Tribunal du travail, 13 février 2003, a RO c/ la Société anonyme étrangère BANCA DI ROMA INTERNATIONAL

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Abstract🔗

Usage d'un complément d'indemnité lors de la retraite d'un salarié d'une banque cessionnaire d'une autre banque - Conditions réunies de l'usage non dénoncé - Application exigible

Résumé🔗

Dès lors qu'une prime suivait avec une approximation suffisante l'évolution de paramètres déterminés, la condition de fixité nécessaire à l'existence d'un usage, est remplie.

Un salarié d'une banque, ayant fait valoir ses droits à la retraite, avait sollicité devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail un complément d'indemnité de retraite, sous forme de prime s'ajoutant à la prime de base de la Convention Collective Monégasque des Banques. Il se fondait sur un usage qui gratifiait ainsi les salariés qui, au moment de leur départ en retraite, justifiaient d'une ancienneté suffisante sans avoir démérité au cours de leur carrière. La banque estimait l'avoir rempli de ses droits, sur la base de la Convention Collective Monégasque, n'avoir en outre jamais été informée d'un usage plus favorable, et soutenait que l'avantage revendiqué ne revêtait pas le caractère de fixité permettant de le considérer comme un élément de la rémunération puisque son montant dépendant du mérite de l'intéressé était discrétionnaire.

Le Tribunal du Travail qui constate que la banque a repris l'établissement exploité précédemment par une autre banque, se fonde d'abord sur la loi n° 729 du 16 mars 1963 dont l'article 15 prévoit, en cas de modification de la situation juridique de l'employeur, le maintien des contrats de travail en cours. Puis, il vise la promesse contractuelle faite au salarié de maintenir le statut dont il bénéficiait « dans tous ses effets et particularités tel qu'ils résulte de la position acquise avec la banque » cédante. À défaut de dénonciation régulière des usages en vigueur à la date de la reprise, les usages subsistent .Or, il résulte du constat d'huissier dressé à la demande du tribunal que tous les salariés faisant valoir leurs droits à la retraite depuis dix années ont perçu au moment de leur départ une indemnité dont le montant est très largement supérieur à celui prévu par la Convention Collective applicable. Pour revêtir le caractère d'un usage, l'avantage revendiqué doit revêtir un caractère constant, général et fixe. Ces caractères sont bien présents en l'espèce, l'attribution de cet avantage ainsi que la détermination de sa valeur obéissant à des règles prédéfinies, constantes et reposant sur des critères suffisamment objectifs tant par rapport à l'employeur qu'au comportement personnel des salariés, peu important que son montant n'ait pas été calculé selon des règles arithmétiques précises. La banque employeur était tenue de se conformer à l'usage et le complément d'avantage est dû.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu le jugement en date du 31 janvier 2002 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur, au nom de Madame a RO, en date des 18 avril 2002 et 24 octobre 2002

Vu les conclusions déposées par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de la Société Étrangère BANCA DI ROMA INTERNATIONAL, en date des 19 septembre 2002 et 5 décembre 2002 ;

Après avoir entendu Maître Elie COHEN, avocat au barreau de Nice, au nom de Madame a RO, et Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la Société Étrangère BANCA DI ROMA INTERNATIONAL, en leurs plaidoiries.

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

*

Ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 11 décembre 2000, a RO a attrait son ancien employeur, la BANCA DI ROMA INTERNATIONAL, devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir paiement par cette dernière, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

  • 143.398,00 F, soit 21.860,88 €, à titre d'indemnité de départ à la retraite,

  • 30.000,00 F, soit 4.573,47 €, à titre de dommages et intérêts.

Par jugement avant-dire-droit au fond en date du 31 janvier 2002, la présente juridiction a commis Maître Claire NOTARI, Huissier de Justice à Monaco, à l'effet après s'être rendue au siège de l'établissement exploité en Principauté de Monaco par la société étrangère BANCA DI ROMA INTERNATIONAL :

– de se faire remettre les dossiers des salariés qui ont été admis à faire valoir leurs droits à la retraite au sein de la Banque Générale du Commerce durant les dix années ayant précédé la reprise de cet établissement par la société étrangère BANCA DI ROMA INTERNATIONAL,

– d'entendre le cas échéant tous sachants,

– de rechercher le montant de l'indemnité de départ à la retraite versée à chacun de ces salariés en précisant le nombre de mois de salaire qu'elle représente.

Le procès-verbal établi par Maître NOTARI ayant été déposé au secrétariat du Tribunal du Travail le 28 mars 2002, l'instance s'est normalement poursuivie jusqu'au 9 janvier 2003 date à laquelle l'affaire a été contradictoirement débattue et le jugement mis en délibéré pour être prononcé le 13 février 2003.

a RO fait valoir à l'appui de ses prétentions que les énonciations contenues dans le procès-verbal de constat combinées avec la télécopie émanant de la Banque Générale du Commerce démontrent l'existence de l'usage dont elle se prévaut.

