Tribunal du travail, 6 novembre 2003, j-p OU c/ la SAM MGTT MONACO

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Abstract🔗

Salarié intérimaire victime d'un accident de trajet - Attestation erronée destinée à l'ASSEDIC - Rectification Dommages intérêts (non)

Résumé🔗

En l'absence d'écrit obligatoire formalisant les contrats de missions liant l'entreprise de travail temporaire au personnel intérimaire embauché, il convient, pour connaître le terme de la mission de se référer au contrat de mise à disposition.

Un chauffeur poids lourds, embauché par une société de travail temporaire pour une mission débutant le 22 octobre 1999 pour se terminer le 29 novembre suivant, a été victime d'un accident de trajet le 15 novembre 1999. Il avait attrait son employeur devant le bureau de jugement du Tribunal du travail, en demandant la rectification du document ASSEDIC erroné qui lui avait été tardivement remis et sur la base duquel l'ASSEDIC a considéré qu'il ne justifiait pas d'une durée de travail et d'affiliation suffisantes pour bénéficier de l'allocation unique dégressive. Le salarié, qui avait bénéficié, pendant sa période d'incapacité totale de travail, des indemnités journalières, demandait des dommages et intérêts, pour s'être trouvé sans revenus au-delà du 29 novembre1999.

L'employeur estimait qu'il avait cessé d'appartenir au personnel de la société le 30 novembre et qu'il n'avait pas travaillé assez au cours des douze mois précédant la fin de mission pour bénéficier des allocations servies par l'ASSEDIC. Par ailleurs, il ne pouvait, de toute façon, cumuler ces prestations avec les indemnités de chômage.

Le Tribunal du Travail rappelant l'aspect triangulaire de la relation de travail temporaire et l'absence d'écrit obligatoire, en droit monégasque, pour formaliser les contrats de mission liant l'entreprise de travail temporaire au personnel qu'elle embauche, renvoie au contrat de mise à disposition pour connaître le terme de la mission dévolue au salarié. La suspension du contrat ne constituant pas un obstacle à l'échéance du terme, le contrat a pris fin le 29 novembre 1999. Les dates des 12 et 15 novembre, mentionnées comme date d'effet de la rupture, sont erronées et il y a lieu de les rectifier. Le salarié ne justifiant cependant pas du préjudice qu'il aurait subi et alors même qu'il a perçu les indemnités journalières qu'il ne pouvait cumuler avec les indemnités de chômage, sa demande de dommages et intérêts est rejetée.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 21 décembre 2001, reçue le 26 décembre 2001 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 29 janvier 2002 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Géraldine GAZO, avocat, au nom de Monsieur j-p OU, en date des 11 avril 2002, 3 octobre 2002 et 15 mai 2003 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de la SAM MGTT MONACO, en date des 4 juillet 2002 et 7 novembre 2002 ;

Après avoir entendu Maître Géraldine GAZO, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur j-p OU, et Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MGTT MONACO, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

***

j-p OU a été embauché par la société de travail temporaire MGTT MONACO à compter du 13 juillet 1999, selon permis de travail délivré le 23 août 1999 par le Service de l'Emploi.

Alors qu'il se trouvait mis à disposition de la SAM ALBERTI en qualité de chauffeur poids lourds dans le cadre d'une mission débutant le 22 octobre 1999 pour se terminer le 29 novembre suivant, j-p OU a été victime le 15 novembre 1999 d'un accident du travail (trajet) régulièrement déclaré le 22 novembre 1999 auprès de la Compagnie d'Assurance C.M.A., représentée en Principauté de Monaco par la SAM EUROPA ASSURANCE, assureur loi de la SAM MGTT, à la suite duquel un arrêt de travail lui a été prescrit et renouvelé jusqu'au 9 mai 2000.

Ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 28 janvier 2002, j-p OU a attrait la SAM MGTT devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

1) la rectification de l'attestation destinée à l'ASSEDIC,

2) l'allocation à son profit, avec intérêts de droit à compter de la citation en conciliation, des sommes suivantes :

• 39.600,00 F, à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

• 10.000,00 F, à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.

À l'audience fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après divers renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 2 octobre 2003 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 6 novembre 2003.

