Tribunal du travail, 10 janvier 2002, y CA c/ la Société Anonyme Monégasque dénommée SILVATRIM

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Abstract🔗

Licenciement justifié d'un concierge dont l'aide-concierge avec qui il partage la loge est en arrêt de travail - Clause d'indivisibilité - Rédaction maladroite mais suffisamment claire - Indemnités de congédiement et dommages intérêts (non) - Indemnité dite de 5% monégasque due pour chaque élément de rémunération

Résumé🔗

Une clause dite d'indivisibilité, si elle est suffisamment claire, constitue un motif valable du licenciement de l'un en cas de rupture du contrat de l'autre.

Un concierge est licencié sur le fondement d'une clause d'indivisibilité figurant dans son contrat et celui de son épouse embauchée en même temps que lui, partageant la même loge et se trouvant en arrêt de travail depuis 22 mois. Il demande le paiement d'une indemnité de licenciement, des dommages intérêts pour licenciement abusif, d'heures supplémentaires et la prime monégasque de 5%.

Le Tribunal du travail décide que la clause figurant au contrat, suivant laquelle « En cas de démission ou licenciement de Mme.., la rupture du contrat deviendra définitive également pour Mr… », bien que peu adroite dans sa rédaction, traduit cependant de façon claire la commune intention des parties de rendre indivisible le contrat de travail. Des éléments de fait renforcent d'ailleurs cette analyse : contrats respectifs du même jour, clause d'indivisibilité identique, liste en annexe répertoriant les tâches respectives.

Le couple de concierge partageant la même loge et le surcoût financier du recours à une entreprise extérieure étant avéré, le licenciement repose sur un motif valable et a été mis en œuvre sans précipitation blâmable. Aucune indemnité de licenciement ne peut être exigée, des dommages intérêts ne sont pas dus. La prime dite « de poubelles » compense suffisamment le surcroit de travail généré par la tâche de sortie et de rentrée des containers. En revanche, l'indemnité de 5% est due sur les salaires te accessoires de salaires mais non sur l'indemnité de congédiement.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 15 janvier 2001 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 6 février 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur y. CA., en date du 5 avril 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Madame GA. au nom de la S.A.M dénommée SILVATRIM, en date du 31 mai 2001 ;

Après avoir entendu Maître Thomas GIACCARDI, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur y. CA., et Madeleine GA. au nom de la S.A.M dénommée SILVATRIM, en leurs déclarations et plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauché le 3 mars 1986 par la S.A.M SILVATRIM en qualité d'extrudeur, y. CA. a été licencié de cet emploi par une lettre, dont un exemplaire lui a été remis en main propre le 13 juin 2000 et dont le contenu s 'avère le suivant :

  • « Faisant suite à notre entretien du jeudi 7 juin à 14 heures en présence de Monsieur IN, je vous confirme votre licenciement à dater du 15 juin 2000 pour le motif suivant :

  • Inaptitude partielle, à savoir » sans port de charges supérieur (sic) à 5 kilos «, est (sic) incompatible avec le travail effectué dans nos ateliers. Votre préavis débute à partir du 15 juin 2000 et ce jusqu'au 15 août 2000 et je vous dispense de l'effectuer ».

  • Soutenant d'une part que le motif invoqué par la S.A.M SILVATRIM ne constituait pas un motif valable de licenciement, et d'autre part que cette mesure revêtait, au regard des circonstances de fait l'ayant entourée, un caractère manifestement abusif, y. CA., ensuite d'un procès-verbal de non conciliation en date du 5 février 2001, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, avec intérêts au taux légal à compter de la citation en conciliation, des sommes suivantes :

• 20.000 francs (soit 3.048,98 Euros), à titre d'indemnité de licenciement,

• 250.000 francs (soit 38.112,25 Euros), à titre de dommages et intérêts.

  • À la date fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu, en personne en ce qui concerne la S.A.M SILVATRIM et par son conseil en ce qui concerne y. CA.

  • Puis, après quatre renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue le 22 novembre 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 10 janvier 2002.

  • y. CA. expose, à l'appui de ses prétentions, que le 4 janvier 1999 il a été victime d'un accident du travail ayant entraîné une rupture du tendon du biceps brachial droit et nécessité une intervention chirurgicale le 22 janvier 1999, dont les suites se sont compliquées par l'apparition d'un syndrome neuroalgodystrophique.

