au » groupe à l'encontre de la Direction locale et parisienne ainsi que vers le « personnel d'encadrement.

» - Affirmations répétées à des tiers de votre volonté de monter une « structure de gestion personnelle avec des partenaires d'ici l'an prochain, » tout en bénéficiant entre temps d'un salaire élevé par notre groupe.

« - Démarches et prises de contacts professionnels destinées à mettre en » relation des clients avec des concurrents directs.

« - Actions d'enrichissement personnel depuis la Société et dans diverses » directions.

« - Utilisation du temps de travail en absences répétées par pures » convenances personnelles vers Marseille, Nice, Cannes et Paris.

« Notre entretien du 5 juin dernier, n'a pas apporté d'apaisement, ni » d'éléments susceptibles de nuancer cette situation.

« Dans ces conditions, nous vous confirmons que nous avons décidé, » en accord total avec notre Direction à Paris, d'interrompre votre contrat « de travail et de procéder à votre licenciement pour fautes graves.

» Conformément à la législation en vigueur à Monaco et compte tenu « de la gravité des faits, ces mesures prennent effet immédiatement. Par » ailleurs, nous signalons notre décision à votre égard à la police « monégasque, d'autant que vous n'avez pas jugé utile à ce jour de nous » restituer votre permis de travail, comme l'exige la loi, ainsi que vos clefs « et carte de parking, comme nous vous l'avions demandé.

» Nous réitérons donc cette demande et nous vous ferons parvenir « prochainement votre solde de tout compte. Vous serez également » informé ultérieurement de la suite que nous entendons donner à cette « procédure. ».

Soutenant d'une part ne pas avoir été intégralement rempli de ses droits, au cours de l'exécution de son contrat de travail, d'autre part que son licenciement n'était justifié ni par une faute grave, ni même par un motif valable de rupture, et enfin que cette mesure, au regard des circonstances particulières dans lesquelles elle était intervenue, revêtait un caractère manifestement abusif, J-d GR, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 11 décembre 2000, a attrait la SAM WARGNY GESTION devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail à l'effet d'obtenir l'allocation à son profit, avec intérêts de droit à compter de la citation et jusqu'à parfait paiement, des sommes suivantes :

  • 17.173,06 F, à titre d'indemnité de licenciement,

  • 183.996,78 F, à titre d'indemnité de préavis,

  • 112.775,50 F, à titre de rappel de salaires,

  • 3.000.000 F, à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et préjudice moral,

  • 3.000.000 F, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice professionnel subi consécutivement à la perte « irréversible » d'un portefeuille de 53.000.000 F au moment de la rupture, dont le montant déterminait sa valeur marchande sur le marché du travail.

À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu par leurs conseils.

Puis, après vingt-trois renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 15 janvier 2004 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 19 février 2004.

Après avoir liminairement rappelé :

– qu'il a été débauché par la SAM WARGNY GESTION du poste qu'il occupait précédemment à Marseille, auprès de la société FERRI, en raison d'une part de son expérience professionnelle et d'autre part du volume important de son portefeuille de clientèle,

– qu'aux termes même de la lettre d'embauche, concrétisant les conditions arrêtées par les parties, la SAM WARGNY lui avait clairement exprimé son intention de le faire évoluer vers des fonctions dirigeantes officielles, incluant, le cas échéant les délégations de représentation auprès des autorités locales (administrateur-délégué),

– qu'il a entrepris les démarches nécessaires, dès sa prise de fonctions, pour convaincre ses anciens clients de transférer leurs comptes au sein de la SAM WARGNY, tout en s'assignant parallèlement pour objectif le développement d'une nouvelle clientèle sur Monaco,

J-d GR expose, à l'appui de ses prétentions, qu'il s'est heurté, dès ses premiers jours de travail au sein de la SAM WARGNY, à l'hostilité et l'agressivité de Monsieur a DE, administrateur délégué de cette société, lequel a tout mis en œuvre afin de l'empêcher de prendre sa place au sein de l'organigramme de la société et de réaliser sa mission ; Qu'ainsi ce dernier a non seulement fait en sorte qu'un accueil détestable soit réservé aux clients qui transféraient leurs comptes de la Société FERRI chez WARGNY GESTION, mais lui a également refusé les moyens nécessaires au développement d'une nouvelle clientèle, le contraignant par suite à s'ouvrir, auprès de la Direction Parisienne du Groupe dont dépend la SAM WARGNY GESTION, des problèmes qu'il rencontrait.

