Tribunal du travail, 25 avril 2002, G. c/ SAM Joaillerie de Monaco, Enseigne Fred

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Abstract🔗

Procédure civile

Note en délibérée - Défaut d'autorisation de la juridiction - Irrecevabilité : atteinte au principe du contradictoire

Contrat de travail

Indemnité de congédiement - Calcul : convention collective française correspondante non applicable, l'employeur ne s'y étant pas soumis - Licenciement abusif - Motif économique fallacieux - Violation du critère d'ordre du licenciement

Résumé🔗

Embauchée le 23 mars 1983, par la SAM Joaillerie de Monaco à l'enseigne Fred en qualité de vendeuse, selon contrat verbal à durée indéterminée, D. G. a été licenciée de cet emploi, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 11 mai 2000, pour un motif qualifié d'ordre économique par son employeur.

Soutenant d'une part que l'indemnité de congédiement qui lui a été versée aurait dû être calculée conformément aux dispositions de l'article 23-3 de la Convention Collective Française du commerce de détail de l'Horlogerie Bijouterie dont l'intitulé figure sur chacun de ses bulletins de paie, et d'autre part qu'en l'état de l'allégation par la SAM Joaillerie de Monaco d'un faux motif de rupture et de la violation caractérisée par cette société des dispositions de l'article 6 de la loi n° 629, son licenciement revêtait un caractère manifestement abusif, D. G., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 8 janvier 2001, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et avec intérêts au taux légal à compter de la citation en conciliation, des sommes suivantes :

- 26 308,30 F, à titre de complément d'indemnité de « licenciement » ;

- 450 000,00 F, à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.

1) Sur la recevabilité de la note en délibéré établie le 28 mars 2002 par le Conseil de D. G.

Si le Tribunal du travail a certes sollicité, lors de l'audience des plaidoiries, la communication sous huitaine par la SAM Joaillerie de Monaco de son livre d'entrées et de sorties du personnel, il n'a en revanche pas autorisé les parties à déposer de notes pendant le cours de son délibéré.

Aucune conclusion ou note valant conclusion ne pouvant être produite par les parties, au-delà de la clôture des débats, sans porter atteinte au caractère contradictoire de la procédure, hormis le cas où cette hypothèse a été envisagée avant la clôture des débats et acceptée tant par le Tribunal que par l'autre partie, la note déposée le 28 mars 2002 par le Conseil de D. G. n'est pas recevable.

Elle ne pourra dès lors qu'être purement et simplement écartée des débats.

2) Sur la demande en paiement d'un complément d'indemnité de congédiement (improprement qualifiée de licenciement).

Conformément à l'arrêt de principe rendu le 26 mars 1998 par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco dans l'affaire SAM Édimo c/ I., les dispositions, tant de la loi n° 845 du 27 juin 1968 que de l'article 6 de l'avenant n° 18 du 13 mai 1981 à la Convention Collective Monégasque du travail, selon lesquelles l'indemnité de congédiement due au salarié licencié ne peut être inférieure au montant minimum des indemnités de même nature versées aux salariés dans les mêmes professions commerces ou industries de la région économique voisine, doivent s'entendre comme visant le minimum légal.

Dès lors, en l'absence de Convention Collective Monégasque propre aux activités telles que celles de la SAM Joaillerie de Monaco et de toute stipulation du contrat de travail de D. G. lui étendant personnellement le bénéfice de la Convention Collective Française du commerce de détail de l'horlogerie bijouterie, cette dernière, pour pouvoir prétendre au bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 23-3 de l'accord collectif susvisé, doit préalablement démontrer que son employeur s'est volontairement soumis aux dispositions de la Convention Collective Française, dont elle revendique aujourd'hui l'application.