  • Qu'alors que lors de la visite médicale du 5 juin 2000 le Docteur REPAIRE l'avait déclaré apte à la reprise de son emploi, moyennant une restriction (interdiction du port de charges supérieures à 5 kilos), limitée à 3 mois, il s'est vu notifier le 7 juin 2000 son licenciement par son employeur.

  • Soutenant qu'au regard de son caractère temporaire, l'inaptitude partielle constatée le 5 juin 2000 par le Docteur REPAIRE ne pouvait constituer un motif valable de rupture du contrat de travail d'un salarié comptant au surplus une très importante ancienneté au sein de l'entreprise, y. CA. sollicite en premier lieu la condamnation de son employeur au paiement de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.

  • Soulignant par ailleurs qu'en le licenciant brutalement le lendemain de la visite médicale, alors qu'en l'état d'une part du caractère temporaire de la restriction émise par le médecin du travail et d'autre part de la fermeture annuelle de l'entreprise pendant le mois d'août, l'aménagement de poste (pas de port de poids supérieur à 5 kilos), rendu nécessaire par la recommandation du Docteur REPAIRE, ne portait en définitive que sur une durée effective de deux mois, la S.A.M SILVATRIM a fait un usage abusif du droit unilatéral de rupture qui lui est reconnu par la loi, y. CA. demande par ailleurs que l'important préjudice tant financier que moral, qu'il a subi soit équitablement compensé par l'allocation à son profit d'une somme de 38.112,25 Euros (soit 250.000 francs), à titre de dommages et intérêts.

Il fait valoir à cet effet :

  • qu'alors qu'il disposait d'une ancienneté de 14 années au service de la S.A.M SILVATRIM et doit faire face à des crédits contractés pour l'acquisition de son logement et de son véhicule automobile, il n'est à ce jour toujours pas parvenu à retrouver d'emploi,

  • qu'il a perdu consécutivement à son licenciement le bénéfice des prestations familiales monégasques auxquelles ouvraient droit ses deux enfants âgés de trois et cinq ans.

La S.A.M SILVATRIM conclut pour sa part au rejet de l'intégralité des demandes formées à son encontre par y. CA.

Elle invoque, à cette fin, en substance les moyens suivants :

  • l'entreprise ne comportant au sein de son effectif aucun poste compatible avec la restriction de port de charges émise par le médecin du travail, l'inaptitude partielle d'y. CA. constitue bien un motif valable de licenciement ;

  • la brutalité ou la légèreté qui lui sont reprochées ne sont nullement caractérisées en l'espèce dès lors que :

• elle n'a mis en œuvre son droit unilatéral de rupture qu'à l'issue d'une absence de 518 jours,

• elle a proposé à Monsieur CA. une indemnité complémentaire de 7.000 francs, représentant environ un mois de salaire, pour mettre fin à toute discussion.

SUR CE :

1) Sur la validité du motif :

Il est constant en droit que l'inaptitude physique, même simplement partielle, d'un salarié à son emploi constitue un motif valable de rupture du contrat de travail, à la double condition toutefois d'une part qu'elle ait été médicalement constatée et d'autre part qu'elle revête un caractère définitif.

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats qu'y. CA., qui était embauché par la S.A.M SILVATRIM depuis le 3 mars 1986 en qualité d'extrudeur, a été victime le 4 janvier 1999 d'un grave accident du travail au cours duquel , lors d'un mouvement de force, il a subi une rupture du tendon du biceps brachial droit, dont les suites chirurgicales se sont compliquées par l'apparition d'un syndrome neuroalgodystrophique ;qu'après une absence totale de 518 jours consécutifs, du 4 janvier 1999 au 4 juin 2000 inclus, ce dernier a été déclaré le 5 juin 2000 par le Docteur REPAIRE, médecin du travail, « apte à la reprise, sans port de charges supérieures à 5 kilos pour trois mois ».

Compte tenu du caractère doublement limité de la restriction émise par le médecin du travail l'inaptitude d'y. CA. à son poste de travail revêtait à l'évidence un caractère non seulement partiel, mais aussi et surtout temporaire.

