Tribunal du travail, 20 juin 2002, Consorts A. c/ SAM Silvatrim

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Abstract🔗

Contrat de travail

Modification des conditions de travail : déclassement, à titre de sanction disciplinaire, entraînant une diminution de salaire - Refus de l'employé d'occuper le nouvel emploi proposé - Non-autorisation de licenciement de l'employé délégué du personnel (Commission instituée par l'article 16 de la loi n° 639 du 11 janvier 1958 modifiant loi n° 459 du 19 juillet 1947) - Obligation de l'employeur de réintégrer l'intéressé à son poste habituel de travail

Résumé🔗

Embauché le 17 avril 1972 par la SAM Silvatrim en qualité de manutentionnaire, N. A. a été par la suite affecté, à partir de l'année 1974, à l'emploi de conducteur de machine (extrudeur) ;

Alors qu'il se trouvait ainsi en dernier lieu classé au coefficient 220 de la grille de rémunération des ouvriers prévue par la Convention collective appliquée au sein de la SAM Silvatrim (Convention collective de la transformation des matières plastiques), N. A. s'est vu notifier par son employeur, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 7 octobre 1996, à titre de sanction disciplinaire, un déclassement.

Il lui était ainsi indiqué, aux termes de cette correspondance, qu'il serait affecté à compter du 8 octobre 1966 à l'atelier du 9e étage, en équipe 92, en qualité d'agent de production, 4e degré, emploi classé au coefficient 155 de la Convention collective susvisée, soit une diminution de salaire de 8 637,59 F à 6 851,67 F.

Estimant que la sanction qui lui avait été infligée était d'une part disproportionnée aux éventuels manquements commis par ses soins et d'autre part infamante, N. A. a indiqué à son employeur, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 9 octobre 1996 dont le contenu a été ultérieurement confirmé lors d'une réunion en date du 24 octobre 1996, qu'il refusait la mutation qui lui avait été unilatéralement imposée.

Soutenant pour sa part que ce refus constituait une faute d'une gravité telle qu'elle faisait obstacle à la « continuation » du contrat de travail de N. A., la SAM Silvatrim, au regard de la qualité de salarié protégé de l'intéressé (N. A. occupait au sein de l'entreprise les fonctions de délégué du personnel depuis 1986 et de délégué syndical depuis 1993), a saisi la Commission instituée par l'article 16 de la loi n° 639 d'une demande tendant à obtenir l'autorisation de la licencier.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 24 octobre 1996, la SAM Silvatrim notifiait en outre à N. A., sur le fondement des dispositions de l'article de 16 alinéa 2 de la loi n° 639 susvisée, en l'état de la gravité de la faute commise sa mise à pied immédiate, à titre conservatoire.

L'autorisation de licenciement ayant été refusée le 7 novembre 1996 par la Commission compétente, la SAM Silvatrim, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 8 novembre 1996, informait N. A. que son contrat de travail « demeurait en vigueur » et qu'il lui appartenait en conséquence de rejoindre dès lundi 11 novembre 1996 le poste d'agent de production qui lui avait été assigné en dernier lieu après application de la sanction dont celui-ci avait fait l'objet.

N. A. ayant fait savoir à son employeur par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 novembre 1996 que refusant toujours la mutation qui lui avait été imposée, il ne rejoindrait pas le poste d'agent de production qui lui avait été unilatéralement assigné, la SAM Silvatrim, après avoir pris acte de ce refus, a informé son salarié par courrier du même jour que sauf reprise du travail sans délai au poste qui lui avait été assigné, elle serait contrainte de constater qu'il avait cessé l'exécution de son travail, cette inexécution ayant notamment pour conséquence de le priver de salaire.

Soutenant qu'une telle attitude de la part de l'employeur était constitutive d'une voie de fait manifeste, N. A., par exploit d'huissier en date du 7 février 1997 a assigné la SAM Silvatrim en référé devant le Président du tribunal de première instance, afin d'entendre ordonner son maintien au poste d'extrudeur coefficient 220 niveau III échelon B dès le prononcé de l'Ordonnance à intervenir ainsi que son rétablissement dans ses droits au salaire correspondant à cette qualification, à compter du 9 octobre 1996, le tout sous astreinte comminatoire de 1 000 F par jour de retard.