Si la SAM Joaillerie de Monaco a certes d'une part fait figurer tout au long de l'exécution du contrat de travail sur la plupart des bulletins de salaire de D. G. dans la rubrique spécialement prévue à cet effet l'indication suivante : « CCN ou Convention Collective 524 V - Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie, commerce Détail Horloge Bijouterie », et d'autre part octroyé à l'intéressée la prime d'ancienneté et le coefficient prévus par cet accord collectif, ces deux éléments ne sauraient toutefois suffire, en l'état des dispositions de l'article 11 de la loi n° 739 du 16 mars 1963 et 1 de l'Arrêté Ministériel n° 63 131 du 21 mai 1963 instituant la parité des salaires monégasques minima avec ceux pratiqués dans la région économique voisine, pour des conditions de travail identiques, en vertu de la réglementation ou de conventions collectives, à caractériser la volonté de l'employeur de se soumettre à l'intégralité des dispositions prévues par l'accord étranger susvisé et notamment de son article 23-3.

D. G., qui a ainsi été remplie de ses droits par le versement de la somme de 37 919,36 F, ne peut donc prétendre au complément d'indemnité qu'elle sollicite.

3) Sur le licenciement

Il appartient à D. G., qui sollicite l'allocation des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, de prouver, outre le préjudice subi, l'existence de la faute qu'aurait commise la SAM Joaillerie de Monaco dans l'exercice de son droit unilatéral de rupture.

D. G. soutient à cet effet d'une part que son licenciement serait intervenu sur la base d'un faux motif et d'autre part que son employeur, s'agissant d'un licenciement économique, n'aurait pas respecté les critères d'ordre des licenciements prévus par l'article 6 de la loi n° 629.

a - Sur le caractère fallacieux du motif

Selon l'employeur le motif du licenciement résiderait dans les importantes difficultés financières qu'aurait connues tant la SAM Joaillerie de Monaco que les diverses sociétés du groupe Fred auquel cette société appartient, lesquelles l'auraient contraint, dans le but de reconquérir la clientèle asiatique, à développer une nouvelle stratégie commerciale, se traduisant concrètement par le recrutement d'une vendeuse maîtrisant la langue et la culture japonaise ainsi que par la suppression concomitante du poste occupé par D. G.

D. G. ayant été embauchée par la SAM Joaillerie de Monaco, seule société du groupe Fred implantée en Principauté de Monaco, seuls les résultats obtenus par ladite société doivent être pris en considération pour apprécier la réalité des difficultés économiques alléguées.

Il apparaît, à l'examen comparatif des trois bilans versés aux débats, que le chiffre d'affaires réalisé par la SAM Joaillerie de Monaco au cours de l'exercice 2000 (8 906 368,82 F) a connu une très nette progression par rapport à ceux réalisés au cours des deux années antérieures, qui s'élevaient respectivement à 6 889 396,00 F en 1998 et 6 357 584,70 F en 1999.

Qu'en outre et alors que l'exercice 1999 s'était soldé par une perte de 1 171 643,96 F, ce déficit a été ramené, à la fin de l'exercice 2000, nonobstant les investissements importants générés par le transfert du lieu de vente de la galerie commerciale de l'Hôtel Loews à l'Avenue des Beaux Arts, à la somme de 551 976,50 F, soit un net redressement de la société.

Qu'ainsi les importantes difficultés économiques invoquées par la SAM Joaillerie de Monaco dans la lettre de rupture du 11 mai 2001 ne sont pas avérées.

Par ailleurs, si le chef d'entreprise est certes libre d'organiser et de structurer son entreprise comme il l'entend, la « mise en place d'une nouvelle stratégie commerciale et marketing » ne constitue pas en soi un motif économique de licenciement.

La société Joaillerie de Monaco ne peut davantage soutenir que la mesure de licenciement économique mise en œuvre par ses soins serait justifiée par la nécessité dans laquelle elle se serait trouvée de réduire ses charges pour sauvegarder sa compétitivité, alors que le poste de vendeuse occupé par D. G. n'a nullement été supprimé, la SAM Joaillerie de Monaco ayant au contraire procédé à de nouvelles embauches.

Il apparaît ainsi à l'examen du registre d'entrées et de sorties du personnel produit aux débats en cours de délibéré à la demande expresse de cette juridiction que cette société avait, tout d'abord, avant même de notifier à D. G. le 11 mai 2000 la rupture de son contrat de travail, recruté le 1er avril 2000 une nouvelle vendeuse à temps complet en la personne de Y. N.