Après avoir liminairement demandé qu'il lui soit donné acte de ce qu'il se désiste eu égard à la nature de son contrat de travail, de sa demande tendant à voir consacrer le caractère abusif de son « licenciement » et à obtenir par suite l'allocation d'une somme de 6.036,98 € à titre de dommages et intérêts, j-p OU fait valoir qu'en lui délivrant le 21 août 2000 seulement, soit tardivement, l'attestation exigée par l'ASSEDIC, laquelle comportait en outre une date de rupture erronée, la SAM MGTT a commis une faute lui ayant causé un important préjudice.

Il soutient en premier lieu qu'en indiquant à tort que la rupture du contrat de travail pour fin de mission avait eu lieu le 12 novembre 1999, alors qu'il avait été victime d'un accident de travail le 15 novembre 1999 et avait de ce fait interrompu son activité professionnelle jusqu'au 9 mai 2000, la SAM MGTT l'a privé du droit de percevoir de l'ASSEDIC le bénéfice de l'allocation unique dépressive.

Qu'en effet, alors qu'il devait disposer pour bénéficier de ces allocations de 122 jours d'affiliation ou 676 heures de travail durant la période du 1er décembre 1999 au 31 juillet 2000, l'ASSEDIC a considéré, sur la base de cette attestation erronée, qu'il ne justifiait d'aucun jour d'affiliation et d'aucun jour de travail.

Il indique en second lieu qu'alors que le règlement intérieur de l'ASSEDIC repris sur la notice DAJ 800 de janvier 1999 fait obligation à l'employeur, quel que soit le motif de la rupture, de remettre à son salarié l'attestation destinée à ce service permettant à ce dernier de faire valoir ses droits aux allocations de chômage au plus tard lors de son départ, la SAM MGTT n'a, en l'espèce établi, l'attestation le concernant que le 21 août 2000.

Il demande en conséquence à la présente juridiction d'une part d'ordonner à la SAM MGTT d'établir une nouvelle attestation destinée à l'ASSEDIC, mentionnant que le contrat de travail a pris fin le 9 mai 2000, afin de tenir compte de la période d'accident de travail prise en charge par l'assureur loi et d'autre part de condamner la SAM MGTT à lui verser la somme de 1.524,49 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, s'étant retrouvé sans aucun revenu pour subvenir à ses besoins ainsi qu'à ceux de sa famille, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Après avoir liminairement rappelé que les relations de travail existant entre elle et j-p OU s'inscrivaient dans le cadre d'un contrat à durée déterminée dont le terme, fixé d'avance, correspondait à la fin de la mission dévolue à ce salarié, l'entreprise de travail temporaire dénommée MGTT demande à la présente juridiction de dire :

– que le contrat de travail de j-p OU a pris fin au plus tard le 29 novembre 1999,

– que ce dernier n'a subi aucun préjudice et de débouter en conséquence l'intéressé de l'intégralité de ses prétentions.

Elle fait valoir en substance à cet effet les moyens suivants :

– la suspension des relations contractuelles pendant la durée d'un arrêt de travail ne faisant pas obstacle à l'échéance du terme, le contrat de travail à durée déterminée prend fin de plein droit à la date prévue sans être prolongé de la durée de la suspension ; j-p OU ayant été mis à disposition de l'entreprise AL en qualité de chauffeur poids lourds à compter du 22 octobre et jusqu'au 29 novembre 1999, le terme des relations contractuelles entre les parties doit être fixé au plus tard le 29 novembre 1999,

– dans la mesure où il a cessé d'appartenir au personnel de la société MGTT le 30 novembre 1999, j-p OU qui n'a travaillé que 168 heures au cours des douze mois précédant la fin de la mission d'intérim, ne peut pas justifier des jours d'affiliation ou heures de travail requis pour bénéficier des allocations servies par l'ASSEDIC. Ayant par ailleurs reçu paiement pendant toute sa période d'incapacité totale de travail, soit du 16 novembre 1999 au 9 mai 2000, des indemnités journalières servies par l'assureur loi, ce dernier ne pouvait en tout état de cause cumuler ces prestations avec les indemnités de chômage ; Par suite, nonobstant le retard apporté à la délivrance de l'attestation ou l'erreur affectant la date de fin de mission (12 novembre au lieu de 29 novembre 1999), ce dernier ne justifie d'aucun préjudice ouvrant droit à l'allocation de dommages et intérêts.