Que le climat au sein de l'entreprise continuant à se détériorer, après avoir dans un premier temps été sommé, par lettre en date du 7 janvier 2000, soit deux mois à peine après son entrée en fonctions d'établir par écrit un projet de développement mentionnant la rentabilité escomptée de ses activités, puis reçu notification le 28 janvier 2000 d'un courrier contestant d'une part le plan présenté par ses soins, lui rappelant d'autre part le niveau insuffisant de ses prévisions d'exploitation et l'informant enfin de ce qu'il était envisagé « dans de telles conditions » d'interrompre son contrat de travail avec la société et d'ouvrir à son encontre les procédures adéquates requises en pareilles circonstances, il a sollicité et obtenu auprès de la direction générale du Groupe WARGNY un rendez-vous le 3 février 2000, à l'issue duquel il avait été convenu :

– qu'il dépendrait désormais hiérarchiquement de la direction du groupe,

– qu'il s'occuperait en priorité de développer le Sud-est de la France et non plus Monaco,

– qu'eu égard à l'accueil réservé à sa clientèle par la SAM WARGNY GESTION, les comptes ouverts par ses soins le seraient désormais sur Paris et non plus sur Monaco,

– que ses notes de frais lui seraient remboursées par le groupe.

Que le harcèlement exercé par Monsieur DE à son égard n'ayant, nonobstant les mesures susvisées, pas cessé, il a reçu notification, par lettre en date du 6 juin 2000, dont le contenu a été intégralement reproduit supra, de son licenciement immédiat, sans préavis ni indemnités de rupture pour fautes professionnelles.

Rappelant en premier lieu que la SAM WARGNY GESTION ne pouvait modifier unilatéralement les conditions de son contrat de travail, telles qu'elles sont contenues dans la lettre d'embauche, qui lui garantissait un intéressement de 0,5 % sur les capitaux déposés par les clients démarchés par ses soins, J-d GR sollicite tout d'abord le paiement par son employeur de la somme de 112.775,56 F représentant le complément de rémunération variable lui revenant au titre des 53.814.559 F effectivement apportés et déposés par ses soins.

Soutenant par ailleurs que la mesure de licenciement dont il a fait l'objet n'est fondée sur aucun motif valable, J-d GR réclame en second lieu l'allocation à son profit, en sus de l'indemnité de préavis égale à trois mois de salaire (183.987,78 F) lui revenant, en sa qualité de cadre, de la somme de 17.173,06 F représentant le montant de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845.

Il fait valoir, à cet effet, en substance les moyens suivants :

– l'ensemble des motifs invoqués par la lettre de licenciement, qui se contente d'énumérer une série de faits généraux, sans aucune précision de date, sont totalement mensongers et fallacieux,

– les attestations versées aux débats par la SAM WARGNY GESTION afin de rapporter la preuve de l'existence des griefs allégués ayant pour trait commun d'émaner du personnel de l'entreprise, lequel, compte tenu du lien de subordination ou de hiérarchie l'unissant à la société, a tout intérêt à répondre aux sollicitations de son employeur, elles devront par suite être écartées des débats,

– dès lors qu'il résulte de la lecture des procès-verbaux de constat que l'Huissier de Justice n'a pas procédé lui-même aux constatations et aux manipulations nécessaires, lesdits procès-verbaux ne sont pas recevables en la forme,

– en outre les propos retranscrits dans le procès-verbal établi le 5 janvier 2001 ont été sortis de leur contexte,

– à partir du moment de surplus où d'une part il n'a jamais donné son accord formel et écrit à l'enregistrement de ses conversations professionnelles et où il ignorait d'autre part que sa ligne privée était enregistrée, les écoutes des communications téléphoniques passées avec ses amis et sa famille, réalisées à son insu et en toute illégalité par son employeur, ne constituent pas un mode de preuve valable,

– ces enregistrements illustrent, en tout état de cause, le contexte de harcèlement dans lequel il œuvrait quotidiennement,

– en convaincant la quasi intégralité des clients dont il gérait les capitaux auprès de la société FERRI de transférer leur compte auprès du groupe WARGNY, il a rempli les objectifs qui lui étaient fixés, permettant ensuite à cette société de s'enrichir de capitaux comptabilisés lors du rachat du groupe par la Banque FIDEURAM (groupe SAN PAOLO – IRI) et a donc ainsi incontestablement satisfait à ses obligations contractuelles.

