Tribunal du travail, 6 novembre 2003, l. PR. c/ c. LO.

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Abstract🔗

Tribunal du Travail - Procès-verbal de conciliation -Titre exécutoire - Loi n° 446 du 16 mai 1946

Résumé🔗

Le procès-verbal de conciliation vaut titre exécutoire et le Tribunal du Travail est compétent pour connaître de l'action en exécution forcée.

Lorsque les parties parviennent à un accord mettant fin, en tout ou partie, au différend qui les oppose devant le Bureau de Conciliation, celui- ci doit immédiatement constater la teneur de cet accord dans un procès- verbal qu'il dresse et qui doit être, en principe, exécuté aussitôt. Ce procès-verbal de conciliation constitue un contrat judiciaire. En tant que contrat, il tire sa force obligatoire de la volonté des parties, il échappe à toutes les voies de recours ouvertes contre les jugements et ne peut être attaqué que par les voies de nullité applicables en matière contractuelle. En tant qu'acte judiciaire, il a force authentique au sens où les énonciations qui y figurent font foi jusqu'à inscription de faux de la réalité de l'accord et de son contenu. Par ailleurs, il constitue pour les parties un titre exécutoire qui leur permet de procéder par voie d'exécution forcée contre celle des parties qui ne respecterait pas ses engagements.

Tel est le cas, en l'espèce, d'un procès-verbal de conciliation aux termes duquel un employeur s'était engagé à payer à son salarié une somme forfaitaire et transactionnelle pour solde de tout compte, alors qu'il n'avait que partiellement rempli son engagement, en déduisant du montant de l'indemnité convenue diverses sommes dont il s'estimait créancier, ce qui avait contraint ce salarié à faire procéder à l'exécution forcée de ce contrat judiciaire.

Ainsi, ce salarié était fondé à saisir à nouveau le Tribunal du Travail d'une demande de dommages et intérêts pour non-respect par cet employeur du procès-verbal de conciliation. D'une part, cette juridiction était compétente pour connaître de cette demande, en l'absence de contestation de la validité de cet acte, dans la mesure où le préjudice invoqué dérivait de la demande primitive et l'addition de dommages et intérêts à une décision qui n'en contenait pas ne constituait pas une contestation élevée sur l'exécution de ladite décision. D'autre part, la cause de cette nouvelle demande, à savoir la non-exécution par l'employeur de ses engagements, était née postérieurement au dépôt par ce salarié de sa première requête introductive d'instance, en sorte que ladite demande, en application du tempérament au principe de l'unicité de l'instance posé par l'article 59, alinéa 2 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, devait être déclarée recevable.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 10 juin 2002, reçue le même jour ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 9 juillet 2002 ;

Vu les conclusions déposées par Monsieur l. PR., en personne, en date des 14 novembre 2002, 27 février 2003, 15 mai 2003 et 26 juin 2003 ;

Vu les conclusions déposées par Madame c. LO., en personne, en date des 19 décembre 2002, 27 mars 2003 et 5 juin 2003 ;

Ouï Monsieur l. PR., en ses explications et observations ;

Ouï Madame c. LO., en ses explications et observations ;

Vu les pièces du dossier ;

*

S'estimant créancier de c. LO., exploitant l'entreprise à l'enseigne « Mullygraph », au titre de l'activité d'attaché commercial exercée pour le compte de cette dernière, d'une somme de 4.763,00 € se décomposant ainsi :

  • salaire du mois de mars 2002 :1.838,00 €,

  • remboursement de frais : 200,00 €,

  • préavis une semaine selon la Convention Collective : 439,00 €,

  • dommages et intérêts : 2.286,00 €,

l. PR. a requis le 6 mai 2002 la convocation de son ancien employeur devant le Bureau de Conciliation du Tribunal du Travail.

Les parties étant parvenues au cours de l'audience de conciliation du 3 juin 2002 à un accord, un procès-verbal de conciliation a été immédiatement établi, aux termes duquel c. LO. s'est engagée à payer à l. PR., pour solde de tout compte, sous quarante huit heures au domicile de ce dernier la somme forfaitaire et transactionnelle de 1.300,00 €.

S'estimant fondée à déduire du montant de la somme de 1.300,00 € susvisée les sommes de 153,90 € correspondant au montant d'un chèque encaissé par l. PR. et 466,65 €, que ce dernier aurait « touchée en espèces », c. LO. a adressé le 4 juin 2002 à son ancien salarié un chèque de 679,45 €.