Qu'en outre et nonobstant la priorité de réembauchage jusqu'au 11 novembre 2000 reconnue à D. G., par les dispositions de l'article 7 de la loi n° 629, la SAM Joaillerie de Monaco a procédé le 6 novembre 2000 à l'embauche d'une vendeuse supplémentaire en la personne de Madame É. M., renforçant ainsi encore un peu plus son équipe de vente.

L'ensemble des éléments analysés ci-dessus démontre en définitive que l'embauche de Madame N., à laquelle a procédé la SAM Joaillerie de Monaco sans même avoir vérifié si D. G. reprendrait ou non son poste de travail à l'issue de son congé de maternité, constitue bien la véritable raison de la rupture, le motif économique n'ayant ainsi été invoqué que pour les besoins de la cause.

b - Sur la violation des critères d'ordre

En application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 629, les licenciements par suppression d'emploi ou compression de personnel ne peuvent être effectués, pour une catégorie professionnelle déterminée, que dans l'ordre suivant :

- étrangers domiciliés hors de Monaco et des communes limitrophes,

- étrangers domiciliés dans les communes limitrophes,

- étrangers domiciliés à Monaco,

- étrangers mariés à une monégasque ayant conservé sa nationalité et étrangers nés d'un auteur direct monégasque,

- monégasque,

l'ancienneté dans l'entreprise étant par ailleurs prise en compte dans chacune des catégories ci-dessus déterminées.

En l'espèce il apparaît à l'examen des mentions portées sur le registre d'entrées et sorties du personnel de la SAM Joailleries de Monaco que s'il existe certes au sein de cette société plusieurs catégories de secrétaires, certaines ayant la qualification de secrétaire bilingue et d'autres celles de secrétaire trilingue, il n'existe en revanche qu'une seule et même catégorie de vendeuse.

Qu'ainsi D. G., qui a été embauchée le 2 mai 1983 et qui réside à Roquebrune Cap Martin, commune limitrophe de Monaco, disposait bien d'un rang de priorité supérieur à celui d'I. B., recrutée le 2 novembre 1993 et demeurant à Menton.

Si la pratique par une vendeuse en Principauté de Monaco de la langue allemande en sus de l'italien et de l'anglais constitue certes, à condition qu'elle soit préalablement démontrée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, un atout appréciable pour l'employeur, il ne s'agit pas toutefois, contrairement à ce que soutient à tort la SAM Joaillerie de Monaco, d'une compétence technique indispensable à l'exercice de cette fonction.

Dès lors, en licenciant D. G. alors que les critères d'ordre élisaient Madame B., la Sam Joaillerie de Monaco a violé les dispositions de l'article 6 de la loi n° 629.

En alléguant à l'encontre de D. G. un motif fallacieux de rupture et en contrevenant de surcroît aux dispositions de l'article 6 de la loi n° 629, la SAM Joaillerie de Monaco a fait un usage abusif de son droit de rupture.


Motifs🔗

Le Tribunal du travail,

Embauchée le 23 mars 1983 par la SAM Joaillerie de Monaco à l'enseigne Fred en qualité de vendeuse, selon contrat verbal à durée indéterminée, D. G. a été licenciée de cet emploi, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 11 mai 2000, pour un motif qualifié d'ordre économique par son employeur.

Soutenant d'une part que l'indemnité de congédiement qui lui a été versée aurait dû être calculée conformément aux dispositions de l'article 23-3 de la Convention Collective Française du commerce de détail de l'Horlogerie Bijouterie dont l'intitulé figure sur chacun de ses bulletins de paie, et d'autre part qu'en l'état de l'allégation par la SAM Joaillerie de Monaco d'un faux motif de rupture et de la violation caractérisée par cette société des dispositions de l'article 6 de la loi n° 629, son licenciement revêtait un caractère manifestement abusif, D. G., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 8 janvier 2001, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et avec intérêts au taux légal à compter de la citation en conciliation, des sommes suivantes :

  • 26 308,30 F, à titre de complément d'indemnité de « licenciement »,

  • 450 000,00 F, à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.