Par décision en date du 6 mai 1997, le Président du Tribunal de première instance a ordonné, avec toutes conséquences de droit à effet du 8 octobre 1996, la réintégration de N. A. dans son poste d'extrudeur (coefficient 220 - niveau III - échelon B).

Estimant d'une part que le Juge des référés, en l'absence de justification d'un trouble manifestement illicite, avait excédé ses pouvoirs, et d'autre part que le litige qui lui était soumis ressortait de la compétence d'attribution exclusive du Tribunal du travail, la Cour d'appel, par arrêt en date du 17 février 1998, a infirmé l'Ordonnance susvisée et statuant à nouveau dit n'y avoir lieu à référé.

Considérant pour sa part qu'à la suite de la décision administrative refusant d'autoriser le licenciement de N. A., alors au surplus que la mesure de licenciement était consécutive au refus du salarié d'accepter son nouveau poste de travail, l'employeur avait, conformément aux dispositions de l'article 16 de la loi n° 459, l'obligation de réintégrer ce salarié dans son emploi en lui maintenant ses conditions de travail antérieures toute modification desdites conditions, imposée par l'employeur et refusée par le salarié protégé, faisant naître alors une voie de fait à laquelle le Juge des référés devait mettre fin, la Cour de Révision, par arrêt en date du 7 octobre 1999, a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 17 février 1998 entre les parties par la Cour d'appel et statuant sans renvoi, dit que l'Ordonnance de référé rendue le 6 mai 1997 par le Président du Tribunal de première instance de la Principauté de Monaco sortirait son plein et entier effet.

N'ayant pu obtenir de son employeur, nonobstant les termes de cet arrêt, le règlement des salaires perdus du fait du refus qui lui avait été opposé, pendant la période du 8 octobre 1996 au 30 novembre 1997, N. A., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 19 février 2001, a attrait la SAM Silvatrim devant le Bureau de Jugement du tribunal du travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, avec intérêts de droit et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :...

Aucune modification de son contrat et aucun changement de ses conditions de travail ne pouvant être imposés, même à titre disciplinaire, à un salarié protégé, la SAM Silvatrim avait en l'espèce, à la suite de la décision administrative ayant refusé d'autoriser le licenciement de N. A., l'obligation de réintégrer immédiatement l'intéressé à son poste de travail en lui maintenant ses conditions de travail antérieures, sans pouvoir exiger de ce dernier qu'il saisisse préalablement le Juge du fond d'une demande d'annulation d'une sanction qui ne pouvait valablement, compte tenu de sa nature, lui être infligée.

Dès lors par ailleurs que la société défenderesse, en suite de l'arrêt rendu le 7 octobre 1998 par la Cour de Révision, n'a pas cru devoir substituer une autre sanction à celle que la Haute cour avait déclaré impossible à infliger, l'argumentation tendant à établir devant la présente juridiction que le comportement professionnel de N. A. aurait du être sanctionné est radicalement inopérante.

Enfin la SAM Silvatrim ne peut sérieusement soutenir, pour tenter d'excuser la voie de fait délibérée dont elle s'est rendue coupable, que N. A., à défaut d'avoir fourni à son employeur la contrepartie prévue par l'article 1er de la loi n° 739, ne pourrait prétendre pour la période du 8 octobre 1996 au 19 mai 1997 au paiement de son salaire, alors qu'il résulte à suffisance des pièces du dossier que l'inexécution par l'intéressé de sa prestation de travail est exclusivement imputable à l'attitude de l'employeur, lequel lui a obstinément et délibérément interdit l'accès à son poste habituel d'extrudeur.