Estimant enfin qu'au regard du caractère mensonger et fallacieux des motifs invoqués à son encontre, le licenciement dont il a fait l'objet revêt un caractère abusif, J-d GR demande à la présente juridiction de réparer l'important préjudice subi par ses soins, consistant, outre la privation d'un emploi et des perspectives d'évolution qui lui avaient été garanties, en la perte « irréversible » de la gestion d'un portefeuille acquis après dix années d'expérience professionnelle, qui déterminait sa valeur sur le marché du travail, en condamnant la SAM WARGNY GESTION à lui payer les sommes suivantes :

  • 3.000.000 F de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

  • 3.000.000 F de dommages et intérêts pour préjudice professionnel.

Soutenant d'une part que les différents griefs allégués à l'appui du congédiement de J-d GR, qu'il s'agisse de la mauvaise exécution des tâches qui lui étaient déléguées ou du comportement irrespectueux et associable dont il a fait preuve à l'égard de l'ensemble des membres de la société, dont la preuve se trouve rapportée tant par les attestations que par les procès-verbaux de constat versés aux débats, sont constitutifs d'une « faute lourde » (sic !) excluant le versement au salarié de toute indemnité de licenciement ou de préavis, et d'autre part que l'intéressé, qui par sa propre turpitude, se trouve seul responsable de la rupture de son contrat de travail et ne justifie en tout état de cause nullement du préjudice « démesuré et excessif » dont il se prévaut, ne peut prétendre à l'allocation de dommages et intérêts, la SAM WARGNY conclut au rejet de l'intégralité des demandes formulées à son encontre par J-d GR.

Elle sollicite en outre reconventionnellement la condamnation de J-d GR au paiement :

1) d'une somme de 88.023,77 F soit 13.419,14 € représentant le montant du trop-perçu, reçu par le salarié au titre de la partie variable de son salaire, ce dernier qui ne pouvait prétendre, pour les capitaux déposés à Monaco, soit 15.503.639 F qu'à une somme de 77.518,19 F ayant en réalité reçu paiement, au titre des avances mensuelles que lui consentait son employeur, d'une somme totale de 165.541,46 F,

2) d'une somme de 5.000 € à titre de « légitimes dommages et intérêts » en réparation du préjudice que lui a causé l'acharnement du salarié à contester un licenciement que ce dernier sait pourtant être parfaitement régulier, et notamment des nombreux frais qu'elle s'est trouvée contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits.

La SAM WARGNY invoque, à l'appui de ses prétentions, les moyens suivants :

  • en ce qui concerne la validité du motif de rupture :

– l'ensemble des motifs énoncés par la lettre de licenciement est accrédité par le procès-verbal de constat du 5 janvier 2001, dont la recevabilité et la régularité est incontestable dès lors que :

• le salarié, qui avait été informé de l'installation du dispositif et faisait par ailleurs signer à sa clientèle une convention d'ouverture de compte contenant une clause aux termes de laquelle il « autorisait la SAM WARGNY à enregistrer, ses conversations téléphoniques et admet ces enregistrements comme mode de preuve », était parfaitement au courant des écoutes pratiquées par son employeur,

• l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail, seul l'emploi de procédés clandestins de surveillance étant illicites,

• la plainte déposée le 15 octobre 2001 par J-d GR auprès du Procureur Général a été classée sans suite, au motif qu'aucun fait, constitutif d'une violation de la vie privée au sens de l'article 308-2 du Code pénal, n'était établi en l'espèce,

