Tribunal du travail, 2 mai 2002, h. BO c/ SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE POLY SERVICES TMS

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Abstract🔗

Modification refusée d'éléments substantiels du contrat de travail - Intérêt économique réel pour l'entreprise - Motif valable - Notification de la rupture pendant la grossesse - Licenciement annulé

Résumé🔗

Une salariée engagée en qualité d'agent de propreté le 24 mars 1993, avait vu son contrat transféré au bénéfice d'une autre société qui avait repris le marché. Une modification d'horaires, de durée du travail et aussi de lieu d'affectation fut proposée à la salariée qui refusa. Son licenciement lui fut notifié le 18 mars 2000. La salariée demanda au tribunal du travail de dire que ce refus ne constituait pas un motif valable de licenciement, d'autant plus qu'elle se trouvait en état de grossesse médicalement constatée lors de la rupture.

Le tribunal estime qu'il lui appartient, pour apprécier la validité du motif de rupture de rechercher si la modification proposée répondait à un intérêt réel pour l'entreprise - ce qui était le cas - et s'il n'existait aucun abus de droit-ce qui était aussi le cas. En revanche, le licenciement intervenu devait être annulé, puisque notifié alors que la salariée était enceinte, et reporté à l'issu du délai de 4 semaines suivant l'expiration du congé de maternité. Le préjudice subi est évalué à 4 000 €.


Motifs🔗

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 6 février 2001 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 27 février 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Richard MULLOT, avocat, au nom de Madame h. BO., en dates des 10 mai 2001 et 13 décembre 2001

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE POLY SERVICES TMS, en date du 8 novembre 2001 ;

Ouï Maître Richard MULLOT, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame h. BO., et Maître Alexandra SCHULER, avocat au barreau de Nice, substituant Maître Jean-Luc MARCHIO, avocat au barreau de Nice au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE POLY SERVICES TMS, en leurs plaidoiries ;

Lesdits avocat et avocat-défenseur ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

h. BO. a été embauchée à compter du 24 mars 1993 par l'entreprise TOP NET en qualité d'agent de propreté à temps partiel, à raison de 35 heures par semaine et affectée sur le site de l'Hôtel ABELA, devenu entre-temps RADISSON SAS NICE.

Le marché de prestations de travail de nettoyage dudit hôtel ayant été repris, le 1er avril 1996, par la société POLY SERVICES TMS, le contrat de travail de h. BO. s'est trouvé de plein droit à compter de cette date transféré au bénéfice de ladite société.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 9 novembre 1999 la SAM POLY SERVICES TMS a notifié à h. BO. un changement de ses horaires de travail, prenant effet au 22 novembre 1999.

Aux termes de cette notification il était proposé à h. BO., qui travaillait alors du mardi au vendredi de 7 heures 15 à 12 heures ainsi que les samedis et dimanches de 7 heures à 12 heures et de 14 heures à 17 heures, soit un total hebdomadaire de 35 heures d'effectuer désormais les horaires suivants :

  • du mardi au vendredi de 7 heures 15 à 12 heures,

  • le dimanche de 7 heures à 12 heures,

soit un total hebdomadaire de 24 heures.

h. BO. ayant fait savoir à son employeur, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 22 novembre 1999, qu'elle n'acceptait pas la réduction du nombre de ses heures de travail, la SAM POLY SERVICES TMS, aux termes d'un courrier en date du 29 novembre 1999, a proposé à cette dernière de remplacer à compter du 6 décembre 1999 ses horaires habituels d'après-midi du mardi au dimanche, en se rendant sur le parking des Pêcheurs à MONACO.

h. BO. ayant refusé par courrier du 8 décembre 1999 le nouveau lieu d'affectation qui lui avait été proposé, la SAM POLY SERVICES TMS, par courrier recommandée avec avis de réception en date du 18 mars 2000, a procédé à son licenciement.

Soutenant d'une part que son refus d'accepter les changements d'affectation et d'horaires de travail qui lui avaient été proposés ne pouvait constituer un motif valable de licenciement et d'autre part que cette mesure revêtait, compte tenu de l'état de grossesse dans lequel elle se trouvait, un caractère abusif, h. BO., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 26 février 2001, a attrait la SAM POLY SERVICES TMS, devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

  • 23.498,72 F, à titre d'indemnité de licenciement,

  • 50.000,00 F, à titre de dommages et intérêts.

À la date fixée par les convocations seule la demanderesse a régulièrement comparu.

La SAM POLY SERVICES TMS ayant constitué avocat-défenseur en cours de procédure, après six renvois intervenus à la demande des avocats l'affaire a été contradictoirement débattue le 21 mars 2002 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 2 mai 2002.

h. BO. soutient en premier lieu que son refus d'accepter les changements d'affectation et d'horaires qui lui ont été proposés ne constitue pas un motif valable de rupture de son contrat de travail dès lors que :

1) la raison invoquée par l'employeur pour justifier ce changement d'horaires, à savoir la diminution des prestations réalisées pour le compte de l'Hôtel RADISSON, s'avère en réalité au vu des attestations versées par ses soins aux débats totalement fallacieuse, la salariée qui l'a remplacée dans son emploi accomplissant les mêmes horaires que ceux qu'elle effectuait antérieurement au 9 novembre 1999,

2) il ne peut être sérieusement demandé à un employé, qui demeure à NICE et qui ne dispose pas au surplus de véhicule personnel, de travailler chaque jour le matin à NICE et l'après-midi à MONACO, les deux villes étant séparées l'une de l'autre par une vingtaine de kilomètres.

