Tribunal du travail, 28 juin 2001, f GA c/ i RO, SCS et Cie KA

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Abstract🔗

Bulletins de salaire - Présomption de paiement (non) - Licenciement disciplinaire - Pouvoir disciplinaire épuisé par des avertissements

Résumé🔗

La délivrance des bulletins de paie n'emporte pas présomption de paiement des sommes qui y figurent. En sanctionnant les fautes commises par des avertissements, l'employeur qui licencie sans autre motif a épuisé son pouvoir disciplinaire.

Une vendeuse retoucheuse ayant 17 mois d'ancienneté est licenciée, sans préavis ni indemnités, pour « accumulation de fautes professionnelles » après avoir réclamé le paiement d'heures supplémentaires à son employeur. Elle lui réclame, devant le Tribunal du travail, le paiement de salaires et congés payés, préavis et indemnité de licenciement, outre des dommages et intérêts pour rupture abusive. De son côté, l'employeur estime que sa salariée ne rapporte nullement la preuve des heures supplémentaires alléguées, ni n'explicite sa demande de congés payés, tandis que le licenciement est justifié par une accumulation de fautes professionnelles rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

Le Tribunal estime d'abord non rapportée la preuve par l'employeur du paiement des soldes de salaires et congés payés demandés, la délivrance de bulletins de paie n'emportant pas présomption de paiement des sommes qui y sont mentionnées et condamne celui-ci au paiement desdites sommes. Sur les heures supplémentaires, la preuve de celles-ci incombant à la salariée demanderesse n'est pas rapportée, la production, par elle, de l'attestation d'un restaurateur mentionnant que la vendeuse retoucheuse « vient régulièrement manger chez nous… et demande à être servie le plus vite possible » étant insuffisante. La salariée doit en être déboutée.

S'attachant ensuite aux demandes relatives à la rupture du contrat de travail, le Tribunal estime qu'en sanctionnant par trois avertissements les diverses fautes commises (usage abusif du téléphone, non-respect des horaires et de l'organisation et absence injustifiée),l'employeur qui ne justifie pas d'autres griefs postérieurs au dernier avertissement, a épuisé son pouvoir disciplinaire. Le licenciement présenté « comme la conséquence » des trois avertissements est donc sans fondement valable et sa légèreté le rend abusif.


Motifs🔗

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 1er octobre 1999 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 19 octobre 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de Madame f GA, en date des 6 avril 2000 et 12 octobre 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Madame i RO, en date des 4 août 2000 et 29 mars 2001 ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Après avoir entendu Maître Alexis MARQUET, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame f GA et Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame i RO, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée par la SCS i RO et Compagnie le 1er avril 1998 en qualité de vendeuse retoucheuse, f GA a été licenciée le 8 septembre 1999 de cet emploi, sans préavis ni indemnités de rupture.

Soutenant d'une part qu'elle n'avait pas été remplie de ses droits au cours de l'exécution de son contrat de travail et d'autre part que son licenciement était non seulement dépourvu de motif valable, mais encore abusif, f GA, ensuite d'un procès-verbal de défaut en date du 18 octobre 1999, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail afin d'obtenir, outre la délivrance de divers documents administratifs (certificat de travail, attestation ASSEDIC, solde de tout compte), l'allocation des sommes suivantes :

  • 1.989,93 F, représentant le montant des heures supplémentaires (janvier 1999) qui lui sont dues,

  • 6.443,32 F, au titre de l'indemnité de préavis,

  • 1.588,00 F, à titre de solde de congés payés,

  • 2.606,08 F, représentant le montant du salaire qui lui est dû pour la période du 1er au 8 septembre 1999,

  • 288,99 F, à titre de complément de salaires pour les mois d'avril, mai et juin 1998,

  • 5.230,07 F, à titre d'indemnité de licenciement,

  • 34.408,40 F, à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils.

