Tribunal du travail, 26 septembre 2002, l DE c/ la copropriété Fontvieille Industries

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Abstract🔗

Licenciement pour inaptitude physique partielle et provisoire - Absence de vérifications suffisantes - Licenciement sans motif valable et abusif

Résumé🔗

L'employeur qui n'est pas tenu, en droit positif monégasque, d'une obligation de reclassement à l'égard des salariés reconnus définitivement inaptes à leur emploi, doit cependant vérifier, en fonction du caractère des restrictions médicales et des conditions d'exercice de la fonction, si le salarié est en mesure de remplir ses attributions.

Un agent de sécurité temporairement et partiellement inapte à son poste avait été licencié par la copropriété qui l'employait depuis près de cinq ans. S'estimant licencié sans motif valable, il avait engagé une action devant le tribunal du travail en paiement d'indemnités de rupture et dommages et intérêts. Il soutenait que les restrictions partielles et temporaires formulées par le médecin du travail ne permettaient pas un licenciement estimé brutal.

La copropriété tenait l'inaptitude médicalement constatée pour incompatible avec le maintien dans une équipe de sécurité, tandis que, par ailleurs, aucune règle n'imposait à l'employeur de reclasser le salarié. En bénéficiant de l'indemnité de licenciement à laquelle, il ne pouvait prétendre et en se voyant proposer de le réintégrer dans son emploi, le salarié avait été, selon la copropriété, rempli de ses droits et avait bénéficié de considérations.

Le Tribunal du travail rappelle que si l'inaptitude physique même simplement partielle constitue un motif valable de rupture du contrat de travail, encore faut-il toutefois que cette inaptitude ait été médicalement constatée et ne revête pas un caractère temporaire. En l'espèce les conclusions des médecins établissaient le caractère temporaire de l'inaptitude. Certes, si l'employeur n'est tenu, en droit monégasque, d'aucune obligation de reclassement, le caractère très limité des restrictions formulées par le médecin du travail et les conditions particulières d'exercice du métier d'agent de sécurité permettaient au salarié, moyennant des aménagements minimes,de remplir ses attributions.

L'inaptitude partielle et provisoire du salarié ne constituait donc pas un motif valable de rupture qui, intervenue six jours après l'avis d'aptitude conditionnelle, sans vérification concrète des possibilités pour l'intéressé de remplir la totalité de ses fonctions, présentait un caractère abusif.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 22 novembre 2000 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 12 décembre 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de Monsieur l. DE., en dates des 11 janvier 2001, 18 octobre 2001, 10 janvier 2002 et 21 mars 2002 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de la COPROPRIÉTÉ FONTVIEILLE INDUSTRIES, en dates des 3 mai 2001, 22 novembre 2001 et 21 février 2002 ;

Après avoir entendu Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur l. DE., et Maître Alexis MARQUET, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la COPROPRIÉTÉ FONTVIEILLE INDUSTRIES, en leurs plaidoiries ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal.

Vu les pièces du dossier ;

Embauché par la copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES le 22 septembre 1995, en qualité d'agent de sécurité IGH, l. DE. a été licencié de son emploi, par une lettre recommandée avec avis de réception en date du 11 mai 2000, dont le contenu s'avère le suivant :

« Monsieur,

» Faisant référence au certificat médical de l'Office de la Médecine du Travail et à leur (sic) prescription incompatible avec votre activité au sein de l'équipe de sécurité du bâtiment, sans possibilité de reclassement, nous vous notifions par le présent courrier votre licenciement.

« Compte tenu du fait que vous n'êtes pas en mesure d'effectuer votre préavis dans des conditions normales, votre licenciement prend effet à la date du 10 mai 2000 et vous serez rayé de l'effectif du personnel ce même jour» .

Soutenant que le licenciement dont il avait fait l'objet revêtait un caractère abusif, en ce que le motif invoqué à l'appui de cette mesure était à la fois irrégulier et fallacieux, l. DE., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 11 décembre 2000, a attrait la copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, d'une somme de 50.000,00 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice tant matériel que moral qu'il a subi.

À l'audience fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après onze renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue le 13 juin 2002 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 26 septembre 2002.

l. DE. soutient tout d'abord à l'appui de ses prétentions, que le motif de rupture de son contrat de travail, dont s'est prévalu son employeur, est à la fois irrégulier et fallacieux.

Il fait valoir sur ce premier point que la limitation temporaire et provisoire prescrite le 5 mai 2000 par le Docteur SAINTE-MARIE (pas de station debout de plus d'une heure pas plus de quatre heures par jour au total, ceci pendant trois mois) ne l'empêchait nullement, au regard de l'organisation particulière des services de sécurité (service central assuré en permanence par trois agents, rondes ne dépassant pas en temps normal quarante-cinq minutes, etc.), de remplir ses obligations envers la copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES.