Il y a lieu dans ces conditions de faire intégralement droit à la demande de rappel de salaires formée par des héritiers de N. A., dont le mode de calcul et de décompte précis n'ont donné lieu à aucune observation de la part de la SAM Silvatrim, en condamnant cette société au paiement, déduction faite des indemnités reçues de la CCSS pendant la période de maladie, de la somme totale de 64 523,72 F soit 9 836,58 € outre 6 452,37 F soit 983,65 € au titre des congés payés y afférents.

L'entêtement dont a fait preuve en l'espèce la SAM Silvatrim, en se refusant, nonobstant les décisions judiciaires rendues à son encontre, à réintégrer N. A. à son poste habituel de travail ainsi que dans tous ses droits, doit en outre être sanctionné par l'allocation au profit de l'intéressé, qui n'a retrouvé son poste de travail le 17 mai 1997 que grâce à l'action concertée de tous les salariés de l'entreprise, de légitimes dommages et intérêts.

Compte tenu de l'ampleur du préjudice, tant matériel que moral subi par l'intéressé, qui s'est retrouvé, alors qu'il avait une épouse et deux enfants à charge sans aucune ressource pendant près de huit mois, la somme de 50 000,00 F, soit 7 622,45 € réclamée par ses héritiers ne revêt aucun caractère excessif, et leur sera en conséquence intégralement allouée.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Vu les pièces du dossier ;

Embauché le 17 avril 1972 par la SAM Silvatrim en qualité de manutentionnaire, N. A. a été par la suite affecté, à partir de l'année 1974, à l'emploi de conducteur de machine (extrudeur) ;

Alors qu'il se trouvait ainsi en dernier lieu classé au coefficient 220 de la grille de rémunération des ouvriers prévue par la Convention collective appliquée au sein de la SAM Silvatrim (Convention collective de la transformation des matières plastiques), N. A. s'est vu notifier par son employeur, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 7 octobre 1996, à titre de sanction disciplinaire, un déclassement.

Il lui était ainsi indiqué, aux termes de cette correspondance, qu'il serait affecté à compter du 8 octobre 1996 à l'atelier du 9e étage, en équipe 92, en qualité d'agent de production, 4e degré, emploi classé au coefficient 155 de la Convention collective susvisée, soit une diminution de salaire de 8 637,59 F à 6 851,67 F.

Estimant que la sanction qui lui avait été infligée était d'une part disproportionnée aux éventuels manquements commis par ses soins et d'autre part infamante, N. A. a indiqué à son employeur, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 9 octobre 1996 dont le contenu a été ultérieurement confirmé lors d'une réunion en date du 24 octobre 1996, qu'il refusait la mutation qui lui avait été unilatéralement imposée.

Soutenant pour sa part que ce refus constituait une faute d'une gravité telle qu'elle faisait obstacle à la « continuation » du contrat de travail de N. A., la SAM Silvatrim, au regard de la qualité de salarié protégé de l'intéressé (N. A. occupait au sein de l'entreprise les fonctions de délégué du personnel depuis 1986 et de délégué syndical depuis 1993), a saisi la Commission instituée par l'article 16 de la loi n° 639 d'une demande tendant à obtenir l'autorisation de le licencier.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 24 octobre 1996, la SAM Silvatrim notifiait en outre à N. A., sur le fondement des dispositions de l'article 16 alinéa 2 de la loi n° 639 susvisée, en l'état de la gravité de la faute commise sa mise à pied immédiate, à titre conservatoire.

L'autorisation de licenciement ayant été refusée le 7 novembre 1996 par la Commission compétente, la SAM Silvatrim, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 8 novembre 1996, informait N. A. que son contrat de travail « demeurait en vigueur » et qu'il lui appartenait en conséquence de rejoindre dès lundi 11 novembre 1996 le poste d'agent de production qui lui avait été assigné en dernier lieu après application de la sanction dont celui-ci avait fait l'objet.