Considérant pour sa part qu'il devait recevoir paiement de l'intégralité de l'indemnité forfaitaire et transactionnelle convenue, l. PR., après avoir obtenu la désignation par le Procureur Général, Président du Bureau d'Assistance Judiciaire, d'un Huissier de Justice à l'effet d'obtenir l'exécution forcée du procès-verbal de conciliation susvisé, a fait délivrer à c. LO., selon exploit du ministère de Maître ESCAUT-MARQUET, un commandement d'avoir à lui régler le solde de l'indemnité lui revenant.

Courant août 2002, Maître ESCAUT-MARQUET a fait parvenir à l. PR. un chèque d'un montant de 620,55 € représentant le solde des sommes lui restant dues.

Estimant avoir subi, consécutivement à l'attitude de son ancien employeur, un préjudice dont il était en droit d'obtenir réparation, l. PR., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 8 juillet 2002, a attrait c. LO. devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir paiement par cette dernière d'une somme de 4.572,00 € à titre de dommages et intérêts.

À la date fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu en personne.

Puis, après divers renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 3 juillet 2003 pour être le jugement rendu, après prorogation du délibéré, lors de l'audience du 6 novembre 2003, la reprise de ses conclusions par l. PR. lors de l'audience du 16 octobre 2003 s'étant avérée impossible en l'absence de ce dernier.

l. PR. fait valoir, à l'appui de ses prétentions, que le refus de c. LO. « d'appliquer les termes de la conciliation du 3 juin 2002 qu'elle avait approuvée et signée » l'a contraint à engager de multiples démarches, perdant ainsi plusieurs journées de travail.

Il soutient par ailleurs qu'eu égard :

  • à la durée de l'audience de conciliation (plus d'une heure),

  • au caractère très explicite des explications fournies par les membres du Bureau de Conciliation, lesquels ont souligné, à plusieurs reprises, le caractère définitif pour les deux parties de l'accord intervenu,

  • au « niveau intellectuel » de c. LO., qui dispose en sa qualité de chef d'entreprise des aptitudes nécessaires,

cette dernière n'a pu se méprendre sur la portée de ses engagements.

Estimant enfin avoir été à plusieurs reprises dénigré, diffamé, voire même harcelé sur son nouveau lieu de travail par son ancien employeur postérieurement à la rupture de son contrat de travail, l. PR. sollicite, dans le dernier état de ses écritures judiciaires, la condamnation de c. LO. au paiement des sommes suivantes :

  • 762,24 €, à titre de dommages et intérêts pour non respect du procès-verbal de conciliation, nonobstant son caractère exécutoire,

  • 1.000,00 €, à titre de dommages et intérêts complémentaires sanctionnant tant la violation de la procédure monégasque d'embauche que le dénigrement et la diffamation dont il a été l'objet.

Soutenant pour sa part que l. PR., qui a à ce jour perçu l'intégralité de la somme de 1.300,00 € convenue lors de l'audience de conciliation et se trouve en conséquence rempli de ses droits, ne justifie d'aucun préjudice complémentaire, c. LO. conclut au rejet de l'intégralité des prétentions formées à son encontre par ce dernier.

Elle indique, en substance, à cet effet :

  • que ne connaissant pas la procédure, elle a accepté à tort lors de l'audience de conciliation de verser à l. PR. une indemnité forfaitaire de 1.300,00 €, pensant pouvoir déduire de cette somme toutes celles que ce salarié avait perçues,

  • qu'en réalité l. PR. n'ayant même pas fini son mois d'essai, elle ne lui était redevable d'aucune somme,

  • qu'elle n'a jamais formulé le moindre propos diffamatoire à l'égard de l. PR., n'ayant fait que lui « écrire ce qu'elle pensait de lui ».

SUR CE,

Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour non respect du procès-verbal de conciliation

Il résulte des termes de l'article 42, alinéa 3 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, qu'en cas d'accord sur tout ou partie des demandes, un procès-verbal mentionnant les conditions de l'arrangement intervenu doit être immédiatement dressé par le Bureau de Conciliation.

Que par ailleurs les conventions des parties insérées au procès-verbal doivent être, en principe, exécutées immédiatement, l'extrait du procès-verbal signé du Président et du secrétaire, valant, à défaut, titre exécutoire.

Il est constant, en l'espèce, que selon procès-verbal de conciliation en date du 3 juin 2002, c. LO., exploitant l'entreprise à l'enseigne « Mullygraph », s'est engagée à payer sous quarante huit heures au domicile de l. PR. la somme forfaitaire et transactionnelle de 1.300,00 €.

Que cet engagement n'a pas été intégralement respecté, c. LO. n'ayant fait parvenir le 4 juin 2002 à son ancien employé qu'un chèque de 679,45 €, le solde, soit 620,55 €, n'ayant été finalement réglé qu'au cours du mois d'août 2002, après délivrance d'un commandement de payer.