Qu'en outre les restrictions, partielles et temporaires, formulées par le Médecin du Travail ne peuvent juridiquement s'analyser en un avis d'inaptitude à l'exercice des fonctions pour lesquelles il avait été embauché.

Il souligne, à cet effet, que le caractère éminemment provisoire de ces restrictions est démontré par le résultat des examens médicaux qu'ont réalisé sur sa personne les 12 juillet et 28 août 2000 les Docteurs IMPERTI et COCARD, ces praticiens l'ayant tous deux estimé apte à 100 % à son métier d'agent de sécurité d'immeuble de grande hauteur.

Il estime par ailleurs que son ancien employeur, à défaut de l'avoir soumis aux épreuves déterminantes de la valeur fonctionnelle et du contrôle de sa faculté d'équilibre, est particulièrement mal fondé à se prévaloir des dispositions de l'article 7 alinéa 5 de l'Arrêté Ministériel n° 83-383 ; qu'en outre, et contrairement à ce que soutient fallacieusement la Copropriété, la dérogation accordée le 22 avril 1985 par le Ministre d'État n'impose nullement que les agents de sécurité soient dûment qualifiés et en pleine possession de leurs moyens mais autorise simplement la création, au sein des immeubles de grande hauteur de Fontvieille, d'un poste central de sécurité commun « avec la présence en permanence de trois agents de sécurité ».

Il fait enfin observer qu'en lui accordant le bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845, la Copropriété a implicitement mais nécessairement reconnu le caractère irrégulier et fallacieux du motif de rupture qu'elle avait invoqué.

l. DE. prétend en second lieu qu'en le licenciant brutalement, sans même lui avoir laissé la possibilité de démontrer et de confirmer son aptitude, sur la base d'un motif à la fois irrégulier et fallacieux, la Copropriété a fait un usage abusif du droit unilatéral de rupture qui lui est reconnu par la loi.

Qu'il ne saurait en outre lui être fait grief d'avoir refusé la proposition de réembauchage tardivement formulée par la copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES, dès lors qu'il venait juste de retrouver un emploi identique auprès du Groupe PASTOR, à des conditions financières plus avantageuses.

Il demande en conséquence au Tribunal du Travail de réparer le préjudice, essentiellement d'ordre moral, qu'il a subi en lui allouant une somme de 50.000,00 F à titre de dommages et intérêts.

Soutenant pour sa part que le licenciement de l. DE. repose sur un motif valable et ne revêt d'autre part aucun caractère abusif, la copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES conclut au rejet de l'intégralité des prétentions formées à son encontre par ce salarié.

Elle invoque à cette fin en substance les moyens suivants :

  • l. DE. a été licencié en raison de son inaptitude partielle, médicalement constatée, laquelle rendait incompatible, compte tenu de la législation en vigueur, son maintien dans une équipe de sécurité affectée à la protection d'un ensemble industriel classé IGH,

  • le poste central de sécurité, tel qu'il est défini par l'autorité administrative, exige en effet que les rondiers qui se relaient par période de huit heures vérifient en permanence l'ensemble des trente-six établissements placés sous leur responsabilité par des rondes à pied, tout en demeurant en liaison radio avec leur poste central de sécurité, tâche que l. DE. ne pouvait manifestement effectuer,

  • aucune règle n'imposant à l'employeur de procéder par voie de reclassement à l'engagement de l. DE. dans d'autres fonctions, l'inaptitude médicalement constatée de l'intéressé à son poste de travail constitue bien un motif valable de rupture de son contrat de travail,

  • la Copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES ayant fait preuve, en l'espèce, de diligences et de considérations à l'égard de l. DE.,

  • en lui accordant le bénéfice de l'indemnité de licenciement à laquelle il ne pouvait prétendre,

  • en prenant à sa charge une contre visite médico-légale par un médecin agréé en matière d'aptitude IGH,

  • en proposant immédiatement à ce salarié de le réintégrer dans son emploi aux mêmes conditions de travail que précédemment, le licenciement ne peut être qualifié d'abusif.

  • l. DE., qui a retrouvé très rapidement un emploi similaire en Principauté et n'a donc pas accepté par convenance personnelle, la réintégration qui lui était proposée, ne justifie en tout état de cause d'aucun préjudice.

Estimant en outre que l. DE. n'a pu raisonnablement se méprendre sur l'étendue de ses droits, elle demande que le caractère abusif de la procédure introduite à son encontre soit sanctionné par l'allocation à son profit d'une somme de 1.524,49 € à titre de dommages et intérêts.