À la date fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu par leurs conseils.

Puis, après sept renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue le 14 mars 2002 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 25 avril 2002.

D. G. expose, à l'appui de ses prétentions, qu'après dix sept ans de bons et loyaux services et devant son refus d'accepter un départ négocié, elle a été licenciée le 11 mai 2000, à son retour de congé de maternité par son employeur, sous le couvert d'un prétendu motif économique.

Soulignant qu'en mentionnant sur tous ses bulletins de salaire, depuis son entrée en fonction dans l'entreprise les références des Conventions Collectives de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et du commerce de détail de l'horlogerie bijouterie, et en lui octroyant les avantages prévus (prime d'ancienneté - qualification et coefficient) par ces accords collectifs, la société Fred a clairement manifesté sa volonté de s'y soumettre, D. G. soutient en premier lieu que l'indemnité de licenciement qui lui a été versée par son employeur aurait dû être calculée, au regard de son ancienneté de services (plus de onze ans), sur la base d'un cinquième de mois par année de présence à compter de sa date d'entrée dans l'entreprise, les années incomplètes étant en outre prises en compte « prorata temporis ».

Elle estime, en conséquence être en droit d'obtenir à ce titre un rappel de 64 227,66 F - 37 919,36 F soit 26 308,30 F.

Elle soutient en second lieu que le licenciement qui lui a été notifié le 11 mai 2000 par la SAM Joaillerie de Monaco revêt un caractère manifestement abusif, dans la mesure où :

  • le motif économique n'est pas avéré,

  • les critères d'ordre prévus par l'article 6 de la loi n° 629 n'ont pas été respectés par l'employeur,

  • la société Fred n'a pas cherché, préalablement à la rupture du contrat de travail, à la reclasser.

Elle fait valoir en substance à cet effet :

  • en ce qui concerne le caractère fallacieux du motif :

  • que l'existence des difficultés économiques rencontrées par la SAM Joaillerie de Monaco n'est nullement établie ; qu'il apparaît au contraire, à l'examen des bilans versés aux débats, que le chiffre d'affaires réalisé par cette société a progressé de 7 643 052,45 F à la fin décembre 1999 à 10 655 149,82 F à la fin décembre 2000 ; qu'en conséquence les résultats définitifs obtenus s'expliquent en réalité par le coût des travaux et de l'investissement liés à la fermeture de la boutique située dans l'Hôtel Loews et à l'ouverture de la boutique située Avenue des Beaux Arts,

  • que la SAM Fred ne peut davantage se prévaloir d'une diminution de ses charges, puisqu'elle a embauché une autre vendeuse en ses lieu et place avant même son départ de l'entreprise,

  • qu'en tout état de cause la mise en place par l'employeur d'une nouvelle stratégie ne constitue pas un motif de licenciement économique.

  • en ce qui concerne la violation des critères d'ordre :

  • qu'en choisissant de la licencier alors qu'une autre salariée, appartenant comme elle à la catégorie professionnelle des vendeuses, disposait d'un rang de priorité inférieur au sien, la SAM Joaillerie de Monaco a violé les critères d'ordre définis par l'article 6 de la loi n° 629.

  • en ce qui concerne la violation de l'obligation de reclassement :

Que la SAM Joaillerie de Monaco, qui avait l'obligation de la reclasser, soit dans ses propres effectifs, soit dans une des sociétés du groupe LVMH auquel elle appartient, n'a effectué aucune démarche en ce sens.

Estimant avoir subi, au regard des circonstances particulière dans lesquelles son licenciement est intervenu, un préjudice matériel et moral très important elle demande en définitive au Tribunal du travail de faire droit à l'intégralité des prétentions contenues dans sa requête introductive d'instance, telles qu'elles ont été exposées et détaillées ci-dessus, sauf à préciser que les intérêts au taux légal réclamés par ses soins courront à compter du 13 juillet 2000 sur le complément d'indemnité de congédiement, et à compter du 6 décembre 2000 sur la condamnation au titre des dommages et intérêts.