• l'Huissier instrumentaire a personnellement écouté les enregistrements des conversations retranscrites par ses soins,

• le contenu du deuxième procès-verbal de constat dressé le 13 décembre 2001 par Maître NOTARI démontre de façon indubitable que J-d GR était informé de l'enregistrement des lignes téléphoniques mises à sa disposition,

– les attestations établies par les différents salariés de la SAM WARGNY établissent par ailleurs incontestablement la mauvaise foi et le manque évident de compétences professionnelles de J-d GR ainsi que son attitude affabulatrice par laquelle « il se persuadait d'avoir une fonction prenante et se rendait indisponible pour son travail, ses rendez-vous et ses appels téléphoniques »,

– J-d GR n'a, en tout état de cause, apporté que « très peu de comptes à la SAM WARGNY ».

  • En ce qui concerne le caractère abusif du licenciement :

– la régularité du motif du licenciement de J-d GR ayant été démontrée, toute notion de faute quasi délictuelle engageant la responsabilité de l'employeur se trouve exclue,

– le salarié n'a jamais été l'objet de persécutions, de discriminations ou de brimades, l'employeur ayant au contraire tout mis en œuvre afin que ce dernier, qui disposait de tous les moyens matériels nécessaires, puisse effectuer au mieux sa mission,

– en tout état de cause, les apports dont J-d GR se prévaut ayant été prélevés en totalité chez son ancien employeur, la société FERRI, seule cette dernière a subi un préjudice en l'espèce, consécutivement à la violation par J-d GR de l'obligation de non concurrence à laquelle il était tenu envers elle.

SUR CE,

1) Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

Aux termes de la proposition d'embauche du 28 juin 1999, dont J-d GR a tacitement accepté l'intégralité des termes, ce dernier a été recruté par la SAM WARGNY GESTION en qualité de directeur du développement, avec pour objectif d'accroître le niveau actuel des actifs déposés, aux conditions financières suivantes :

– un salaire fixe brut annuel de 450.000 F payable en douze mensualités,

– un salaire variable en base brute = un intéressement de 0,5 % des capitaux déposés par les clients démarchés par ses soins dans le cadre de ses fonctions et payable par période trimestrielle, un intéressement minimum lui étant par ailleurs garanti, à titre exceptionnel :

  • à hauteur d'une somme de 250.000 F par an (20.833 F par mois) jusqu'en décembre 2000,

  • à hauteur d'une somme de 50.000 F (4.167 F par mois) pour les douze mois suivants.

Il ressort par ailleurs de la lettre adressée à J-d GR par la SAM WARGNY GESTION, ainsi que des documents et notamment du tableau annexé à cette correspondance, que le montant total des capitaux déposés entre les mains du groupe WARGNY, qu'il s'agisse de WARGNY Paris ou de la SAM WARGNY GESTION à Monaco, par les clients démarchés par J-d GR s'élève à 50.712.942,86 F correspondant à 33.108.291,23 €.

Dès lors que :

1) la lettre d'embauche, qui fait clairement référence, au-delà de l'entité monégasque SAM WARGNY GESTION, à deux reprises au groupe WARGNY, n'impose nullement que les capitaux apportés par J-d GR soient déposés sur des comptes ouverts à Monaco,

2) que la SAM WARGNY GESTION a elle-même, en toute connaissance de cause, suivant la suggestion de sa direction, dans sa lettre adressée le 18 juillet 2000 à J-d GR, intégré le montant des capitaux déposés sur des comptes ouverts à Paris dans l'assiette de calcul de l'intéressement alloué à ce dernier,

J-d GR est fondé à réclamer paiement à son employeur d'un complément de salaire variable calculé sur la base de la somme totale de 50.712.942,86 F apportée par les clients démarchés par ses soins.

Pour fixer à 0,5 % des capitaux déposés le montant de l'intéressement alloué à J-d GR, la SAM WARGNY, même si cette précision ne figure pas expressément dans la lettre d'embauche, a toutefois nécessairement pris en compte le montant des droits de garde qui lui étaient versés par les clients.