Après douze renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 17 mai 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 28 juin 2001.

f GA expose en substance à l'appui de ses prétentions :

– qu'alors que la demande de permis de travail adressée à son employeur mentionne expressément un taux horaire de 40,00 F, sa rémunération des mois d'avril, mai et juin 1998 a été effectivement calculée sur la base d'un taux horaire de 39,43 F, soit un solde en sa faveur s'élevant à 288,99 F, pour la période considérée,

– qu'elle n'a perçu aucun salaire pour la période du 1er au 8 septembre 1999,

– qu'elle n'a pas été remplie de ses droits à congés payés,

– qu'elle a effectué au cours du mois de janvier 1999 de nombreuses heures supplémentaires travaillant en moyenne 51 heures par semaine au lieu de 39 heures, qui ne lui ont à ce jour pas été réglées, i RO lui ayant verbalement indiqué que le paiement desdites heures devrait se compenser avec le montant des communications téléphoniques passées pour son usage personnel,

– que son employeur ne rapporte la preuve ni de la réalité ni de la validité du motif de licenciement qu'il allègue, « l'accumulation de fautes professionnelles », dont l'existence n'est au demeurant pas suffisamment démontrée, n'ayant été invoquée qu'en réponse à la démarche effectuée par ses soins auprès de l'inspecteur du travail, pour obtenir le paiement de ses heures supplémentaires ; qu'ainsi, ni l'insubordination, ni la désorganisation qui lui sont reprochées ne sont en définitive avérées,

– que le comportement inadmissible employé à son égard par la SCS RO, qui témoigne du peu de scrupule de cette société à accomplir ses obligations d'employeur confère assurément au licenciement dont elle a été l'objet un caractère abusif.

Elle demande en conséquence au Tribunal du travail de faire droit à l'intégralité des prétentions contenues dans sa requête introductive d'instance, sauf :

– à lui allouer en outre une somme de 44.408,40 F, à titre de dommages et intérêts complémentaires, pour « rétention de documents administratifs, préjudice moral et financier »,

– à assortir la demande de délivrance des divers documents administratifs d'une astreinte journalière de 1.000,00 F,

– à ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

La SCS i RO et Cie conclut pour sa part à l'entier débouté des demandes formées à son encontre.

Ses moyens sont pour l'essentiel les suivants :

– f GA ne rapporte pas la preuve des heures supplémentaires qu'elle prétend avoir effectuées, le seul témoignage d'un restaurateur indiquant qu'elle était pressée de déjeuner étant à cet égard insuffisant,

– la demande de congés payés n'est explicitée par aucune pièce, les bulletins de salaires ainsi que le livre de paie versés par ses soins aux débats démontrant en tout état de cause que f GA a bien été remplie de ses droits,

– le licenciement de f GA a été mis en œuvre à la suite d'une accumulation de fautes professionnelles ayant rendu impossible la poursuite du contrat de travail, cette dernière s'étant avéré incapable, en dépit de la patience et de la bienveillance de son employeur, d'adopter un comportement conforme à ses obligations.

SUR CE,

1) Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

a) rappel de salaires (avril à juin 1998)

Dès lors que les parties avaient expressément convenu (cf. mentions contenues dans la demande d'autorisation d'embauchage et de permis de travail) de fixer à la somme de 40,00 F, le montant de la rémunération horaire brute de f GA, cette dernière, qui a été en réalité rémunérée au vu des bulletins de paie versés aux débats pendant les mois d'avril à juin 1998 sur la base d'un taux horaire brut de 39,43 F, est en droit de prétendre à un rappel de salaire s'élevant à (169 x 3) x (40,00 – 39,43) soit une somme brute de 288,99 F.

b) rappel de salaires (1er au 8 septembre 1999)

La délivrance par l'employeur d'un bulletin de paie n'emportant pas présomption de paiement des sommes qui y sont mentionnées, il appartient à l'employeur, en cas de contestation, de prouver le paiement par toutes pièces utiles, et notamment par la production de documents comptables.