Cette inaptitude ne pouvant constituer dans une usine comportant au moins 170 salariés, compte tenu d'une part de son caractère extrêmement limité dans le temps (3 mois, dont un mois de fermeture de l'entreprise pour congés annuels) et d'autre part du peu d'importance des restrictions d'emploi émises par le médecin du travail (absence de port de charges lourdes) un motif valable de rupture d'un contrat de travail d'un salarié disposant au surplus d'une importante ancienneté de services au sein de l'entreprise, y. CA. est en droit de prétendre au bénéfice de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.

Les bases d'une ancienneté de services de 14 ans et 5 mois à la date d'effet de la rupture et d'une rémunération brute mensuelle moyenne de 1.375, 43 Euros, prime d'ancienneté de 15% incluse, l'indemnité revenant à ce salarié s'élève à la somme de 9.517,97 Euros, se décomposant ainsi :

(1.375,43 x 173) / 25 = 9.517,97 Euros.

Le montant de l'indemnité de licenciement ne pouvant toutefois en application de l'alinéa 3 de l'article 2 de la loi 845 du 27 juin 1968, excéder 6 mois de salaires, la somme allouée à y. CA. doit être ramenée à 6 x 1.375,43 = 8.252, 58 Euros, dont il convient de déduire l'indemnité de congédiement d'ores et déjà perçue, soit 6.097,96 Euros, les deux indemnités n'étant pas cumulables, soit un solde de 8.252,58 – 6.097,96 = 2.154, 62 Euros en faveur du salarié.

2) Sur le caractère abusif de la rupture :

En convoquant y. CA. à un entretien préalable « pouvant déboucher sur son licenciement », dès le 6 juin 2000, soit le lendemain de la visite médicale de reprise, sans avoir préalablement recherché la moindre possibilité d'aménagement temporaire du poste de travail de l'intéressé, la S.A.M SILVATRIM a agi avec une précipitation blâmable.

Il est constant par ailleurs que la S.A.M SILVATRIM a cessé toute activité pour congés annuels au cours du mois d'août 1999 ; qu'ainsi la restriction tenant au port de charges lourdes émise par le médecin du travail le 5 juin 2000 se trouvait dans les faits limitée à 2 mois, correspondant aux 2 mois de préavis non effectués et payés.

Qu'enfin, compte tenu de l'existence (cf. rapport expertal du Docteur BORGIA) d'un incident antérieur exactement similaire, survenu en 1998, ayant alors affecté le biceps brachial gauche de l'intéressé, la S.A.M SILVATRIM ne justifie d'aucune raison sérieuse lui permettant de penser que la restriction d'aptitude temporairement émise le 5 juin 2000 par le Docteur REPAIRE, suite à l'accident de travail du 4 janvier 1999, déboucherait à terme sur une inaptitude définitive de Monsieur CA. à son emploi d'extrudeur.

La brutalité et la légèreté dont l'employeur a fait preuve en l'espèce confèrent assurément au licenciement de ce salarié un caractère abusif.

y. CA. qui se trouve à ce jour à l'âge de 37 ans sans emploi, avec une épouse et deux enfants à charge pour lesquels il ne bénéficie plus des prestations sociales prévues par la législation monégasque, et doit faire face avec ses revenus constitués des seules allocations dégressives servies par l'ASSEDIC (33,66 Euros par jour progressivement ramenées à 16, 71 Euros en fin de droits), en sus des charges courantes, au remboursement d'un emprunt hypothécaire et d'un emprunt personnel contractés en 1996 et 1998 pour l'acquisition d'un immeuble et d'un véhicule justifie d'un préjudice matériel important.

Ce préjudice, auquel s'ajoute un indéniable préjudice moral, compte tenu notamment de l'ancienneté de services de l'intéressé (14 ans), sera justement réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 38.000 Euros, à titre de dommages et intérêts.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement d'y. CA. a été mis en œuvre pour un motif non valable ;

Dit en outre que cette mesure revêt un caractère abusif ;

Condamne, en conséquence, la Société Anonyme Monégasque dénommée SILVATRIM à payer à y. CA. les sommes suivantes :

• 2.154,62 Euros (deux mille cent cinquante-quatre Euros et soixante-deux centimes) à titre d'indemnité de licenciement,

• 38.000 Euros (trente-huit mille Euros) à titre de dommages et intérêts, ces deux sommes produisant intérêts au taux légal à compter du présent jugement.

Condamne la Société Anonyme Monégasque dénommée SILVATRIM aux entiers dépens qui seront recouvrés par l'Administration de l'enregistrement conformément aux dispositions régissant l'Assistance Judiciaire.

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