La conciliation totale mettant définitivement fin à l'action, le procès-verbal de conciliation ne peut être attaqué par l'exercice des voies de recours ouvertes contre les jugements.

S'agissant d'un véritable contrat judiciaire établi en la forme authentique, ledit procès-verbal ne peut par ailleurs être attaqué que par les voies de nullité ou de rescision susceptibles d'atteindre les actes juridiques, une telle contestation relevant de la compétence générale d'attribution de la juridiction de droit commun.

Le Tribunal du Travail demeure toutefois compétent pour sanctionner par des dommages et intérêts la non exécution ou l'exécution partielle des engagements pris, lorsque la validité de l'acte lui même n'est pas contestée, dans la mesure où :

  • le préjudice ainsi réparé dérive de la demande primitive,

  • l'addition de dommages et intérêts à une décision qui n'en contenait pas ne constitue pas une contestation élevée sur l'exécution de ladite décision.

Dans ces conditions la demande tendant à voir sanctionner le non respect par c. LO. du procès-verbal de conciliation par l'allocation d'une somme fixée en dernier lieu par l. PR. à 762,24 € relève bien de la compétence de la présente juridiction.

Dès lors d'autre part que la cause de cette nouvelle demande, à savoir la non exécution par c. LO. des engagements pris le 3 juin 2002, est née postérieurement au dépôt par l. PR. le 6 mai 2002 de sa première requête introductive d'instance, ladite demande, en application du tempérament au principe de l'unicité de l'instance posé par l'article 59 alinéa 2 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, doit être déclarée recevable.

Au regard des termes clairs et précis employés dans le procès-verbal de conciliation dressé le 3 juin 2002, faisant état d'une indemnité « forfaitaire et transactionnelle », c. LO. ne pouvait se méprendre sur la portée de ses engagements.

En déduisant du montant de l'indemnité convenue diverses sommes dont elle s'estimait créancière, cette dernière a agi avec une évidente mauvaise foi.

En ne mettant en outre pas à profit l'audience de conciliation qui s'est tenue le 8 juillet 2002, ensuite de la deuxième requête introductive d'instance déposée par l. PR., pour régler à ce dernier le solde de l'indemnité lui revenant, le contraignant ainsi à faire procéder par le ministère de Maître ESCAUT-MARQUET à l'exécution forcée de la décision rendue à son profit, c. LO. a également fait preuve d'une résistance manifestement abusive.

l. PR., qui s'est trouvé dans l'obligation, suite à l'attitude d'obstruction adoptée par son ancien employeur, de multiplier les démarches (délivrance de la grosse du procès-verbal, demande de désignation d'un huissier aux fins d'exécution dudit procès-verbal, dépôt d'une nouvelle requête introductive d'instance, nouvelle comparution devant le Bureau de Conciliation, comparutions devant le Bureau de Jugement), a incontestablement subi un préjudice, distinct du simple retard dans le paiement, lui-même réparé par l'allocation d'intérêts moratoires.

Ce préjudice, au vu des éléments d'information dont dispose la présente juridiction, sera équitablement réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 150,00 € à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande en paiement de dommages et intérêts visant à sanctionner la violation de la procédure monégasque d'embauche, ainsi que le dénigrement et la diffamation dont le salarié aurait été l'objet

Le demandeur ne pouvant, en application des dispositions de l'article 42 de la loi du 16 mai 1946, augmenter sa demande en formulant le cas échéant de nouvelles prétentions, postérieurement à sa comparution devant le Bureau de Conciliation, la demande complémentaire en paiement de la somme de 1.000,00 € formulée pour la première fois par l. PR. dans ses conclusions déposées le 27 février 2003 et quantifiée à hauteur de 1.000,00 € dans ses écritures déposées les 15 mai et 26 juin 2003, soit postérieurement à sa comparution le 8 juillet 2002 devant le Bureau de Conciliation, n'est pas recevable et ne pourra par suite qu'être rejetée.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Condamne c. LO. à payer à l. PR. la somme de :

  • 150,00 euros, (cent cinquante euros), à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi par ce dernier, consécutivement au non respect par l'employeur du procès-verbal de conciliation en date du 3 juin 2002.

Déclare irrecevable pour violation des dispositions de l'article 42 de la loi du 16 mai 1946 la demande formée par l. PR. directement devant le Bureau de Jugement, tendant à obtenir paiement de dommages et intérêts complémentaires visant à sanctionner la violation de la procédure monégasque d'embauche ainsi que le dénigrement et la diffamation dont il aurait été l'objet.

Condamne c. LO. exploitant l'entreprise à l'enseigne « Mullygraph », aux entiers dépens.

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