La SAM Joaillerie de Monaco conclut pour sa part au rejet de l'intégralité des demandes formées à son encontre par D. G.

Soutenant par ailleurs avoir été contrainte, pour exposer ses moyens de défense, d'exposer des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge, elle sollicite reconventionnellement la condamnation de D. G. au paiement de la somme de 5 000,00 F, à titre de dommages et intérêts.

Elle invoque, en substance, au soutien de ses prétentions, les moyens suivants :

1) en ce qui concerne le complément d'indemnité conventionnelle de licenciement :

Les Conventions Collectives Françaises dont se prévaut D. G. ne s'appliquent pas sur le territoire monégasque.

2) en ce qui concerne le licenciement :

a - Sur la validité du motif économique :

  • Pour apprécier la réalité des difficultés économiques alléguées à l'appui du licenciement, il faut tenir compte de la situation de l'ensemble du groupe auquel la SAM Joaillerie de Monaco appartient ;

  • Les sociétés Fred Joaillerie de Monaco et Fred SA, devenue Fred Holding, ont connu au cours des années 1998, 1999 et 2000, ainsi qu'en attestent les bilans produits aux débats, de grandes difficultés économiques, se caractérisant par des pertes de 1 271 614,88 F en 1998, 1 171 643,00 F en 1999 et enfin 551 976,50 F en 2000 ;

  • Devant ces difficultés économiques, dont la cause principale résidait dans la désertion de la clientèle asiatique, la SAM Joaillerie Fred s'est vue contrainte, dans le but de reconquérir cette clientèle particulière, de développer une nouvelle stratégie marketing et commerciale ;

  • Cette stratégie s'est concrètement traduite par le recrutement courant avril 2000 d'une vendeuse maîtrisant non seulement la langue mais aussi la culture japonaise ainsi que par la suppression concomitante du poste occupé par D. G. ;

  • Cette suppression de poste a permis de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise en diminuant ses charges.

b - Sur la violation des critères d'ordre :

  • Conformément à la Jurisprudence monégasque, lorsque deux salariés bénéficient d'un poste de même catégorie et perçoivent une rémunération comparable, celui bénéficiant d'un rang de priorité supérieur ne peut remplacer l'autre si une compétence particulière est nécessaire à sa fonction ;

  • En l'espèce, alors que D. G. parle seulement l'anglais et l'italien, sa collègue de travail, qui dispose d'un rang de priorité inférieur, maîtrise en sus de ces deux langues couramment l'allemand ;

  • Ces deux salariés n'ayant ainsi pas les mêmes compétences, la priorité de résidence de D. G. ne peut jouer en l'espèce - dès lors l'ordre des licenciements a bien été respecté par l'employeur.

c - Sur le respect de l'obligation de reclassement :

  • Toutes les sociétés à l'enseigne Fred présentant de graves difficultés économiques, les contraignant parfois à opérer elles-mêmes des licenciements, le reclassement en interne de D. G. était impossible ;

  • D. G. ne souhaitant ni abandonner le domaine de la joaillerie, ni quitter pour des raisons familiales la Côte d'Azur, son reclassement au sein du groupe LVMH ne pouvait davantage être envisagé ;

  • La demanderesse a toutefois, sur l'initiative de la direction du groupe Fred, été présentée à la Boutique à l'enseigne Céline de Monaco ;

  • D. G. n'a jamais sollicité son reclassement dans une catégorie inférieure.

d - Sur le préjudice invoqué :

  • D. G. a rapidement retrouvé un emploi, puisqu'elle a été embauchée dès le mois de mars 2001 comme vendeuse par la prestigieuse enseigne de joaillerie Mauboussin ;

  • D. G. n'ayant, au cours de l'exécution de son contrat de travail, jamais demandé à bénéficier d'une quelconque formation, la demande tendant à faire supporter par son ancien employeur le coût de la formation qualifiante en gemmologie qu'elle a suivie de sa propre initiative doit être rejetée ;

  • En dispensant l'intéressée de travailler tout en maintenant sa rémunération dès « le début de la procédure » afin de lui permettre de commencer à rechercher un nouvel emploi, la SAM Joaillerie de Monaco a tout fait pour limiter le préjudice résultant du licenciement.

