Tribunal du travail, 6 juin 2002, a LO.-BA. c/ la SAM Financial and administrative services (F.A.S.)

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Abstract🔗

Licenciement pour motif économique - Faux motif - Licenciement abusif

Résumé🔗

La preuve de l'allégation par l'employeur d'un faux motif de rupture caractérise le licenciement abusif.

Une secrétaire de direction trilingue, en congé maladie, est licenciée pour raison économique. Elle soutient, devant le bureau de jugement du Tribunal du travail où elle a attrait son employeur, qu'il s'agit d'un motif fallacieux dans la mesure où son congédiement avait été programmé par la convention de cession de l'entreprise. On pouvait lire dans celle -ci : « les cédants prendront en charge l'ensemble des formalités et coûts afférents au départ des salariés actuels ». Elle demande, outre la nullité du licenciement en période de maladie, des dommages et intérêts pour licenciement abusif. L'employeur maintient qu'il s'agit bien d'un motif économique, la suppression du poste de la dame a. LO.-BA., totalement étranger à sa maladie, étant consécutif à une modification de l'activité exercée par la société.

Le Tribunal du travail rappelle que la maladie ordinaire ne constitue pas, en elle-même, un obstacle à la rupture pourvu que le licenciement soit autrement motivé que par la maladie. En revanche, l'allégation d'un faux motif est établie dans la mesure où, d'une part le changement d'activités n'est nullement établi, le registre d'entrées et sorties du personnel non produit, le poste occupé assez peu dépendant de l'objet social et où, d'autre part, compte tenu de la clause de l'acte de cession, c'est à juste titre que la salariée soutient que le changement d'actionnaires constitue le vrai et unique motif de la rupture . L'indemnité de licenciement n'ayant pas été demandée, c'est l'allocation d'une somme de 17.000€ euros au profit de la salariée, âgée de 57 ans lors de la rupture, qui est décidée.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 14 février 2001 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 6 mars 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur, au nom de Madame a. LO.-BA., en dates des 17 mai 2001, 11 octobre 2001, 20 décembre 2001 et 21 février 2002 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE FINANCIAL AND ADMINISTRATIVE SERVICES en abrégé F.A.S., en dates des 28 juin 2001, 15 novembre 2001 et 17 janvier 2002 ;

Après avoir entendu Maître Elie COHEN, avocat au barreau de Nice, au nom de Madame a. LO.-BA., et Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE FINANCIAL AND ADMINISTRATIVE SERVICES en abrégé F.A.S., en leurs plaidoiries ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu à ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée à compter du 1er avril 1996 par la SAM FINANCIAL AND ADMINISTRATIVE SERVICES en abrégé F.A.S. en qualité de secrétaire de direction trilingue, a. LO.-BA. a été licenciée de son emploi, par lettre recommandée en date du 14 août 2000, pour un motif d'ordre économique tenant à la suppression de son poste et dispensée d'exécuter son préavis.

Estimant que son congédiement revêtait, au regard des circonstances l'ayant entouré, un caractère manifestement abusif, a. LO.-BA., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 5 mars 2001, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit d'une somme de 843.418,00 F à titre de dommages et intérêts.

À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu par leurs conseils respectifs.

Puis, après sept renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 18 avril 2002 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 6 juin 2002.

a. LO.-BA. soutient en premier lieu, à l'appui de ses prétentions, que son licenciement qui lui a été notifié pendant une période où elle se trouvait en arrêt de travail pour cause de maladie est entaché de nullité.

Elle prétend par ailleurs que la rupture de son contrat de travail a été mise en œuvre pour un motif fallacieux.

Elle fait valoir sur ce point précis que son licenciement, contrairement à ce que soutient erronément son employeur, ne trouve pas son origine dans une suppression de poste, mais dans le changement de contrôle de la société F.A.S., dont les époux HA. ont cédé l'intégralité du capital social à Monsieur d. SC.

Qu'en effet son congédiement avait été programmé par la Convention de Cession en date du 14 juin 2000, laquelle stipule expressément, in fine de la page 3 que « les cédants prendront à leur charge l'ensemble des formalités et coûts afférents au départ des salariés actuels de la société, à savoir a. LO.-BA. et Monsieur AU ».

Estimant en définitive que le motif invoqué par la SAM F.A.S., dont la réalité n'a au demeurant jamais été justifiée, maquille tout simplement la violation caractérisée par l'employeur des dispositions de l'article 15 de la loi n° 729, elle demande au Tribunal du Travail de réparer l'important préjudice que lui a causé la rupture subite, à l'âge de 57 ans, de son contrat de travail en faisant droit à l'intégralité de ses prétentions, telles qu'elles ont été exposées et détaillées ci-dessus.