Elle prétend en second lieu qu'elle se trouvait en état de grossesse médicalement constaté à la date de la notification de la rupture ; qu'à partir du moment où d'une part il « était bien évidemment impossible à son employeur d'ignorer cet état de fait », et où d'autre part la législation monégasque prohibe, sauf circonstances exceptionnelles limitativement énumérées ne correspondant pas au cas de l'espèce, le licenciement d'une femme enceinte, la rupture de son contrat de travail revêt un caractère manifestement abusif.

Soulignant enfin que le comportement dolosif dont a fait preuve à son encontre la société POLY SERVICES TMS lui a causé de nombreuses séquelles, tant physiques que psychologiques, l'angoisse engendrée par les affres de sa vie professionnelle ayant eu des répercussions importantes sur son état de santé, elle demande au Tribunal du Travail de réparer l'important préjudice qu'elle a subi en faisant droit aux prétentions contenues dans sa requête introductive d'instance, telles qu'elles ont été énoncées et détaillées ci-dessus.

La SAM POLY SERVICES TMS conclut pour sa part au rejet de l'intégralité des demandes formées à son encontre par h. BO.

Elle fait valoir, à cet effet, en substance, les moyens suivants :

  • en ce qui concerne la validité du motif de rupture

  • la raison invoquée dans la lettre du 9 novembre 1999 pour justifier la modification de ses horaires de travail proposée à h. BO. n'est ni fantaisiste ni fictive, le courrier émanant de l'Hôtel RADISSON et les factures produites aux débats démontrant au contraire que ce client avait bien sollicité une réduction (temporaire) des prestations de nettoyage réalisées pour son compte,

  • contrairement à ce que soutient erronément h. BO. sur la foi d'une attestation émanant du bagagiste de l'Hôtel RADISSON dépourvue de toute valeur probante, la salariée qui l'a remplacée dans son emploi n'effectuait pas les mêmes horaires que celle-ci,

  • la proposition faite à h. BO. de travailler l'après-midi sur le chantier du Parking des Pêcheurs à MONACO avait pour seule finalité de permettre à l'intéressée de conserver sa durée hebdomadaire de travail ; elle ne saurait dès lors être qualifiée de dolosive ou abusive.

  • en ce qui concerne le caractère abusif du licenciement

  • l'employeur ignorait la situation de grossesse de sa salariée, dont il n'a été informé que le 16 juin 2000, à la réception de la correspondance émanant de la Direction du Travail et des Affaires Sociales de la Principauté de Monaco,

  • à défaut de notification expresse par la salariée à son employeur de son état de grossesse, le licenciement ne peut être qualifié d'abusif.

SUR CE,

Sur la validité du motif

Dès lors qu'elles portent pour la première sur une réduction sensible de ses horaires de travail (de 35 heures à 24 heures par semaine) et donc de sa rémunération, et pour la seconde sur un déplacement géographique conséquent de son lieu de travail (de Nice à Monaco), les propositions successivement faites par la SAM POLY SERVICES TMS à h. BO. les 9 novembre et 29 novembre 1999 ne constituent pas de simples changements des conditions de travail de l'intéressé, entrant dans le cadre du procès-verbal de direction de l'employeur, mais des modifications de deux éléments substantiels de son contrat de travail.

Elles ne pouvaient dans ces conditions être unilatéralement imposées par la SAM POLY SERVICES TMS à h. BO.

Le refus de cette dernière d'accepter ces deux modifications ne revêt donc pas, en lui-même, de caractère fautif ;

Il appartient en conséquence à la présente juridiction, pour apprécier la validité du motif de la rupture du contrat de travail de h. BO., d'une part de rechercher si, à la date où elles ont été formulées, les modifications proposées par l'employeur à sa salarié répondaient à un intérêt réel pour l'entreprise et d'autre part de s'assurer que le comportement de la SAM POLY SERVICES ne fait apparaître ni abus de droit ni détournement de pouvoir.