j-p OU réplique pour sa part à ces divers arguments :

– qu'il bénéficiait d'un permis de travail valable du 13 juillet 1999 au 13 juillet 2000,

– que l'argumentation de la SAM MGTT, selon laquelle le contrat de mise à disposition comporterait un terme impératif et fixe, ne résiste pas à l'examen en l'état des mentions contenues dans ce document présentant expressément la date du 29 novembre 1999 comme sujette à assouplissement et modification,

  • que l'assureur loi de l'employeur n'aurait pas pris en charge les conséquences pécuniaires de l'accident du travail dont il a été victime le 15 novembre 1999 au-delà du 29 novembre 1999 s'il n'avait pas été lié avec la SAM MGTT par un contrat de mission au-delà de cette date.

SUR CE,

1°) Sur la demande tendant à voir consacrer le caractère abusif et injustifié de la rupture

Suite aux écritures judiciaires déposées le 11 avril 2002 par j-p OU et le 4 juillet 2002 par la SAM MGTT, il y a lieu de donner acte :

– à j-p OU de ce qu'il se désiste de sa demande tendant à obtenir la condamnation de la SAM MGTT MONACO au paiement d'une somme de 6.036,98 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

– à la SAM MGTT MONACO de ce qu'elle accepte expressément ledit désistement.

2°) Sur la demande tendant à obtenir la délivrance d'une attestation ASSEDIC rectifiée ainsi que l'allocation d'une somme de 1.524,49 € à titre de dommages et intérêts :

a) sur la rectification de l'attestation destinée à l'ASSEDIC

Il est constant en l'espèce que les relations existant entre j-p OU et la SAM MGTT s'inscrivent dans le contexte particulier du travail temporaire, lequel se caractérise par l'établissement d'une relation triangulaire entre :

• l'employeur, à savoir l'entreprise de travail temporaire,

• le salarié intérimaire,

• l'entreprise utilisatrice, chez laquelle le salarié temporaire est envoyé en mission.

Que dans ce cadre juridique précis les dates du 13 juillet 1999 au 13 juillet 2000 portées sur le permis de travail délivré le 23 août 1999 à j-p OU représentent seulement l'indication de la période pendant laquelle la SAM MGTT a été autorisée par les Services de l'Emploi de la Principauté de Monaco, compte tenu de la réglementation applicable, à recourir, aux services de j-p OU, en qualité de chauffeur poids lourds, coefficient 125, pour l'accomplissement d'une ou plusieurs missions ultérieurement définies, chacune de ces missions s'analysant en droit en un contrat à durée déterminée distinct.

Que par ailleurs, parallèlement au contrat de mission liant j-p OU à la SAM MGTT, cette société a également conclu, par acte sous seing privé en date du 22 octobre 1999 avec la SAM AL, entreprise utilisatrice, un contrat de mise à disposition aux conditions suivantes :

– intérimaire concerné : j-p OU,

– motif de la mission : accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise – délai contractuel à respecter,

– tâches à accomplir : transport de matériaux,

– durée de la mission : du 22 octobre 1999 au 29 novembre 1999, étant expressément précisé que ce terme pouvait le cas échéant être avancé au 22 novembre 1999 ou reporté au 6 décembre 1999,

– période d'essai : trois jours,

– durée hebdomadaire : 40 heures à accomplir selon l'horaire suivant : 8 heures - 12 heures et 13 heures - 17 heures.

L'entreprise de travail temporaire n'ayant pas, en l'état actuel du droit positif monégasque, l'obligation de formaliser par un écrit les contrats de missions la liant au personnel intérimaire qu'elle embauche en vue de les détacher auprès d'une personne physique ou morale, il convient en l'espèce, pour connaître le terme de la mission confiée à j-p OU de se référer au contrat de mise à disposition conclu entre MGTT et la SAM AL, lequel fixe expressément au paragraphe « DURÉE DE LA MISSION », le terme de la mission dévolue à j-p OU le 29 novembre 1999.

Si le contrat de travail temporaire peut certes être suspendu dans les mêmes conditions qu'un contrat à durée indéterminée (maladie, maternité, accident de travail), cette suspension ne fait toutefois pas obstacle à l'échéance du terme, le contrat prenant fin à la date prévue sans être prolongé de la durée de la suspension.

j-p OU s'étant vu prescrire, à la suite de l'accident du travail dont il a été victime le 15 novembre 1999, un arrêt de travail initial de vingt et un jours, l'exécution du contrat de travail à durée déterminée conclu entre ce dernier et la SAM MGTT a été suspendue à partir du 15 novembre 1999.

