Tribunal du travail, 26 juin 2003, c. GA. c/ la SNC CARREFOUR MONACO

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Contrat de travail - Rupture - Licenciement - Caractère abusif - Légèreté - Brusquerie et précipitation - Mauvaise foi

Résumé🔗

L'annonce quelques jours avant la reprise du travail d'une salariée en congé maternité, puis d'une proposition de déclassement ou d'horaires irréalisables par une mère de famille avec délai de réponse très bref, caractérise l'abus.

Le licenciement peut être considéré comme abusif notamment lorsqu'il est intervenu avec brutalité, mauvaise foi et légèreté blâmable.

Tel est le cas, en l'espèce, d'un employeur qui avait fait preuve d'une grande légèreté en informant son employée quelques jours avant la reprise de son travail de la suppression de son emploi et des propositions de poste de remplacement, puis avait, par ailleurs, agi avec une précipitation doublée d'une grande brusquerie en lui impartissant un délai extrêmement bref de trois jours pour accepter ou refuser le poste offert, et enfin, avait fait preuve d'une mauvaise foi caractérisée et violé en outre à la fois l'esprit et le texte du statut protecteur de la maternité en plaçant cette salariée devant l'alternative consistant soit à accepter un horaire irréalisable par une mère de famille célibataire, sans famille à proximité, soit à consentir à un déclassement professionnel assorti d'une réduction de son salaire, en sorte que ces manquements conjugués avaient conféré au licenciement intervenu un caractère abusif.


Motifs🔗

P R I N C I P A U T E D E M O N A C O

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 26 JUIN 2003

En la cause de Madame c. GA., conseillère de vente, demeurant : X - 70000 VESOUL,

demanderesse, bénéficiant de l'Assistance Judiciaire par décision du bureau d'Assistance Judiciaire n° 35-BAJ-01 en date du 22 mai 2001, ayant élu domicile en l'Etude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Christophe SOSSO, avocat à la Cour d'Appel de Monaco,

d'une part ;

Contre :

La SNC CARREFOUR MONACO, sise avenue du Prince Héréditaire Albert - 98000 MONACO, prise en la personne de son représentant légal en exercice, ou de son mandataire dûment habilité,

défenderesse, plaidant par Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 30 janvier 2001, reçue le 2 février 2001 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 27 février 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Madame c. GA., en personne en date du 25 mars 2001, et par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de Madame c. GA., en date des 31 janvier 2002 et 3 octobre 2002 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Étienne LEANDRI, avocat-défenseur, au nom de la SNC CARREFOUR MONACO, en date des 12 juillet 2001, 18 avril 2002 et 7 novembre 2002 ;

Après avoir entendu Maître Christophe SOSSO, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame c. GA. et Maître Étienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SNC CARREFOUR MONACO, en leurs plaidoiries ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

*

Embauchée par la SNC CARREFOUR à compter du 15 avril 1997, d'abord dans le cadre de quatre contrats à durée déterminée successifs puis, à compter du 1er avril 1998, sous contrat à durée indéterminée, c. GA., qui s'était vue confier en dernier lieu les fonctions de conseiller de vente au rayon bazar (saisonnier), a été licenciée de cet emploi, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 14 décembre 2000, dont le contenu s'avère le suivant :

« Madame,

» Le 29 novembre 2000, nous vous avons remis un courrier dont vous avez accusé réception en signant en main propre, vous exposant que le poste que vous occupiez avant votre congé de maternité n'existait plus et nous vous avons proposé un autre poste de même niveau III et de même rémunération avec des horaires de travail différents.

« Par courrier du vendredi 1er décembre 2000, reçu le 2 vous nous avez confirmé que vous ne pouviez pas accepter ce poste, ces horaires étant, selon vous, difficiles à concilier avec votre nouvelle charge de famille.

» D'autre part, dans votre courrier vous ne donnez pas suite à notre proposition alternative, dans notre lettre du 29 novembre 2000 d'examiner une possibilité de classement à un poste de niveau inférieur, aux conditions de ce niveau. Nous considérons donc que vous refusez « également cette éventualité.

» Votre réponse, dans ces circonstances, ne nous laisse pas d'autre possibilité que de procéder à votre congédiement, le secteur dans lequel vous travaillez ayant été réorganisé. «.