Sur ce :

1) Sur la recevabilité de la note en délibéré établie le 28 mars 2002 par le Conseil de D. G. :

Si le Tribunal du Travail a certes sollicité, lors de l'audience des plaidoiries, la communication sous huitaine par la SAM Joaillerie de Monaco de son livre d'entrées et de sorties du personnel, il n'a en revanche pas autorisé les parties à déposer de notes pendant le cours de son délibéré.

Aucune conclusion ou note valant conclusion ne pouvant être produite par les parties, au-delà de la clôture des débats, sans porter atteinte au caractère contradictoire de la procédure, hormis le cas où cette hypothèse a été envisagée avant la clôture des débats et acceptée tant par le Tribunal que par l'autre partie, la note déposée le 28 mars 2002 par le Conseil de D. G. n'est pas recevable.

Elle ne pourra dès lors qu'être purement et simplement écartée des débats.

2) Sur la demande en paiement d'un complément d'indemnité de congédiement (improprement qualifiée de licenciement) :

Conformément à l'arrêt de principe rendu le 26 mars 1998 par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, dans l'affaire SAM Édimo c/ I., les dispositions, tant de la loi n° 845 du 27 juin 1968 que de l'article 6 de l'avenant n° 18 du 13 mai 1981 à la Convention Collective monégasque du travail, selon lesquelles l'indemnité de congédiement due au salarié licencié ne peut être inférieure au montant minimum des indemnités de même nature versées aux salariés dans les mêmes professions commerces ou industries de la région économique voisine, doivent s'entendre comme visant le minimum légal.

Dès lors, en l'absence de convention collective monégasque propre aux activités telles que celles de la Sam Joaillerie de Monaco et de toute stipulation du contrat de travail de D. G. lui étendant personnellement le bénéfice de la Convention collective française du commerce de détail de l'horlogerie bijouterie, cette dernière, pour pouvoir prétendre au bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 23-3 de l'accord collectif susvisé, soit préalablement démontrer que son employeur s'est volontairement soumis aux dispositions de la Convention collective française, dont elle revendique aujourd'hui l'application.

Si la SAM Joaillerie de Monaco a certes d'une part fait figurer tout au long de l'exécution du contrat de travail sur la plupart des bulletins de salaire de D. G. dans la rubrique spécialement prévue à cet effet l'indication suivante : « CCN ou Convention collective 524 V - Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie, Commerce Détail Horloge Bijouterie », et d'autre part octroyé à l'intéressée la prime d'ancienneté et le coefficient prévus par cet accord collectif, ces deux éléments ne sauraient toutefois suffire, en l'état des dispositions de l'article 11 de la loi n° 739 du 16 mars 1963 et 1 de l'arrêté ministériel n° 63 131 du 21 mai 1963 instituant la parité des salaires monégasques minima avec ceux pratiqués dans la région économique voisine, pour des conditions de travail identiques, en vertu de la réglementation ou de conventions collectives, à caractériser la volonté de l'employeur de se soumettre à l'intégralité des dispositions prévues par l'accord étranger susvisé et notamment de son article 23-3.

D. G., qui a ainsi été remplie de ses droits par le versement de la somme de 37 919,36 F, ne peut donc prétendre au complément d'indemnité qu'elle sollicite.

3) Sur le licenciement :

Il appartient à D. G., qui sollicite l'allocation des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, de prouver, outre le préjudice subi, l'existence de la faute qu'aurait commise la SAM Joaillerie de Monaco dans l'exercice de son droit unilatéral de rupture.