Alors que le montant standard de ces droits, pour les comptes ouverts à Monaco, s'élève à 0,50 %, les tarifs en vigueur à Paris s'avèrent nettement inférieurs (0,10 % - 50.000 €, 0,05 % jusqu'à 100.000 €, 0,025 % pour les capitaux supérieurs à 100.000 €).

La modification substantielle apportée unilatéralement par J-d GR aux termes du contrat de travail conclu entre les parties justifie, en l'état de l'avertissement qui lui avait été adressé le 7 janvier 2000 par son employeur dans les termes suivants : « toute baisse de tarif nous obligerait à envisager un aménagement adéquat de votre rémunération variable », l'abattement pratiqué par ce dernier sur les apports dirigés sur WARGNY Paris ((en cours x 0,50 %) / 12).

J-d GR, qui apparaît ainsi avoir été rempli de ses droits par le règlement de la soulte de 16.751,93 F brut que lui a versée son employeur le 18 juillet 2000, doit être débouté de sa demande tendant à obtenir paiement d'un complément de rémunération variable s'élevant à 112.775,26 F.

2) Sur les demandes relatives à la cessation du contrat de travail

A) Sur la faute grave et la validité du motif de rupture

S'agissant d'un licenciement prononcé pour faute grave – la faute lourde invoquée par l'employeur dans ses écritures est un concept inconnu du droit monégasque -, la charge de la preuve des éléments propres à le justifier incombe en l'espèce exclusivement à la SAM WARGNY.

Il appartient donc à cette société de rapporter la preuve, par des éléments pertinents et probants, de l'existence et de la gravité des « fautes professionnelles particulièrement graves » invoquées et énumérées dans la lettre de notification de la rupture en date du 6 juin 2000, ayant justifié sa décision de procéder au licenciement immédiat et sans indemnités de J-d GR.

Pour rapporter cette preuve la SAM WARGNY verse aux débats :

– quatre attestations rédigées par Mesdames PR, GA, AR, toutes trois secrétaires au sein de la SAM WARGNY GESTION et par Monsieur CA, directeur administratif de cet établissement financier,

– un procès-verbal de constat dressé le 5 janvier 2001, à sa requête, par Maître Claire NOTARI, Huissier de Justice à Monaco.

Force est de constater en premier lieu que les quatre attestations susvisées émanent toutes de salariés unis à la SAM WARGNY par un lien étroit de subordination, susceptible d'altérer leur impartialité et leur objectivité.

Qu'en outre les auteurs de ces témoignages, au lieu de fournir à la présente juridiction la relation de faits matériels et précis, imputables à J-d GR auxquels ils ont personnellement assisté, se contentent pour l'essentiel de formuler leurs appréciations, à caractère purement subjectif, soit sur la personnalité de ce dernier (considéré comme fragile, hautain, irrespectueux, fabulateur, …) lesdites impressions étant même le cas échéant exprimées sous forme de citations d'œuvres poétiques ou littéraires (cf. attestation AR), soit sur la personnalité de Monsieur DE, considéré, avec un excès inversement proportionnel, comme un homme, « sachant diriger avec la rigueur et la compétence nécessaires, doté au surplus de l'ensemble de qualités humaines suivantes : franchise, simplicité, gentillesse et intégrité, etc.). ».

Qu'en conséquence ces quatre témoignages, à défaut de présenter les garanties suffisantes pour emporter la conviction du Tribunal du travail, ne pourront qu'être purement et simplement écartés des débats.

Par ailleurs, la SAM WARGNY ne peut démontrer valablement l'existence des griefs articulés à l'encontre de J-d GR par la production d'un procès-verbal de constat dressé le 5 janvier 2001 par Maître NOTARI, dans la mesure où ledit procès-verbal, au-delà de son irrecevabilité formelle, constitue au surplus un mode de preuve illicite.

Dès lors tout d'abord que l'Huissier instrumentaire, d'une part n'a pas eu accès à l'intégralité des enregistrements, se contentant de retranscrire fidèlement de très courts extraits de propos sortis de leur contexte, préalablement sélectionnés à son intention par l'employeur ou son représentant, et d'autre part n'a nullement pu vérifier que lesdits propos avaient bien été tenus par J-d GR, l'indication fournie par Messieurs DE et CA, respectivement Directeur Général et Directeur Administratif de la SAM WARGNY GESTION, selon laquelle il s'agirait bien de la voix de J-d GR étant à cet égard dénuée de toute valeur probante, le constat dressé le 5 janvier 2001 par Maître NOTARI, au surplus hors la présence du salarié, n'est pas recevable en la forme.