Soutenant d'une part que son licenciement avait été mis en œuvre pour un motif non valable, et d'autre part que cette mesure revêtait, au regard notamment de la violation caractérisée par l'employeur des mesures protectrices de la maternité édictées par l'article 6, alinéa 2 de la loi n° 870, un caractère abusif, c. GA. ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 26 février 2001, a attrait la SNC CARREFOUR devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir l'allocation à son profit des sommes suivantes :

  • 10.670,00 F, à titre d'indemnité de licenciement,

  • 250.000,00 F, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice tant moral que financier subi par ses soins.

À l'audience fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après divers renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 8 mai 2003 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 26 juin 2003.

c. GA. expose avoir été informée téléphoniquement par son employeur le lundi 27 novembre 2000, soit deux jours avant la date de la reprise de ses fonctions, que le poste de conseillère de vente au sein du rayon bazar qu'elle occupait avant son départ en congé de maternité avait été supprimé.

Elle précise par ailleurs qu'au cours de cet entretien téléphonique il lui a été proposé soit d'occuper un poste de conseillère de vente au rayon produits frais, moyennant les horaires de travail suivants : 4 heures - 11 heures, six jours sur sept, soit à défaut un poste d'un niveau inférieur, à savoir celui d'assistante de caisse, un délai de deux jours lui étant laissé pour se prononcer.

Elle indique enfin que devant son refus d'accepter l'une ou l'autre de ces deux solutions, son licenciement lui a été notifié le 14 décembre à l'issue de la période de protection prévue par la loi.

Elle fait valoir en premier lieu, à l'appui de ses prétentions, qu'en application des dispositions de l'article 6 alinéa 2 de la loi n° 870, elle aurait dû, à l'issue de son congé de maternité, retrouver son emploi antérieur ou à défaut un emploi analogue comportant une rémunération au moins équivalente.

Que nonobstant ces dispositions impératives, son employeur, sous le couvert d'une prétendue suppression de son poste dont il n'a au demeurant à ce jour toujours pas démontré la réalité et encore moins l'opportunité, lui a offert en remplacement, soit un emploi s'exerçant pour une grande partie la nuit alors qu'elle travaillait avant exclusivement pendant la journée et ne pouvant dès lors être qualifié d'analogue, soit un emploi de catégorie inférieure, impliquant au surplus une baisse sensible de sa rémunération.

Elle soutient par ailleurs qu'en attendant l'avant veille de sa reprise de fonctions, alors qu'elle avait pris toutes ses dispositions pour assurer la garde de son enfant pendant la journée, pour l'informer des modifications susceptibles d'affecter sa vie professionnelle et en lui impartissant au surplus un délai extrêmement court (deux jours) pour faire connaître sa réponse, l'employeur a fait preuve, dans la mise en œuvre d'une décision qui s'avère en définitive parfaitement discriminatoire, d'une légèreté certaine doublée d'une grande précipitation.

Estimant enfin avoir subi consécutivement aux agissements de son employeur un préjudice tant financier que moral considérable, se caractérisant par les éléments suivants :

  • un état dépressif,

  • la perte de la place de crèche obtenue,

  • l'impossibilité de faire face à l'emprunt immobilier contracté pour l'acquisition de son appartement,

  • l'obligation in fine de retourner vivre chez ses parents en Franche Comté,

elle demande en définitive au Tribunal du Travail de sanctionner la non validité du motif invoqué et les conditions blâmables dans lesquelles son licenciement lui a été notifié en faisant droit à l'intégralité de ses prétentions, telles qu'elles ont été exposées et détaillées ci-dessus.

Soutenant quant à elle d'une part qu'il était de son intérêt de réorganiser son établissement, ce qui a eu pour conséquence la disparition du poste occupé par c. GA. avant son congé de maternité, et d'autre part avoir satisfait aux obligations qui lui étaient imposées par la loi, en proposant à cette salariée un poste similaire au rayon PLS conforme à sa qualification et à sa classification, avec maintien de sa rémunération, la SNC CARREFOUR conclut au rejet de l'intégralité des demandes formulées à son encontre.