N. A. ayant fait savoir à son employeur par lettre recommandée avec avis de réception du 13 novembre 1996 que refusant toujours la mutation qui lui avait été imposée, il ne rejoindrait pas le poste d'agent de production qui lui avait été unilatéralement assigné, la SAM Silvatrim, après avoir pris acte de ce refus, a informé son salarié par courrier du même jour que sauf reprise du travail sans délai au poste qui lui avait été assigné, elle serait contrainte de constater qu'il avait cessé l'exécution de son travail, cette inexécution ayant notamment pour conséquence de le priver de salaire.

Soutenant qu'une telle attitude de la part de l'employeur était constitutive d'une voie de fait manifeste, N. A., par exploit d'huissier en date du 7 février 1997 a assigné la SAM Silvatrim en référé devant le Président du Tribunal de première instance, afin d'entendre ordonner son maintien au poste d'extrudeur coefficient 220 niveau III échelon B dès le prononcé de l'Ordonnance à intervenir ainsi que son rétablissement dans ses droits au salaire correspondant à cette qualification, à compter du 9 octobre 1996, le tout sous astreinte comminatoire de 1 000,00 F par jour de retard.

Par décision en date du 6 mai 1997, le Président du Tribunal de première instance a ordonné, avec toutes conséquences de droit à effet du 8 octobre 1996, la réintégration de N. A. dans son poste d'extrudeur (coefficient 220 niveau III - échelon B).

Estimant d'une part que le Juge des référés, en l'absence de justification d'un trouble manifestement illicite, avait excédé ses pouvoirs, et d'autre part que le litige qui lui était soumis ressortait de la compétence d'attribution exclusive du Tribunal du travail, la Cour d'appel, par arrêt en date du 17 février 1998, a infirmé l'Ordonnance susvisée et statuant à nouveau dit n'y avoir lieu à référé.

Considérant pour sa part qu'à la suite de la décision administrative refusant d'autoriser le licenciement de N. A., alors au surplus que la mesure de licenciement était consécutive au refus du salarié d'accepter son nouveau poste de travail, l'employeur avait, conformément aux dispositions de l'article 16 de la loi n° 459, l'obligation de réintégrer ce salarié dans son emploi en lui maintenant ses conditions de travail antérieures toute modification desdites conditions, imposée par l'employeur et refusée par le salarié protégé, faisant naître alors une voie de fait à laquelle le Juge des référés devait mettre fin, la Cour de Révision, par arrêt en date du 7 octobre 1999, a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 17 février 1998 entre les parties par la Cour d'appel et statuant sans renvoi, dit que l'Ordonnance de référé rendue le 6 mai 1997 par le Président du Tribunal de première instance de la Principauté de Monaco sortirait son plein et entier effet.

N'ayant pu obtenir de son employeur, nonobstant les termes de cet arrêt, le règlement des salaires perdus du fait du refus qui lui avait été opposé, pendant la période du 8 octobre 1996 au 30 novembre 1997, N. A., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 19 février 2001, a attrait la SAM Silvatrim devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, avec intérêts de droit et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

  • 64 528,32 F, à titre de rappel de salaires,

  • 6 452,83 F, au titre des congés payés s'y rapportant,

  • 50 000,00 F, à titre de dommages et intérêts pour non-paiement en temps voulu des salaires dus et résistance abusive.

N. A. étant décédé le 28 mai 2001, l'instance introduite par ce dernier a été reprise, aux termes des conclusions déposées à cette fin le 18 septembre 2001 par leur conseil, par ses héritiers à savoir :

  • C. A.,

  • S. A.

ses enfants, cette dernière mineure étant régulièrement représentée par sa mère :

  • D. H., veuve A., son épouse.

Après huit renvois intervenus à la demande des parties, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 2 mai, et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 20 juin 2002.

Après avoir rappelé qu'en application de l'article 419 du Code de procédure civile les ordonnances de référé, qui emportent l'exécution provisoire, sont exécutoires sur minute, les héritiers de N. A. soutiennent que l'Ordonnance du 6 février 1997, dont la force exécutoire a été confirmée par l'Arrêt rendu le 7 octobre 1998 par la Cour de Révision, aurait dû être exécutée par la SAM Silvatrim en toutes ses dispositions.