Par ailleurs, si l'employeur a certes le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps du travail, ce dernier ne peut toutefois mettre en œuvre des moyens de surveillance, non préalablement portés à la connaissance desdits salariés, et se constituer ainsi des moyens de preuve illicites.

Nul ne pouvant en effet apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnés au but recherché, la surveillance des salariés, si elle n'est certes pas interdite par principe, doit néanmoins se combiner avec le respect de la liberté individuelle et de la vie privée de l'employé.

Il est constant enfin que le respect de cette exigence doit être apprécié au regard de la nature du poste occupé par le salarié.

En l'espèce, pour démontrer la licéité des enregistrements téléphoniques réalisés par ses soins la SAM WARGNY GESTION soutient, sur la base des quatre éléments suivants, que J-d GR était parfaitement informé des écoutes effectuées sur ses lignes téléphoniques :

– l'ensemble du personnel avait été prévenu de la mise en place du système qui constitue une pratique courante dans le cadre de cette activité professionnelle,

– les conventions d'ouverture de compte contiennent une clause aux termes de laquelle le titulaire autorise l'enregistrement des conversations et admet ces enregistrements comme mode de preuve,

– la plainte pénale déposée le 15 octobre 2001 par le salarié, sur le fondement des dispositions de l'article 308-2 du Code pénal, a été classée sans suite,

– au cours d'une conversation téléphonique, retranscrite par Maître NOTARI dans un procès-verbal de constat dressé le 13 décembre 2001, J-d GR aurait expressément indiqué qu'il savait que ses communications téléphoniques étaient enregistrées.

Dès lors toutefois :

1) qu'alors que, selon les propres déclarations faites par l'employeur à Maître NOTARI dans l'entête du procès-verbal de constat du 5 janvier 2001, le système d'enregistrement des conversations téléphoniques a été installé au sein de l'entreprise au printemps 2000, soit pendant l'exécution par J-d GR de son contrat de travail, la SAM WARGNY GESTION ne justifie par aucune pièce avoir dispensé à ce dernier l'information préalable qu'elle était pourtant tenue de lui fournir relativement :

– à la mise en place de ces écoutes,

– à la période et aux conditions dans lesquelles elles seraient effectuées,

– aux conséquences éventuelles de celles-ci, en termes de preuve notamment,

– et encore moins avoir obtenu son consentement exprès et par écrit,

2) qu'il ne s'agit nullement en l'espèce de rapporter la preuve, dans le cadre d'un contentieux opposant la banque à son client, d'une transaction passée au téléphone,

3) que seules les décisions des juridictions pénales, qui sont définitives et statuent sur le fond de l'action publique, ont au civil l'autorité de la chose jugée,

4) qu'en indiquant à son interlocuteur (cf. procès-verbal de constat du 13 décembre 2001) qu'il « faisait une bêtise parce que là, c'était enregistré et donc… là ça ne l'est pas) J-d GR, loin d'avoir admis qu'il était parfaitement informé de l'enregistrement de SES LIGNES, a au contraire expressément reconnu qu'il ignorait totalement que les communications passées avec ses proches et sa famille depuis le deuxième poste téléphonique mis à sa disposition par la SAM WARGNY faisaient également l'objet d'écoutes téléphoniques de la part de son employeur »,

aucun des quatre arguments avancés par la SAM WARGNY pour démontrer la licéité des enregistrements téléphoniques réalisés par ses soins ne résiste à l'examen.

Ces enregistrements réalisés à l'insu de J-d GR, qui ne portent pas sur les communications échangées par ce dernier avec ses clients, et ne sauraient dans ces conditions être utilisés pour conforter la preuve d'une transaction, portent atteinte à la liberté individuelle de ce salarié et constituent dans ces conditions un mode de preuve illicite.