Dès lors qu'il résulte des pièces versées aux débats par l'employeur (fax en date du 30 octobre 1999 émanant de l'Hôtel RADISSON SAS – Factures d'entretien de l'Hôtel pour les mois d'octobre, novembre et décembre 1999) que la Direction de l'Hôtel RADISSON avait effectivement sollicité le 30 octobre 1999 auprès de son cocontractant, consécutivement à d'importantes annulations de séminaires au cours des mois de novembre et décembre 1999, et à la fermeture du restaurant le midi, « l'annulation des heures de ménage du Hall de 14 heures à 17 heures – 7 jours sur 7 », la réduction de son horaire de travail (de 35 à 24 heures) demandée le 9 novembre 1999 par la SAM POLY SERVICES TMS à l'agent de propreté chargé de ce secteur précis au sein de l'Hôtel répondait bien à un intérêt économique réel pour l'entreprise.

h. BO. ne peut en outre sérieusement soutenir que la modification que son employeur lui a proposée aurait revêtu un caractère « fantaisiste et infondée », aucun changement d'horaire n'étant en réalité intervenu au sein de l'Hôtel, alors que :

  • les deux témoignages versés par ses soins aux débats à cette fin concernent une période largement postérieure non seulement à la proposition du 9 novembre 1999 mais aussi au licenciement,

  • les factures adressées par la société POLY SERVICES TMS à l'Hôtel RADISSON au titre des mois d'octobre, novembre et décembre 1999 révèlent au contraire une diminution sensible du tarif mensuel pratiqué (de 67.902,62 F à 56.083,82 F) correspondant à une réduction des prestations de nettoyage fournies en contrepartie, et donc nécessairement à une réduction du nombre d'heures de travail effectuées par le personnel affecté à ces taches.

Par ailleurs, si la SAM POLY SERVICES TMS a certes offert à h. BO., pour compléter le temps de travail effectué à NICE, de l'affecter l'après-midi sur un chantier situé à MONACO, cette proposition, bien que techniquement difficilement réalisable s'agissant de deux villes situées à 20 kilomètres l'une de l'autre à fortiori pour une mère de deux enfants ne disposant pas de véhicule personnel, ne peut cependant être considérée en elle-même comme un abus de droit ou un détournement de pouvoir de la part de l'employeur, à partir du moment où :

1) elle répondait au souhait exprimé par la salariée de maintenir son temps de travail pour conserver le niveau de sa rémunération,

2) il n'est établi par aucune pièce probante que la SAM POLY SERVICES ait disposé à cette époque, au sein de ses effectifs, d'un poste vacant géographiquement plus proche du domicile de h. BO. qu'elle n'aurait volontairement pas proposé à l'intéressée.

Le licenciement de h. BO. ayant en définitive été mis en œuvre pour un motif valable, celle-ci doit être déboutée de sa demande en paiement de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845.

Sur le caractère abusif du licenciement,

En application des dispositions de l'article 1er de la loi n° 870 du 17 juillet 1969, aucune femme salariée ne peut être licenciée par son employeur dès lors qu'elle est en état de grossesse médicalement constaté pendant l'intégralité de son congé de maternité ainsi que pendant les quatre semaines suivantes.

Par ailleurs, et aux termes de l'alinéa 2 de ce même texte, lorsqu'un licenciement est notifié par l'employeur alors qu'il n'avait pas eu connaissance de l'état de grossesse, la salariée concernée peut, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du licenciement, justifier de cet état par l'envoi d'un certificat médical par lettre recommandée avec avis de réception, le licenciement se trouvant alors annulé.

Il n'est pas contestable en l'espèce, au vu des documents médicaux versés aux débats (certificats établis par le Docteur CE.), que h. BO., qui a accouché le 4 septembre 2000, trois semaines avant le terme théoriquement prévu, se trouvait bien en état de grossesse médicalement constaté le 18 mars 2000, lorsque son licenciement lui a été notifié.

S'il n'est certes pas possible d'affirmer avec certitude que l'employeur ait eu connaissance de cet état avant le 18 mars 2000, ce dernier a toutefois été informé de la grossesse de sa salariée au plus tard lors de la réception du certificat médical d'arrêt de travail établi le 21 mars 2000 par le Docteur CE.

Ce certificat médical, établi par un chirurgien gynécologue, dont la SAM POLY SERVICES TMS verse elle-même aux débats le volet destiné à l'employeur, mentionne en effet expressément, dans la rubrique spécialement prévue à cet effet, que l'arrêt de travail prescrit est en rapport avec un état pathologique résultant de la grossesse.

h. BO. ayant ainsi justifié, dans les quinze jours suivant la notification de la rupture de son contrat de travail, de son état de grossesse, le licenciement dont elle a fait l'objet aurait dû être immédiatement annulé par la SAM POLY SERVICES et reporté à l'issue du délai de quatre semaines suivant l'expiration du congé de maternité ci-dessus mentionné.

En n'annulant pas aussitôt la mesure prise par ses soins, la SAM POLY SERVICES TMS a commis une faute conférant au licenciement un caractère abusif.

h. BO. est dès lors fondée à obtenir réparation du préjudice que lui a causé la violation par son employeur du statut protecteur de la maternité.

Compte tenu des éléments d'appréciation dont dispose ce Tribunal, ce préjudice sera justement évalué à la somme de 4.000,00 €.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de h. BO. a été mis en œuvre pour un motif valable.

Dit en revanche que cette mesure revêt, au regard des circonstances particulières dans lesquelles elle est intervenue, un caractère abusif.

Condamne en conséquence la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE POLY SERVICES TMS à payer à h. BO. la somme de :

  • 4.000,00 euros, (quatre mille euros), à titre de dommages et intérêts.

Condamne la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE POLY SERVICES TMS aux entiers dépens, qui seront recouvrés conformément à la législation régissant l'Assistance Judiciaire.

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