Force est de constater en l'espèce que cette preuve n'est nullement rapportée dans la mesure où :

– le bulletin de paie litigieux ne comporte aucune mention relative à la date et à la forme du paiement,

– le registre de paie n'a été émargé par f GA que jusqu'au mois de juillet 1999,

– aucune pièce comptable (copie chèque ou ordre de virement et relevé bancaire correspondant – reçu de paiement d'espèces signé par le salarié) n'est versée aux débats.

La SCS RO doit être condamnée en conséquence à payer à ce titre à f GA la somme de 2.437,09 F brut, soit 2.173,19 F net.

c) Solde de congés payés

Compte tenu de son ancienneté de services (mai 1998 à septembre 1999) f GA avait acquis à la date de son licenciement, sur les bases déterminées par les articles 1er et suivants de la loi n° 619 du 26 juillet 1956 les droits à congé payé suivants : 17 x 2,5 = 42,5 jours arrondi à 43 jours.

Il résulte des indications portées sur ses bulletins de paie que celle-ci a effectivement bénéficié, entre le 1er mai 1998 et le 8 septembre 1999, de 32 jours de congés se détaillant ainsi :

  • 13 au 15 mai 1999 soit 2 jours (le 13 mai étant un jour férié),

  • 4 au 31 août 1999 soit 23 jours (le lundi 16 août étant un jour férié légal en application de l'article 1er alinéa 2 de la loi n° 798),

  • 1er au 4 septembre 1999 soit 4 jours,

  • 6 au 8 septembre 1999 soit 3 jours,

32 jours.

f GA est donc fondée à obtenir paiement, au titre des 11 jours de congés payés lui restant dus, d'un reliquat de 2.649,40 F brut.

Le Tribunal ne pouvant toutefois statuer ultra petita, il sera alloué à f GA la somme réclamée par cette dernière, soit 1.588,00 F.

d) Heures supplémentaires

Le permis de travail mentionnant un horaire hebdomadaire, de 39 heures, il appartient à f GA, qui a été effectivement rémunérée, au cours du mois de janvier 1999 sur cette base, d'administrer la preuve de l'existence des 34 heures supplémentaires qu'elle prétend avoir effectuées au cours de ce même mois.

Force est de constater que cette preuve n'est pas suffisamment rapportée en l'espèce, la production d'une attestation émanant d'un restaurateur de MONACO VILLE mentionnant que f GA « vient régulièrement manger chez nous à Midi et demande à être servie le plus vite possible », étant, à cet égard, insuffisante.

Dès lors au surplus qu'i RO n'en a jamais expressément admis le bien fondé, aucune certitude quant à l'existence d'éventuelles heures supplémentaires ne peut être tirée des mentions contenues dans les correspondances émanant de f GA en date des 29 mars et 1er septembre 1999.

Cette dernière doit donc être déboutée de la demande en paiement de la somme de 1.989,93 F qu'elle a présentée à ce titre.

2) Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

Il est constant en l'espèce que f GA s'est vu notifier successivement les trois avertissements suivants :

– un premier avertissement le 27 mars 1999, sanctionnant un usage abusif du téléphone de l'employeur,

– un second avertissement le 31 mars 1999, sanctionnant son refus de se soumettre au pouvoir de direction de l'employeur, tant en ce qui concerne les horaires que l'organisation du travail,

– un troisième avertissement le 12 avril 1999 sanctionnant son absence injustifiée le 12 avril.

En sanctionnant en leur temps ces diverses fautes par des avertissements, la SCS RO a épuisé son pouvoir disciplinaire.

Ces faits ne pouvaient donc être ultérieurement invoqués par l'employeur pour justifier la mesure de licenciement mise en œuvre le 8 septembre 1999 à l'encontre de f GA qu'à la condition que l'existence de nouveaux griefs, postérieurs au 12 avril 1999 soit établie.