Soutenant pour sa part que le licenciement d'a. LO.-BA. ne revêt aucun caractère abusif, la SAM F.A.S. conclut au rejet de l'ensemble des demandes formées à son encontre.

Elle invoque à cette fin, en substance, les moyens suivants :

– si le contrat de travail se trouve certes suspendu, en application de l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, pendant une durée limitée à six mois en cas d'empêchement du travailleur dû à une maladie ou à un accident médicalement constaté, cette disposition ne fait pas obstacle à la rupture des relations contractuelles, dès lors que le licenciement est motivé par une autre cause que la maladie ; en l'espèce, à partir du moment où le licenciement d'a. LO.-BA. a été motivé par des considérations (changement d'activité économique) totalement étrangères à la maladie de cette salariée, la rupture du contrat de travail, qui pouvait valablement être prononcée pendant l'arrêt de travail pour maladie, n'est pas entachée de nullité et ne saurait davantage être qualifiée d'abusive,

– l'article 15 de la loi n° 729 ne s'applique pas en cas de changement de majorité dans la détention du capital social d'une personne morale ou en cas de changement de direction,

– le motif d'ordre économique évoqué dans la lettre de licenciement qui réside dans la suppression du poste occupé par a. LO.-BA. consécutivement à la modification de l'activité exercée par l'entreprise postérieurement à la cession d'activité, ne revêt aucun caractère fallacieux. En effet la SAM F.A.S., qui avait à l'origine pour vocation de gérer les participations détenues par Monsieur HA. dans des sociétés industrielles implantées en Suisse, a désormais pour objet, depuis la cession intervenue au profit de Monsieur SC., le conseil dans le montage et le suivi de projets immobiliers en Italie.

– Le licenciement d'a. LO.-BA. est donc la conséquence du fait que son poste est devenu caduc, la société ne traitant plus les mêmes affaires,

– le préjudice dont se prévaut l'intéressée n'est en tout état de cause pas suffisamment justifié par les pièces versées aux débats.

SUR CE,

a. LO.-BA. ne réclamant pas à son employeur le bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845, il n'appartient pas au Tribunal du Travail de statuer sur la validité du motif économique invoqué par la SAM F.A.S. à l'appui de la rupture.

Il incombe dès lors seulement à la présente juridiction de rechercher si le licenciement revêt, au regard des circonstances l'ayant entouré, un caractère abusif, la charge de la preuve d'un tel abus incombant à celui qui s'en prévaut et donc en l'espèce à a. LO.-BA.

Cette dernière soutient à cet effet d'une part que son licenciement ne pouvait lui être valablement notifié pendant une période où son contrat de travail se trouvait suspendu, pour cause de maladie, et d'autre part que le motif allégué par son employeur revêtirait un caractère fallacieux.

a) Sur la notification du licenciement en période de maladie

Si a. LO.-BA. se trouvait certes, à la date du 14 août 2000, en arrêt de travail, ainsi que l'atteste le certificat établi le même jour par le Docteur BL., il est constant toutefois que cet arrêt n'était consécutif ni à un accident du travail, ni à une maladie professionnelle.

Cet état de maladie ne constituait donc pas, en lui-même, un obstacle à la rupture par la SAM F.A.S. du contrat de travail d'a. LO.-BA., à la condition toutefois que le licenciement soit motivé par une autre cause que la maladie.

Dès lors qu'en l'espèce le congédiement de l'intéressée a été motivé par des considérations d'ordre économique totalement étrangères à l'état de santé de cette salariée, cette mesure pouvait valablement être prononcée pendant l'arrêt de travail pour maladie et ne revêt par conséquent de ce premier chef aucun caractère abusif.

b) Sur l'allégation d'un faux motif de rupture

Aux termes de la lettre de notification de la rupture, le licenciement d'a. LO.-BA. aurait été mis en œuvre pour « suppression de poste ».

Cette suppression de poste résulterait, à la lecture des explications fournies par l'employeur à la Direction du Travail et des Affaires Sociales le 5 septembre 2000, de la modification de l'activité exercée par la SAM F.A.S. consécutivement à la cession de l'intégralité de son capital social au profit de Monsieur SC.