Elle invoque à cette fin en substance les moyens suivants :

  • la suppression de l'emploi occupé par c. GA. avant son départ en congé de maternité résulte d'une modification d'organisation de l'entreprise, les tâches principales dévolues antérieurement au conseiller de vente, à savoir le suivi de l'évolution des sous familles de produits, la proposition des quantités d'achat ou la validation des commandes d'approvisionnement étant désormais confiées, en ce qui concerne les opérations commerciales saisonnières, au service marketing de la société,

  • le poste de conseillère de vente au rayon PLS proposé à c. GA. est un poste similaire à celui qu'elle occupait lors de son départ en congé de maternité, puisqu'il répond à la même qualification et classification avec maintien de la rémunération, la modification de l'horaire ne pouvant, tant au plan du droit que de l'équité, s'analyser en une modification substantielle du contrat de travail,

  • c. GA. a reconnu elle-même que son refus d'accepter le poste similaire qui lui avait été offert était motivé par des considérations d'ordre personnel, et donc totalement étrangères aux conditions d'application de son contrat de travail,

  • en proposant à c. GA. de prendre son reliquat de congés annuels à l'issue de son congé de maternité, soit du 16 novembre au 28 novembre 2000, afin de lui offrir un emploi analogue à celui qu'elle exerçait auparavant, en offrant à cette salariée en sus du poste de conseillère de ventes au rayon PLS d'autres emplois de niveau et de rémunération inférieure, et enfin en convoquant l'intéressée, sur la suggestion des membres du Bureau de Conciliation, par lettre du 13 mars 2001 pour un entretien qui s'est tenu le 20 mars 2001, l'employeur n'a agi ni avec légèreté ni avec précipitation.

SUR CE,

A) Sur la validité du motif de rupture

En application des dispositions de la loi n° 870 du 17 juillet 1969 modifiée, relative au travail des femmes salariées en cas de grossesse ou de maternité, la femme salariée doit, au terme de son congé de maternité, » occuper à nouveau son emploi antérieur « ou un emploi analogue comportant une rémunération au moins équivalente.

Conformément à ces dispositions d'ordre public, à l'issue de son congé de maternité c. GA. aurait donc du, soit retrouver au sein de la SNC CARREFOUR l'emploi de conseillère de vente au rayon bazar (saisonnier) qu'elle occupait en dernier lieu, soit être affectée à un poste analogue à cet emploi.

Pour justifier le licenciement mis en œuvre par ses soins le 14 décembre 2000, la SNC CARREFOUR soutient en l'espèce :

  • avoir supprimé, dans le cadre d'une réorganisation de ses services, le poste de conseillère de vente (rayon bazar saisonnier) occupé par c. GA.,

  • avoir offert en remplacement à cette salariée un emploi analogue au sein du rayon PLS, que cette dernière aurait refusé.

Force est de constater en premier lieu, alors pourtant que ce moyen a été expressément soulevé à deux reprises dans les conclusions de la partie demanderesse, que l'employeur, qui a pourtant la charge de la preuve de la validité du motif de rupture, ne démontre pas l'existence de la réorganisation à laquelle il soutient avoir procédé, laquelle aurait selon lui rendu inéluctable la suppression du poste de conseillère de vente occupé par c. GA. et son remplacement par une simple manutentionnaire du niveau I.

Qu'en effet les allégations relatives au renforcement de la sphère d'intervention du service marketing, et à l'accroissement du rôle des acheteurs nationaux au détriment des prérogatives des gestionnaires et chefs de rayon ne sont corroborées par aucune pièce, quelles qu'elles soient.

Que par ailleurs, quand bien même la qualification professionnelle, la rémunération et la durée hebdomadaire de travail antérieures de c. GA. auraient été maintenues, il n'en demeure pas moins que le poste de conseillère de vente au rayon PLS proposé en remplacement par la SNC CARREFOUR à cette salariée et refusé par cette dernière ne peut être considéré comme un emploi analogue au sens de l'article 6 de la loi n° 870, dès lors qu'il impliquait la modification d'un élément essentiel de son contrat de travail constitué par le passage d'un horaire exclusivement de jour à un horaire essentiellement nocturne (de 4 heures à 11 heures du matin – six jours sur sept), modification dont l'employeur a, nonobstant ses dénégations actuelles, expressément reconnu l'existence dans la correspondance adressée le 4 janvier 2001 à la demanderesse dans les termes suivants :