Qu'à défaut d'exécution amiable ils sont donc fondés à requérir l'exécution forcée de cette Ordonnance, laquelle rétablit N. A. dans tous ses droits à compter du 8 octobre 1996 ; qu'en conséquence la SAM Silvatrim doit être condamnée à leur verser le montant du salaire dû à ce dernier pour un poste d'extrudeur coefficient 220 niveau III échelon B depuis le 8 octobre 1996, soit au total une somme de 64 523,72 F, outre 6 452,37 F représentant les congés payés y afférents.

Ils estiment par ailleurs que le motif invoqué par la SAM Silvatrim pour tenter de justifier sa carence, à savoir l'absence d'exécution pendant la période du 8 octobre 1996 au mois de mai 1997 de toute prestation de travail, ne peut être retenu par le Tribunal dès lors que cette absence de contrepartie au salaire trouve exclusivement son origine dans le refus opposé à N. A. d'occuper son poste d'extrudeur.

Qu'en outre, à partir du moment où la rétrogradation qui lui avait été unilatéralement imposée s'analysait bien en une modification substantielle de son contrat de travail, l'employeur avait l'obligation, dès qu'il a eu connaissance de la décision rendue par la Commission de licenciement, de le réintégrer à son poste de travail initial avec maintien des conditions d'emploi et de rémunérations antérieures.

Soulignant enfin qu'en refusant obstinément, nonobstant les décisions de justice rendues à son encontre et les mises en demeure qui lui ont été consécutivement notifiées, de régler à N. A. le montant de son solde de salaire, la SAM Silvatrim a fait preuve d'une résistance pour le moins abusive, causant ainsi à ce dernier qui s'est retrouvé de ce fait plongé dans une situation pécuniaire et morale extrêmement difficile, un préjudice considérable, les héritiers de N. A. demandent au Tribunal du travail de faire droit à l'intégralité de leurs prétentions, telles qu'elles ont été exposées et détaillées ci-dessus.

La SAM Silvatrim conclut pour sa part au rejet de l'intégralité des demandes formées à son encontre par les héritiers de N. A.

Elle fait valoir à cet effet, en substance, les moyens suivants :

• l'ordonnance rendue par le Juge des référés n'étant qu'une décision conservatoire, ne préjudiciant pas au fond du litige, il appartenait à N. A. de saisir la juridiction compétente, à savoir le tribunal du travail, afin que cette dernière se prononce sur la légitimité de la sanction qui lui avait été infligée ; dès lors que ce dernier n'a pas soumis en temps et en heure ce problème au Juge du Fond, choisissant au contraire délibérément de ne pas reprendre son travail, ses héritiers ne peuvent aujourd'hui réclamer a posteriori au même Juge la réparation d'un préjudice qui n'est que la conséquence d'une situation que leur auteur a lui-même créée,

• en tout état de cause, à défaut pour N. A. d'avoir fourni pendant toute la période couverte par sa réclamation la prestation de travail qui constitue en application de l'article 1er de la loi n° 739 la contrepartie du salaire que ses héritiers réclament aujourd'hui, cette demande ne peut qu'être rejetée.

Les consorts A. répliquent à leur tour à cette argumentation que N. A. n'avait pas à demander au Juge du Fond l'annulation d'une sanction qui consistait en une mutation, puisqu'il a été jugé par la Cour de Révision que le maintien d'une telle sanction, refusée par le salarié protégé, faisait naître une voie de fait à son encontre ; qu'en outre et à toutes fins utiles les erreurs professionnelles reprochées à N. A. par son employeur ne pouvaient, dès lors qu'il ne s'agit pas de fautes, donner lieu à sanction disciplinaire.

Sur ce :

Aucune modification de son contrat et aucun changement de ses conditions de travail ne pouvant être imposés, même à titre disciplinaire, à un salarié protégé, la SAM Silvatrim avait en l'espèce, à la suite de la décision administrative ayant refusé d'autoriser le licenciement de N. A., l'obligation de réintégrer immédiatement l'intéressé à son poste de travail en lui maintenant ses conditions de travail antérieures, sans pouvoir exiger de ce dernier qu'il saisisse préalablement le Juge du Fond d'une demande d'annulation d'une sanction qui ne pouvait valablement, compte tenu de sa nature, lui être infligée.