La défenderesse soutient, à cet effet, qu'alors que la vocation initiale de l'entreprise était de gérer les participations détenues par Monsieur HA. dans des sociétés industrielles implantées en Suisse, le nouveau cessionnaire aurait modifié cette activité sociale ; qu'ainsi et depuis la cession la SAM F.A.S. aurait désormais pour objet le conseil dans le montage et le suivi de projets immobiliers en Italie.

Si la modification de l'activité d'une entreprise peut certes légitimer, sous certaines conditions, dans le cadre du pouvoir d'administration et de gestion reconnu à tout employeur, la suppression d'un ou de plusieurs postes de travail, et donc constituer un motif économique de rupture du contrat de travail, force est de constater toutefois en l'espèce que la défenderesse ne démontre l'existence ni du changement d'activité dont elle se prévaut, ni encore moins de la restructuration à laquelle elle aurait consécutivement procédé, se contentant de procéder par voie de simples affirmations.

Qu'ainsi et à défaut de justifier par la production de la délibération de l'Assemblée Générale modifiant les statuts ou d'un extrait des inscriptions portées au registre du commerce et de l'industrie d'une modification effective de l'objet social par rapport à la définition contenue à l'article 3 des statuts, expressément reprise dans la Convention de Cession du 14 juin 2000, (d'une part la fourniture de conseils études et prestations de services dans le domaine de la gestion de l'organisation et de l'administration et du rapprochement d'entreprises et d'autre part l'acquisition, la fabrication et la vente de tous programmes informatiques ainsi que tous systèmes ou prototypes à vocation industrielle, etc.) le changement d'activité n'est nullement établi.

En outre et en tout état de cause, à supposer même que cette modification d'activité soit suffisamment caractérisée, force est, une nouvelle fois encore, de constater que la SAM F.A.S. ne démontre pas en quoi cette modification aurait rendu nécessaire, de manière automatique et inéluctable, la suppression du poste occupé par a. LO.-BA., alors que :

  • cette dernière n'occupait pas au sein de la société un emploi technique spécialisé, mais un poste de secrétaire trilingue, à priori peu dépendant de l'objet social, que l'on retrouve habituellement en Principauté de Monaco dans bon nombre d'entreprises,

  • les affirmations de la demanderesse selon lesquelles l'autre salarié de l'entreprise, à savoir Monsieur AU., dont le licenciement avait également été envisagé à l'origine, aurait finalement été conservé par la nouvelle direction n'ont pas été démenties par la société F.A.S.,

  • en l'absence de production par l'employeur du registre d'entrées et de sorties du personnel le Tribunal du Travail ne dispose d'aucun renseignement sur la composition de l'effectif salarié actuel de cette société et ne peut ainsi contrôler l'application des critères d'ordre définis par l'article 6 de la loi n° 629,

Dès lors enfin que la Convention de Cession passée le 14 juin 2000 entre les époux HA. et Monsieur SC. stipule expressément, après avoir énuméré les divers éléments d'actif cédés (action, crédit d'impôt résiduel – bail en cours – dépôt de garantie – agencement des locaux – mobilier et matériel garnissant les lieux…) que « les cédants prendront à leur charge l'ensemble des formalités et coûts afférents au départ des salariés actuels de la société, à savoir Monsieur AU. et a. LO.-BA. », c'est à juste titre que cette dernière soutient que le changement d'actionnaires intervenu au sein de la SAM F.A.S. constitue en réalité le véritable et l'unique motif de la rupture de son contrat de travail.

La preuve de l'allégation par l'employeur d'un faux motif de rupture étant ainsi suffisamment rapportée, le licenciement d'a. LO.-BA. revêt incontestablement un caractère abusif.

Compte tenu de son âge lors de la notification de la rupture (57 ans) de son ancienneté de services (4 ans et demi) et enfin du montant de la rémunération mensuelle qui lui était servie par la SAM F.A.S., (25.200,00 F brut) le préjudice matériel et moral subi par a. LO.-BA., dont les chances de retrouver un emploi similaire apparaissent sérieusement compromises, sera justement réparé par l'allocation au profit de celle-ci d'une somme de 17.000,00 € à titre de dommages et intérêts.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement d'a. LO.-BA. revêt un caractère abusif.

Condamne en conséquence la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE FINANCIAL AND ADMINISTRATIVE SERVICES en abrégé F.A.S., à payer à a. LO.-BA. la somme de :

  1. 000,00 euros, (dix-sept mille euros), (soit 111.512,69 F).

Déboute a. LO.-BA. du surplus de ses prétentions.

Condamne la SOCIETE ANONYME MONEGASQUE FINANCIAL AND ADMINISTRATIVE SERVICES en abrégé F.A.S., aux entiers dépens.

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