Cette suspension ne constituant toutefois pas un obstacle à l'échéance du terme, le contrat de travail a pris fin à la date du 29 novembre 1999.

Le paiement à un salarié victime d'un accident du travail par l'assureur loi d'indemnités journalières n'étant enfin pas conditionné par l'existence d'un contrat de travail en cours de validité mais par la constatation médicale de ce que l'accidenté se trouve dans l'incapacité totale d'exercer toute activité professionnelle, le règlement par la Compagnie CMA d'indemnités journalières au profit de j-p OU jusqu'au 9 mai 2000, terme de l'arrêt de travail, n'a pu avoir pour effet de prolonger d'autant le terme du contrat de travail conclu entre ce dernier et la SAM MGTT.

Les dates des 12 et 15 novembre 1999 mentionnées comme date d'effet de la rupture des relations contractuelles par la SAM MGTT sur les attestations établies à destination de l'ASSEDIC délivrées les 21 août 2000 et 14 mai 2002 à j-p OU s'avérant ainsi erronées, il y a lieu d'enjoindre à la société défenderesse de délivrer, dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, à j-p OU une attestation rectifiée indiquant que la mission d'intérim délivrée à j-p OU a pris fin le 29 novembre 1999.

b) sur la demande en paiement de dommages et intérêts

Si la SAM MGTT a certes commis une faute, en attendant le 21 août 2000 pour délivrer à j-p OU l'attestation destinée à l'ASSEDIC, permettant à ce dernier de faire valoir ses droits aux allocations de chômage, force est de constater toutefois que ce dernier ne justifie pas, à l'appui de sa demande de dommages et intérêts, d'un préjudice, découlant directement de cette faute, ouvrant droit à réparation.

Qu'en effet à partir du moment où la mission d'intérim qu'il exerçait pour le compte de la SAM MGTT avait pris fin le 29 novembre 1999, j-p OU ne remplissait pas les conditions requises par l'ASSEDIC (à savoir 122 jours d'affiliation ou 676 heures de travail durant la période du 1er décembre 1999 au 31 juillet 2000) pour lui permettre de bénéficier des indemnités (allocation unique dégressive) servies par cet organisme.

Que par ailleurs et en tout état de cause l'intéressé, qui a reçu paiement de l'assureur loi pour la période du 15 novembre 1999 au 9 mai 2000, d'indemnités journalières destinées précisément à compenser la perte de son salaire, ne pouvait cumuler lesdites indemnités avec les allocations servies par l'ASSEDIC.

À défaut en définitive pour j-p OU de justifier de l'existence du préjudice dont il se prévaut, sa demande de dommages et intérêts ne pourra qu'être rejetée.

*

Chacune des parties succombant pour partie dans ses prétentions, il y a lieu d'ordonner le partage entre elles des dépens, dans les conditions qui seront précisées au dispositif de la présente décision.

L'exécution provisoire sollicitée par le demandeur n'étant justifiée par aucune considération particulière, il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Donne acte à j-p OU de ce qu'il se désiste de sa demande tendant à obtenir la condamnation de la SAM MGTT au paiement d'une somme de 6.036,98 euros, (six mille trente-six euros et quatre-vingt-dix-huit centimes) à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Donne acte à la SAM MGTT de ce qu'elle accepte expressément ledit désistement.

Dit que le contrat de travail à durée déterminée liant j-p OU à la SAM MGTT a pris fin le 29 novembre 1999.

Condamne en conséquence la SAM MGTT à délivrer à j-p OU dans le délai d'un mois suivant la signification du présent jugement, une nouvelle attestation destinée à l'ASSEDIC rectifiée mentionnant comme terme du contrat de travail le 29 novembre 1999.

Déboute j-p OU du surplus de ses prétentions.

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.

Ordonne le partage des dépens qui seront supportés à raison d'un tiers par la SAM MGTT et des deux tiers restant par j-p OU et recouvrés en ce qui concerne ce dernier conformément à la législation régissant l'assistance judiciaire.

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