SUR CE,

Si l'inaptitude physique, même simplement partielle, d'un salarié à son emploi constitue certes un motif valable de rupture du contrat de travail, encore faut-il toutefois que cette inaptitude d'une part ait été médicalement constatée et d'autre part ne revête pas un caractère purement temporaire.

En l'espèce il résulte des pièces versées aux débats que l. DE., qui avait été embauché le 22 septembre 1995 par la copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES en qualité d'agent de sécurité IGH, a dû subir en raison d'une pathologie affectant son genou gauche une intervention chirurgicale dans le courant du premier trimestre 2000 ; qu'après une absence totale de deux mois (au cours des mois de mars et avril 2000), ce dernier a été examiné, à la demande de son employeur, le 5 mai 2000 par le Docteur SAINTE-MARIE, Médecin du Travail, lequel l'a déclaré apte à la reprise à plein temps de son poste de travail, sous la seule réserve suivante : « sans station debout de plus d'une heure d'affilée, pas plus de quatre heures par jour au total ceci pendant trois mois – à revoir dans trois mois ».

Compte tenu du caractère doublement limité de cette restriction, l'inaptitude de l. DE. à son emploi revêtait à l'évidence, un caractère non seulement partiel, mais aussi et surtout provisoire.

Le caractère éminemment temporaire de cette inaptitude se trouve en effet indiscutablement établi par les conclusions des examens pratiqués dès le 12 juillet 2000 (soit à peine deux mois après l'avis du Médecin du Travail) par le Docteur IMPERTI à la demande de la copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES puis le 28 août 2000 par le Docteur COCARD, Médecin du Travail, à la demande du nouvel employeur de l. DE., ces praticiens ayant tous deux considéré l'intéressé « comme apte à 100 % à son métier d'agent de sécurité de grande hauteur ».

Par ailleurs, si l'employeur n'est certes tenu, en droit positif monégasque, à l'égard des salariés déclarés définitivement inaptes à leur emploi, d'aucune obligation de reclassement, il apparaît toutefois en l'espèce, qu'en l'état d'une part du caractère très limité des restrictions formulées par le Médecin du Travail, et d'autre part des conditions particulières d'exercice du métier d'agent de sécurité au sein de la copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES (travail par équipe de trois agents – alternance de périodes de rondes et de service de permanence au poste central), l. DE. était en mesure, moyennant des aménagements minimes de remplir la totalité des attributions pour lesquelles il avait été embauché.

L'employeur ne peut en effet valablement se retrancher derrière les dispositions de l'article 9 alinéa 5 de l'Arrêté du 31 mai 1978 alors qu'il ne démontre par aucune pièce que l. DE. ne satisfaisait pas à la date du 5 mai 2000 « aux épreuves déterminantes de la valeur fonctionnelle et du contrôle de la faculté d'équilibre ».

Dès lors c'est à juste titre que l'intéressé soutient que son inaptitude partielle et provisoire ne constituait pas un motif valable de rupture de son contrat de travail et qu'il a donc été licencié pour un faux motif.

En mettant fin dès le 11 mai 2000, soit six jours à peine après l'avis d'aptitude conditionnel émis par le Docteur SAINTE-MARIE, au contrat de travail de l. DE., sans avoir au préalable concrètement vérifié si l'intéressé était en mesure de remplir la totalité des fonctions pour lesquelles il avait été embauché, la copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES a agi avec une précipitation certaine, doublée d'une grande légèreté, lesquelles confèrent indiscutablement, associées au faux motif allégué, au licenciement de l'intéressé un caractère abusif.

Il ne saurait en effet sérieusement être fait grief à l. DE. d'avoir refusé la proposition de réintégration qui lui a été tardivement adressée par la copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES dès lors que :

1) pour bénéficier de cette offre l'intéressé devait préalablement rembourser la somme de 21.472,30 F, représentant les indemnités liées à sa fin de contrat,

2) ce dernier venait d'être embauché, en la même qualité mais à des conditions financières plus avantageuses, par la SAM PASTOR.

Dans ces conditions le préjudice non seulement matériel (deux mois de chômage) mais aussi et surtout moral subi par l. DE. sera justement réparé, au regard notamment de l'ancienneté de services (cinq années) de ce salarié, par l'allocation à son profit d'une somme de 7.500,00 € à titre de dommages et intérêts.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de l. DE. par la Copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES revêt un caractère abusif.

Condamne en conséquence la Copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES à verser à l. DE. la somme de :

• 7.500,00 euros, (sept mille cinq cent euros), à titre de dommages et intérêts.

Condamne la Copropriété FONTVIEILLE INDUSTRIES aux entiers dépens.

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