D. G. soutient à cet effet d'une part que son licenciement serait intervenu sur la base d'un faux motif et d'autre part que son employeur, s'agissant d'un licenciement économique, n'aurait pas respecté les critères d'ordre des licenciements prévus par l'article 6 de la loi n° 629.

a - Sur le caractère fallacieux du motif :

Selon l'employeur le motif du licenciement résiderait dans les importantes difficultés financières qu'aurait connues tant la SAM Joaillerie de Monaco que les diverses sociétés du groupe Fred auquel cette société appartient, lesquelles l'auraient contraint, dans le but de reconquérir la clientèle asiatique, à développer une nouvelle stratégie commerciale, se traduisant concrètement par le recrutement d'une vendeuse maîtrisant la langue et la culture japonaise ainsi que par la suppression concomitante du poste occupé par D. G.

D. G. ayant été embauchée par la SAM Joaillerie de Monaco, seule société du groupe Fred implantée en Principauté de Monaco, seuls les résultats obtenus par ladite société doivent être pris en considération pour apprécier la réalité des difficultés économiques alléguées.

Il apparaît, à l'examen comparatif des trois bilans versés aux débats, que le chiffre d'affaires réalisé par la SAM Joaillerie de Monaco au cours de l'exercice 2000 (8 906 368,82 F) a connu une très nette progression par rapport à ceux réalisés au cours des deux années antérieures, qui s'élevaient respectivement à 6 889 396,00 F en 1998 et 6 357 584,70 F en 1999.

Qu'en outre et alors que l'exercice 1999 s'était soldé par une perte de 1 171 643,96 F, ce déficit a été ramené, à la fin de l'exercice 2000, nonobstant les investissements importants générés par le transfert du lieu de vente de la galerie commerciale de l'Hôtel Loews à l'Avenue des Beaux Arts, à la somme de 551 976,50 F, soit un net redressement de la société.

Qu'ainsi les importantes difficultés économiques invoquées par la SAM Joaillerie de Monaco dans la lettre de rupture du 11 mai 2001 ne sont pas avérées.

Par ailleurs, si le chef d'entreprise est certes libre d'organiser et de structurer son entreprise comme il l'entend, la « mise en place d'une nouvelle stratégie commerciale et marketing » ne constitue pas en soi un motif économique de licenciement.

La société SAM Joaillerie de Monaco ne peut davantage soutenir que la mesure de licenciement économique mise en œuvre par ses soins serait justifiée par la nécessité dans laquelle elle se serait trouvée de réduire ses charges pour sauvegarder sa compétitivité, alors que le poste de vendeuse occupé par D. G. n'a nullement été supprimé, la SAM Joaillerie de Monaco ayant au contraire procédé à de nouvelles embauches.

Il apparaît ainsi à l'examen du registre d'entrées et de sorties du personnel produit aux débats en cours de délibéré à la demande expresse de cette juridiction que cette société avait, tout d'abord, avant même de notifier à D. G. le 11 mai 2000 la rupture de son contrat de travail, recruté le 1er avril 2000 une nouvelle vendeuse à temps complet en la personne de Y. N.

Qu'en outre et nonobstant la priorité de réembauchage jusqu'au 11 novembre 2000 reconnue à D. G. par les dispositions de l'article 7 de la loi n° 629, la SAM Joaillerie de Monaco a procédé le 6 novembre 2000 à l'embauche d'une vendeuse supplémentaire en la personne de Madame É. M., renforçant ainsi encore un peu plus son équipe de vente.

L'ensemble des éléments analysés ci-dessus démontre en définitive que l'embauche de Madame N., à laquelle a procédé la SAM Joaillerie de Monaco sans même avoir vérifié si D. G. reprendrait ou non son poste de travail à l'issue de son congé de maternité, constitue bien la véritable raison de la rupture, le motif économique n'ayant ainsi été invoqué que pour les besoins de la cause.

b - Sur la violation des critères d'ordre :

En application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 629, les licenciements par suppression d'emploi ou compression de personnel ne peuvent être effectués, pour une catégorie professionnelle déterminée, que dans l'ordre suivant :

  • étrangers domiciliés hors de Monaco et des communes limitrophes,

  • étrangers domiciliés dans les communes limitrophes,

  • étrangers domiciliés à Monaco,

  • étrangers mariés à une monégasque ayant conservé sa nationalité et étrangers nés d'un auteur direct monégasque,

  • monégasques,

l'ancienneté dans l'entreprise étant par ailleurs prise en compte dans chacune des catégories ci-dessus déterminées.