» Nous n'avons pas cherché à discuter avec vous la nature de la « modification du contrat de travail que nous vous proposions en vous offrant un poste de niveau III dont les horaires étaient très différents que » ceux que vous observiez avant votre départ en congé de maternité. «,

» Étant dans l'impossibilité que vous avez pu vérifier de vous proposer un autre poste de niveau III susceptible de vous convenir cette modification d'un élément substantiel de votre contrat de travail a entraîné nécessairement votre licenciement pour une cause qui est imputable à l'employeur. ",

La SNC CARREFOUR n'ayant en définitive satisfait à aucune des deux obligations qui lui étaient alternativement imposées par les dispositions législatives ci-dessus rappelées, le licenciement de c. GA. ne peut être considéré comme ayant été mis en œuvre pour un motif valable, et ouvre donc droit pour cette salariée au bénéfice de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845, dont le montant s'avère être le suivant :

(7.616,00 F x 34) / 25 = 10.357 F soit 1.578,91 €.

B) Sur le caractère abusif de la rupture

Alors que la reprise de son emploi par une jeune mère de famille, à fortiori lorsqu'elle est seule à élever son enfant, nécessite une organisation toute particulière devant être mise en place de longue date (place de crèche à réserver – nourrice à engager – etc.), il résulte des pièces versées aux débats que la SNC CARREFOUR a fait preuve à l'égard de c. GA. d'une très grande légèreté en informant cette salariée, dont la date de reprise du travail avait été fixée après apurement de ses congés au 30 novembre 2000, de la suppression de son emploi antérieur et des propositions de poste qui lui étaient faites en remplacement pour la première fois le 27 novembre 2000 par téléphone, puis par courrier le 29 suivant.

Par ailleurs, en impartissant à l'intéressée un délai extrêmement court pour accepter ou refuser les postes qui lui avaient été offerts (la réponse à la lettre remise en main le 29 novembre 2000 devait être donnée pour le 2 décembre 2000), alors que ceux-ci entraînaient, compte tenu des horaires proposés, des contraintes très importantes, en terme notamment de garde d'enfant, l'employeur a agi avec précipitation doublée d'une grande brusquerie.

En outre et surtout en plaçant c. GA. devant l'alternative consistant soit à accepter un horaire à l'évidence irréalisable par une mère de famille célibataire, sans famille à proximité, soit à consentir à un déclassement professionnel assorti d'une réduction de son salaire la SNC CARREFOUR a non seulement fait preuve d'une mauvaise foi caractérisée mais en outre délibérément violé à la fois l'esprit et le texte du statut protecteur de la maternité.

Ces manquements conjugués conférant incontestablement au licenciement intervenu un caractère abusif, la demande de dommages et intérêts formulée par c. GA. est bien fondée en son principe.

Au regard des éléments du dossier et notamment des conséquences de tous ordres que le licenciement a engendrées (perte de la place de crèche – obligation de mise en vente de l'appartement de Roquebrune – retour auprès de la famille) le préjudice, tant financier (l'intéressée n'a pas retrouvé d'emploi à ce jour) que moral subi par c. GA. sera justement réparé par l'allocation au profit de cette dernière d'une somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de c. GA. par la SNC CARREFOUR ne repose pas sur un motif valable.

Dit en outre que cette mesure revêt un caractère abusif.

Condamne en conséquence la SNC CARREFOUR à payer à c. GA. les sommes suivantes :

  • 1.578,91 euros, (mille cinq cent soixante dix huit euros et quatre vingt onze centimes), à titre d'indemnité de licenciement,

  • 15.000,00 euros, (quinze mille euros), à titre de dommages et intérêts.

Condamne la SNC CARREFOUR aux dépens qui seront recouvrés conformément à la législation régissant l'Assistance Judiciaire.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt six juin deux mille trois, par Martine COULET-CASTOLDI, Juge de Paix, Président, Messieurs Alain GALLO, Jacques WOLZOK, membres employeurs, Messieurs Jean-Pierre AMRAM, Blaise DEVISSI, membres salariés, assistés de Madame Catherine AUBERGIER, Secrétaire.

  • Consulter le PDF