Tel n'est assurément pas le cas en l'espèce, la lettre de notification de la rupture tout comme les conclusions de la défenderesse, loin d'alléguer le moindre élément nouveau, présentant au contraire le licenciement comme la conséquence nécessaire et inéluctable des trois avertissements antérieurement prononcés.

« Comme suite aux trois avertissements que je vous ai déjà adressés, je me trouve maintenant dans l'obligation de vous licencier ».

Le licenciement de f GA ayant ainsi été mis en œuvre sans motif valable, la SCS RO doit être condamnée à payer à son ancienne salariée les sommes suivantes :

  • 7.225,76 F brut, ou 6.443,32 F net, à titre d'indemnité de préavis,

  • (7.225,76 x 18 (y compris le préavis)) / 25 = 5.202,54 F brut, à titre d'indemnité de licenciement.

Compte tenu de la légèreté avec laquelle il a été mis en œuvre, ce licenciement revêt un caractère manifestement abusif.

Le préjudice à la fois moral et matériel subi par f GA consécutivement à cette mesure, sera justement réparé, compte tenu des éléments d'appréciation dont dispose le Tribunal (salariée âgée de 37 ans lors de la rupture – ancienneté de 18 mois) par l'allocation d'une somme de 10.000,00 F, à titre de dommages et intérêts.

La SCS RO ne justifiant pas avoir satisfait à ses obligations d'employeur, cette dernière sera enfin condamnée à délivrer à f GA l'ensemble des documents administratifs lui revenant (certificat de travail – attestation ASSEDIC).

Dès lors toutefois qu'elles n'ont pas été soumises au préliminaire de conciliation, les demandes présentées pour la première fois dans les conclusions en date du 12 octobre 2000, tendant d'une part à voir assortir la condamnation prononcée ci-dessus d'une astreinte, et d'autre part à voir sanctionner le retard apporté à la délivrance de ces documents par l'allocation de la somme de 44.408,40 F, à titre de dommages et intérêts sont irrecevables et ne peuvent dans ces conditions être examinées par le Tribunal.

En l'absence de circonstances propres à la justifier, il n'y a pas lieu enfin d'assortir la présente décision du bénéfice de l'exécution provisoire.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de f GA ne repose pas sur un motif valable.

Dit en outre que cette mesure revêt un caractère manifestement abusif.

Condamne en conséquence la SCS RO à payer à f GA les sommes suivantes :

  • 7.225,76 francs brut, (sept mille deux cent vingt-cinq francs brut et soixante-seize centimes), (soit 6.443,32 Francs net), à titre d'indemnité de préavis,

  • 5.202,54 Francs brut, (cinq mille deux cent deux francs brut et cinquante-quatre centimes), à titre d'indemnité de licenciement,

  • 10.000,00 Francs, (dix mille francs), à titre de dommages et intérêts,

  • 1.588,00 Francs, (mille cinq cent quatre-vingt-huit francs) à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

  • 2.437,09 Francs brut, (deux mille quatre cent trente-sept francs brut et zéro neuf centimes), (soit 2.173,19 Francs net), représentant le paiement du salaire dû pour la période du 1er au 8 septembre 1999,

  • 288,99 Francs, (deux cent quatre-vingt-huit francs et quatre-vingt-dix-neuf centimes), à titre de rappel de salaires pour la période d'avril à juin 1998.

Ordonne à la SCS RO et Cie de délivrer à f GA dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement :

– son certificat de travail,

– l'attestation délivrée à l'ASSEDIC.

Déclare irrecevables les demandes tendant d'une part à assortir la condamnation de l'employeur à délivrer ces documents administratifs d'une astreinte et d'autre part à voir sanctionner le retard apporté à la délivrance de ces documents par l'allocation d'une somme de 44.408,40 Francs (quarante-quatre mille quatre cent huit francs et quarante centimes), à titre de dommages et intérêts.

Déboute f GA du surplus de ses prétentions.

Condamne la SCS RO aux entiers dépens.

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