Qu'en effet tous les employés qui ont fait valoir leurs droits à la retraite, depuis 1989, ont perçu à cette occasion de leur employeur un complément de prime, s'ajoutant à la prime de base prévue par la Convention Collective Monégasque des Banques, dès lors d'une part qu'ils justifiaient d'une ancienneté suffisante et d'autre part qu'ils n'avaient pas démérité au cours de leur carrière.

Qu'en conséquence le versement de cette gratification revêt bien en l'espèce un caractère constant fixe et général et constitue dès lors non pas une simple libéralité, mais un usage.

Elle estime dans ces conditions à partir du moment où elle justifie d'une ancienneté totale de quarante et un ans et neuf mois et n'a jamais été pendant cette longue durée sous l'empire d'une quelconque sanction, être en droit d'obtenir paiement par la BANCA DI ROMA des sommes suivantes :

  • 9.795,61 €, à titre de solde d'indemnité de départ à la retraite,

  • 4.573,45 €, à titre de dommages et intérêts.

La BANCA DI ROMA INTERNATIONAL conclut pour sa part au rejet de l'intégralité des prétentions formées à son encontre par a RO.

Elle invoque à cette fin en substance les moyens suivants :

– en versant à a RO lors de son départ à la retraite la somme de 72.197,05 F représentant, en ce compris la prime monégasque de 5 % très exactement 2,5 fois le salaire mensuel moyen de l'intéressée, calculé sur 14,5 mois, l'employeur s'est intégralement conformé aux prescriptions de la Convention Collective Monégasque du travail des personnels des banques,

– la BANCA DI ROMA INTERNATIONAL, que ce soit avant ou lors de la cession du fonds de commerce, n'a jamais été informée de l'existence au sein de la Banque Générale du Commerce en ce qui concerne l'indemnité de départ à la retraite d'un régime dérogatoire aux dispositions de la Convention Collective,

– l'avantage revendiqué par a RO ne revêt pas en tout état de cause, au vu des constations effectuées par l'Huissier commis par le Tribunal le caractère de fixité permettant de la considérer comme un élément de la rémunération, puisque son montant qui dépendait non seulement de l'ancienneté, mais aussi du mérite de l'intéressée, était laissé à l'entière discrétion de la direction de la Banque Générale du Commerce à Paris,

– à défaut pour cette gratification de satisfaire cumulativement aux trois conditions de généralité, constance et fixité exigées, cette dernière ne revêt aucun caractère obligatoire pour l'employeur.

a RO réplique pour sa part à ces divers arguments :

– qu'elle n'a même pas perçu l'indemnité prévue par la Convention Collective des Banques, puisque les constatations claires et non équivoques du mandataire de justice démontrent sans contestation possible que l'allocation de l'indemnité de carrière qui lui a été versée par la banque a été calculée sans tenir compte de l'indemnité monégasque de 5 %,

– que la BANCA DI ROMA s'est expressément engagée, lorsqu'elle a repris le fonds exploité en Principauté par la Banque Générale du Commerce, aux termes même du contrat de travail qu'elle lui a consenti, à maintenir le statut dont elle bénéficiait « dans tous ses effets et particularités » tels qu'il résulte de la position acquise avec la Banque Générale du Commerce.

SUR CE,

Il est constant en l'espèce que la BANCA DI ROMA, qui a repris selon acte du 27 décembre 1999 à compter du 1er mai 2000 l'établissement exploité en Principauté de Monaco depuis le 1er janvier 1993 par la Banque Générale du Commerce, se trouve soumise de plein droit aux dispositions de l'article 15 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, selon lequel « s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel entrepreneur et le personnel de l'entreprise ».

Que par ailleurs, selon acte sous seing privé en date du 9 mai 2000, intitulé contrat de travail, conclu entre a RO et la BANCA DI ROMA INTERNATIONAL SA, la banque a expressément « confirmé, en tant que de besoin qu'elle entendait maintenir le statut dont bénéficiait a RO dans tous ses effets et particularités, tel qu'il résulte de la position acquise avec la Banque Générale du Commerce ».

Le changement d'employeur n'entraînant pas la disparition de plein droit des usages appliqués au sein de l'entité reprise, la BANCA DI ROMA, à défaut de dénonciation régulière (individualisée d'une part et respectant un délai de prévenance d'autre part) des usages en vigueur à la date de la reprise au sein de la Banque Générale du Commerce, est tenue de s'y conformer.

Il résulte des constations effectuées à la demande de ce Tribunal par Maître NOTARI le 28 février 2002 au siège de l'établissement aujourd'hui exploité en Principauté de Monaco par la société étrangère BANCA DI ROMA INTERNATIONAL que tous les salariés qui ont été amenés à faire valoir leurs droits à la retraite au sein de cet établissement bancaire postérieurement au 1er janvier 1993, date de sa reprise par la Banque Générale du Commerce, ont perçu au moment de leur départ une indemnité dont le montant s'avère très largement supérieur à celui prévu par la Convention Collective Monégasque du travail des personnels des banques.