Dès lors par ailleurs que la société défenderesse, en suite de l'arrêt rendu le 7 octobre 1998 par la Cour de Révision, n'a pas cru devoir substituer une autre sanction à celle que la Haute cour avait déclaré impossible à infliger, l'argumentation tendant à établir devant la présente juridiction que le comportement professionnel de N. A. aurait dû être sanctionné est radicalement inopérante.

Enfin la SAM Silvatrim ne peut sérieusement soutenir, pour tenter d'excuser la voie de fait délibérée dont elle s'est rendue coupable, que N. A., à défaut d'avoir fourni à son employeur la contrepartie prévue par l'article 1er de la loi n° 739, ne pourrait prétendre pour la période du 8 octobre 1996 au 19 mai 1997 au paiement de son salaire, alors qu'il résulte à suffisance des pièces du dossier que l'inexécution par l'intéressé de sa prestation de travail est exclusivement imputable à l'attitude de l'employeur, lequel lui a obstinément et délibérément interdit l'accès à son poste habituel d'extrudeur.

Il y a lieu dans ces conditions de faire intégralement droit à la demande de rappel de salaires formée par les héritiers de N. A., dont le mode de calcul et le décompte précis n'ont donné lieu à aucune observation de la part de la SAM Silvatrim, en condamnant cette société au paiement, déduction faite des indemnités reçues de la CCSS pendant la période de maladie, de la somme totale de 64 523,72 F soit 9 836,58 € outre 6 452,37 F soit 983,65 € au titre des congés payés y afférents.

L'entêtement dont a fait preuve en l'espèce la SAM Silvatrim, en se refusant, nonobstant les décisions judiciaires rendues à son encontre, à réintégrer N. A. à son poste habituel de travail ainsi que dans tous ses droits, doit en outre être sanctionné par l'allocation au profit de l'intéressé, qui n'a retrouvé son poste de travail le 17 mai 1997 que grâce à l'action concertée de tous les salariés de l'entreprise, de légitimes dommages et intérêts.

Compte tenu de l'ampleur du préjudice, tant matériel que moral subi par l'intéressé, qui s'est retrouvé, alors qu'il avait une épouse et deux enfants à charge sans aucune ressource pendant près de huit mois, la somme de 50 000 F, soit 7 622,45 € réclamée par ses héritiers ne revêt aucun caractère excessif, et leur sera en conséquence intégralement allouée.

Compte tenu du caractère non sérieusement contestable et de l'ancienneté de la créance des consorts A. à l'encontre de la SAM Silvatrim, il convient d'assortir la présente décision du bénéfice de l'exécution provisoire, dans les conditions et limites définies par l'article 60 de la loi du 16 mai 1946.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS ;

Le Tribunal du travail,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Condamne la Société Anonyme Monégasque Silvatrim à payer aux héritiers de N. A., les sommes suivantes :

  • 9 836,58 euros, (neuf mille huit cent trente six euros et cinquante huit centimes), à titre de rappel de salaires,

  • 983,65 euros, (neuf cent quatre vingt trois euros et soixante cinq centimes), au titre des congés payés y afférents,

lesdites condamnations portant intérêts au taux légal à compter de la convocation en conciliation valant mise en demeure.

  • 7 622,45 euros, (sept mille six cent vingt deux euros et quarante cinq centimes), à titre de dommages et intérêts.

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision dans les limites et selon les conditions prévues par l'article 60 de la loi du 16 mai 1946.

Condamne la Société Anonyme Monégasque Silvatrim aux dépens.

Composition🔗

Mme Coulet-Castoldi, juge de paix - prés. ; MM. Guiton et Giannotti, membres employeurs ; M.M. Devissi et Amram, membres salariés ; Me Pastor, av.-déf. ; Me Dubois, av. bar. de Nice.

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