En l'espèce il apparaît à l'examen des mentions portées sur le registre d'entrées et sorties du personnel de la SAM Joaillerie de Monaco que s'il existe certes au sein de cette société plusieurs catégories de secrétaires, certaines ayant la qualification de secrétaire bilingue et d'autres celles de secrétaire trilingue, il n'existe en revanche qu'une seule et même catégorie de vendeuse.

Qu'ainsi D. G. et I. B. appartenaient toutes les deux à la même catégorie professionnelle, leur compétence linguistique respective étant à cet égard indifférente.

Qu'en conséquence D. G., qui a été embauchée le 2 mai 1983 et qui réside à Roquebrune Cap Martin, commune limitrophe de Monaco, disposait bien d'un rang de priorité supérieur à celui d'I. B., recrutée le 2 novembre 1983 et demeurant à Menton.

Si la pratique par une vendeuse en Principauté de Monaco de la langue allemande en sus de l'italien et de l'anglais constitue certes, à condition qu'elle soit préalablement démontrée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, un atout appréciable pour l'employeur, il ne s'agit pas toutefois, contrairement à ce que soutient à tort la SAM Joaillerie de Monaco, d'une compétence technique indispensable à l'exercice de cette fonction.

Dès lors, en licenciant D. G. alors que les critères d'ordre élisaient Madame B., la SAM Joaillerie de Monaco a violé les dispositions de l'article 6 de la loi n° 629.

En alléguant à l'encontre de D. G. un motif fallacieux de rupture et en contrevenant de surcroît aux dispositions de l'article 6 de la loi n° 629, la SAM Joaillerie de Monaco a fait un usage abusif de son droit de rupture.

D. G., qui s'est vue brutalement notifier son licenciement après dix sept ans de bons et loyaux services, au retour de son congé de maternité, a incontestablement subi un préjudice moral important.

Par ailleurs si celle-ci, grâce aux efforts accomplis par ses soins et notamment grâce à la formation qualifiante en gemmologie suivie à la fin de l'année 2000, est certes parvenue à retrouver un emploi de vendeuse en joaillerie au sein de la Boutique à l'enseigne Mauboussin le 5 mars 2001, elle a toutefois subi pour la période du 13 juillet 2000 au 5 mars 2001 une perte totale de revenus s'élevant au total à 141 225,50 F.

La SAM Joaillerie de Monaco doit être condamnée au vu de ces divers éléments à lui verser la somme totale de 50 000,00 € à titre de dommages et intérêts.

L'exécution provisoire sollicitée par la demanderesse, n'étant justifiée par aucune considération particulière, il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal du travail,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Déclare irrecevable la note en délibéré déposée le 28 mars 2002 par le Conseil de D. G.

Dit que le licenciement de D. G. par la Société Anonyme Monégasque Joaillerie de Monaco à l'enseigne Fred revêt un caractère abusif.

Condamne en conséquence la Société Anonyme Monégasque Joaillerie de Monaco à l'enseigne Fred à verser à D. G. la somme de :

  • 50 000,00 €, (cinquante mille euros), à titre de dommages et intérêts,

laquelle produira intérêts au taux légal à compter du présent jugement.

Déboute D. G. de sa demande de complément d'indemnité de licenciement.

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.

Composition🔗

Mme Coulet-Castoldi, juge de paix, prés. ; Mmes Leclercq, Lolli-Ghetti, membres employeurs ; MM. Renaud, Amerigi, membres salariés ; Mes Lorenzi, Pasquier-Ciulla, av. déf. ; Mes Davico-Hoarau, Coutard-Alquié, av. bar de Paris.

Note🔗

Cette décision est devenue définitive.

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