Qu'ainsi, alors que selon les termes de cet accord collectif (chapitre II Be) les agents terminant leur carrière après trente années de services doivent percevoir une indemnité équivalente à deux mois et demi de traitement brut, calculée sur la base d'un salaire annuel égal à 14,5 mois,

Messieurs RA, VE et OR ont reçu tous trois de leur employeur des sommes largement supérieures, à savoir :

  • 110.000,00 F, pour Monsieur RA au lieu de 60.832,57 F [(20.137,68 x 14,5 x 2,5) / 12],

  • 200.000,00 F, pour Monsieur VE au lieu de 104.487,60 F [(34.589 x 14,5 x 2,5) / 12],

  • 140.000,00 F, pour Monsieur OR au lieu de 65.844,07 F [(21.796,99 x 14,5 x 2,5) / 12].

Qu'en effet, selon les termes mêmes de la correspondance en date du 15 juin 2000 émanant de la Banque Générale du Commerce, annexée par Maître NOTARI à son procès-verbal de constat, il était d'usage au sein de cet établissement bancaire d'octroyer aux agents faisant valoir leurs droits à la retraite, en sus de la prime de base calculée selon les critères prévus par la Convention Collective Monégasque du Personnel des Banques, une prime SPÉCIFIQUE, dont le montant qui était fonction de l'ancienneté de l'agent concerné d'une part et de son mérite d'autre part, était décidé par la direction de Paris.

Pour revêtir le caractère d'un usage, et donc pouvoir être opposé au repreneur du fonds exploité par la Banque Générale du Commerce, l'avantage revendiqué par a RO doit revêtir un caractère constant, fixe et général.

À partir du moment où le complément d'indemnité sollicité par a RO a été systématiquement alloué par la direction de la Banque Générale du Commerce, au cours des sept années durant lesquelles cette dernière a exploité l'agence bancaire sise 6, Square Beaumarchais, à TOUS les salariés, sans aucune exception, ayant fait valoir leurs droits à la retraite, les conditions de constance et de généralité susvisées sont bien réunies en l'espèce.

Par ailleurs, si le montant de l'indemnité complémentaire servie par la banque aux différents salariés intéressés n'est certes pas strictement identique, il ressort toutefois d'une part des éléments recueillis par Maître NOTARI et d'autre part des renseignements fournis le 15 juin 2000 par la Banque Générale du Commerce que celle-ci représentait pour chaque bénéficiaire, environ six mois de salaire brut de base (hors indemnité de 5 %).

L'attribution de cet avantage ainsi que la détermination de sa valeur obéissant ainsi en définitive à des règles prédéfinies, constantes et reposant sur des critères suffisamment objectifs tant par rapport à l'employeur qu'au comportement personnel des salariés, il importe peu que son montant n'ait pas été calculé selon des règles arithmétiques précises.

Dès lors au contraire que cette prime suivait avec une approximation suffisante l'évolution de paramètres déterminés (plus ou moins six mois de salaire brut) la condition de fixité doit être considérée comme également remplie.

La BANCA DI ROMA INTERNATIONAL, qui était tenue à défaut de dénonciation régulière de se conformer à l'usage en vigueur à la date de reprise au sein de la Banque Générale du Commerce, aurait donc dû verser à a RO une indemnité de départ à la retraite représentant six mois de salaire de base brut (hors indemnité monégasque), soit une somme de 21.152,87 x 6 = 126.917,22 F.

Cette dernière n'ayant perçu en réalité qu'une somme de 72.197,04 F la BANCA DI ROMA doit être condamnée à lui verser la somme de 126.917,22 F – 72.197,04 = 54.720,16 F correspondant à 8.342,03 €, laquelle somme produira intérêts au taux légal à compter de la lettre de mise en demeure du 16 octobre 2000.

Sur la demande de dommages et intérêts

L'attitude fautive et la résistance abusive dont a fait preuve la banque en l'espèce justifie par ailleurs l'allocation au profit d'a RO, qui a dû exposer des frais pour faire valoir ses droits, d'une somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur l'exécution provisoire

La demande à cette fin n'étant assortie d'aucune justification particulière l'exécution provisoire, de la présente décision, qui n'apparaît au surplus pas nécessaire, n'a pas lieu d'être ordonnée.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Vu le jugement avant-dire-droit en date du 31 janvier 2002.

Vu le procès-verbal de constat dressé le 28 février 2002 par Maître NOTARI, Huissier de Justice à Monaco.

Condamne la Société Étrangère BANCA DI ROMA INTERNATIONAL à payer à a RO les sommes suivantes :

  • 8.342,03 euros, (huit mille trois cent quarante-deux euros et trois centimes), représentant le solde lui restant dû sur l'indemnité de départ à la retraite, laquelle somme portera intérêts de retard au taux légal à compter du 16 octobre 2000,

  • 2.000,00 euros, (deux mille euros), à titre de dommages et intérêts.

Déboute a RO du surplus de ses prétentions.

Condamne la Société Étrangère BANCA DI ROMA INTERNATIONAL aux dépens, en ce compris ceux du jugement avant-dire-droit du 31 janvier 2002 et le coût du procès-verbal de constat en date du 28 février 2002.

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