Le procès-verbal de constat dressé le 5 janvier 2001 par Maître NOTARI doit être par suite purement et simplement écarté des débats.

La SAM WARGNY GESTION, ne rapporte en définitive la preuve d'aucun des griefs qui constituerait, selon elle, la faute grave reprochée à son salarié et dont elle a fourni l'énoncé précis dans la lettre de rupture du 6 juin 2000, qu'il s'agisse :

– des propos injurieux et méprisants à l'encontre de la direction,

– des affirmations répétées à des tiers de monter une structure de gestion personnelle,

– des démarches et prises de contacts destinées à mettre en relation des clients avec des concurrents directs,

– des actions d'enrichissement personnel depuis la société dans diverses directions,

– de l'utilisation de son temps de travail en absences répétées par pure convenances personnelles.

En apportant à la SAM WARGNY GESTION des capitaux à hauteur de la somme de 50.712.942,86 F, J-d GR, qui avait pour seule obligation, aux termes de la lettre d'embauche, « d'accroître le niveau actuel des actifs déposés » a satisfait à ses obligations contractuelles.

Le licenciement de ce salarié ne reposant en définitive sur aucun motif valable, au sens de l'article 2 de la loi n° 845, celui-ci est fondé à obtenir paiement par son employeur :

– au titre de l'indemnité de préavis, compte tenu de son statut de cadre, d'une indemnité égale à trois mois de salaires, calculée sur la base d'une rémunération moyenne brute, en ce compris la part variable, de 37.500 F + 23.648,78 F = 61.148,78 F, soit une somme de 183.446,34 F correspondant à 27.966,21 €,

– au titre de l'indemnité de licenciement de la somme de : (61.148,78 x 7) / 25 = 17.121,65 F correspondant à 2.610,18 €.

B) Sur le caractère abusif du licenciement

En mettant un terme sur le champ, sans préavis ni indemnités de rupture, pour des motifs à la fois injurieux et vexatoires, au contrat de travail d'un collaborateur de haut niveau recruté à peine sept mois plus tôt, auquel elle avait promis, pour réussir à le débaucher du poste de responsable qu'il occupait alors auprès de la société FERRI à Marseille, une évolution vers des fonctions dirigeantes officielles, et dont elle a au surplus entravé l'action tout au long de l'exécution du contrat de travail, la SAM WARGNY GESTION a fait un usage abusif du droit unilatéral de rupture qui lui est reconnu par la loi.

Si J-d GR est certes demeuré au chômage pendant neuf mois, il est toutefois parvenu à retrouver un emploi sur Paris, équivalent à celui qu'il occupait auprès de la SAM WARGNY.

Compte tenu de cet élément, de l'âge de J-d GR lors de la rupture (40 ans) des sacrifices matériels consentis, notamment en terme de logement par l'intéressé pour rejoindre Monaco, mais aussi de son ancienneté professionnelle limitée (sept mois), le préjudice matériel et moral subi par le salarié consécutivement à la rupture de son contrat de travail sera justement réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 40.000 € à titre de dommages et intérêts.

La clientèle, que J-d GR soutient avoir perdue, n'étant en réalité nullement la sienne, mais celle de la société FERRI, son ancien employeur, à laquelle il se trouve au demeurant lié, selon ses propres écritures, par une clause de non concurrence, le préjudice professionnel allégué n'est en revanche nullement justifié et ne saurait dans ces conditions ouvrir droit à l'allocation de dommages et intérêts.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de J-d GR ne repose ni sur une faute grave, ni sur un motif valable de rupture.

Dit en outre que ledit licenciement revêt un caractère abusif.

Condamne en conséquence la SAM WARGNY GESTION à payer à J-d GR les sommes de :

  • 27.966,21 euros, (vingt-sept mille neuf cent soixante six euros et vingt et un centimes), à titre d'indemnité de préavis,

  • 2.610,18 euros, (deux mille six cent dix euros et dix-huit centimes), à titre d'indemnité de licenciement,

  • 40.000,00 euros, (quarante mille euros), à titre de dommages et intérêts.

Déboute J-d GR du surplus de ses prétentions.

Condamne la SAM WARGNY GESTION aux entiers dépens.

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